Juliet ♣ Someday I'll be part of your world

Mes parents m'ont appelé Juliet Kelly Lawson ! Je suis né le 21 mars 1986 à Bray, en Irlande. Je suis un élément de 30 ans. Pour plus de précisions, je suis hétérosexuelle et présentement célibataire. Je suis fier de dire que je travaille en tant qu' avocate , ça m'aide à payer mes factures. Je suis d'ailleurs plutôt riche On me dit souvent que je ressemble à Claire Coffee, mais en mieux, quand même. Une dernière chose, je fais partie du groupe Être de l'eau, et plus précisément je suis une sirène.

« Les sirènes et les tritons sont la race la plus haute, la plus riche et la plus puissante. Quand tu seras grande, tu seras fière d’être parmi nous. »

Oui, maman. Oui. Tous ces mots comme de minuscules doses d’arsenic. C’est tellement facile d’implanter une idée dans un esprit, et de le laisser grandir, grandir sans lui laisser la moindre occasion de douter. A Bray, il y a beaucoup d’avis différents. Mais il suffit de laisser cette petite fille de riche au milieu de ses jouets et de sa part d’océan privée, et de lui interdire de voir le reste. De lui faire peur avec des hommes qui se transforment en loup et dévorent les petits enfants, avec des petites créatures si belles sur lesquels nous n’avons aucun contrôle, et sur ces humains, aussi, ceux qui veulent nous exterminer. Cette petite fille enfermée dans cette salle de jeux n’a que de brèves entrevues sur le monde extérieur. Quoi qu’il en soit, elle ne veut pas le voir. Elle en a trop peur, après tout ce qu’on lui a dit. Sa pièce fermée, sa prison dorée lui suffit largement. C’était ça, ma vie. Le début de ma vie. Aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais quitté ma prison dorée. Bienvenue dans un monde d’hypocrisie, de mensonge, et de lutte pour la survie du meilleur. Ou du plus barbare, peut-être ? Impossible de le savoir. Impossible de sortir de cette bulle dans laquelle ils m’ont mise. Mais ce n’était pas méchant. Non, eux aussi, on leur a dit toutes ces choses. Eux aussi, ils ont vécu dans la bulle. Et ils m’aiment, et moi je les aime. Je les crois parce que je veux qu’ils m’aiment. C’est le sort de chacun.

Et ils me disent qu’il faut faire des études. Ou, mais à l’université, il y a aussi les autres. Je veux dire, les autres espèces. Pas seulement nous, les meilleurs êtres de l’eau. C’est difficile de me laisser aller dans ce fourre-tout où je pourrai fréquenter n’importe qui. Mais j’ai bien appris les leçons administrées jusqu’à mes seize ans : nous sommes les meilleurs et les autres sont jaloux de nous. Ils voudraient nous détruire, s’ils savaient qu’on existait. Il faut se cacher et rester secrets, pour que personne ne soupçonne notre existence. Je fais exactement ce que mes parents m’ont demandé, je n’ai pas beaucoup d’amis, et je parle principalement à ceux que je connais déjà, ceux qui sont comme moi. Mais comment empêcher des liens de se former ? Là-bas, je suis seule, j’entends d’autres discours, qui parfois me choquent, mais je n’ai pas le droit de dire ce que j’en pense car tout ça doit rester secret. Je fais mes études de droit, du droit simple, neutre, objectif, sans la moindre information sur des quelconques créatures surnaturelles. Je valide mon diplôme en quelques années, j’espère, puis je suis recrutée. D’un côté comme de l’autre. J’entre dans la vie professionnelle. Je ne suis plus une enfant, alors mes parents savent qu’ils ne peuvent plus me traiter comme une enfant : ils ont décidé de tout m’avouer maintenant. Et pourtant, j’ai 25 ans déjà, je suis assez grande, j’aurais dû savoir plus tôt. Je ressemble à une poupée de porcelaine neuve, que l’on a acheté et mise dans un placard pendant plusieurs années.

« Nous allons à présent te présenter au Parti Tritons et Sirènes. Nous sommes les meilleurs et c’est pourquoi il serait juste que nous soyons à la tête de cette ville, et du pays tout entier. Beaucoup de barbares vivent encore sur nos terres légitimes et essaient de nous exterminer. Viens avec nous, tout te sera expliqué là-bas. Tu connais le droit, tu as de l’influence sur beaucoup de monde grâce à ton métier et c’est pour cette raison que nous avons autant besoin de toi. »

