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 « Where is my mind ? » TrevorxZachary

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With your feet in the air and your head on the ground try this trick and spin it, yeah your head will collapse but there's nothing in it and you'll ask yourself Where is my mind ?



Je regarde l'horloge devant moi et attends impatiemment que les aiguilles en fassent le tour. Je ne tiens plus en place. J'ai mal. J'ai peur. J'ai envie de hurler. J'ai envie de pleurer, de le revoir. Je veux revoir sa tête, je veux revivre ce moment et je veux comprendre. Je veux comprendre ce que j'ai fait de mal, ce que j'ai fait pour mériter ça.

Laissant les habitudes prendre le dessus, j'effectue chaque geste sans y prêter une seule seconde d'attention. Je n'arrive pas à me sortir sa sale tronche du crâne et pire que ça, je n'arrive pas à me dire que je dois rentrer chez moi. Voir Andy, voir Kyle. Alors quand les aiguilles atteignent l'heure, je prends mon téléphone et tape un message sans regarder. Ne pas m'attendre ce soir, ne pas espérer me voir ce soir. Je verrouille mon téléphone sans attendre de réponse et sors de l'hôpital remplit de cette colère que je suis incapable de calmer, de contrôler.

Un verre. Juste un verre et ça ira mieux. J'ai simplement besoin de décompresser et après je pourrais rentrer. Une cigarette à la bouche, je traverse les rues de la ville sans accorder le moindre regard à la vie qui m'entoure. Parce que c'est ça, qu'il a réussi à faire, l'autre connard, c'est m'isoler de tout, même de moi-même. Quelques minutes plus tard je franchis la porte du bar et malgré tous mes espoirs, rien ne change. La rage ne disparaît pas, les souvenirs ne prennent pas le pas. Alors je m'assoie, et je commande un verre. Un verre devrait suffire. Ou alors peut-être deux. Ou alors peut-être trois.

Je n'ai plus regardé l'horloge depuis des heures, trop enfermé dans mes propres pensées. Le brouhaha qui m'entoure me laisse complètement indifférent alors que je me bats toujours autant avec mes pensées. Je soupire, regarde la vodka dans mon verre, la faisant s'échouer contre les bords du verre. Putain de merde, comment on en est arrivé là. Je commence à me faire à l'idée de la hargne, de la haine. Je commence à me dire que je dois rentrer quand-même, au pire des cas, Andy sera couché, je gérerai les choses demain. Alors je vide mon verre cul sec, d'un sourire vide de sens au barman je pose mon manteau sur mes épaules, sors le paquet de cigarettes de ma poche et retrouve la fraîcheur de l'extérieur.

Pour la première fois depuis des années je n'ai pas la moindre idée de l'heure qu'il est. Pas la moindre idée de ce que fait Kyle, comment il va, comment va Andy. Je ne sais rien, rien à part que je suis en colère, vraiment en colère. L'air de Bray s'éclate contre mon visage comme une nouvelle claque, dans un gloussement inaudible, je note l'ironie du sort. Une baffe par la vie, une baffe par la nature, à quand la prochaine ? Mais sans même avoir le temps de finir ma pensée, ma clope à peine allumée, je me retrouve avec la réponse à ma question.

Un inconnu, qui se pointe, là. Il veut une clope, et je lui tends. Sans un mot, parce que je n'ai aucune envie de parler, aucune envie d'ouvrir la bouche et donner une chance à ma colère de s'exprimer. Pourtant le con insiste, sans doute qu'il a bu, ou alors il est juste chiant. Il s'approche trop près, trop vite. Il parle trop fort, trop longtemps. J'ai l'impression que mon cœur bat jusque dans mes tempes, j'ai l'impression qu'il le fait exprès, lui aussi. Alors je serre les poings et lui jette un regard qui veut tout dire, un regard qui veut dire « barre toi. » Mais il ne se barre pas, non, il parle. Encore. Un peu plus près, un peu plus fort. Je n'écoute même pas ce qu'il articule. Les secondes paraissent durer des heures et une part de moi me murmure de partir avant qu'il ne soit trop tard.

« Oh eh, mec, tu m'entends ? 'Tain mais t'as été élevé par qui pour être aussi malpoli ? Ils t'aimaient pas tes parents ou quoi ? »

Trop tard.

Le temps s'arrête. Mon cœur s'arrête. Tout disparaît, les pensées, les sentiments. Mes yeux se plantent dans ceux de l'inconnu au mot de trop. Je jette le mégot de cigarette à terre et en une fraction de seconde, j'enchaîne les coups. Je frappe trop fort, trop grand. Les larmes de rage qui se dessinent sur mes joues me brûlent alors que mes articulations elles, semblent ne plus rien ressentir. Je tombe à terre, sur ce pauvre type qui n'a pas eu le temps de réagir et pourtant je ne m'arrête pas.

Les coups s'enchaînent sur son visage déjà tuméfié. Je frappe encore. Plus fort, plus loin. Impossible de m'arrêter. Et je me fais peur, pendant ces quelques instants. Je me fais peur parce que je ne me reconnais plus, j'ai l'impression d'être étranger à mon propre corps, mon propre esprit.

J'ai frappé des tas de gens dans ma vie mais jamais comme ça. Alors qu'est-ce que j'attends ? Arrête-toi. J'y arrive pas, putain, j'y arrive pas. Le sang de l'inconnu se mélange au mien, mes phalanges deviennent de plus en plus noires, de plus en plus dures. Mais c'est trop, c'était le mot de trop. Arrête-toi.

J'ai envie de hurler, de lui hurler dessus. J'ai envie de dire que je sais parfaitement être poli, que j'ai été élevé par le père le plus aimant possible. J'ai envie de lui dire que si je ne lui ai pas adressé la parole c'est peut-être parce que je n'en avais pas envie, peut-être parce qu'il a une tête de con. J'ai envie de lui dire qu'il ne connait rien de moi, rien de ma vie. J'ai envie de lui dire que c'est qu'un con, et qu'il avait qu'à se barrer, repérer les signes du type qui ne veut pas te parler. J'ai envie de lui hurler qu'au moins maintenant il va fermer sa grande gueule. J'ai envie de lui dire que j'suis désolé, parce que j'arrive plus à m'arrêter.

Et les larmes qui coulent sur mes joues deviennent un subtile mélange de rage et de douleur. De haine et de peine. Parce que je sais plus quoi faire, parce qu'il faut que quelqu'un sorte mes pensées de mon crâne. Il faut que j'arrête. Putain, il faut vraiment que j'arrête.

Je sens à peine une autre main sur moi. J'ai l'impression qu'elle vient de très loin, trop loin. Comme si cet inconnu et moi, on avait changé de réalité pendant quelques secondes et qu'on nous ramenait de force. Je sens la douleur arriver violemment partout sur mon corps alors que je n'arrive toujours pas à desserrer les poings. Mais je me retourne malgré tout, avec tout le poids de cet instant dans le regard, je vois ses yeux dans le brouillard que sont les miens. Je le reconnais et si j'arrivais à articuler, là, tout de suite, pour la première fois, je lui dirais, Je t'en supplie, aide-moi.

doctor sleep
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Where is my mind ?
This sinking feeling sets, it feels just like a hole inside your chest. I know you're thinking, No, no, no, no, it is easier said than done, but please let me attest. I know it's hard. You're feeling like you're trapped, but that's how you react, when you cannot see the light.
But try and see the light.

▼▲▼

T’étais bien. Il faisait frais, une belle brise qui durcissait tes pommettes, agressait ton grand nez et endolorissait tes mains, rentrées dans un vieux blouson de ton père. Pas mal défraîchi, le cuir brun était tâché de vieillesse et les manches étaient distendues depuis le temps - ta mère comprenait pas ce que tu foutais avec, va donc t’en acheter un neuf, vous pouvez vous le permettre. T’as le temps mais t’as la flemme, et puis tu le connais ce blouson, combien de fois tu l’as vu le porter, il l’a sur le dos dans la moitié de vos albums photos. T’avais vomi dessus quand t’avais 6 ans, il t’avait fait la gueule un moment le père. T’étais pas sentimental quand même Trev ? Mais qu’est-ce que ça peut leur foutre ce que tu portes comme blouson. T’avais ta protection anti-rageux avec, et tu profitais des souffles d’air. Juste marcher, respirer, sans avoir rien à faire, te changer les idées. T’étais libre, bordel. Je dirais pas que ta vie était rose, mais t’étais dehors, et quelques semaines étaient un temps trop court pour parfaitement t’en remettre. Le choix de tes nouveaux horaires, l’alcool, le droit de parler sans que ça entre automatiquement dans un jeu de domination. T’avais pas encore l’habitude de ça d’ailleurs - t’avais encore ce réflexe de cogner pour cogner, pour montrer qu’il fallait pas te chercher des noises, que t’étais une forte tête et une grande gueule, pour te faire une réputation. Mais ce qui pouvait te sauver la peau en prison, dehors, ça te faisait juste passer pour un gros con.

T’étais… Bien. Il faisait froid, t’avais tes pommettes dures, la bouche sèche, le nez qui brûlait. Le vieux blouson que t’avais piqué à ton père en tâtant la température avant de sortir bloquait tant bien que mal les bourrasques d’un vent qui voulait pas de toi dans sa trajectoire. Mais t’étais fort et t’étais borné, t’allais pas reculer devant un truc qui se palpait même pas. Peut-être qu’en fin de compte, t’allais te racheter un manteau. Il faisait pas bon dans une cellule mais t’échappais aux courants d’air au moins, à la bruine aussi, aux intempéries - t’avais un peu oublié ce que c’était, en cage c’était plutôt les coups qui pleuvaient. Même si d’une certaine manière, le temps de merde irlandais t’avait manqué.

Ton pas accélère, tu sais pas trop pourquoi. Tu te sens pressé, tu te sens nauséeux, y’a un truc qui va pas. C’est calme, trop calme et en même temps - en même temps l’air est chargé. Y’a pas de mot, pas de verbe, pas d’explication à donner. Sortir ce soir, c’était quand même une idée de con.
Tu vois avant d’entendre. C’est jamais comme dans les films, tu sais. Dans les films, t’as des effets, de la musique d’ambiance, des plans fixes - t’as pas à te poser la question, on te présente le drame, et t’as pas besoin d’être un génie pour comprendre que c’en est un. Dans la vraie vie, c’est différent. Dans la vraie vie, tu peux regarder une bagarre, un meurtre, un viol - et mettre 3 minutes à percuter que ce qui attire ton regard n’est pas normal. Pas de zoom, pas de lumière, pas d’ambiance, juste des mouvements dans le lointain, qui te nourrissent un malaise puissant, sans que tu puisses dire pourquoi. Et jusqu’à la dernière seconde, la dernière - tu doutes, tu te demandes si ton cerveau n’exagère pas, si ça va pas moins loin que ce que tu vois. Mais le malaise, le malaise dans le ventre, celui-là il trompe pas.

T’étais pas bien. T’avais le pas rapide, mais t’approchais quand même qu’en marchant. Tu comptais pas vraiment intervenir, ça te regardait pas, c’était une société qui voulait pas de toi donc tu lui devais rien, que tu te disais pour te donner bonne conscience et pour pas t’en mêler. Mais plus t’approchais, et plus ça empirait - les sons se mêlaient aux images, des appels gutturaux, des chocs, de la détresse .MP3. Est-ce que t’étais lâche au point de détourner le regard et de faire semblant que tu voyais pas ? Est-ce que t’allais laisser un pauvre type se faire descendre, craché dans l’agonie à coups de poing ?

T’étais mal, et t’étais à 10 mètres maintenant. T’as jeté un oeil et t’as eu le coeur dans la gorge qui pulsait à deux milles battements seconde. Le pire, je crois, c’était de reconnaître un visage à ce moment-là. Une tête de con, cette tête de con. Même si c’était pas un de tes potes, même si t’en avais rien à foutre de lui, même si t’avais jamais entendu son prénom - au fond, ça aurait pu être n’importe qui, mais juste le fait de reconnaître son visage, ça te tuait. T’étais pas du genre à flancher devant trois coups de poing, mais là, c’était clairement plus que ça. On s’en fout de ton nez qui coule et de tes joues froides, on s’en fout que t’ailles pas bien putain, c’était le dernier truc qui importait - t’avais ce massacre imprimé sur les rétines et l’adrénaline t’a jeté en avant sans te laisser y penser.

