Oh Death, won't you spare me over another year ? feat. Isleen

Il y avait des jours où on était plus mélancoliques que d' autres. Aujourd'hui en était un. C' était un de ces jours où Ailee me manquait terriblement. Bien plus encore que le manque quotidien que je devais gérer. Aujourd'hui c' était l' anniversaire de sa mort. Un de ses anniversaires qu' on déteste célébrer car il nous rappelle le vide de sa disparition. Les premières années de cet anniversaire, je téléphonais à ma soeur juste pour entendre sa voix sur le message du répondeur et parler après le bip en lui disant à quel point elle me manquait et à quel point ma vie était vide de sens sans elle à mes côtés. Mais avec le temps, j'ai fini par surcharger cette messagerie puis à voir le numéro de téléphone de ma soeur devenir un numéro d' appel inexistant. Comme si toute trace d'elle disparaissait peu à peu. Pourtant je continuais à lui parler, comme si elle était toujours là. A une photo ou même dans le vide. J' évitais de me faire surprendre. Mes parents auraient considéré ça comme une rechute et m'auraient conseillé de retourner voir le psy. Et je ne voulais pas montrer ma faiblesse à mes cadets et cadettes, alors que j' étais désormais l' ainée de la fratrie. Celle qui devait remplacer Ailee dans le rôle de mère de substitution. Pourtant je n' avais pas rechuté. Rechuter aurait indiqué un mieux. Et si j' avais appris à supporter le deuil, je n'avais jamais cessé de lui parler. Ca m' était vital.
Alors j' étais venue au seul endroit où je pouvais lui parler sans que ça ne perturbe personne. Sur sa tombe. M' y rendre était toujours aussi dur et en même temps toujours aussi nécessaire. Voir son nom sur cette pierre était dur car ça me rappelait une fois de plus que je l' avais perdue. Mais c' était aussi nécessaire me souvenir de la promesse que j' avais faite le jour de son enterrement. De vivre pour nous deux.
Je traversais donc les allées du cimetière pour me rendre là où se trouvait désormais ma jumelle. J' avais pris avec moi des fleurs fraîches pour remplacer celles de la semaine dernière qui ne devaient plus être si belles. Arrivée à hauteur de là où se trouvait sa tombe, je vis de dos une tête qui m' étais bien connue. Alix. Je m' avançais, posait ma main sur son épaule pour signaler ma présence tout en déposant le bouquet de fleurs sur la pierre où était gravé le nom de ma soeur.

" Bonjour Alix "

J' étais surprise de le voir ici. Je savais qu' il avait éprouvé quelque chose pour Ailee, d' ailleurs je culpabilisais encore d'en avoir joué quand j' étais adolescente et stupide, pour je pensais qu' il revenait souvent sur sa tombe. En voyant la couronne de fleurs, je reconnus les couronnes que je voyais parfois. Je m' étais toujours demandé d' où elle venait sans jamais imaginé que cela provenait d' Alix. J' étais touchée de voir que même après autant d' années il pensait souvent à elle. Aujourd'hui plus que jamais.

" Alors c' était toi? Je me suis toujours demandé qui... "

Je désignais du doigt la couronne de fleurs sans terminer ma phrase. Ce n' était pas forcément nécessaire, Alix avait dû comprendre ce que je voulais dire. Il y avait de la gratitude dans ma voix en faisant la remarque.

" Elle est magnifique. "

J' ignorais si il l' avait acheté ou si c' était de son oeuvre mais en tout cas, elle était vraiment belle. Digne d' Ailee. Et dans ma bouche ce n' était pas une remarque à la légère. Puis je m' accroupissais pour ensuite mieux m' asseoir en tailleur à côté d' Alix, devant la tombe de ma jumelle. Ma place habituelle.

