Madalene Mac Carthy | Le monde est aveugle. Rares sont ceux qui voient.

Mes parents m'ont appelé Madalene Mac Carthy ! Je suis né le 21 décembre 1993 à Bray. Je suis un élément de 23 ans. Pour plus de précisions, je suis bisexuelle et présentement célibataire, et je le vis très bien, merci. Je suis fière de dire que je travaille en tant que étudiante en psychologie, ça m'aide à payer mes factures. Je suis d'ailleurs plutôt riche, enfin… J’ai des économies. On me dit souvent que je ressemble à Lily Cole, mais en mieux, quand même. Une dernière chose, je fais partie du groupe Feu, et plus précisément je suis un Oracle.

Madalene est née le 21 décembre 1993. En tout cas, c’est ce qu’il est supposé puisque c’est ce jour-là que Douglas Mac Mac Carthy trouva ce bébé sur le pas de sa porte en allant travailler à l’usine… Curieux, il se pencha en avant pour se saisir du panier… Et se figea. Ce bébé roux qui le fixait avec un calme redoutable, ce collier avec une lune en pendentif… Dougla déglutit en regardant machinalement vers le plafond, vers l’étage où dormait sa toute jeune épouse. Comment allait-il bien pouvoir lui expliquer tout ça ?

Madalene était une bâtarde.

2 ans auparavant, Douglas avait claqué la porte de la maison familiale pour tenter sa chance dans la capitale. Jeune, naïf et guère débrouillard, il ne tarda pas à se rendre compte que l’affaire serait beaucoup plus compliquée que prévu. Perdu, loin des siens, il ne fut pas difficile à séduire pour Sara, jeune gitane cartomancienne. Et surtout, de lui soutirer son argent avec des prédictions aussi grandioses que fantasques… Le jour où elle disparut sans laisser de trace, Douglas se rendit compte qu’il était ruiné et sans travail. Il reprit le chemin de la maison, à Bray, et essaya d’oublier. Quelques semaines plus tard, il épousait Fenella, sans grande conviction.
Sans grande surprise, l’arrivée de ce bébé encombrant ne se passa pas sans heurts. Fenella vitupéra qu’elle refusait de s’occuper de l’enfant d’une autre et ne calma que lorsque Douglas s’énerva à son tour. C’était sa fille à lui aussi, et il comptait bien l’élever ! Madalene, comme il l’appelait déjà, était innocente après tout. Ce fut la dernière fois que Douglas tenait tête à sa femme en ce qui concernait la jeune rouquine. Il ne fut pas simple de grandir dans cette étrange ambiance, entre la sourde rancœur de Fenella et la culpabilité teintée d’indifférence de Douglas, qui préférait ignorer sa fille que d’essuyer les colères de sa femme. La stérilité du couple n’arrangeait pas la situation de Madalene, qui devait en plus subir la jalousie de sa belle-mère…

Puis survint l’accident. Madalene avait 9 ans et, comme toujours, elle rentrait seule de l’école – la plus lointaine possible du foyer. Occupée à sautiller sur les bandes blanches (« le sol est fait de lave ! »), elle ne vit pas la voiture arriver. Lorsqu’elle se réveilla, 10 jours plus tard, elle se mit à crier : pourquoi faisait-il si noir ? Que faisait-elle dans une cave ? Etait-elle morte ? Une infirmière lui expliqua, le plus calmement possible : sa tête avait reçu un mauvais coup, et selon toute vraisemblance, elle ne verrait plus jamais. Le retour à la maison fut un véritable enfer : Fenella ne faisait aucun effort pour faciliter le quotidien de la jeune aveugle. Les meubles, les objets, étaient régulièrement déplacés et elle pouvait facilement perdre plusieurs jours à simplement chercher une paire de ciseaux… Fenella aurait bien refusé de payer les leçons de braille, mais cela aurait été trop, même pour son mollasson de mari.  