T’as tapé d’abord, t’as réfléchi après. T’avais mal aux mains avant d’avoir capté qu’elles avaient cogné un truc chaud. Tu savais même pas ce qui t’avait motivé à ce point, Trevor, tu te sentais en colère, et quelque part t’avais peur - t’étais comme une cocotte minute qui comprenait pas qu’elle en était une. Tu l’avais chopé d’une poigne ferme dans le dos, tu l’avais tiré de là comme on arrache une molaire malade, et t’avais visé le ventre plutôt que la gueule à ce moment-là. « Oh! OH! ARRÊTE! CALME-TOI! » T’as pas frappé tant que ça, tu frappais plus pour frapper mais pour qu’il lâche l’affaire, puis quand t’as eu la sensation qu’il s’était calmé un peu, tu t’es mis à le secouer, avec de la nervosité dans les mains - tu l’as secoué pour figurativement te secouer toi-même, parce que tu comprenais pas. « MAIS QU’EST-CE QUE TU FOUS ?! » t’as gueulé, et tu voyais ce regard, tu voyais le mal-être dans ce regard, et t’as finalement compris plus ou moins consciemment que toute l’horreur dans tes tripes depuis cinq minutes, tous ces sentiments contradictoires ne venaient pas de toi. Toi t’allais bien Trevor - lui, c’était pas la même limonade.
T’avais le coeur à six mille maintenant, les bras crispés sur ce que t’avais chopé de ses vêtements mais tu t’es figé d’un coup. T’as regardé ce type familier, cette tête de con, t’as regardé ses yeux qui appelaient à l’aide. T’as regardé ce qu’il avait laissé au sol, le sang, l’atrocité de la scène, ce massacre à mains nues. Quoi, QUOI ? Tu savais même pas qui était le plus en détresse entre l’agresseur et l’agressé, t’étais sous le choc et tu réalisais plus que tu ne comprenais. Mais si t’as bien saisi un truc au moins, c’est que t’allais devoir prendre des pincettes, même si t’étais en général maladroit avec. T’as desserré lentement, prudemment ta prise sur lui, comme si t’avais peur qu’il s’échappe tout d’un coup sans prévenir. Son regard, putain son regard, y’avait tellement de trucs dedans que t’étais carrément mal à l’aise en dessous, ça te faisait mal de le fixer. « Bouge pas. Putain, reste là. » T’as pas envie de le lâcher, il sent la connerie à plein nez, mais l’autre mec est resté à terre et ça te plait pas - cette pensée te fait horreur mais faut que tu vérifies s’il est encore en vie. Franchement, telle que tu sens l’ambiance, t’es pas tout à fait certain de pouvoir sauver les deux tout seul. T’ose pas le lâcher finalement c’est trop tôt, tu te raccroches, tu resserres, tu le tires vers le bas, faut qu’il s’assoit et surtout pas qu’il se barre. « Putain tu déconnes - attends, attends et fais pas de connerie ou j’te jure, j’te chope et j’te défonce pour de vrai. J’suis sérieux, fais rien de débile, d’ailleurs fais rien du tout. S’il te plait. » T’insiste, t’appuies sur tes mots et t’en es même rendu à balancer des politesses comme si ça allait t’aider. Mais tu le lâches finalement, tu fais un pas en arrière, et t’as jamais été aussi prudent pour faire un geste. T’approches de sa victime, mais t’oses pas le quitter des yeux, pas jusqu’à la dernière seconde, pas avant d’être finalement accroupi.
Tu tournes ton regard enfin, et putain c’est pas joli à voir. T’as la nausée parce que t’as de la compassion, mais t’encaisses la vue du sang - faut plutôt se féliciter qu’il soit inconscient, parce que sous le poids de ce qu’il devait ressentir, t’aurais probablement eu du mal à encaisser deux pétages de plomb par dessus le tien. Putain. Il a tellement la gueule en sang et boursouflée qu’il en était méconnaissable, lui aussi aurait pu t’être familier, ça aurait pu être n’importe qui, même ton propre frère, si seulement t’avais pu reconnaître sa face. Mais c’est pas ça que tu regardes, ton regard en décroche et tu soupires de soulagement : c’est sa poitrine, elle se soulève encore. Il finira peut-être aussi moche que toi, mais au moins il sera vivant. Tu le touches pas, dans son état c’est pas raisonnable - c’est à nouveau la tête de con que tu regardes mais t’oses pas l’approcher plus, pas pour l’instant. Accroupi au moins, tu peux le regarder en face. « Il est pas mort, si tu te l’demandais. J’vais appeler une ambulance, j’peux pas le laisser là. Mais j’te jure qu’après ça, tu vas t’expliquer. » Tu te redresses, tu reviens à lui, et surtout tu lui fais signe de la boucler.
Tu sors ton téléphone, tu composes le numéro - putain de merde, ça fait même pas un mois que tu t’es tiré de taule que t’as déjà appelé les urgences deux fois. C’est quoi ce bordel, il s’est passé quoi dans le monde pendant que t’étais pas là. T’es irrité, irrité mais t’as peur. Pour lui, pour le mec à terre, pour tout ce que tu saisis pas là dedans. Pour ce que tu retrouves de toi dans la scène aussi. T’espérais jamais te retrouver là, parce que t’aurais pu plus d’une fois. Ça décroche et tu commences à causer, j’vais pas retranscrire ce que tu racontes parce que c’est rien que des banalités, des réponses aux questions. Est-ce que son coeur bat, est-ce qu’il respire, est-ce qu’il est conscient. Et vous êtes où au juste, tout ça, tout ça. Mais c’que j’peux dire au moins, c’est que tu jetais rien que des oeillades brèves au demi-cadavre, tellement tu rechignais à quitter l’autre du regard. « Putain t’as vraiment une tête de con. » C’est tout ce que tu trouves à lui dire pendant que tu raccroches. Merde, dans quel état ils sont pas. Et putain, il a foutu du sang sur ton blouson.
CODAGE PAR AMATIS

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Une demi seconde à peine. Une demi seconde à peine durant laquelle j'ai hurlé à l'aide du plus profond de ma gorge et qu'aucun son n'est sorti. Une demi seconde à peine, et tout bascule à nouveau. Je n'ai croisé son regard qu'une demi seconde avant de ne plus rien voir. J'ai senti le sol heurter mon dos, j'ai ressenti les douleurs démultipliées sans être pour autant capable de hurler. Sans être capable de desserrer les poings, sans être capable plus de rien. Et puis il y a son poing dans mon ventre, celui qui me fait cracher quelques gouttes de sang dans ce silence atroce. Celui qui verse une nouvelle larme de douleur sur ma joue. Celui qui stoppe toutes mes forces, qui stoppe le temps alors que je peine à respirer.

Il hurle, le mec qui d'ordinaire ne fait que frapper. Il me hurle de me calmer et je rêve de lui dire que j'aimerais. Mais pourtant je tremble, je tremble sans pouvoir m'arrêter, j'ai mal sans pouvoir me contrôler et je peine encore à respirer. Mais le temps semble s'arrêter, depuis qu'il a frappé. Comme s'il m'avait ramené dans la réalité. Comme s'il m'avait coupé de quelque chose, de moi-même. J'ai tellement mal que je suis incapable de bouger, ma respiration se saccade alors que mes yeux ne quittent pas les siens. Mais pendant quelques instants surtout, je suis incapable de savoir ce qui vient de se passer. Alors j'aimerais lui demander, au con qui frappe, j'aimerais lui demander de me raconter.

Mais j'arrive pas à bouger. J'arrive encore moins à parler. Et lorsqu'il me secoue, j'ai l'impression de mourir, lorsqu'il me secoue, il réveille des douleurs que je ne ressentais pas encore. J'ai envie de lui dire d'arrêter mais je n'y arrive pas, alors je ne dis rien, je subis. Je subis dans un souffle saccadé, le mec qui hurle, le mec à qui j'aimerais parler, expliquer. Le mec avec qui j'ai jamais réussi à parler. Et puis il y a son regard qui se tourne et y a la douleur qui revient plus forte alors que mes yeux suivent les siens.

Qu'est ce que j'ai fait ? Bordel, qu'est ce que j'ai fait ?

Je fixe le type au sol et cherche à me rappeler. Je cherche à comprendre la scène, je cherche à savoir ce que j'ai fait, mais j'en suis incapable. Je desserre lentement les poings tout en serrant les mâchoires. Le mec me lâche un peu et j'ai envie de lui dire de ne pas le faire. J'ai peur, peur de moi-même, peur de ce qui vient de se passer. Même si je respire mieux, j'ai dix fois plus peur que lorsqu'il me tenait d'une main ferme. Peur d'avoir un nouvel élan de haine, de rage. Peur de me jeter sur le type et que cette fois-ci, ce soit réellement trop tard. J'ai peur de moi, j'ai peur de ce qui vient de se passer. Bien plus que j'ai peur du mec qui frappe au lieu de parler. J'essaie de hocher la tête, d'acquiescer. J'essaie de lui promettre que je ne vais pas bouger, mais j'y arrive pas, j'arrive à rien.

Alors je fais ce que je peux pour lui montrer, malgré les tremblements, malgré la douleur de plus en plus présente. Je fais de mon mieux pour lui montrer que je ne vais pas bouger. Et puis il me tire vers le sol, le mec. Il me force à bouger là où moi j'y arrive pas. Il m'arrache des cris de douleurs qui ne sortent pas, il m'arrache des larmes qui ne coulent même pas. J'ai tellement mal, mais tellement mal. Il parle beaucoup, le mec qui d'ordinaire ne parle pas. Il parle beaucoup et je suis incapable de lui répondre, alors je recueille mes dernières forces pour hocher la tête, histoire de lui donner un signe de vie.

Mais la vérité, c'est que je ne suis même pas sûr d'être en vie. Je ne sais pas ce qu'il vient de se passer, je ne sais pas qui je suis. Je ne sais pas si je respire, je ne sais pas si je vis.

Dis moi, j'suis encore en vie ?

Il s'approche du type. Du type que j'ai massacré. J'ai des espèces de flashs qui reviennent me brûler. Des flashs qui me donnent des frissons, qui me lancent jusque dans la colonne vertébrale. Des flashs que je n'arrive pas à enlever et qui me font me poser une question que je n'aurais jamais imaginé me poser dans ces conditions. Est-ce que je l'ai tué ? Le mec qui parle répond à ma question sans que je ne l'ai posée. Il dit qu'il est pas mort, il dit qu'il va l'aider. Il dit d'autres choses mais mes oreilles sifflent trop pour l'écouter. Je ferme les yeux et je cherche à respirer, je cherche à comprendre parce que j'ai l'impression de m'être écroulé. J'ai l'impression que je ne me relèverai plus jamais.

Pourtant ma respiration s'est calmé et les douleurs trop vives deviennent presque supportables. Supportables parce que je sais que je les mérite, toutes. Mes poings brûlants, saignants, mon cœur battant trop fort et mon ventre hurlant sa peine. Je mérite chacun des maux qui parcours mon corps, alors je finis par les accepter et je laisse le mec me redresser. J'esquisse une grimace alors que je tente de tenir debout. Malgré moi, je garde un appui sur le mec qui frappe fort, je garde appui sur lui parce qu'il est la seule chose qui me maintienne en vie pour le moment.

Il me fait signe de ne pas parler, et moi, je tourne le regard vers le mec au sol. Je le regarde en écoutant l'autre appeler les secours. J'ai envie de lui dire pardon, j'ai envie de lui dire que même moi j'ai pas compris. J'ai envie de lui dire que j'ai jamais voulu ça, pas comme ça. Mais je ne dis rien, je le regarde jusque jusqu'à ce que le mec qui parle s'adresse à moi après avoir raccroché et que je parvienne enfin à articuler.

« J'dois... j'dois rester là, et dire... » J'ai du mal à parler, et je grimace mais je m'acharne. « J'dois dire à la police ce que j'ai fait, pas vrai ? » C'est une question, parce que moi je ne sais plus rien. Je ne suis même plus sûr de savoir comment je m'appelle, ni même qui je suis, encore moins ce que je suis, alors je lui demande à lui, en désespoir de cause. « Qu'est-ce que j'ai fait, putain ? »

Il faut que je sache, que je comprenne. Je vacille alors que l’adrénaline quitte mon corps en même temps que toutes mes forces. Je vacille alors que je pose une main tremblante sur le type qui cogne bien trop précisément. « J'vais tomber si j'reste debout. » J'ai envie de dire plus, envie de dire que je suis désolé mais j'y arrive pas. Alors je fixe ses yeux à lui et cherche une explication à tout ça. Une explication que moi j'n'ai pas. Et puis mes yeux se posent vaguement sur son blouson en cuir plein de sang.

J'esquisse un sourire douloureux, avant d'ajouter, encore plus douloureusement. « T'as tâché ton blouson. » Comme si c'était le moment, comme si c'était ce qu'il voulait entendre. Mais je sais pas, j'y arrive pas. J'arrive pas à comprendre, alors encore moins à en parler. Même si je sais, au fond de moi, que le problème n'est pas ce type là. Je sais, au fond de moi, que rien de tout ça n'était destiné à ce mec en particulier. Mais j'suis pas prêt, pas prêt à l'articuler. Alors à la place, je rajoute. « T'en as suffisamment fait... t'es pas obligé de rester avec moi tu sais. »

Mais pour la première fois de ma vie, j'ai pas envie qu'il parte, le mec qui cogne au lieu de parler. Pour la première fois de ma vie, j'ai peut-être même envie de lui parler au lieu de le cogner. J'ai envie d'essayer, parce que j'ai peur de ce que j'ai fait. J'ai envie d'essayer, parce que ce type il a quelque chose que les autres n'ont pas. Ce type, il a ce je ne sais quoi qui fait que je suis soulagé que ce soit lui qui m'ait trouvé mais pas un autre. Pourtant, je garde un élan auto destructeur et je finis par dire, tordu de douleur. « T'as assez vu ma tête de con pour aujourd'hui. »
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This sinking feeling sets, it feels just like a hole inside your chest. I know you're thinking, No, no, no, no, it is easier said than done, but please let me attest. I know it's hard. You're feeling like you're trapped, but that's how you react, when you cannot see the light.
But try and see the light.

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Il bougeait plus, il causait pas. S’il avait pas cet énorme sac d’émotions en déferlante sur sa sale gueule t’aurais pu douter qu’il soit vraiment là. Qu’est-ce que t’étais censé faire et dire devant cette carpette déconnectée au juste ? T’étais pas un psy ou un médecin, toi tu les subissais, fallait rien te demander. Et puis cette situation de merde - cette situation qui demandait d’être calme, méthodique et raisonné. Tous ces mots et Trevor dans la même phrase, ça collait vraiment pas. Qu’est-ce que t’en savais, bordel, de ce que tu devais faire. Ethique et responsable, adulte, moralisateur - faire la morale, tu te rends compte ? De vous deux, t’étais le type auquel fallait se fier, celui qu’allait gérer les écueils parce que l’autre était dans un état trop pitoyable, et t’étais clairement pas habitué. Pourquoi c’était à toi qu’on demandait d’être citoyen, bordel, quel karma de merde. T’arrivais à trouver le temps de te plaindre intérieurement, mais au fond c’était clair - si tu voulais pas rester là, t’aurais pu te barrer, et si t’avais pas confiance en toi, te suffisait d’aller chercher n’importe qui pour s’en charger pour toi. Mais ce qui te rattachait à ce type - ce type ingrat quand même relativement insupportable et auquel t’aurais toujours pris plaisir à refaire le portrait - c’était que tu te mettais à sa place. Tu savais que t’avais ce qu’il fallait pour excuser un comportement de merde. Tu savais qu’un autre, là où t’étais, aurait pu le descendre plus bas que terre. Dans ce petit théâtre mental où les taulards étaient des hommes et les honnêtes gens des connards. T’imagines un peu, si t’avais été le genre à lui dire : tu vas crever en taule, fils de pute, tu vas payer pour ce que t’as fait, t’es dangereux et t’es un putain de névrosé ? T’imagine un peu si dans son état on lui avait débité ce genre de discours ? C’est con à dire, mais toi tu pleurais pas pour un peu de sang sur les mains, alors tu préférais que ce soit toi, tu voulais que ce soit toi. Même si t’étais probablement le moins dégourdi et le plus braillard.
T’aurais peut-être dû appeler les flics. C’est ce que tout le monde aurait fait devant une scène pareille, ce que t’aurais fait si t’avais été citoyen avant d’être humain, mais c’est pas ce que t’étais. On pouvait pas dire que t’étais en meilleurs termes avec la justice, et pas plus avec les commissaires de police - t’avais pas envie de les avoir sur le dos, tu savais que ça partirait loin, que t’aurais pas le temps de causer, de savoir, qu’on lui aurait pas laissé dix minutes pour s’expliquer. Tu savais que le moindre mot bité de sa bouche ou de la tienne serait rien qu’un argument pour le descendre ensuite et t’empêcher de témoigner. Tu savais à quel point on se fiait à la gueule ou au casier. Tu lui souhaitais pas ça, pas dans sa configuration, pas avant d’avoir quitté cet état végétatif et d’avoir retrouvé suffisamment de parlotte et de raison. C’était de la compassion, rien que de la compassion - et tu te disais que c’était parce que tu connaissais sa gueule, mais au fond de toi tu savais que ça aurait pu être n’importe qui, t’aurais été foutu d’être touché quand même.