C' était étrange d' être assise ici à côté d' Alix. Je savais qu' il avait eu un crush pour ma soeur mais je n' avais pas imaginé qu' il soit venu aussi souvent la voir. C' était apaisant de voir que ma famille n' était pas la seule à qui elle manquait. J'aimais ma soeur mais dans la douleur on oubliait parfois qu'elle pouvait manquer à d' autres que soi même. Parce qu'elle avait été aimée. Et ça, a faire du bien de s'en souvenir, ça aidait un peu à tenir.
Visiblement, pour Alix faire des couronnes le détendait. Cela ne me surprenait pas. Il était une fée et les fée avait ce rapport à la nature comme la sirène que j' étais avait un rapport privilégié avec l'eau. Cela faisait partie de nous. Mais sa proposition de m' apprendre à reproduire ce qu' il faisait si bien, était tentante. Peut être que pour moi aussi, tresser des fleurs aurait un effet relaxant qui ne serait clairement pas de refus en ce jour si dur à gérer. Mais sa remarque sur la technique de drague me fit esquisser un sourire. Ca me rappelait l' époque du lycée. J' étais certes pas sympathique avec lui, mais c' était aussi l' époque où Ailee était encore là.

" Je veux bien que tu m' apprennes oui. Je doute de faire aussi bien que toi, tu as l'air d' être un pro... "

Je n' étais pas douée avec les fleurs et les plantes. Pour ma part j' étais davantage douée pour ramasser les coquillages et errer dans les profondeurs en quête de trésors perdus. Les seules plantes que je voyais étaient les algues et parfois un peu de corail. Et il fallait avouer qu' une couronne d' algues ça aurait moins de gueule que la couronne de fleurs qu' Alix avait fait.

" Alors je fais comment? "

Je disposais des fleurs devant moi prête à suivre mon premier cours en matière de tressage floral. Quiquonque serait passé à ce moment là aurait vu une blond et une brune assis devant une tombe en train de tripoter des fleurs. Ca aurait pu paraître tordu comme situation et heureusement que mes parents n' étaient pas dans le coin. Mais personnellement, je trouvais ce moment presque reposant. On était là tout les trois, car je considérais Ailee avec nous. Ca me paraissait tellement naturel et facile. Ca faisait du bien en ce jour de deuil particulier. Et j' éprouvais une certaine gratitude pour Alix d' avoir réussi cet exploit.

" Merci. "

Je le remerciais pour Ailee mais aussi un peu pour moi. Avec ce que j' avais fait à l' adolescence, je ne méritais pas sa gentillesse. Alors il méritait bien un merci, ce n' était clairement pas grand chose.

Je fis une gymnastique des doigts comme pour me préparer à une compétition sportive. Même si il était clair que je ne me serais pas risquée dans une course au nattage. Alix aurait gagné d' office. Et c' était la version polie. La vraie version c'est qu' il m' aurait rétamée direct en moins d' une minute et sans problème. Mais j' étais prête à savoir comment il arrivait à faire ses merveilles qu' il laissait toujours sur la tombe d' Ailee. Les couronnes de fleurs c'était si beau et si pur. C' était fascinant de s' imaginer qu' à l' origine ce n' était que des fleurs et que la seule chose qu' on y ajoutait, c' était la maitrise dans l' art du nattage.

" Allons y alors. Que le cours commence M. le Professeur. "

Son comparatif avec la nage me fit rire. Il était vrai que dans l'eau, j' aurais gagné de suite et sans aucune difficulté. Mais avec une nageoire, je trichais un peu. C' est comme si j' étais équipée en matériel sportif performant que Alix n' aurait eu qu' un simple caleçon de bain. Ce n' était pas difficile de gagner comme ça. Mais il était vrai que dit comme ça, on comprenait mieux pourquoi il était si doué avec les fleurs.