Les jours, les semaines passèrent. Madalene commençait à s’adapter. Elle aurait pu baisser les bras, mais cela aurait fait trop plaisir à sa belle-mère. Et puis un soir… Sara revint. C’était comme si elle n’avait jamais abandonné sa fille, ou comme si cela n’avait aucune importance. Avec un sourire mielleux, elle affirma vouloir récupérer l’enfant. Fenella n’hésita qu’une seconde et ordonna à la rouquine de prendre ses affaires et de déguerpir. Personne ne lui demanda son avis.

Elles allèrent à Dublin, où Sara, avec son mari, gérait une maison close illégale qui se voulait luxueuse, destinée aux gens « de la haute ». L’intérieur était décoré avec goût, du moins pour les parties où les clients avaient accès. Sara avait de grands projets pour sa fille qui avait été secrètement surveillée pendant toutes ces années. Dès qu’elle était devenu aveugle, Sara avait été prévenue. Quand elle eut la preuve que Madalene commençait à avoir des visions, elle décida aussitôt d’aller la chercher. La gitane était certes une humaine normale, mais elle était tout à fait au courant de l’existence des créatures surnaturelles attirées par la ville de Bray. Son propre père avait été un magicien (malheureusement décédé au cours d’une invocation raté). Une oracle dans la famille, c’était une véritable aubaine ! Les premières années, Sara s’occupa de l’éducation de Madalene. Elle faisait venir un professeur particulier et, de son côté, elle se chargeait du surnaturel, même si elle ne savait rien du fonctionnement du pouvoir de sa fille. Sur ce plan-là, la jeune fille se débrouilla toute seule.

A l’âge de 12 ans, Abraham, son beau-père, décida de la mettre à contribution. Il l’affubla d’un costume de voyante avec d’invraisemblables jupons et des foulards bariolés, qui se voulait réaliste selon les critères des clients, et d’une boule de cristal. Il comptait sur son « talent », et sa frimousse d’enfant pour leur soutirer un maximum d’argent. C’était d’avantage une question de cerner le client pour deviner ce qu’il voulait entendre que de réellement mettre à profit ses visions… Madalene eut énormément de succès. Cette voyante miniature enchantait les hommes qui payaient cher pour entendre sa petite voix leur dire qu’ils allaient bientôt gagner encore plus d’argent, séduire plus de femme, réduire au silence plus d’ennemis politiques… Cela marcha quelques années. Jusqu’à ce que plusieurs de ces messieurs commencent à insister auprès d’Abraham : ils étaient prêts à payer cher pour la virginité de la petite voyante. Seule l’intervention de Sara sauva Madalene d’une bien triste nuit. Elle argua qu’un évènement aussi traumatisant pouvait très bien priver la jeune fille de ses talents d’oracle et si cela arrivait, Abraham perdrait une belle source de revenus, car il faisait payer très cher les séances de spiritisme aux clients. Sara mentait, ou tout du moins elle n’avait aucune idée de si ce qu’elle avançait avait une chance de se produire, mais elle voulait préserver sa fille le plus longtemps possible.

Quand Madalene eut 16 ans, Sara tomba enceinte, elle qui pensait être déjà trop vieille pour encore enfanter. Abraham décida rapidement qu’elle devrait accoucher comme au bon vieux temps, dans sa propre chambre. Il craignait pour son précieux bordel, illégal, si elle devait aller à l’hôpital… Bientôt, Madalene commença à avoir des visions funestes, mais trop peu précises. Elle savait seulement qu’un grand malheur allait arriver, mais quand et où… ? Elle ne voulait pas inquiéter inutilement sa mère.
Au moment précis où Sara eut la 1ère contraction, Madalene eut enfin une vision plus nette : cet accouchement allait se passer de manière terrible. Elle courut prévenir Abraham mais ce dernier, prit de court et en panique, pour sa femme ou pour son bordel, refusa d’écouter la jeune fille et lui interdit l’accès à la chambre de sa mère. Les hurlements de douleur convainquirent la voyante que jamais, ô grand jamais elle n’aurait d’enfants. Ils allèrent crescendo avant de se stopper brutalement, laissant un silence oppressant s’installer. Un bébé ne tarda pas à se faire entendre mais Sara, elle, ne dirait plus jamais rien.