T’avais frappé. T’avais frappé mais pour la première fois, c’était pas contre lui mais pour lui. T’avais quitté cette attitude d’aveugle et de sourd pour tâcher de t’y retrouver dans ce que vous ressentiez. Bordel ce que t’étais mal pour lui. T’avais ce besoin vital de le ramener à la vie réelle. Et ça commence à lui revenir d’ailleurs, après avoir joué le rôle du légume pendant de trop longues minutes, à fixer le vide en tremblant comme un épileptique. Peut-être que t’aurais dû prévenir les urgences pour lui aussi au fond, rien que les urgences psychiatrique, mais faut avouer que ces milieux te foutaient pas en confiance. Il tient à peine debout pourtant, quand tu le relèves, tu le sens fébrile, tu te demandes s’il va pas tomber. Il émerge, il parle, tout du moins il essaie, et t’as envie de lui gueuler d’articuler plus sous le coup de l’énervement et de l’angoisse mais t’arrives à te maîtriser parce qu’il a pas besoin de ça. T’y arrives parce que tu dois le faire pour deux, t’as pas le choix, faut que tu serves d’appui solide pour une fois. « J’l’ai pas sonnée, la police, encore - pour l’instant je l’emmerde. Mais va falloir que t’assumes. » Tu le jauges du regard, tu sais rien de lui au fond, t’en sais rien s’il aura le cran de se livrer tout seul et pas d’attendre que l’autre cadavre porte plainte. T’as pas envie qu’il se mette dans la merde, t’as pas envie qu’il foute en l’air sa jeunesse sur le fondement d’une mauvaise soirée, et d’une seule grosse déconne. T’as pas envie qu’il se retrouve dans ton cas, t’espères sincèrement qu’il va s’en tirer sans trop de mal, et surtout t’espère que l’autre va pas succomber de ses blessures parce qu’un homicide est si vite arrivé. Fait chier, tu lui souhaites vraiment pas cette merde.

Il est pas loin de s’écrouler et il vacille, j’vais tomber il te dit, et tu le comprends. Tu le soutiens et tu le rassois, d’une poigne forte que t’aimerais rassurante, mais c’est toujours pareil avec toi - trop lourd, trop brusque, au moins t’as les mains chaudes. T’essaies de réfléchir, tu soupires, tu fais des vapeurs avec ta bouche, t’as le regard dur et t’es inquiet, mais tu te dis au fond de toi qu’il faudrait que t’évites de le montrer. T’aimerais avoir ce genre de faciès rassurant et afficher de la légèreté, ce genre de comportement qui détend. Mais t’es toujours dans l’excès, et trop sensible pour faire semblant. Pourtant t’en reviens pas de ton self control, pour la première fois de ta vie ce soir, t’as presque 36 ans. « T’as fait une connerie mais ça pourrait être pire. Pense pas aux flics, et quand les urgences vont se pointer on avisera. De toute façon c’est un flagrant délit et le type pourra témoigner, donc y’a pas à chier des mensonges. » T’évites quand même de lui dire que son honnêteté le sauvera pas, parce que tu sais ce que c’est la justice, et tu pourrais plaider sa cause autant que tu veux, vu ton passé ça servira à rien.
Sa réflexion te donne envie de le cogner et de balancer un rire nerveux, franchement qu’est-ce qu’il vient s’occuper de tes affaires - si elles sont ruinées après ce soir c’est de sa faute putain. « J’ai pas tâché mon blouson, enfoiré, tu as tâché mon blouson, t’as vu ton état ? T’inquiète pas que quand je vais découvrir qu’il est foutu je vais revenir pour te casser les rotules, mais on en est pas là alors t’occupes. » T’as posé un genou à terre, tu restes à côté de lui et il est pas question que tu t’éloignes. T’es en train de frotter la vieille tâche de mort qu’il t’a laissé, voire les vieilles tâches, tant que c’est encore frais, mais ça fait rien que l’étaler et t’en rajouter sur les mains, clairement ça te gonfle. Tu cherches dans tes poches, tu trouves pas de clopes - forcément vu que c’est pas ton blouson. T’as juste ton briquet dans ta poche de pantalon, parce que tu pourrais pas sortir sans. Tant pis, tu renonces, faudra te calmer autrement. Ses mots font rien pour t’y aider en plus, c’est qu’il t’invite à partir le fils de pute, comme si t’avais pas déjà du mal à assumer ce que tu faisais. Il voulait pas que tu lui fasses une déclaration non plus, que tu lui dises que tu voulais rester ? T’étais pas franchement chaud pour admettre devant sa gueule de con que t’étais sincèrement touché. « T’es vraiment un fumier - ouais je t’ai assez vu mais t’es pas en état de rester tout seul avec un type dans le coma. De toute façon j’ai appelé, c’est mon numéro qu’ils ont, donc la question est réglée. » Tu le dévisages, tu tires la tronche mais avec cette espèce de franchise sans arrière pensée. Tu vois qu’il souffre, tu le sens surtout, ça te mine, ça te tue, ça te donne envie de le cogner encore pour qu’il ait une bonne raison de détester son existence. « Ecoute, ta vie, concrètement je m’en bats les couilles. J’vais pas te juger dessus, j’ai pas que ça à foutre. Mais j’ai pas envie que tu te foutes en l’air pour des conneries - alors vides ton sac, chiale si tu veux chialer, mais espère même pas que je décarre mon cul d’ici tant que t’auras pas craché le morceau. Pourquoi t’a déconné, qu’est-ce qui te fout dans cet état ? » Tu faisais pas d'effort pour être plus doux ou plus agréable, mais au fond c'est peut-être ce qui te rendait authentique. T'étais là pour ta bonne conscience, pas pour qu'on te jette des fleurs et qu'on t'apprécie.
CODAGE PAR AMATIS

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C'est marrant comme la vie est pleine de surprise. C'est marrant comme, quand on dépasse un certain âge, on pense qu'on a compris les grandes lignes de la vie. On pense pas qu'on a tout compris, on serait sans doute con de le croire mais on se dit qu'on voit quand même clairement l'horizon, ce que l'avenir réserve. C'est marrant parce qu'à chaque fois qu'on pense avoir compris un peu quelque chose de la vie, elle nous rappelle qu'on est rien, et que l'on ne sait rien.

Et ce soir, la vie, elle m'a rappelé à l'ordre. Elle m'a montré qu'elle serait toujours plus forte que moi peu importe la volonté que j'y mettrai. Elle m'a rappelé que si elle avait décidé de détruire le château de cartes que j'avais mis des années à bâtir en un coup, elle le ferait, et que j'aurais rien à dire. Elle me prouve que si elle veut m'écraser à m'en faire craquer les côtes sous son poids, elle le fera, et personne ne viendra me sauver. Elle me prouve aussi, que si elle a décidé de mettre un type sur mon chemin, peu importe le nombre de fois où on se sera battu, elle insistera, encore et encore, jusqu'à ce que ça colle.

La vie me prouve qu'elle gagnera toujours à ce jeu là, et que je ferai mieux de m'avouer vaincu d'avance. Alors pourquoi j'y arrive pas ? Pourquoi j'ai envie de croire, au fond de moi, que je peux combattre tout ça ? Prendre des décisions et m'y tenir, et me dire que si je ne craquerai pas, alors je ne craquerai pas. Sans doute parce que je suis trop con, voilà pour quoi.

Le type qui cogne trop fort comprend ce que j'articule difficilement, et il me rassoit un peu trop violemment. Rien de vraiment surprenant, quand on y pense. Tout a toujours été violent entre nous, dès le premier instant. Les regards, les insultes, les coups. Rien n'a jamais été doux, alors pourquoi ça changerait ? J'esquisse une grimace de douleur alors que mes fesses touchent le sol et réveillent une douleur qui parcourt tout mon corps. Putain de merde, j'ai vraiment trop mal. Je tente de respirer correctement et d'être un peu moins violent. Pas parce que j'ai envie qu'on devienne meilleurs amis, main dans la main à cueillir des pâquerettes dans un champs mais parce que ce type, trop violent lui aussi, vient de m'empêcher de tuer un paraît innocent. Alors je ne peux pas me permettre d'être dur, de chercher à lui faire mal, parce que j'en ai même pas envie.

Alors maladroitement, c'est sans doute ma façon à moi de lui dire merci. Pourtant, le brun ne semble pas très réceptif et malgré moi, je baisse les yeux à sa remarque. Parce que je suis sincèrement désolé, et que j'aimerais lui dire ça, plutôt que des conneries sur son blouson ou quoi. Mais j'y arrive pas. Parce que dire que je suis désolé, ça m'amène à penser à ce que j'ai fait, et ce que j'ai fait, ça m'amène à remonter tout le reste.

Et je ne suis pas prêt, tellement pas prêt. J'ai envie de lui dire d'arrêter de frotter comme un idiot, qu'il ne va faire qu'aggraver la situation. Des vêtements tâchés de sang, j'en ai lavé des milliers. Entre l'hôpital et nos querelles personnelles à Kyle et moi. Alors je devrais tendre le bras, et lui dire qu'il ne faut pas faire ça. Mais même ça j'y arrive pas. Parce que j'ai un peu trop peur qu'il m'engueule encore une fois. Je le vois chercher quelque chose d'un œil sans y prêter trop d'attention. Malgré moi, je cherche à le sortir de la situation. Sans doute parce que plus il reste, plus il y a de chance que je craque. Et que même si je n'ai surtout pas envie d'être seul, j'ai encore plus peur de craquer, encore plus devant lui.

Il fait une remarque sensée, rationnelle. Et ça m'arrache un sourire tout cassé. Parce que d'habitude, le type qui devient trop terre à terre, c'est moi. Et le mec à ramasser par terre, c'est Kyle. Mais tout est différent, et tout le sera sans doute éternellement maintenant. Je soupire, coupé par ces pics de douleurs qui m'épuisent, et le type qui m'a cogné au bon moment parle à nouveau. Mes yeux se posent sur lui et l'écoutent comme ils ne l'ont jamais fait et peut-être comme ils ne le feront plus jamais. Il n'y met pas les formes et quelque part, ça m'arrange. Quelque part, sa brutalité me rassure. Alors je bouge difficilement un de mes bras ankylosé, farfouille dans ma poche de jean pour sortir un paquet de clopes défoncé, presque autant que mes doigts. J'en tire une du bout des lèvres et lui tends le paquet – peut-être que c'était ça, tout à l'heure, qu'il cherchait. Encore plus douloureusement, j'attrape le briquet, galère à le faire s'allumer et après quelques secondes, prends le temps de respirer la fumée.

Parce qu'elle me rassure, la fumée. Elle me rassure parce que quoique la vie me fasse subir, elle fera toujours partie de moi. La vie peut m'enlever une famille, un frère. Elle peut m'arracher le cœur encore et encore, elle n'enlèvera jamais ce lien que j'ai avec la fumée, même quand je ne joue pas avec, même quand je fais comme si j'étais juste un mec qui fumait. Les quelques instants de silence m'ont permis de reprendre lentement confiance. Suffisamment confiance pour articuler un peu plus clairement, d'une voix toujours aussi explosée.

« Quand j'étais gosse, j'ai fini en orphelinat. On m'a dit que ma famille était morte, que mes parents étaient morts et qu'il ne restait que moi. » Jusque là, tout allait bien, j'avais construit ma vie, différemment des autres, mais construit quand-même. « Et puis, tu vois, y a quelques jours, un type est venu frapper à ma porte. » Je marque des pauses, parce que c'est la première fois que je raconte ça à haute voix. Et que même si la fumée me rassure, même si elle me permet de parler sans me perdre dans mes pensées, quelque chose se serre tout au fond de moi. « C'est mon frère, figure-toi. Un frère avec encore plus une tête de con que moi. » Un rire s'échappe de mes lèvres, stoppé par la douleur mais pourtant bien réel.

« Dis comme ça, ça semble être stupide. » Peut-être que ça l'est, au fond. Peut-être que je devrais être content de retrouver une partie de ma vie d'avant. « Mais j'sais pas comment te dire, j'ai du construire ma vie à des endroits où ça semblait acquis pour tous les autres. Et le type arrive, et me sort que tout ce que j'ai fait, c'était pour rien ? Que toute ma vie est basée sur un mensonge ? » C'est stupide, tellement stupide. Pourtant mon regard se pose dans le sien alors que je tourne doucement la tête à la négative.

J'peux pas te dire tout ce que je ressens, parce que même moi je comprends pas. Mais ce type là, il m'a ouvert en deux et il a arraché tous mes os, pour les briser un par un. C'est comme ça que j'me sens, tu vois. Comme un type pété de tous les côtés et qu'on peut plus réparer. Et ça fait mal, tu vois.

« Puis j'peux pas en parler. Parce que j'ai un frère, un frère pas de sang mais qui compte tout autant. Et j'veux pas le blesser. J'veux pas blesser les gens que j'aime. Alors j'dis rien, et j'me dis que ça passera. » Visiblement, c'est pas passé. Mes yeux se posent sur le mec derrière nous, cette fois. Et les larmes s'arrêtent dans mes yeux, elles ne coulent pas. J'y vois flou, mais j'arrive pas à me laisser aller, j'ai pas le droit. « Y a des gens qui comptent sur moi. Des gens qui ont besoin de moi. Alors j'peux pas remettre toute ma vie en question à cause d'un connard qui partage mon sang, j'ai pas le droit de faire ça. Et j'pensais sincèrement y arriver. »

Pourtant, c'est bien raté. Je hausse douloureusement les épaules avant d'ajouter. « J'crois que j'me suis surestimé. Le mec là, il m'a dit que mes parents devaient pas m'aimer. » Je serre le poing, fais saigner un peu plus mes phalanges rien qu'à entendre à nouveau sa voix. « C'est con, il a dit ça parce qu'il était bourré. Mais il a surtout dit à haute voix ce que je me répète chaque jour depuis qu'on m'a abandonné. »

Je pose ma tête entre mes genoux, quelques instants. Parce que je ne pensais pas être capable de parler. Encore moins aussi calmement. Mais j'ai plus la force de me battre, j'ai plus la force de combattre. « J'y arrive plus, mec. J'arrive plus à vivre. J'comprends pas le monde, j'comprends pas les gens. Tout m'fait mal, bien plus que quand on se fout sur la gueule si tu veux tout savoir. » Parce que ça a toujours été ça, l'astuce. Combattre la douleur émotionnelle par la douleur physique, jusqu'à en saigner trop fort, trop longtemps. Je relève la tête pour fixer le brun et lui dire. « J'ai failli tuer un type ce soir et tu vois, j'me dis qu'au fond, j'mérite peut-être tout ce qui m'arrive si j'suis capable de faire ça. J'sais pas pourquoi c'est toi qui était là ce soir, dans cette ville de merde, crois-moi que j'en connais un sacré nombre de connards mais il a fallu que ce soit toi. »

Et si ça n'avait pas été toi, je crois que je n'aurais pas pu m'arrêter avant qu'il soit trop tard, va savoir pour quoi.