J’acquiesce. Je dois toujours acquiescer, c’est ce qu’on m’a appris à faire. J’obéis et rejoins ce groupe, comme on me le demande. J’apprends qui sont les bons et les mauvais, ceux qu’il faut détruire et ceux qui nous aideront. J’apprends l’existence de tant de créatures et de groupes dont je n’aurais pas soupçonné l’existence et enfin j’apprends à quel point notre vie est en danger ici. Si ce qu’ils disent est vrai, si c’est faux, je n’en ai pas la moindre idée. Je ne suis pas là pour me poser la question, mais pour faire ce qu’ils disent. Alors je le fais. On me dit de mentir, quand j’ai juré de dire toute la vérité. On me dit de tuer, quand je punis le crime, et quand je le défends aussi. Je suis persuadée, au plus profond de moi-même, que si je ne le fais pas, mon espèce va disparaître. Que ces Autres sont les criminels les plus odieux. Criminels, que dis-je ! Ils ne commettent pas de crimes, car le crime est une déviance, et le mal est leur nature. Il n’y a rien que l’on puisse faire pour eux, à part les chasser au plus loin de cette ville et de ce monde. Il est facile de croire à l’illusion, quand elle nous élève au-dessus de toutes les créatures du monde, quand par elle nous sommes puissants et vifs, et saints, puisque c’est la paix que nous recherchons. La guerre a une cause juste, et ils sont l’autre côté. Ils ne méritent pas de compassion ni la dignité de l’ennemi. Ils méritent la destruction.

Mais tout ordre a ses limites. Toute violence voit sa force exploser à un moment où il n’est plus possible de le supporter. C’est ainsi que les choses se passent toujours. C’est ce que l’on ne m’a jamais appris, dans cette éducation si parfaite et si bien adaptée à ma condition. Je suis devenue exactement ce qu’ils voulaient que je sois, j’ai peut-être trop bien réussi à l’être. J’en paie encore le prix. Mais il fallait tuer cet homme, c’était dans les ordres, et les ordres étaient toujours bons. J’ai tué quelqu’un sans trop savoir qui il était, comme j’ai tué les autres, parce qu’il le fallait. Je l’ai tué en l’entraînant au fond de l’eau pour que le corps ne soit jamais retrouvé. J’ai voulu le tuer, en tout cas… mais un imprévu a fait échouer une partie de mon plan. Quelqu’un qui est arrivé quand il ne fallait pas. J’ai dû laisser le corps flottant à la surface et m’enfuir, avant d’être découverte… et c’est là que je l’ai vue. La souffrance. Elle existait aussi chez les autres. Est-ce qu’ils étaient bien les monstres qu’on m’avait décrit ? Je croyais que la colère était le seul sentiment qu’il pouvait éprouver, parce que c’était un sentiment violent et destructeur et qu’ils n’étaient rien de plus que ces deux mots tellement répétés à mon oreille qu’ils en devenaient vides de sens. La douleur existe chez les monstres, alors ils ne sont pas des monstres. Ils sont des êtres vivants aussi.

Je rentre chez moi avec quelque chose de lourd sur le cœur. J’ai vu cette douleur, avant de voir la colère ; mais la colère est inévitable. Ce que j’ai fait appelle la vengeance… Je sais, dans mon métier, que la vengeance n’est pas la justice, mais je commence à me demander s’il n’y a pas une part de justice malgré tout. C’est ce qu’ils veulent, eux. Ils veulent se rendre justice. Qu’y a-t-il de si difficile à comprendre ? Je sais que ceux que j’ai si bien appris à appeler « nos ennemis » ne resteront pas indifférents à ce meurtre de trop, et peut-être qu’on me retrouvera. Peut-être. Après tout, voilà cinq ans que je travaille pour eux et que je participe à leurs débats inutiles suivis de tueries d’autant plus inutiles qu’elles attisent la colère plutôt que la peur. Je comprends maintenant ce besoin de vengeance chez les autres, de même que j’ai pu ressentir ce besoin en moi, quand l’un de nous était touché. Et je dois savoir ce qui se passe de l’autre côté de la frontière… C’est la première fois que je fugue. Pourtant, je le fais. Je ne rentre pas chez moi, dans mon aile de l’immense demeure familiale, je cours dans la ville pour voir les autres. Je vois ces hommes et ces femmes qui passent, je ne sais pas qui ils sont mais en les entendant rire, se confier silencieusement ou verser quelques larmes, je me demande à quoi bon. Ces rues grouillent de vie. Il y a là mille fois plus de vie que dans notre Parti refermé sur lui-même. Mille fois plus, et peut-être encore davantage. Qui saurait mesurer la vie, et dire laquelle vaut mieux que l’autre ?

Ils prendront ça pour une trahison. Pourtant, je n’ai trahis personne. Pas encore. C’est vrai, je fréquente maintenant certaines personnes appartenant à l’OBCM. Je n’ai pas dit que je quittais le PTS. Je ne joue pas sur les deux tableaux à la fois. Non. Cela n’est pas dans mes intentions. Tout simplement parce que, mes intentions, elles ne sont pas très clair. Je ne veux de mal à personne et je les vois tous brandir le drapeau de la justice et du Bien, seuls contre tous les autres. Je ne sais pas trop de quel côté je suis, et je me brouille de plus en plus avec ceux qui ont toujours été ma famille et mon entourage. Mais puis-je vraiment les abandonner ? Je sais que j’ai fait une erreur récemment, et que je serai soupçonnée un jour. Et accusée. Et je paierai. Pour le moment, j’essaie de faire ce qui me semble le meilleur. Seule. Et sans le jugement des autres, fussent-ils ceux qui m’ont élevée.