" J' avoue que si on faisait la course, j' aurais le temps de faire la moitié de l' Irlande que n' aurais pas fini le tour de Bray... "

Je l' écoutais m' expliquer tout en le regardant faire. Pour lui c' était si simple et naturel. Il avait cette rapidité et dextérité dans ses gestes que je n' aurais jamais, il fallait être réaliste. Mais chez Alix, ses gestes étaient presque comme un ballet. J' aurais pu le regarder faire sans me lasser pendant des heures. Mais maintenant, ça allait être à mon tour de tenter. Je récupérais le début de natte que me tendait Alix. Je fis un sourire désolé pour m' excuser d' avance du potentiel massacre de sa natte si je prenais la relève. Je m' efforçais tant bien que mal de me concentrer sur ce que venait de me dire Alix pour faire un nattage acceptable, à défaut de correct. A le regarder faire, je n' avais pas le talent naturel de la fée et j' avais la sensation d' être plus une gamine apprenant à enfiler des perles qu' autre chose. Mais c' était reposant de se concentrer sur ses fleurs. Si calme et on oubliait tout. Les fées étaient souvent associés à des hippies mais il n' y avait pas de mal avec les hippies. Leur monde était tellement simple et harmonieux. Ca changeait clairement du mien.
A sa question, j' haussais les épaules et pris le temps de me remémorer avant de répondre.

" Au moins deux fois par semaines. "

Mais ce n' était pas assez à mes yeux. Si il n'y avait eu que moi, je vivrais ici pour toujours rester avec Ailee. Je savais que ce n' étais pas sain de vivre avec des fantômes. Et c'est pour ça que je m' efforçais à ne pas trop céder à mes envies de venir ici. Mais une fois sur place, je me sentais toujours coupable envers Ailee de ne pas être venue plus tôt. J' avais toujours l' impression de l' abandonner quand je repartais. Aussi je prenais toujours soin d' éviter de compter mes passages ou de les dater. Le faire m' aurait rappelé que ça n' était jamais assez.

Visiblement, Alix n' était pas prêt à mettre les pieds dans l'eau de si tôt. Exception faite de sa salle de bain, bien sûr.

" Tu sais que l'eau n'est pas dangereuse. Le risque peut venir de ceux dedans mais l'eau est un élément si libérateur... "

Enfin je me doutais que ça ne serait pas forcément vendeur dis comme ça mais les êtres de l' air et les êtres de l'eau, ça avait toujours été une relation bizarre. Malgré tout la sirène en moi avait parfois du mal à comprendre l' appréhension qu' on pouvait avoir avec l'eau. Pour moi, l' eau était un refuge, un lieu magique, plein de trésors cachés et offrant une immense liberté. Mais j' étais une sirène. Pour Alix, c' était l' air qui devait lui faire cet effet. On ne pourrait jamais vraiment changer cet aspect là de la situation. On était deux races différentes, issues de deux éléments différents. On aurait beau expliquer ce que notre élément respectif nous fait ressentir, on ne pourrait jamais totalement le comprendre et ceux malgré toute notre bonne volonté. C' était dommage. Parfois, par curiosité, je me demandais quel effet ferait le fait de voler comme une fée. On ne saurait jamais...
J' écoutais Alix m' expliquer qu' il essayait de venir le plus possible. Mais quand il évoqua mon père, j' eus un petit rire. Nerveux, un brin moqueur aussi. Mon père faisait cet effet là à beaucoup. Quasi tout le monde en fait. Même au sein de sa propre famille.

" L' intimidation est l' une des grandes passions de mon père. Avec la domination parentale, l' argent, la promotion de la suprématie aquatique, l' organisation de mariages arrangés, le contrôle sur tout, les costards hors de prix mais qui lui vont pas... C'est un homme aux multiples hobbies très sains. "

Le tout était évidemment dit sur un ton sarcastique. J' avais bien conscience qu' aux yeux de beaucoup mon père était un taré. Très riche mais taré. Ce qui n' était pas faux. Mais j' avais aussi découvert qu' aucun riche n' était fou. Quand on avait de l' argent, autant d' argent que ma famille, la folie on appelait de l' excentricité. Je me doutais bien que ça n' allais sans doute pas rassurer Alix cependant.