« Pourquoi t'es encore là ? On se supporte pas. Et si j'suis bien trop fatigué pour ne pas admettre que j'ai besoin de toi, j'te comprends pas, toi. J'te comprends pas, pas plus que j'comprends le monde. Et ça me tue, mec. Ça me tue d'être dans un monde que je comprends pas. »

Mais merci, merci d'être encore là.
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Where is my mind ?
This sinking feeling sets, it feels just like a hole inside your chest. I know you're thinking, No, no, no, no, it is easier said than done, but please let me attest. I know it's hard. You're feeling like you're trapped, but that's how you react, when you cannot see the light.
But try and see the light.

▼▲▼

T’avais pas vraiment grand espoir qu’il vide son sac à vrai dire, au vu de la tête de con t’aurais pu t’attendre à un obstiné de nature. Est-ce que tu voulais seulement qu’il le fasse d’ailleurs, est-ce que ça te gonflait pas d’écouter un type alcoolisé te raconter sa vie ? Tu lui avais dit pourtant : tu t’en foutais. Tu t’attendais à tout et n’importe quoi en plus. Y’en avait des thérapies de groupe en prison où chacun déballait ce qu’il voulait pour alléger sa conscience. Et Dieu sait quelles horreurs t’avais pu entendre de la bouche de forçats. Dieu sait ce que t’avais pas ressenti comme émotions, leurs émotions, y’en avait tant au bout de leur vie, et d’autres qui te racontaient ça comme avec vantardise, pour montrer un peu de quoi ils étaient capables. Et tu détestais ça, tu détestais causer comme tu détestais écouter, comme une façon de te voiler la face, d’oublier la cruauté du monde comme si elle était pas déjà imprimée dans tes mains. Tu voulais pas réentendre ces mots - qu’est-ce que c’est, “se remettre en cause” ? et tu voulais pas réentendre la réponse, encore moins de ta propre bouche. T’avais fui ces séances de malaise comme la peste, tu préférais ta carapace aux coeurs ouverts, mais tu savais aussi que y’en a qui en sortaient sauvés. C’était pas pour ta curiosité que tu voulais qu’il parle, c’était pas non plus par plaisir que tu l’écoutais - mais parce que tu voulais bien reconnaître, au moins, qu’il fallait essayer.
Il en avait besoin, ça c’est l’évidence. Tu le vois dans son regard, dans ces grands yeux trop expressifs, plus que tu ne les as jamais vus. Dans ses gestes, ces tremblements, ce désordre ambulant. T’étais loin de vouloir t’arroger le mérite du sauvetage, t’avais juste pitié de ce que tu voyais, et t’avais mal pour lui de façon inexplicable. Tu sais toujours pas s’il va parler, tout ce que tu vois c’est qu’il est trop amorphe encore - mais les demi-secondes passent, et comme ses mâchoires articulent, ses muscles se tendent, ses bras se déplacent. Il sort un paquet de clopes, ton regard s’y accroche, tu l’envies connement. En vérité, s’il te l’avait pas proposé juste après, tu te serais probablement servi sans lui demander - mais t’es dans ses bonnes grâces, t’as mérité ce piètre paiement, et tu l’acceptes sans dire merci. Est-ce que ça veut dire qu’il se sent pas de causer, est-ce qu’il fuit la conversation ? T’as posé tes conditions déjà, c’est à lui de voir, tu peux pas le forcer s’il y arrive pas. De toute façon, tant qu’il sera comme ça, tu vas camper à côté quoi qu’il fasse.

Mine de rien, t’essaie de pas trop le fixer à l’instant, parce que ça pourrait être pesant. Vas-y cause, vas-y accouche, t’as envie de lui dire - c’est vrai que t’aimes pas les gens bavards, mais pour cette fois au moins, fallait qu’il cause. T’as envie de râler, c’est dans tes gènes ça, tu peux pas rester trop longtemps sans. C’est encore pire quand tu le vois galérer avec son briquet, t’as envie de lui arracher des mains pour le faire à sa place, mais PUTAIN, ALLUME, que ça gueule dans ton esprit - ça va, du calme, c’est rien qu’une flamme. Tu bougonnes, c’est pas le moment, et tu fouilles ta poche en écho pour choper le tien, un vieilli avec Freddie Mercury à demi-effacé sur une face. Tu vas pouvoir jouer avec pour t’occuper les doigts, et puis lui montrer, c’est comme ça qu’on fait petit bâtard. Et c’est que quand il rouvre la bouche que tu viens coincer madame entre tes dents pour lui mettre le feu au cul et la consommer lentement. Alors il va parler, finalement. Tant mieux, tu préfères l’attention sur lui que sur toi, et ça te dédouane de trouver de la conversation, des mots pour “rassurer”, qui sur ta langue sonnent toujours faux. Avec lui t’as envie d’être honnête, d’exprimer le fond de ta pensée - t’as pas envie d’être sympa, parfois t’en oublies que tu l’es.
Quand j’étais gosse… T’as pas pu retenir un soupir profond, que t’as camouflé dans une bouffée toxique. Ça promet d’être long. Mais c’est ce que tu voulais non ? Rien qu’avec ses premiers mots, tu sens qu’il va pas faire sa tête de mule et faire de son mieux pour se vider. C’est ce que tu voulais alors tu te tais, tu te tais comme tu t’es jamais tu. T’es une grande gueule Trevor, après tout, mais tu pourras toujours commenter après. En vrai, t’aurais pas su l’interrompre parce que t’auras pas les mots. T’auras jamais les mots, que tu te dis, t’as peur de dire un truc déplacé. Tu sais qu’à sa place, si tu t’ouvrais, t’aurais pas envie de provoquer la moquerie ou quoi que ce soit d’autre. Tu lui faisais passer une épreuve que même toi tu pouvais pas encaisser. Mais c’était comme ça, c’était de la lâcheté quelque part, ou plutôt un paquet de mauvaise foi. Et Dieu sait que dans ce dernier matériau, t’étais bien équipé.

Tu te sens vite con en l’écoutant parler. Il te parle de sa famille, de celle qu’il a pas surtout, et faut avouer que ce genre de bordel t’est pas vraiment connu. T’y connais rien aux familles recomposées, tu sais pas ce que c’est d’apprendre à aimer un frère qu’est pas vraiment le tien ou d’en rencontrer un après des années. Tu peux pas comprendre ce qu’il vit ou ce qu’il ressent, mais ce que tu ignores c’est que t’en as pas besoin. T’es con mais pas aveugle, tu vois combien ça le touche et c’est tout ce qui compte - peu importe que tu comprennes pas pourquoi tant que tu comprends qu’il souffre. Mais tu te rends compte surtout que tu trouveras pas de réponse. Tu veux lui dire quoi, y’a rien à dire, y’a rien à rassurer, à consoler, à conseiller. Désolé que t’aies une vie un peu chiante, mais voilà, c’est rien qu’il puisse changer putain. Pourtant tu connais ça, les relations compliqués à l’intérieur d’une maison, mais ça n’a rien à voir, ça n’a tellement rien à voir. Taper ton frère, taper ta soeur, insulter ton père, menacer ta mère, ou que sais-je encore - on s’en fout de ça, c’était ton frère, c’était ta soeur, c’était tes parents, y’avait de la rancoeur mais y’avait des pardons et personne ne mettrait jamais fin à ce bordel, un bordel dont t’étais quasiment le seul instigateur. T’as envie de lui dire que tu sais pas ce que c’est, que t’es désolé parce que t’as ta famille entière. Parait que tous les enfants se demandent un jour s’ils sont pas adoptés, t’y es passé aussi parce que tu voulais pas les gènes de Mortimer, mais quand on se change en bestiau comme tous les siens, c’est pas facile de vraiment douter. Tu savais pas comment on pouvait douter comme ça.
Malgré toi, tu l’écoutes un peu trop. Il dit que c’est stupide, et t’es assez d’accord avec lui. C’est stupide de se faire souffrir parce qu’on a deux fois plus de famille que les autres, et pourtant t’arrives pas à vouloir en rire. T’as envie de douter et de souffrir avec lui, t’as envie d’avoir l’air aussi triste mais tu te le permets pas. Tu le fixes, juste, avec ce regard brillant, en silence, un large silence, tu veux pas le couper. T’as du mal à comprendre, c’est trop absurde, trop abstrait. Il te fait mal au crâne avec sa façon de voir les choses que tu peux pas intégrer, mais y’a une phrase, une vraie belle phrase qui t’a fait crever tout juste après à l’intérieur. Enfin une phrase que tu comprends, qui t’ouvres un peu plus à l’écoute, et tu sens avec lui ton coeur se serrer. Ça fait mal de baser sa vie sur un mensonge, de le savoir et de tout faire pour ne pas y penser, tromper les autres et se tromper soi-même, et se noyer dans sa honte. Ça, tu le comprends, et ça, tu lui souhaites pas. Rien de pire que le mensonge, mais c’est si difficile d’être franc parfois. Si difficile quand on s’accepte pas tel qu’on est. Et tu lis son regard, tu t’y plonges et tu sens qu’il se plonge dans le tien, tu sais pas ce qu’il y cherche - le jugement peut-être, mais tu dis toujours rien. T’espérais juste tellement, au fond de toi, qu’il serait à jamais débarrassé de tout ce qu’il pouvait mentionner juste après l’avoir dit, même si tu savais pertinemment que ça marchait pas comme ça.
Il t’explique le problème, le noeud de tout, et tu fais de ton mieux pour se mettre à sa place et comprendre. Il avait deux frères, un vrai et un faux, et il devait pas savoir au fond lequel était lequel. T’as envie de lui dire que c’est pas comme ça qu’il faut voir les choses, que dans une fratrie y’a pas de vrai, pas de faux, et rien que des frères, et qu’il faut faire avec, mais tu sais que c’est pas comme ça que ça marche pour lui, tu sais que vous vivez pas la même chose. Tu comprends pas comment il peut te dire, à toi, des trucs que même son frère sait pas. Tu comprends pas, mais là c’est encore parce que tu vis pas la même chose. Toi, ton frère, il sait tout sur tout, il devine tout sur toi que tu lui dises ou pas. T’aimes pas partager tes problèmes, mais tu sais que pour avoir son aide, t’en as pas besoin, parce que tu caches mal ton jeu. Mais chez ce type, ça marchera pas. Il peut pas se taire ou il aura rien. Faudrait que tu lui dises qu’il faut pas rester seul, qu’il a pas le choix, mais tu comprends mieux qu’il se lâche avec toi maintenant. Il te balance tout comme si tu méritais de savoir mais c’est parce qu’il a personne d’autre, et tu commences à saisir un peu mieux ce qu’il ressent. Tu pensais qu’il avait le double, tu comprends qu’il a plus rien.

C’est dur. Dur pour lui, mais c’est dur aussi d’entendre et d’assister à ça. C’est comme de l’auto-flagellation ce qu’il fait, c’est de la torture mentale. Remettre en question, ça y est ce mot de malheur, ce mot de merde. Tu comprends qu’il est scindé en deux, mais pourquoi il se scinde tu comprends toujours pas. Il se dit abandonné, abandonné de ceux qui l’ont mis au monde, et tu peux qu’imaginer à quel point ça doit être dur de se retrouver sans racine et sans soutien. C’est bête mais t’as envie de rester là. T’es pas son frère et heureusement, t’as pas son sang, tu représentes rien - mais juste pour pas qu’il se sente encore lâché, t’as envie de rester là. Tu commences à ciller un peu, à ressentir des douleurs et tu comprends que t’es resté accroupi dans la même position trop longtemps, que ça se ressent dans tes articulations - tu comprends aussi que t’en as oublié de relâcher une respiration qui t’empoisonnait les poumons depuis de trop longues secondes, et t’en relâches la fumée avec émotion. Et il continue, il s’arrête pas, et toi t’arrêtes pas de l’écouter, de le regarder, tu pensais même pas pouvoir rester aussi longtemps attentif devant la vie d’un autre. C’est de la merde, ses problèmes, tu te dis, pourtant il te donne presque envie de pleurer. Il arrive plus à vivre et tu sais pas comment tu peux l’aider. Tu tues les gens, toi, tu leur rends pas la vie. Tu détruis des existences. Qu’est-ce que tu peux faire pour qu’il y arrive mieux ? Rien, tu vas servir à rien Trevor, tu fais tapisserie et t’espères que ça lui suffit, que c’est mieux que rien, que ça aura pas d’impact négatif à défaut d’être utile. Est-ce qu’il mérite de souffrir ? T’en sais rien, même quand il te déballe sa vie sous les rétines tu te sens pas de le juger. Est-ce qu’il mérite de faire des conneries et de finir en taule ? T’en sais rien, mais t’en as pas envie, toujours est-il.