Abraham n’avait aucune idée de comment s’occuper d’un bébé mais heureusement, il avait une vingtaine de filles à son service qui mourraient d’envie d’en prendre soin – puisqu’elles-mêmes n’avaient pas le droit d’avoir des enfants sous peine d’avorter illégalement, ce qui n’était pas sans risques. Madalene n’avait plus Sara pour la protéger, mais les filles décidèrent que c’était à elle de s’occuper de son petit frère : trop occupée par le nourrisson qui réclamait toute son attention, elle n’avait plus de temps à accorder aux clients en dehors de ses séances de divination.
Jusque-là, aveugle et sans ressources, Madalene avait été totalement dépendante du bon vouloir de son beau-père. Jamais elle n’aurait cru que quelqu’un, son petit frère Finn, pourrait avoir besoin d’elle. Ce fut comme une petite révolution dans sa tête : elle commençait à comprendre qu’elle n’était pas que bonne à faire des divinations dans une maison close. Elle retrouva un peu de cette indépendance qui la caractérisait quand Fenella refusait de s’occuper d’elle.

Elle acheva de comprendre cette notion lorsqu’apparut celui qu’elle allait plus tard appeler, avec une petite moue ironique, son protecteur. C’était un soir où, affublée de son accoutrement de voyante, elle racontait aux clients ce qu’elle voyait dans sa boule de cristal. Ce qu’elle entendit d’abord, ce fut le raclement caractéristique d’une canne d’aveugle, au milieu des gloussements habituels des filles – l’inconnu devait être à leur goût. Elle fronça les sourcils et orienta son regard vers la chaise qui venait d’être tirée en face d’elle.

- Bonsoir, je m’appelle Keenan O’Leary. Je crois que nous avons pas mal de choses en commun…

Le premier soir, il voulut surtout savoir ce que pouvait bien faire une Oracle dans une maison close, aussi luxueuse soit elle. Madalene, elle, voulait surtout en savoir plus sur ce Don qu’ils partageaient. Il revint plusieurs fois, de plus en plus agacé par la fatalité avec laquelle la jeune femme voyait son avenir : toujours au bordel, coincée entre les clients et Abraham. N’avait-elle donc pas envie de voyager, de voir le monde extérieur, d’être libre, enfin ? Et comment faire quand on était aveugle, répliquait-elle. Mais elle finit par admettre qu’il avait raison, et qu’elle avait peut-être besoin d’être bousculée un peu. Restait toujours le problème que, aux yeux de son beau-père, elle appartenait au bordel. Soit un client l’achetait pour l’épouser ou en faire sa maîtresse officielle, soit elle faisait assez de passes pour acheter sa liberté en remboursant les dettes accumulées toutes ces années.
Ce fut Keenan qui trouva, en réfléchissant deux minutes.

- Vu le prix que j’ai payé pour avoir droit à une séance de Divination, j’ai du mal à croire que tu puisses avoir encore la moindre « dette ». Ce serait plutôt à ton beau-père de te devoir de l’argent ! »

S’en suivit une houleuse conversation avec Abraham, qui avait du mal à se faire à l’idée de laisser partir Madalene. Celle-ci du rappeler quelle somme honteuse il avait touché en vendant sa virginité, quelques années plus tôt. Il accepta finalement de lui rendre sa liberté, et grâce aux négociations de Keenan, il consentit même à lui donner une part de tout l’argent qu’elle lui avait rapporté.

Encouragée par Keenan, Madalene décida de faire des études dans sa ville natale de Bray. Elle dû d’abord rattraper son retard, mais cela fait à présent 1 an qu’elle étudie la psychologie. Elle finance son logement par la revente des multiples bijoux et objets précieux que les clients lui ont offerts pendant des années ainsi que par l’argent qu’Abraham a bien voulu lui laisser…