" Viens avec moi. Je veux dire, à chaque fois que tu veux venir ici pour la voir, dis le moi on viendra ensemble. Ca me sera peut être moins dur à gérer et toi tu auras un bouclier pour si mon père venait à être là. Je le laisserais pas t' approcher, t ' inquiètes. "

Je ne laisserais jamais personne s'en prendre à mes frères et soeurs. A ma famille. Et Alix était un peu de la famille. C' était un ami et il avait aimé Ailee. Je ne savais pas si son béguin pour Ailee avait été réciproque mais je savais par contre qu'elle l' aimait bien. Elle n' aurait certainement pas voulu que notre père s'en prenne un lui juste parce qu' il voulait lui rendre hommage. Et puis ça serait un peu un moyen de faire amende honorable pour mon comportement du lycée. Je n' étais pas certaine qu' Alix accepte l' offre mais au moins il saurait désormais qu' il avait une option pour venir ici sans trop flipper. Enfin moins que si il était venu seul. Parce que je le connaissais mon paternel. Il était capable de lancer des regards à faire des cauchemars.
Mais nous pouvions maintenant reprendre le tressage. Je n' étais pas douée, il fallait l' avouer. Je fus surprise quand il prit mes mains mais je le laissais les guider pour me montrer comme natter correctement. Heureusement qu' il venait de rattraper le tir si j' allais foirer la couronne qu' il avait si bien commencé. Je n' étais définitivement pas la reine des fleurs. Dans un sens tant mieux. Chaque race gardait comme ça ses petits secrets de fabrication. Alix me laissait les coquillages et coraux, je lui laissais les fleurs. Je fis une moue désolée pour m' excuser d' avoir failli mettre en l' air une si jolie couronne.

Il accepta mon offre et je sortis de ma poche une carte de visite. Je notais à l' arrière mon numéro de téléphone portable.

" Tiens. Ca c'est mon numéro de portable et ça, c'est le professionnel. Mon père n' a accès à aucun des deux. "

En le voyant regarder ma carte, je notais qu' il venais sans doute de découvrir mon métier d' organisatrice de mariages. Et vu qu' il connaissait un peu les us et coutumes de ma famille, je me doutais qu' il noterait l' ironie de ma profession. Je fis une moue de famille prise en faute.

" Oui c'est mon métier pour de vrai. Pas de blague sur l' ironie de la situation s' il te plait... "

j' avais dit ça sur un ton amical, plus comme pour esquiver une potentielle taquinerie, bien méritée pourtant.
Sa remarque sur mon père me fit sourire. Même sans qu' il soit présent, Alix semblait intimidé. C' était toujours amusant de voir à quel point mon père avait ce truc qui se dégageait de sa personne. Enfin amusant pour moi, évidemment.
Mais j' aquiessais d' un signe de tête en l' entendant m'expliquer sa difficulté à venir seul aussi souvenant. Ca me faisait la même chose. Alors qu' il était vrai que maintenant, tous les deux à lui tenir compagnie, ça semblait plus simple.

" Je comprends. Pour moi aussi c'est difficile parfois. Pas d' être seule à lui parler, ça c'est reposant. Mais lui parler et ne pas avoir de réponses. Ca me rappelle pourquoi je suis seule dans cet endroit. Et c'est encore plus dur après. C'est vrai que peut être que venir à deux... "

Que cela deviendrait moins douloureux à défaut d' être vraiment simple. Et puis Alix avait connu Ailee et l' avait aimé. Mais je n' avais pas cette relation que j' avais avec mes frères et soeurs. Je n' avais pas besoin de lui cacher quand ça allait mal. Je n' avais pas à être forte pour lui comme pour ma fratire. Ca rendait la relation plus saine. Avec Alix ça semblait plus facile. Et pourtant quand nous étions adolescents, rien n' indiquait qu' un jour, on en serait là. A être amis et à se confier sur des sujets aussi délicats que la perte d' un proche. Et pas n' importe quel proche. Ailee. Nous le monde était définitivement bien différent maintenant.

" Mais même une couronne c'est déjà bien. Ca montre que tu as pensé à elle et que tu es venue pour elle. Même quand c'est peu, c'est déjà beaucoup. D' autres qui étaient plus proches d'elle de son vivant ne sont jamais venus ici eux. Toi, si. "

Il n' avait pas idée de la portée et de l' importance de son acte. Il avait prouvé qu' il l' avait bien plus aimée que certains qui à l' époque se disaient être ses amis.