Tu te laisses un peu aller en arrière pour t’asseoir enfin, raviver un peu l’énergie de tes jambes trop grandes que t’étales devant toi. Il prononce ses derniers mots mais tu te sens toujours pas de parler, tu sais pas quoi lui dire, t’étais pas prêt pour la fin de sa tirade. Pourquoi t'es encore là ? Tu regardes ce qu’il reste de ta clope comme si tu la méritais pas, elle s’est consumée trop lentement parce que t’as trop souvent oublié de respirer, oublié que tu l’avais entre tes doigts. Tu cherches un mot, ou deux, ou trois, tu cherches comment avoir l’air composé et sûr de toi, quand t’es même pas sûr de ce que tu penses. Mais tu veux être franc avec lui, alors au moins, tu dis ce qui te vient. « J’sais pas pourquoi je t’écoute encore, tu parles trop, tu m’étonnes que j’te supporte pas. » T’as essayé de teinter ça de légèreté, mais tu comprends vite que ça fonctionne pas, et que t’as la voix enrouée. Tu te tais un peu, passant ta palme sur ta grande face, tu cherches encore, t’as presque honte de lui répondre parce que tu te sens pas légitime dans tes mots. C’est pas à toi de lui dire ce qui est bien ou pas. C’est clairement pas à toi. « Moi non plus je comprends pas tout, et j’suis un con qui ramène tout à soi, alors navré si j’fais des associations d’idées qui marchent pas. » Tu cherches comment lui expliquer ton point de vue, tu te dis qu’il peut pas être pire que le sien.
Y’a une pensée qui te vient, tu te dis que ça peut peut-être marcher. T’as comme un sourire honteux sur la face, et t’es ravi que l’intéressé soit pas là. « Y’a… Un pauvre mec, un jour, avec une tête de con, qui a débarqué dans ma vie. On a fini sur le dos l’un de l’autre, jour et nuit, pendant cinq ans. C’est presque être frangins à ce stade. Dès le premier jour on a fini chacun sur un lit d’hôpital parce qu’on se sentait pas. » Oh, tu t’abstiens bien de mentionner le délicieux contexte de cette rencontre - la prison. T’en as pas honte, et t’es prêt à t’en faire un argument s’il faut, mais t’as peur que tout ce que tu racontes perde sa valeur à cause de cette information. T’as toujours ton briquet serré dans ta main - c’est fou, tu l’avais oublié. « J’ai un frère aussi, que je supporte encore moins. Tu vois, ce que je comprends pas dans ce que tu dis, c’est que y’en a aucun des deux pour lequel je prendrais pas une balle - et aucun des deux devant lequel j’admettrai d’avoir dit ça. » Parce que t’étais un humain de merde, mais c’était pas ça, le point important. « C’que je veux dire, c’est que t’as pas besoin de faire un choix. Y’en a pas un des deux qui est un mensonge, merde. Y’a rien à comprendre, t’as pas à déconstruire ta vie. Si t’avais eu deux frères à la naissance, t’en aurais pas jeté un pour pouvoir aimer l’autre. »
Tu sens ce qu’il y a au fond de toi - l’angoisse. L’angoisse d’avoir choisi les mauvais mots, l’angoisse de le retourner contre toi. T’as pas envie de te rater cette fois, t’as sincèrement envie de l’aider. Tu déglutis, appuyant sur le bout de ta clope avec ton doigt pour te le brûler. Tu hésites. « J’dis pas que c’est simple. Je sais pas ce que c’est, être orphelin. J’suis pas le mieux choisi pour donner des conseils et de toute façon j’aime pas ça, donc tu fais ce que tu veux, en fait. Mais y’a un truc qu’il faut que tu saches, et que t’imprimes dans ta tête de con. C’est que refuser de leur parler, refuser de vivre, déconner comme tu le fais, ça va les blesser plus que tout le reste, et ça va te détruire. J’te connais pas plus que ce que tu me dis, je sais pas ce que tu mérites, mais je te souhaite pas ça. » C’est sa victime que tu regardes maintenant. Non, la taule, tu lui souhaites vraiment pas - et pire encore que ça, les remords à vie. Les remords, en fin de compte, c’était le pire. Et tu retournes ta gueule vers lui maintenant, faut avouer que t’avais quand même moins de dureté dans le regard, et c’était pas faute d’essayer. « A ce propos, le connard s’appelle Trevor. » Quitte à connaître tout de sa vie, autant qu’il sache au moins ça. Vous aviez pas fait exprès, mais vous aviez passé un stade, mine de rien. C’était toujours pas plus ton pote ni toi le sien, mais un nom à coller sur ton visage, c’était déjà bien.
CODAGE PAR AMATIS

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C'est un étrange sentiment que de celui de se sentir vide. Je n'ai jamais connu ça, moi, être vide. J'ai toujours été le mec qui vivait dans le trop. Je parlais trop fort, je criais trop fort, je tapais trop fort. J'ai même pleuré trop fort, j'ai aussi caché ma douleur trop fort. Tout a toujours pris des proportions énormes avec moi, parce qu'à l'intérieur, j'ai l'impression d'avoir comme la chair trop à vif. Tout me touche trop fort, tout est décuplé, en bien ou en mal. Parfois, les gens pensent que j'en fais trop, que j'en rajoute. La vérité c'est que je n'ai jamais crié suffisamment fort pour exprimer la douleur que je ressentais vraiment et je n'ai jamais souris suffisamment grand pour montrer combien j'étais heureux non plus.

J'ai souvent eu le sentiment d'être seul, d'être incompris. Peut-être parce que dès tout petit on m'a collé dans des cases que j'ai même pas choisies. Mais en attendant, je ne me suis jamais senti aussi seul qu'aujourd'hui. Parce qu'aujourd'hui, pour la première fois de ma vie, je suis vide. Vide de colère, d'énergie. Vide de joie comme de tristesse. Je suis vide de toute émotion, et je me sens seul, là, comme un con, à plus savoir comment réagir parce que vient ne rien. À ne pas arrêter mon cerveau parce qu'il va trop loin. Non, les mots qui sortent de ma bouche et s'adressent au connard qui frappe trop fort sont incroyablement juste et mesurés. Ils n'ont rien à foutre dans cette situation, comme moi, sans doute. Rien n'a sa place ni de sens dans cette histoire, alors mon corps tout entier a décidé d'arrêter de fonctionner. Je suis cassé.

J'me suis cassé. Et je suis pas sûr de pouvoir être réparé. Je soupire alors que je finis de parler, tire difficilement sur la clope entre mes lèvres alors que la seule chose qui me rappelle que je suis bel et bien en vie c'est cette fumée qui me force à respirer et permet à mon corps d'être traversé de douleurs bien réelles. Le mec s'est assis, entre temps, le monde a commencé à bouger, lentement autour de nous, et avec nous.

Parce que j'ai eu l'impression que tout s'était arrêté, et que je me demandais même si le monde recommencerait à tourner, avec, ou sans moi. La vérité c'est que le monde est juste plus silencieux, il nous observe, dans cette nuit sombre. Il nous observe, comme deux cons, en silence. Il se demande sans doute ce que l'on va faire ensuite, savoir s'il se remet à faire du bruit ou s'il nous laisse l'impression d'être seuls, juste tous les deux. La voix du brun casse un peu ce silence, elle s'immisce entre nous, un peu trop brute, comme tous nos échanges, comme le reflet de nos propres vies, sans doute. Il m'arrache un sourire difficile, en disant qu'il a raison de ne pas me supporter, et que je parle trop. Il n'a sans doute pas tort, ce type là, alors je hausse comme je peux les épaules, sans doute une énième façon de dire que je suis désolé.

Et puis, il se décide à parler plus sérieusement, s'excuse d'avance pour ce qu'il pourrait dire de blessant. Je lui lance un regard pour lui dire qu'il ne me blessera pas. Non pas par défi mais parce que je pense réellement que plus rien ne peut me toucher à cette seconde, plus rien ne peut me faire plus mal que les instants qui viennent de s'écouler. Alors je souffle la fumée et je prends la place de celui qui écoute, silencieusement, respectueusement. Je l'écoute parler de ce type, qu'il considère comme son frère. Ce type, qu'il a connu un peu par hasard, comme un accident, et qui est devenu comme son sang. L'histoire me rend nostalgique, du temps où j'ai connu Kyle, mon frère, mon vrai frère. Du temps où on se foutait tellement sur la gueule qu'on arrivait plus à savoir lequel était lequel à la fin de la journée. Du temps où on a cassé tellement de trucs en se les balançant dessus qu'Andy nous a forcé à tout re payer. Je m'en souviens, de ce temps, difficile, ou je me demandais ce que j'avais fait pour mériter un frère pareil. Je me souviens, de ces moments où j'ai hurlé à la mort pour qu'il dégage de ma vie sans jamais réellement le vouloir. Et puis je me souviens de ce moment, où j'ai cru le perdre pour de bon. Je me souviens de voir mon monde tellement s'écrouler que j'avais l'impression que j'allais crever. Je me souviens aussi du bonheur de le retrouver et de cette volonté de plus jamais le quitter. Mon frère. Celui qui me porte quand j'y arrive plus, celui qui me supporte même quand j'en peux plus. Je pourrais m'arrêter là, dans mes pensées. Stopper dans ces instants là à tout jamais. Et j'aimerais, putain que j'aimerais. Mais le brun parle à nouveau, et il change radicalement la direction de mes pensées.

Il parle de frère de sang. Du mec avec qui t'as été élevé et qui t'a fait avoir tes premiers bobos comme tes premiers fou rire. Il parle d'un frère que je ne connais pas et que je ne connaîtrai jamais. Parce que quoiqu'on fasse, on retournera pas dans le temps. On sera jamais plus les gamins qu'on a été dans le temps. Même s'il a des arguments valables, même si ce qu'il dit a du sens, il ne voit pas, il ne voit pas comme j'ai cette déchirure au fond de moi. Il ne voit pas non plus tout ce que je ne lui dis pas, tout ce que je ne comprends pas. J'acquiesce pourtant, parce que sa vision des choses elle est belle, elle fout du baume dans le vide.

Sa vision, elle me donne l'espoir fou que quand j'aurais réussi à calmer les saignements et tout ce qu'il y a là dedans, on vive un peu plus heureux. Il me donne la sensation qu'un jour j'aurais peut-être deux frères et que personne ne dira rien. Qu'un jour, j'aurais peut-être un peu plus de chance que les autres et que j'aurais deux cons sur qui taper, gueuler. Quatre épaules sur lesquelles pleurer et deux putain de visages à graver à jamais. Mais la vérité, c'est que c'est utopique tout ça, que le grand con aux allures de poètes ce soir, il a beaucoup trop d'espoir. J'ai pas envie de lui casser tout de suite, j'ai même pas envie de lui casser du tout. Alors je l'écoute encore un peu, dans ce silence ponctué du souffle blanc qui sort de ma gorge déjà trop sèche.

Mais dans ses mots, y a aussi cette pointe de vérité, qui le rend étrangement touchant. Cette pointe de vérité où il dit qu'il sait pas, lui, qu'il comprend pas tout. Qu'il essaie et qu'il a un peu envie de bien faire même s'il pige pas tout. Et puis y a l'autre vérité, celle qui fait mal. Qui parle de l'isolement, de ce soir. Celle qui me renvoie toutes mes erreurs à la figure et qui m'aurait fait me barrer en courant quelques heures auparavant. Mais là, j'ai plus la force. Plus la force de faire semblant. La dernière révélation qu'il fait me fait échapper un rire explosé, presque muet. Parce qu'avec tout ça, il est vrai qu'on savait même pas comment s'appeler. « Zach. » Que je murmure instinctivement en attrapant une nouvelle clope pour l'allumer avec un peu moins de galères que la précédente.

À force de ne rien ressentir, j'ai l'impression de retrouver un peu de force. Comme un mécanisme de défense, une carapace qui s'est formée pour que je respire un peu avant de me faire brûler par mes propres pensées. Et puis, une fois de plus, c'est à mon tour de parler. À mon tour d'essayer de pas tout foutre en l'air.

« J'aime bien ta vision des choses mais y a quelque chose qui passe pas. Dans ma tête, quand tu parles de deux frères à la naissance, y a un truc qui imprime pas, tu vois. Parce que j'ai pas eu d'enfance, je sais même pas ce qu'on peut ressentir quand on a une famille quand on est gosse. J'sais pas ce que c'est qu'avoir des gens autour de toi qui t'expliquent la vie. J'ai pas connu ça avant mes sept ans tu vois. Alors mon esprit, il est pas foutu d'imaginer avoir une famille à la naissance, il y arrive pas. Ça bloque. »

Salement, durement. Ça bloque tellement que même si j'y mettais toute mon âme et toute ma force, y a rien qui viendrait, parce que mon cerveau il veut pas penser à tout ce que j'aurais pu avoir et que j'aurais pas eu. Il a jamais voulu y penser et depuis qu'il a compris qu'un autre que moi l'avait eu, il veut encore moins de tout ça, parce que ça fait tellement mal que ça en devient insupportable. Alors il fait comme si ça existait pas, je fais comme si c'était un conte qu'on racontait pour rassurer tous les gamins perdus, rien de plus, rien de moins.

« C'est pas tant le fait d'être orphelin, de découvrir que j'ai un frère ou quoi. J'veux dire, ça fait mal mais je crois qu'au fond de moi j'ai toujours su que c'était possible qu'on ait été séparé pour une connerie. » Mais cette connerie, j'étais bien loin d'imaginer ce que c'était, et le mal qu'elle me ferait. « Je pensais juste pas que ce qui nous avait séparé, c'était notre génitrice. Elle s'est dit que deux c'était trop, alors elle en a gardé qu'un, elle l'a gardé que lui. »

Joshua. Le mec qui valait mieux que moi alors qu'on avait que onze moi. Celui qui, pour un coup du sort a eu le droit à des parents, et pas des foyers. Celui qui n'a jamais eu les moqueries, les questions bizarres et qui a vécu avec un parent lui tenant chaque main. Je baisse les yeux, avant de reprendre. « Je sais que c'est pas de sa faute à lui, je sais bien qu'il a pas plus choisi que moi. Mais tu vois, le problème, c'est qu'il pourra jamais me comprendre et moi non plus je le comprendrais pas. » Je hausse les épaules et tente d'étirer doucement ma nuque avant de regarder Trevor dans les yeux et lui demander, pour essayer.

« Je peux pas te demander d'imaginer ce que ça fait, déjà ce serait cruel et en plus j'pense pas qu'on puisse visualiser. Mais, j'ai construit ma vie et j'ai construit ma relation avec mon frère. Et tu vois, ce que t'as dit, c'est vrai pour moi aussi, sans hésiter je prendrai une balle pour lui. Mais parce que tu vois, malgré tout, j'ai confiance en lui, j'sais qui il est, il sait qui je suis. Qu'on se supporte ou pas c'est pas grave, on sait qu'on sera toujours là. Alors que l'autre... l'autre... il partage mon sang et puis quoi ? »

Vingt cinq ans. Vingt cinq ans de noir total, de flou, vingt cinq ans perdu à tout jamais qui ont creusé un fossé immense entre nous. « C'est pas parce qu'il a mon sang qu'on est forcément de la même famille. » Une phrase qui n'a pas beaucoup de sens au final mais qui représente beaucoup pour moi. Parce que je n'ai pas la même famille que les autres, parce que la mienne, il lui faudrait une définition rien qu'à elle dans le dictionnaire. Mais surtout parce qu'en vingt cinq ans j'ai eu le temps d'apprendre que le sang n'avait aucune valeur, ce qui en a, c'est l'âme, c'est ce truc qui tournoie dans les yeux des gens et qui reflète ce qu'ils sont vraiment.

Par réflexe, je pose mes pupilles dans celles du brun, encore plus sombre dans la nuit. Je lui tends le paquet de clopes pour qu'il se serve, et je m'allonge lentement, douloureusement aussi, pour fixer le ciel, encore plus noir que je n'aurais voulu le croire. « Je sais que t'as raison et que je dois arrêter ça mais je sais pas comment leur parler d'un truc que je pige pas. Je sais pas non plus comment continuer avec tout ça. » Mais de toutes façons, que je le veuille ou non, le monde continuera de tourner. Avec ou sans moi. Ça a toujours été comme ça. « J'me suis toujours dit que j'étais le mauvais côté de quelqu'un, que je savais juste pas de qui. Et voilà, on me le fout en face de moi, ma peur la plus grande, d'être vraiment le reflet d'un type et son mauvais côté, même avant qu'on cause, qu'on le choisisse à moi. Et j't'assure, j'ai beau le savoir, j'ai pas tellement envie de m'en rappeler à chaque instant. »

Je soupire et observe le ciel, cette noirceur à la fois sombre et profonde. Les lumières de la ville prennent de la place parmi les ombres et créent des lueurs, à la fois envoûtantes et déroutantes. Je tourne rapidement le regard vers Trevor et je reprends. « J'sais que t'as pas spécialement envie de me raconter ta vie. Mais j'peux savoir, c'est comment d'avoir une famille ? »

Je détourne les yeux pour regarder le ciel à nouveau.
Parce que tu vois, moi, j'ai une famille. Elle est belle ma famille. Y a Andy, Andy c'est le mec le plus gentil de la Terre, j'suis sûr que tout le monde rêverait de l'avoir comme père. Et puis y a Kyle, Kyle c'est un mec un peu comme moi au fond, il dit des choses un peu trop fort, un peu trop grand mais putain, tu trouveras pas un mec avec un cœur plus pur que le sien. Et pourtant, la vie ça a été une sacrée pute avec lui. Tu vois, ma famille, c'est ça, juste nous trois. Elle est bizarre et puis en plus, aucun de nous n'est pareil. Y a pas de Triton de père en fils. Y a pas de Fée en veux tu en voilà. Non, chez nous, personne n'est pareil et pourtant, on s'aime plus fort que si on avait tout pareil. Et tu vois, ma famille à moi, je l'aime tellement que j'ai peur de la perdre à chaque fois que je respire.

