Accueil
Cette fois, c'était différent. Cette fois, je n'étais pas tout seul. Cette fois, j'étais venu en début d'après-midi, le soleil commençait à présent à se coucher. Cette fois, j'avais crié, j'avais hurlé, j'avais pleuré, j'avais frappé la pierre, quitte à abîmer mes mains. Non, surtout pour abîmer mes mains. Mes mains qu'il adorait, mes mains qui étaient pourtant mon outil de travail. Cette fois, j'avais fini par trouver un peu de paix en plein orage, plusieurs fois en l'espace de ces quelques heures passées. Cette fois, j'étais épuisé, à bout de force, vidé, et je n'en avais aucune satisfaction. Je me contentais de fixer le ciel devenant rose, les nuages épais et j'écoutais la Nature. J'essayais, sans rien prendre, sans rien utiliser, de planer, de quitter ce corps, cette réalité, cette boîte crânienne trop remplie, tout comme cet organe palpitant dans ma cage thoracique, deux choses qui me faisaient sombrer dans les tréfonds de mon âme, qui m'entraîner dans les abysses. Je devenais fou tout en restant parfaitement serein, parfaitement calme. Est-ce que c'était seulement maintenant que je devenais fou ou est-ce que je l'étais déjà depuis le début, est-ce que c'était ancré dans mes gênes ? Mes deux parents sont devenus séniles avec l'âge, l'un étant atteint d'une maladie neuro-dégénérative. Qu'est-ce qui allait m'arriver, moi qui suis un drogué au dernier degré, qui ai besoin de ma ligne pour démarrer la journée ? Est-ce que je vivrais assez longtemps pour devenir sénile ? Presque automatiquement, son visage m'apparu, comme à chaque fois que je pensais à l'avenir, à mon destin. Je ne parvenais pas à me défaire de sa pensée, que je le veuille ou non, j'étais lié à lui.
Fiston, tu vas bien ?
La voix de mon père non loin de ma tête eut l'effet d'un doigt rencontrant une bulle de savon, me ramenant ainsi brutalement à la réalité. Il était tranquillement assis sur le rocher à côté de moi, les genoux contre le torse, les mains posées sur son chapeau vert, le tenant comme s'il avait peur qu'il s'envole. J'avais gardé le silence pendant plus d'une heure, après avoir hurlé à m'en déchirer les cordes vocales, comme un dément. Normal qu'il s'inquiète et qu'il ait peur de m'approcher. Le voir aussi craintif me pinça le cœur, lui qui était si fragile, si petit, si chétif. Mon Papa... Nos rôles s'étaient inversés tellement rapidement, on est tous destiné à s'occuper de ses parents un jour ou l'autre, mais pour nous, ça avait été brutal. Depuis mes douze ans j'avais pris en charge mon père, j'avais toujours fait en sorte que nous ne manquions de rien, ou du moins, que nous avions le minimum. Mais... il m'avait sauvé la vie. Son dernier instant de lucidité avait été de me sauver. Je ne pouvais m'empêcher de penser que c'était à cause de ça qu'il ne revenait plus à lui depuis. C'était moi qui l'avait enfoncé dans la folie. Et pourtant, je parvenais encore à le haïr dans les pires moment, à vouloir tout quitter parfois, juste pour avoir un instant de paix. Il ne le méritait pas.
Oui, Pa'... Ça va mieux, excuse moi... Dis... est-ce que tu te souviens de Maman ? De son visage ? Ses cheveux ? Son odeur ?
Il y avait trois personnes dont mon père parvenait à se souvenir très clairement. Xion, même s'il ne souvenait pas qu'il était parti, ou il faisait semblait de ne pas s'en souvenir, je ne savais pas trop. Moi, heureusement, mais je guettais les moindre oublis en ce qui me concernait, ce qui serait le signe de la dégénéresence de la maladie. Et ma mère. Alors que c'était sa mort qui avait tout provoqué, Sweeney parvenait à se souvenir de chaque détail concernant sa femme. Aussitôt, un sourire éclaira son petit visage de lutin qui se mit alors à me raconter l'histoire de leur rencontre, une histoire que je connaissais par cœur. Il redevenait, avec de grosses nuances bien entendu, l'homme qu'il avait été, je pouvais presque le voir rajeunir et voir apparaître ma mère juste avec nous, dans une de ses grandes robes qu'elle adorait porter, ses longs cheveux blonds au vent. J'entendais aussi son rire. Ce petit rire qu'elle lâchait à chaque fois que je fabriquais un truc qui finissait irrémédiablement par m'éclater dans les mains. Mais j'entendis autre chose aussi. Me levant bruquement, je regardais tout autour de nous. J'avais entendu des bruits de pas. Comme une course. Est-ce que... c'était un Chasseur ? Ce type de personne qui a pour mission, personnelle ou non, de massacrer tous les Êtres Surnaturels qui existent ? Même nous, Leprechauns non-violents, pas agressif pour une pièce d'or (sauf pour défendre notre or), étions en danger si c'était le cas. Mais, j'étais peut-être parano... Est-ce que je commençais à avoir des hallucinations auditives ?