J’avais le sentiment que cela faisait une éternité que je n’avais plus pris un moment pour me ressourcer. Entre la paperasse et les recherches, je n’avais eu aucune minute pour moi, pour m’habituer à mon nouvel environnement et surtout, pour prendre mes marques. Mon côté primitif hurlait qu’il était temps de nous conquérir un territoire, de nous trouver un repaire ; un endroit où nous pourrions relâcher la tension de nos muscles, vagabonder à l’abri des regards et par-dessus tout embrasser la nature – l’essence même de notre existence. Lui gratifier notre reconnaissance et notre amour ; ne faire qu’un pendant ne serait-ce qu’un instant. Me sentir libre. Epanouie. Juste moi, sans artifice.
Plus facile à dire qu’à faire. Pour la énième fois, je bousculais un individu qui passait dans le coin et me gratifiait d’un joli sobriquet pour mon imprudence. Je ne pipais mot même si l’envie de lui rentrer dans le lard me démangeait au plus au point. Je savais reconnaitre mes erreurs et prendre sur moi lorsque la situation l’exigeait. Je m’améliorais de jour en jour à ce petit jeu bien que je ne me fisse aucune illusion sur ma nature rebelle qui finirait par surgir à un moment ou à un autre. Je réprimais mon impulsivité, la repoussais au fin fonds de mon être et tentais de détendre ma nuque raide. Ce n’était clairement pas le moment de me faire des ennemis à peine arrivée en ville. J’aurais tout le loisir de hurler ma frustration lorsque j’aurais réussi à me dégoter un refuge.
Le vent marin caressa une nouvelle fois mon corps ; soulevant pendant quelques instants ma tignasse brune et ma robe printanière suffisamment longue pour ne pas trop en dévoiler. J’en appréciais le contact, me délectais de sa fraicheur sous ce soleil éclatant et en humais l’air maritime. Face à moi, le port de Bray se dessinait dans toute sa splendeur. Je me faufilais à travers la foule m’émerveillant devant les innombrables yachts et leurs équipages animés. Mes voyages m’ont conduit à user de nombreux moyens de locomotions distincts, mais je n’ai jamais eu l’occasion de voguer sur l’eau. Quelles sensations me parcourraient ? Serais-je tributaire de ce fameux mal de mer ? Je laissais mon regard divaguer sur l’horizon – devant cette majestueuse étendue bleuâtre ; parfait reflet de ce ciel dégagé.
De nombreux stands avaient élu domicile par-ci par-là ravissant les touristes en découverte. Deux jeunes s’amusaient à essayer diverses lunettes de soleil ; la suivante toujours plus loufoque que la précédente ; leur procurant crescendo un air absurde. Une petite fille tentait d’attendrir son père pour obtenir son dessert préféré, une moue exagérée sur le visage en atout majeur. Je ne pus m’empêcher de sourire devant toute cette agitation. Même si cette effervescence n’était guère comparable aux rues parisiennes, je la trouvais d’une certaine manière réconfortante. Je m’arrêtais devant le glacier et scrutais les différentes saveurs proposées. Céderais-je à la tentation ?
- Puis-je vous aider ma p’tite dame ? M’interpella le vendeur d’un accent très prononcé.
Je plissais légèrement les yeux ; agacée par ce titre incommodant. Il devait probablement le sortir à tout bout de champ, soupoudré d’un sourire engageant. De la poudre aux yeux. Je ne suis la p’tite dame de personne, aurais-je voulu rétorquer, mais m’abstenais finalement de tout commentaire ; me contentant de lui répondre par un hochement de tête affirmatif. Vous voyez, je m’améliore considérablement.
- Je vais prendre une boule de citron et… Je balayais rapidement la collection d’un coup d’œil. Celle-ci au yaourt, terminais-je en visant ladite glace du doigt.
Ah la gourmandise ! Difficile de lui résister lorsqu’elle pointe le bout de son nez. Je réglais rapidement ma dette et reprenais mon chemin parmi la foule grouillante. La saveur délicate du yaourt me raviva les papilles. Un délice. Si j’étais seule, je n’aurais pas hésité à me lécher les babines et laisser les vibrations d’un ronron submerger mon poitrail. Je m’apprêtais à apprécier une nouvelle bouchée lorsqu’une violente bousculade me prit de court – mon festin finissant sa course dans mon décolleté. Putain ! Je me retournais, prête à en découdre ; mais l’individu était déjà parti loin, poursuivi par un autre énergumène. Je bouillonnais tellement intérieurement que je ne pus réprimer mon pétage de plomb ; ô diable les bonnes résolutions, j’étais en rogne.
- Hé ! Beuglais-je. Court autant que tu peux, si je te chope, je te pendrais par les c….
Je ne terminais pas ma phrase constatant que j’étais subitement devenue le centre d’attention. En soi, j’étais habituée à sortir du lot, mais là, c’était le regard éberlué de la petite fille avec son père qui m’avait coupé dans mon élan. Moment de gênance, bonjour !
- Quoi ? Vous voulez ma photo peut-être ? Cinglais-je en fusillant le public de mon regard le plus noir.
D’un mouvement synchronisé, tout le monde reprit sa route ; sans plus de considération pour ma petite personne. Quel Sketch ! Je poussais un long soupire, las, avant de m’installer sur le banc le plus proche. Je contemplais le désastre, impuissante. L’échancrure du haut de ma robe avait tout pris et je pouvais encore sentir une partie de la glace glisser le long de mon torse. Je grimaçais en essayant tant bien que mal de me débarrasser de ce désagrément et en y perdant, si possible, le moins de dignité.
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