Mais ma famille à moi, elle est pas normale, et j'le sais. J'le sais parce qu'on me l'a dit, répété et hurlé dessus pendant des années. J'ai eu beau la défendre avec des insultes et des dents pétés, les gens continuent de juger. Parce que ma famille elle colle pas dans la norme, elle colle pas dans les codes. Mais j'ai jamais collé dans les codes alors je crois que j'trouve ça normal. Mais je reste curieux, tu vois. Maintenant que je sais que j'ai un frère qui a grandi avec une famille qui colle, bien dans la norme. C'est quoi, d'avoir une famille comme ça ? C'est quoi, d'avoir le même sang que tous les gens à la table autour de toi ?
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Where is my mind ?
This sinking feeling sets, it feels just like a hole inside your chest. I know you're thinking, No, no, no, no, it is easier said than done, but please let me attest. I know it's hard. You're feeling like you're trapped, but that's how you react, when you cannot see the light.
But try and see the light.

▼▲▼

Il t’écoute aussi, il est tellement attentif que t’as intérêt à peser chacun de tes mots, parce que tu sens qu’ils importent. Et ça te déplait franchement comme sensation, parce que c’est pas ton truc de parler à coeur ouvert. Encore, ça va, parce que vous parlez surtout de lui. Même quand tu parles de Dagda et un peu de ton frère (même si, bizarrement, tu t’es pas du tout attardé quand tu t’es mis à parler de celui-là) tu parles des quelques trucs qui fonctionnent dans ta vie. Dagda il était dur à vivre au début, mais maintenant c’est un acquis, c’est ton meilleur pote, ça te fait pas mal d’en parler. Mais s’il fallait que t’ailles puiser dans ta vie des exemples sur les conneries à surtout pas faire pour éviter de se foutre en l’air, là t’aurais douillé davantage. Et puis surtout, tu détestes la sensation d’avoir une autre vie au bout des doigts, une vie fragile en plus de ça, une vie au bout du rouleau. L’impression que chaque mot que tu débites est crucial, alors que d’habitude, tu causes, tu gueules, et t’en penses pas la moitié. Tu t’en fous vu que les gens t’écoutent pas, ils s’en balancent tellement de ton opinion et tu te fais tellement passer pour un connard exprès que tu peux débiter des atrocités sans te soucier des conséquences. Mais là tu peux pas, là t’as l’impression de pas pouvoir déconner. Même si sur le coup il a l'air de bien encaisser, c'est rien que des mots qui lui reviendront. Et ça te fait un peu peur, mais t’as pas le choix : il faut que tu parles, que t’essayes de dire ce que tu penses, même si t’es jamais trop sûr de ce que c’est. T’es pas tellement le genre de type qui a confiance en lui après tout. En plus, t’es tellement manipulable que t’en viens à douter que tes affirmations viennent de toi, tu changerais d’avis avec un rien tellement t’es une éponge. Une grosse éponge qui fait semblant de pas se gonfler de poison quand elle est plongée dedans.
En plus tu le sens après coup, quand t’as balancé une connerie. Plus ou moins consciemment, tu le sais, mais tu sais pas faire autrement que de t’enfoncer dedans. Depuis que t’as ouvert la bouche, t’es comme un lutteur dans une mare de boue, et t’essaies, et des fois tu te rétames - mais ce qu’il faut voir aussi, c’est que tu te relèves, et que t’as pas fini d’essayer. Parce que Zach t’a pas envie de l’abandonner dans sa merde, surtout si tu dois te sentir coupable de l’y avoir enfoncé - juste pour ça, tu peux plus faire machine arrière. Zach - parce que t’as un nom maintenant à mettre sur cette tête de con. Un nom de con qui va bien avec, et il était pas non plus à l’abri que tu l’appelles pas Zeph ou Xav la prochaine fois que tu le croiseras, parce que ta mémoire des prénoms est pas forcément un sommet. Mais au pire, c’est pas comme si t’avais vraiment l’intention de l’appeler. Et au pire, c’était pas forcément le plus important, son nom - en soi, s’il était suffisamment libre et vivant pour que tu aies à l’utiliser, vous seriez tous les deux contents. Et puis c’est à ton tour encore, d’écouter, de fermer ta gueule. Et tu la fermes sans qu’on ait besoin de te le dire dix fois ou de te le gueuler, ou de te casser les dents - ça fait combien de temps que t’as pas été dans une conversation aussi sérieuse, aussi respectueuse, aussi posée ? Pour ce point-là, faut avouer, c’était pas des plus désagréables. Faudrait que t’arrives à exporter ce sang froid à d’autres contextes, t’y penseras. Tout pareil, tu vois, tu vas pas te braquer juste parce qu’il est pas d’accord. De toute façon, tu le sais, que t’es pas légitime de donner ton avis, parce que t’as les pieds dans des tas de merde mais certainement pas dans les siennes.

Tu l’écoutes, et t’imprimes tout. T’imprimes son opinion, tu fais l’éponge, tu cherches à te faire compréhensif. Il a pas eu d’enfance, qu’il te dit, et t’as un premier pincement au coeur, c’est douloureux. Parce que t’as eu ton enfance toi, bien sûr. Pas toujours rose, mais tu l’as eue, et tu trouves horrible l’idée de pas en avoir. Peut-être parce que t’es encore un gosse, quelque part, t’as pas trouvé encore ta place d’adulte. Tu bois encore dans des bols Winnie l’Ourson, tu t’avachis devant des dessins animés, t’as des pochettes pleines de dessins moches et de vieilles photos dans des cartons sous des escaliers, t’as des vieux colliers de nouilles ou des vases hideux de fête des mères, des pots de moutarde Disney qui te servent de verre d’eau, des gros feutres avec lesquels t’as laissé des souvenirs dans la chambre de tes frangins comme ils l’ont fait dans la tienne, même une boîte avec toutes tes dents de lait - et puis surtout, t’as tes deux parents. Tu l’as eue ton enfance - bon, t’as aussi un nez cassé et une tronche difforme, une psychologie brisée et une maladie mentale due à tout ce que t’as refoulé en toi dans cette même enfance, mais tu peux pas nier que tu l’as eue.
T’as même souffert de l’avoir dès la naissance, cette famille, parce qu’à peine arrivé au monde, le jour de l’anniversaire de ton frangin, t’as tout de suite été sujet à la comparaison. Et bon sang, Dieu sait qu’à côté de Mortimer, t’étais mauvais en tout. Combien de fois on t’a dit de prendre exemple, combien de fois ta mère a voulu chialer et s’arracher les cheveux en te disant combien avec son premier, au moins, elle avait pas eu autant de mal, qu’elle avait su l’éduquer, lui inculquer des valeurs - toi qui étais tellement ingrat envers elle, si souvent. Combien t’as souffert d’être second, toujours dans l’ombre du frère trop malin, trop intelligent, trop talentueux, trop gentil, trop généreux, trop sympathique, trop tendre, trop affectueux. Toi, l’imbécile violent un peu laid, combien de fois t’as prié pour qu’on te l’enlève, cette famille, même si tu regrettais chaque mot en même temps que tu les disais. Combien de fois t’as voulu être seul - tu l’étais au fond de toi, quelque part, mais imaginer un monde où t’aurais pas eu ta famille, là aussi y’avait un blocage. Sans ta famille, t’aurais pas été Trevor. T’aurais peut-être eu une vie plus belle, ou peut-être pire d’ailleurs, mais tu t’y serais pas reconnu.

Et ça continue, et il te donne un deuxième pincement au coeur, et quand je dis pincement je dis en fait qu’il te l’étreignait bien trop fort. Quand il te parle de sa mère, qu’il appelle génitrice parce qu’elle a sans doute jamais été “maman”. Quand il te dit qu’elle a choisi de le jeter, et ça te fait mal, ça te fait tellement mal pour lui. T’aurais pu y être, à cette place, après tout toi aussi t’étais le gosse raté - à un an pile t’aurais été le jumeau de ton frère, et t’aurais pu être abandonné puisque t’étais la tare. Mais ta mère à toi, elle était pas cruelle, et tu pouvais qu’imaginer à quel point ça devait être horrible, ce sentiment d’abandon, ce sentiment d’être pas désiré, jeté comme un prototype défectueux. C’était même pire que de retrouver un frangin qu’on croyait pas exister, dans ta tête, parce que le frère, il aurait pu être là ou ne pas l’être, c’était la vie qui dictait ça - alors que la mère, on venait pas à la vie sans, on lui devait sa naissance et neuf mois de grossesse, et se faire jeter à l’arrivée en âme et conscience, c’était trop insupportable à imaginer. Alors t’es là, avec ton pincement au coeur, à pas savoir tout à fait le regarder en face, à te mordre ta lèvre trop grosse comme si tu réalisais à quel point t’avais rien compris, mais c’était de sa faute aussi pour t’avoir pas parlé de ça plus tôt. Mais t’y avais pas pensé, forcément t’y avais pas pensé, parce que tu pouvais pas t’imaginer naître sans parents, sans personne. Rien que d’y penser, t’avais la nausée - et tu sais pas pourquoi, mais la fin de ta clope, elle t’accentuait la nausée aussi, au point que t’as renoncé à lui rallumer le cul pour l’écraser entre tes doigts et abandonner le mégot dans un caniveau après un piètre lancer.

Je peux pas te demander d’imaginer ce que ça fait. Il te recapte le regard à ce moment-là, et t’es pas trop sûr de ce que t’y lis. Trop tard, t’as envie de dire, t’as essayé même si c’est pas très glorieux. Tu peux pas imaginer, tu peux juste essayer et supposer que c’est douloureux. Mais mine de rien t’as assez de compassion dans les yeux pour lui dire que t’as au moins essayé, et franchement c’est déjà pas mal de ta part. Mais comme j’dis, t’as pas besoin de ça. T’as pas besoin de comprendre ou d’imaginer pour savoir qu’il souffre trop, et que ça te tue un peu de partager ça malgré toi. T’as envie de le hisser sur tes épaules, tu te sens un peu comme si tu le faisais déjà - pourtant tu fais rien, rien que d’être spectateur de sa misère, avec tes bons sentiments un peu miteux. Et il te demande ce qu’il partage avec ce nouveau venu, à part son sang. Il te le demande sincèrement, il veut ton avis - ou alors il veut juste te prouver que t’as tort en te foutant dans l’embarras, et te faire rougir de toutes les conneries que tu lui sors. Il veut peut-être que tu te sentes mal, que tu culpabilises d’avoir voulu parler d’un sujet que tu connaissais pas. Ou peut-être pas, peut-être qu’il était pas aussi bâtard que ça, que c’est juste toi qui t’en voulais, qui te soufflait des reproches, qui te susurrait de fermer ta gueule avant de raconter d’autres âneries. Pourtant si, t’as envie de lui dire - si, il a ton sang, donc c’est ta famille. Parce que la famille pour toi, ça reste une contrainte, tu naîs avec et t’as pas le luxe de choisir. Même si tu reconnais rien dans ton frère, t’es né avec, et tu fais avec, et tu te plains pas. Mais forcément, ça doit pas être pareil pour lui. T’es né dans cette prison de liens familiaux, on t’a pas demandé d’y rentrer après 25 années de vie, ou tu sais pas combien d’ailleurs.
T’attends qu’il ait fini pour reprendre la parole - et tu te reprends une clope quand il te la propose. Au fond t’en as même pas spécialement envie, tout de suite, juste que t’es influençable, que tu veux pas le contrarier, et que t’as le réflexe d’accepter quand on t’en offre une. Tu la remues entre tes doigts, tu joues avec machinalement, au lieu de l’allumer, et tu l’écrases dans ta paume avec ton briquet. Tu serais pas nerveux, un peu, Trevor ? Plus qu’un peu sans doute, parce que si lui il est vidé, c’est pas vraiment ton cas. Et le voilà, le troisième pincement, enfin le troisième broyage pour être plus exact. Quand il te dit être le mauvais côté de quelqu’un, et c’est déshumanisant à ce point. T’as la nausée un peu plus forte, franchement son choix de mot te met pas bien, et t’as presque envie de lui faire un câlin, puis de le frapper pour qu’il change d’avis, pour ensuite lui refaire un câlin. Enfin tu sais pas trop au final, peut-être que t’as juste envie de te barrer, de partir très loin de cette conversation un chouilla angoissante - mais le laisser tout seul ? Comme si tu pouvais faire ça. Putain dis pas ça. T’as pas envie de l’entendre débiter ce genre d’horreur. T’as envie de lui mettre un pain, juste pour le tirer de cette idée de merde. C’est la nausée qui te retient, d’ailleurs t’aimerais bien un peu qu’elle se barre. Puis de toute façon, maintenant qu’il est étalé par terre, tu vas pas te jeter dessus. Et puis, il souffre bien assez comme ça. Et puis, c’est quoi ce genre de pensée que t’as, tu penses sérieusement à le frapper ? Putain, t’en sais rien, qu’on te foute la paix à la fin. T’en sais rien de ce que t’es censé faire ou ressentir ou quoi. Il débite des atrocités et t’as pas envie qu’il s’enfonce dans le mal, c’est tout.

Ça y est, il a fini. Enfin presque, il termine sur une question, et quelle question de merde - la grosse question piège. C’est comment d’avoir une famille Trevor, “mais putain, mec, tu le sais que la réponse va te faire mal, me fais pas croire que tu veux l’entendre”. Et en même temps - en même tu sais même pas si ta réponse serait enviable, ou même juste, en fait. Parce que mine de rien, c’est pas forcément un exemple non plus, ta famille. Tous les gens dedans sont en or sauf toi, et à cause de toi, c’est pas une famille mais un paquet de destruction. Ta famille, elle est toxique. Ta famille, elle se porterait mieux sans toi aussi. Alors qu’est-ce que tu devrais lui dire ? T’as un moment de silence, où t’es confronté à cette question, où tu cherches quoi dire, mais ça coince. Tu te passes une main sur le visage encore, ça te rafraichit un peu le crâne mine de rien, enfin ça fait du bien et ça fait passer le temps. « ...C’est le bordel », tu lui dis finalement, parce qu’au bout du compte, tu saurais pas comment décrire ça autrement. Y’a un autre silence, parce que tu cherches encore tes mots, tu comprends pas pourquoi c’est rendu aussi difficile de parler. « T’sais, c’est pas parce que tu les connais tous à ta naissance que tout fonctionne dedans. T’as le même sang, la même baraque, et puis quoi - tu t’adaptes, tu fais avec, y’a pas de mode d’emploi et y’en a pas deux pareilles. » Tu te la cases entre les dents, finalement, cette deuxième clope, et tu te décoiffes machinalement pour te rendre les idées claires.
« Mais tu vois, j’suis quand même pas d’accord. Ce gars-là, t’es pas son frère parce que tu partages forcément des trucs avec, t’es son frère parce que t’as son sang, ça se choisit pas. Donc bah, voilà, t’as deux frangins, j’me répète mais t’as pas à choisir entre les deux. Y’en a un que t’as depuis des années, l’autre que tu connais depuis, je sais pas, trois jours ? Forcément tu le tiens pas dans ton coeur mais c’est pas pour ça qu’il est pas ta famille. Après, t’en fais ce que tu veux, t’es pas obligé de l’aimer, si tu veux le laisser se prendre une balle libre à toi, mais reconnais-le au moins comme ce qu’il est : ton frère. On te demande pas de le comprendre, si tu crois que je comprends le mien. » Oh ça, tu risquais pas de le comprendre, fallait pas demander à un crétin de saisir la psychologie d’un génie.
Tu rallumes Freddie, et puis tu continues. « J’suis désolé pour ta… Tu préfères que je dise génitrice ? J’suis désolé pour ça, c’est franchement atroce. Tu fais chier parce que j’ai presque envie de te faire un câlin, mais j’vais m’abstenir hein, merci bien. » Là-dessus t’as eu un petit sourire, t’as essayé de détendre l’atmosphère comme tu pouvais, mais franchement t’allais pas faire des miracles. « Par contre… Par contre, mec, te décris pas comme un reflet ou un mauvais côté de quelqu’un. Cette pensée, elle est toxique, vire-la. T’es toi en entier, bordel, tu dépends de personne. Si tu tournes mal, si tu fais de la merde, essaies pas de te trouver une justification aussi pitoyable. Tu le dois qu’à toi-même. Et ni ton frère, ni ta génitrice, ni que dalle y sont pour quelque chose. Qu’est-ce que tu comptes balancer devant le juge, le jour où tu vas te retrouver devant ? Excusez-moi, Votre Honneur, c’est mon frère qui a reçu tout le QI à la naissance ? J’veux pas casser ta zone de confort mais ça passera pas. » Tu soupires lourdement à ce moment-là, t’essaies de te mettre à sa place, de comprendre dans quel monde on peut se voir comme la moitié d’un tout. Peut-être que t’as trop mis de barrière, que t’as trop souvent cherché à être tout seul, à mettre tes distances avec un monde qui te touchait plus que tu l’aurais voulu, pour envisager ce genre de choses. Peut-être parce que ton frère, à toi, c’est pas une moitié, parce que quand il te rentre dans le crâne et qu’il te déballe tout ce que tu cherches à planquer, qu’il débarque constamment dans ta vie sans ton accord, qu’il fout son grain de sel partout, tu le vis pas comme une complémentarité mais comme un viol. Pourtant, j’sais pas si on peut dire que t’es entier, vu le vide que tu te traînes ici et là - mais pour toi, y’a personne à mettre à cette place. T’es creux, mais y’a que toi, que toi pour assumer tes actes.
CODAGE PAR AMATIS

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C'est peut-être stupide comme question. La plus stupide des questions. Parce qu'il n'y aura jamais de vraie réponse, parce qu'il n'y a rien de juste ou de faux là dedans. Parce que chaque histoire est différente. Pourtant, étrangement, j'ai rarement été entouré de gens avec une famille de sang. Peut-être parce qu'on se rapproche des gens auxquels on peut s'identifier, peut-être parce que c'est une mode d'abandonner ses gosses près de l'eau, des fois qu'ils se noient et qu'on culpabilise moi. Je ne sais pas vraiment et à vrai dire je m'en fous, parce que ma question étrangement con, j'y tiens. Parce que Trevor n'est pas le mec qui va y aller par quatre chemins, me mentir et tenter de me dépeindre un parfait tableau juste pour me faire plaisir.

Il est trop franc et probablement trop fatigué pour me faire croire à un joli ramassis de conneries. Et puis il répond, sans se foutre de ma gueule. Il répond sans me dire que de toutes façons, c'est complètement débile comme question. Il dit que c'est le bordel et je me dis que le bordel, je connais. Chez moi c'est le bordel, constamment, tout le temps. Ça crie, ça frappe, ça s'énerve et ça bouffe des pizzas après s'être insulté pendant des heures. C'est un bordel simple, chez moi, un bordel de façade parce qu'on s'aime tous un peu trop au fond. Et cette pensée me fait sourire doucement, alors que le silence prend à nouveau une place entre nous deux et que le brun met un peu de temps avant de recommencer à parler. Il dit quelque chose qui peut sembler évident mais que j'avais un peu oublié.

Il parle du fait que peu importe comment, peu importe les circonstances, des humains qui cohabitent, ça fait des étincelles. On perd des plumes et à force de s'écorcher on apprend à vivre les uns à côté des autres. Le sang n'y change rien, rien n'y change rien d'ailleurs. J'approuve sa dernière pensée, y en a pas deux pareilles. Après tout, personne n'est pareil. Alors comment un ensemble d'humains pourrait ressembler à un autre ? Je soupire et ferme les yeux quelques instants alors qu'il reprend, encore.

Le type hésite pas à dire qu'il est pas d'accord et au lieu de m'énerver, j'écoute. J'écoute vraiment, j'essaie de comprendre, d'apprendre un peu aussi. J'essaie de faire un effort et ouvrir un peu mon esprit à ce qu'il dit. Et c'est pas con, ce qu'il dit. On me demande rien, en fait. Le monde m'a rien demandé, ni de l'aimer ni de lui porter un respect particulier. Non, en vérité, personne ne m'a rien demandé, puisque personne ne sait qu'il existe à part lui et moi. Personne ne connaît notre histoire à part nous-mêmes, et désormais Trevor. Je ne lui réponds toujours pas, allongé, sans le regarder. Je ferme les yeux, et je l'écoute simplement, tout en réfléchissant, trop sûrement.

La phrase qui suit m'arrache un rire qui me brûle les côtes et me fait tousser. Celle-ci, je m'y attendais pas. Pourtant mon rire n'est pas moqueur, simplement que cette situation est complètement improbable et qu'au fond, c'est sans doute pas plus mal. Et puis, comme toutes les douceurs de ces jours-ci, elles sont suivies par des nouvelles amères. Des nouvelles dures, qui brûlent et qui piquent. Les mots qui sortent de la bouche de Trevor sont à la fois très violents, partiellement justes et partiellement faux. Pour autant, la justesse qu'ils contiennent suffit à me foutre un peu plus mal, un peu plus bas, un peu moins vide, peut-être.

J'attends avant de lui répondre. J'attends parce que quelque part, je sais que ce moment va pas durer. Quelque part, je sais pertinemment que la réalité va nous rattraper et que ça va faire mal, encore plus mal que tout ce qu'il pourra me dire. Du coup, je soupire, longuement, avant de parler enfin.

« Je dis pas que je m'en servirai d'excuse. J'ai jamais voulu d'excuse à ma connerie, crois-moi. J'ai compris depuis bien longtemps que je me suffisais tout seul pour ces trucs là. Mais c'est juste qu'il y a toujours un trou à l'intérieur de moi. » Machinalement, je remonte une main sur ma poitrine pour montrer mon cœur avant de continuer. « Un truc qui me répétait sans cesse que ça n'allait pas, que ça collait pas. J'ai toujours su que mon histoire collait pas et que certaines de mes peurs étaient plus que des peurs de gamin. J'peux pas te l'expliquer en vrai, cette sensation bizarre de se dire que c'est quelqu'un d'autre dans le reflet du miroir. »

Peut-être parce qu'on était jumeau, j'en sais rien. On apprend des tas de choses quand on fait de la médecine et notamment les particularités chez les jumeaux. On parle souvent de langage rien qu'à eux, de douleurs de l'un alors que l'autre s'est fait mal, des choses que la science n'explique pas mais qui existent réellement. Des choses qui sont sensées être un don, quelque chose de merveilleux. Des choses qui m'on fait me sentir ce vide horrible pendant des années. Des choses qui m'ont fait me croire fou à certains moments de mon enfance, quand je parlais à cet ami imaginaire qui me manquait, celui qui complétait mes mouvements et mes phrases, celui dont le manque était une déchirure constante. Peut-être que c'était ça, ou alors que j'étais un simple connard névrosé. Dans tous les cas, ça me bouffait vraiment et de plus en plus rapidement.

« Tu me demandes peut-être pas de comprendre ou de l'aimer. Mais c'est ce qu'il attend lui. Il me demande de faire des efforts, de le laisser rentrer dans ma vie et il se berce dans l'illusion qu'on est dans un film Hollywoodien et qu'on va rattraper le temps perdu ou je sais pas quoi. Il est naïf, et sa naïveté elle me fait mal. Parce que peut-être qu'on me demande pas des trucs en particulier, mais Lui, lui il le demande et c'est pire que si c'était simplement la société. »

Parce qu'au fond, le problème c'est ça, c'est pas le regard des autres, même pas celui du mec que j'ai failli envoyer dans une tombe. C'est pas dans les mots qu'il m'a jeté à la gueule, pas non plus dans le regard assassin de Kyle qui sait pertinemment que je ne vais pas bien. C'est pas dans la tristesse des yeux d'Andy, c'est pas dans la société qui nous dit comment agir ou réagir. Non, le problème, c'est Joshua, simplement lui. Ses attentes qu'il m'a crachées à la gueule sans même le voir, ses reproches qu'il m'a jetés au visage alors qu'on avait à peine commencé à parler. C'est la culpabilité, aussi, de pas avoir été celui qui le cherche, celui qui y croit. C'est un peu tout ça, et tout ça, c'est beaucoup pour moi.

Je me redresse, lentement. Ma tête tourne un peu et les douleurs se réveillent brusquement. Je tire une grimace en laissant une main se glisser sur mes côtes. Assis, les yeux dans ceux de Trevor, je me demande réellement comment je vais pouvoir m'en sortir. Pas tellement d'avoir démoli un type, juste de tout ça, de ma propre tête, de mes propres angoisses.

« Je sais bien que j'suis mon pire ennemi, moi tout seul. J'sais bien que si j'ai été capable de faire ça, ça veut dire qu'un moment donné ou un autre, frère ou pas, j'aurais éclaté. Je renie pas ça, Trevor. Je renie pas que tout ce qui s'est passé ce soir c'est entièrement ma faute. Mais j'me pose quand-même une question dans tout ça. »

Je tourne les yeux vers le demi cadavre non loin, vers le monde qui continue de murmurer pour vivre autour de nous. J'observe la nuit qui devient de plus en plus profonde et obscure nous laissant réellement seuls, lui et moi. Seuls face à face sans personne d'autre, pas même des bonnes manières ou je ne sais quoi, se mettre entre nous. Je ressens la solitude, aussi. La mienne, la sienne, celle du type à la gueule fracassée et celle du monde qui s'écroule autour de nous. Tout d'un coup, je deviens moins vide, à force de parler, et je commence à revoir certaines choses, sentir à nouveau le souffle léger d'une brise ou les brouhahas environnants.

Je respire à nouveau, au final, et la douleur psychologique commence lentement à s'installer, elle reprend sa place, balaye la douleur physique en quelques coups et puis continue de m'empoisonner lentement. « J'me demande pourquoi on fait tout ça, mec ? À quoi ça sert ? À quoi ça sert de prétendre constamment que tout va bien, que le monde va bien et qu'on est tous des mignons petits nounours alors qu'au fond, au moindre pétage de câble, n'importe qui est capable de tuer ? On est sensé faire quoi, quand on a compris ça ? Qu'on était plus un monstre qu'un bisounours ? Faire comme si de rien n'était ? »

Décevoir sa famille, ses amis. Décevoir son patron, se décevoir soi-même. Oh, on pourrait sans doute se battre, pas vrai ? Mes yeux se posent dans ceux de Trevor et cette fois-ci, je reste un peu silencieux. Parce que oui, peut-être qu'on pourrait se battre contre notre côté bestial et violent mais ne serait-ce pas un plus gros mensonge encore ? Ne serait-ce pas pire que d'avouer et d'accepter ce que l'on est ? Pourquoi on continue ? Pourquoi tout le monde fait semblant ? Pourquoi Josh a tant d'espoir, pourquoi il croit pouvoir trouver un vrai frère en moi ?

Toutes les questions se bousculent et m'arrachent à rire triste, alors que je finis par dire. « De toutes façons,  y a pas de solution miracle, pas vrai ? Le monde n'ira pas mieux demain et moi non plus. » Je baisse les yeux et j'ajoute, encore plus doucement. « J'espère juste qu'un type capable d'empêcher un mec d'en tuer un autre, il a une chance d'aller bien dans ce monde, tu vois. Sinon, définitivement, j'comprends rien. »

De toutes façons, je n'ai jamais compris le monde. J'ai encore moins compris la justice et ce genre de chose. Il n'y a rien de juste à être abandonné. Rien de juste à passer d'une famille à une autre et se retrouver sans souvenir d'enfance. Rien de juste à ce que la seule personne qui a donné sa vie pour la mienne se retrouve à souffrir autant que moi aujourd'hui. Rien de juste au fait que Trevor m'ait sauvé et qu'il puisse quand-même aller mal demain ou après demain. Y a rien de juste, dans ce monde de merde. Alors pourquoi j'espère encore ?

Peut-être que c'était ça, notre point commun à Josh et moi. L'espoir vain.  
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Where is my mind ?
This sinking feeling sets, it feels just like a hole inside your chest. I know you're thinking, No, no, no, no, it is easier said than done, but please let me attest. I know it's hard. You're feeling like you're trapped, but that's how you react, when you cannot see the light.
But try and see the light.

▼▲▼

C’est rien que le silence qui a suivi ta remarque. De ce genre de silence que pour la première fois ce soir tu trouves vraiment pesant. Tu t’interroges - est-ce que t’as dit une connerie, Trev ? T’as beau chercher, mais pour toi t’as le mot juste. T’espères au fond que s’il se tait, c’est parce qu’il considère ce que tu dis, qu’il va admettre en fin de compte que sa pensée, elle est toxique, et qu’il change un peu d’opinion vis-à-vis de ce qui lui fait tant de mal. Peut-être que t’aurais pas dû parler du juge - peut-être qu’il valait mieux pas que tu parles criminalité dans de pareilles circonstances, mais t’y pouvais rien. T’y pouvais rien parce que le crime, on t’avait tanné pendant 15 ans avec, parce qu’à moins de deux mètres, y’avait encore un type en sang, que tu pouvais pas l’ignorer malgré tous tes efforts et tes belles paroles. Parce que t’étais inquiet pour Zach, mais aussi pour cet autre type innocent, qu’avait juste échappé une remarque qui aurait pu être la tienne. Et l’ambulance qui venait pas, et cette sensation que la scène était irréelle - t’avais un certain mal à l’intégrer, à en saisir l’essence. Qu’est-ce que tu foutais là assis par terre, avec une clope, comme si tu pouvais te détendre. Qu’est-ce que tu foutais là, alors que t’avais envie de te lever rageusement, de pousser un cri, d’insulter par tous les noms les ambulanciers, le destin, le hasard, la violence et tout le reste. T’avais envie de relâcher cette espèce de tension ambiante, de souffrance sans mot, la pression, la pulsion, tout ce qui trainait encore dans l’air. Quelque part, ça t’irritait, d’essayer de peser tes mots, de guetter après chaque phrase un changement d’atmosphère, une réaction qui pourrait condamner ce type ou le tirer d’affaires, et tu savais jamais à quoi t’attendre. Ça t’irritait de faire attention, tu t’en serais bien passé, surtout que même quand t’essayais t’avais de gros sabots. La subtilité, c’était pas ton rayon, et prendre sur toi non plus. Alors cette soirée, ce face à face, ça te faisait pas forcément le plus grand bien.

Mais t’avais pas le choix, ta conscience te laissait pas le choix, alors t’as attendu. Et il a fini par reprendre, et quelque part, ce qu’il te dit, ça te met enfin sur la même longueur d’onde. Il se cherche pas d’excuse, et tant mieux parce que tu l’aurais pas laissé t’en sortir, de toute façon. Il te parle de ce creux, ce trou à boucher, en se tapotant la poitrine, et ça te fait de la peine, ce geste pourtant désinvolte. Peut-être parce que dans ton imaginaire de conception virile de la masculinité, le simple fait de parler de son coeur et de le montrer, c’est tout sauf anodin. Le coeur, c’est ce truc que tu planques et que tu fais semblant de pas avoir, comme si ça te rendait plus fort, plus résistant, plus fier, plus valable. C’est ce genre de moment et de signe discret qui te rappelle à quel point cette vision derrière laquelle tu te terres est absurde. Parce qu’on a tous un coeur, des sentiments, des faiblesses, on a tous cette sensibilité, et c'est pas seulement le cas de la moitié de l’humanité. Mais tu détestes t’en souvenir, vu que ça te réveille des plaies que t’as jamais su gérer seul. Bel exemple tiens, et après tu t’attendais à pouvoir l’aider, alors qu’au final t’étais pas forcément plus dégourdi. T’as le regard dur, le front qui se plisse, le pouce qui s’écrase machinalement sur ton front, pour oublier ce petit geste de merde qui s’accroche au plafond de ton crâne. Heureusement il poursuit - ou malheureusement d’ailleurs.
Il peut pas t’expliquer cette sensation d’être un reflet. Mais il continue pourtant à te parler du sien, ce frère qui est au coeur de toutes ses préoccupations. Tu l’écoutes bien sûr, même si au fond tu vois pas ce que ça peut apporter de plus. T’en sais pas assez sur lui pour pouvoir t’en faire une idée, tout ce que tu sais de ce frangin inopiné c’est qu’il existe. Mais c’est sans doute aussi ça le problème, derrière les plaintes de Zach, derrière son incompréhension. Si lui-même en sait pas plus que ça, forcément il va avoir du mal à faire des déductions. C’est comme chercher une réponse quand ce qu’on prend comme une question est rien d’autre qu’une affirmation. Au moins, il te développe le problème, avec une autre info que t’avais pas - que ce frangin, en fait, il exigeait de lui des trucs qu’il était pas prêt à donner. T’as envie de lui dire qu’à part en parler avec lui, y’avait pas grand chose à faire. Qu’il avait pas à se forcer s’il en avait pas envie, qu’il était pas tenu par un contrat, qu’en somme il était toujours libre de faire ce qu’il voulait et que son frère pourrait jamais l’y forcer. Mais quelque part, tu te dis que s’il se monte le chou comme ça, c’est que la question se pose. C’est qu’il l’envisage, et ça laisse une place, même mineure, à cet idéal hollywoodien qu’il rejette. Mais y’a rien que tu puisses y répondre. Y’a surtout rien que tu veuilles y répondre. C’est pas facile, ça tu l’as reconnu, c’est un des premiers trucs que t’as bien voulu dire. C’est pas de ton ressort. Ce débat-là, il fallait qu’il l’affronte tout seul - ou avec son frère, mais certainement pas avec toi.

T’aimes ça, les questions pièges ? Non ? C’est dommage. Parce que apparemment, Zach a l’air d’être le genre de type à adorer les poser. J’imagine que ça n’étonne personne si je dis que t’aimes pas réfléchir, et encore moins quand ça concerne des abstractions et de la philosophie. Pourtant, t’y as tendu l’oreille, à sa question, parce que t’avais toujours cette bonne volonté de l’aider comme tu pouvais, de compenser tous les points où t’avais été finalement inutile ce soir. Si au moins tu pouvais dire un mot de juste, l’éclairer sur un truc, peu importe quoi - histoire de sentir que t’avais amélioré les choses plutôt que les empirer. Alors quand il s’est redressé, tu l’as regardé droit dans l’oeil, t’as continué à fumer en attendant qu’il parle. Et il te parle d’être son pire ennemi, il te parle d’abstractions qui font mal, parce que contrairement à d’autres, celles-ci tu les saisis un peu. Il admet sa faute, et c’est un bon début, mais tu redoutes aussi qu’il s’y empêtre pas un peu trop. T’as envie de lui dire que c’est pas une petite faute qui va lui retirer son humanité, t’as envie de lui dire qu’il y a pire, qu’il y a toujours pire, et que c’est pas admettre sa connerie qui doit justifier d’en faire d’autres. Il te formule ça aussi d’une manière qui te laisse entendre qu’il se croit mauvais par nature, que c’était latent dans sa chair et qu’il aurait pas eu d’autres choix que de le faire éclater un jour. Et à ça, faut être honnête tu sais pas trop quoi répondre. Tu sais même pas quoi penser.
Et par dessus le doute, y’a la douleur. Et par dessus la douleur, y’a sa question. Pour toi ça commence à faire beaucoup, mais t’encaisse parce que tu peux pas faire autrement - tu te le refuses. Pourquoi on fait tout ça ? A quoi ça sert ? Merde. Au moindre pétage de câble, n’importe qui est capable de tuer. Double merde. Quand on a compris qu’on était plus un monstre qu’un bisounours - on est censé faire quoi ? Allez, dis-lui, Trev. Tu devrais avoir la réponse. Après tout, tu l’as appris cette leçon - qu’en pétant un câble, tu pouvais tuer, et que t’étais un monstre aux yeux du monde comme à tes propres mirettes. Alors ça devrait être facile de répondre à cette question, non ? T’as juste à lui dire ce que tu fais de ta vie après ça. Sauf que voilà, ta vie, t’en fais pas grand chose - parce que t’as tué pour de vrai, toi, alors ta vie, on te l’a arrachée. Tu t’es accepté ou pas, Trevor ? T’as l’envie de continuer de vivre ou pas ? Est-ce que tu saurais dire seulement pourquoi tu vivais encore ? Et t’as pas honte d’être là, quand des pères, des frères, des fils - des mères, des soeurs, des filles ne l’étaient plus par ta faute ? Et il te regarde, Zach, il te regarde dans le blanc de l’oeil, parce qu’il espère une réponse miracle. Il espère que toi tu saches, toi qui te dépêtres pas dans des problèmes de reflet dans le miroir, toi qu’es libre, qui vas pas si mal - et combien t’aimerais lui donner raison, mais dans ton regard, y’a rien que de l’hésitation. L’hésitation du mec qui sait pas quoi dire, qui s’inquiète de la réponse qu’il doit donner, parce qu’il a peur qu’elle soit pas sincère - ou qu’elle le soit trop pour son propre bien et ta fierté.
Tu le sens faiblir dans ses mots, d’une certaine manière. T’as comme cette diode d’urgence qui s’allume dans ton cerveau, qui te hurle que tu dois te mettre à parler tout de suite ou ça va peut-être mal finir. Y’a pas de solution miracle, pas vrai ? Le monde n’ira pas mieux demain et moi non plus. Alors pourquoi faire en sorte qu’il y ait un “demain”, pas vrai ? Là, t’as peur, là t’as un soubresaut de conscience, ce panneau d’urgence tout plein de poussière où c’est écrit “suicide”. Peu importe que ce soit une vue de ton esprit ou sincèrement ce qu’il pense, tout ce que tu sais, c’est que l’idée t’est venue et ça t’horrifie. A quoi bon vivre, puisqu’on est des monstres - et là il te dit : il te souhaite que toi t’aille bien, au moins, dans ta vie, pour avoir empêché un type d’en tuer un autre. Et t’as la culpabilité qui te prend la gorge, déjà parce que tu vas pas bien, et surtout parce que sauver une vie rendra pas toutes les autres. Et t’as perdu ta voix, et tu le regardes avec inquiétude et douleur, et tu cafouilles dans ton cerveau parce que tu sens que tu vas devoir être bon, et c’est un peu trop de pression pour un cafard. Est-ce que tu lui dis ? Est-ce que tu lui dis que t’es pas aussi propre qu’il doit le croire ? Est-ce que tu lui dis, ou est-ce que tu te retiens pour qu’il continue à apporter du crédit à tes phrases ? Est-ce que tu lui laisses le réconfort de se dire qu’au moins, toi, tu vas bien ? T’as pas envie de lui dire, t’as envie de planquer ces horreurs, et en même temps ça te déchire de lui laisser cette image-là, cette image que tu mérites plus depuis un bon moment. Que tu parles ou que tu te taises, cette hésitation, elle te fait mal, et tu sais pas ce que tu devrais dire ou faire pour le tirer de cette obsession néfaste.

Bah voilà, tu t’agaces. Tu te sens en conflit, tu t’agites. T’écrase ta cigarette dans ta main, la deuxième dont tu gaspilles la fin, mais t’en veux plus et t’en reprendras pas. Tu t’irrites la paume parce qu’elle était pas éteinte cette fois, mais tant mieux, tant mieux parce que la brûlure t’apaise, elle t’évite de réellement péter un câble et de partir dans des tremblements. Tout ça, tu le ressens, mais t’essaies au mieux de le planquer - au final, t’es toujours assis à rien faire, peut-être les cuisses plus crispées, mais y’a pas masse à y faire. Tu détournes le visage, tu regardes le décor ici et là, t’essaies de te fixer sur autre chose pour calmer cette agitation, cette espèce d’angoisse. « Tu penses à crever, Zach ? » Cette voix, elle est sortie assez bizarre, comme si elle aurait pas dû sortir parce que tu t’y accrochais. Un peu trop brusque, presque agressive, un peu rauque, un peu sèche, un peu tout ça. T’as le talon qui s’agite nerveusement, qui fait remuer ta jambe, t’as peur, tellement peur de ton choix de mots et ça te fait péter un câble. Normalement, quand tu pètes un câble, tu frappes, mais là tu te retiens pour pas lui faire de mal. L’ennui, c’est que ça risque de ressortir autrement. Et ça, c’est jamais bon signe chez un pyromane. « Déconne pas. Jure que tu déconneras pas. » Tu le regardes de nouveau, t’es pas tranquille. Bon sang, il aurait mieux fallu qu’il reste dans les vapes de sa torpeur psychologique, parce que t’avais pas besoin de ça.
T’inspires, t’expires, tu soupires, faut que t’essaies. « T’as rien d’un monstre. Des monstres, j’en ai vu des vrais. Ce sont ceux qui ont plaisir à détruire des vies et qui s’en vantent. Ceux qui connaissent pas les remords. C’est pas ceux qui se posent des questions. Toi t’en poses beaucoup. T’en poses trop, et je l’ai pas ta réponse. » Tu hausses pas la voix, mais quelque part, elle est précipitée, angoissée malgré toi. T’es même pas sûr que tes bouts de phrases se lient entre eux, mais c’est tellement loin d’être ta première préoccupation. T'as peut-être peur aussi de te dire que si lui est un monstre, toi tu dois être encore pire que ça. « Je sais pas. Pourquoi j’essaie ? Pourquoi je suis là à te causer, alors que j’pourrais te tuer ? » Ce mot, là, il t’a échappé, et tu te sens mal. T’aimerais lui donner une jolie réponse pleine d’espoir, haut les coeurs parce qu’il y a du bien dans ce monde, parce qu’il faut se battre pour le Bien. Une réponse de dessin animé, mais c’était la vie réelle ici, alors la réponse, c’était rien qu’une douce utopie. Au fond, y’avait pas de réponse, pas de solution. Tu crois ce que tu veux, et t’agis selon. Sauf que tu crois pas à grand chose.
Ce coup de pression, c’est comme un coup de jus ou un étourdissement. Tu sens qu’elles commencent à trembler, tes mains, et que plus tu fais d’effort pour essayer de préserver ce gamin et plus t’as de risques de l’enfoncer dans son cauchemar. T’as un sursaut, un vrai sursaut, pendant lequel tu réalises en fait la présence du briquet écrasé dans ta main. Tu le fourres précipitamment dans ta poche dans un éclat de conscience, tu veux pas prendre de risque, surtout pas devant lui, surtout pas après lui avoir répété en boucle de pas déconner. Tu t’agites, la sensation des mains vides est pire encore, et tu les resserres sur ton pantalon en forçant un soupir. « Le monde il est pas rose, et il le sera jamais. C’est pas une raison pour vouloir le rendre pire ou le quitter. Tu réfléchis trop. Qu’est-ce qu’on est censé faire… Faut bien vivre, pas vrai ? C’est pas une question qui devrait se poser. Vivre, c’est ça qu’il faut faire. Pose pas la question. Repose pas la question. » Repose pas la question, parce que j’ai peur de la réponse. T’as peur au fond qu’il te confronte à l’absurdité de ta propre vie. Personne pourrait te l’envier après tout, alors pourquoi toi tu t’en contenterais ? T’as pas envie que ce doute s’immisce dans ta vie, t’as pas envie qu’il te rende encore plus instable que tu ne l’es. Alors tu te braques, tu te braques pour arrêter d’y penser
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