You can set yourself on fire but you’re never gonna learn feat. Wyatt

La maison était étrangement calme aujourd’hui. Pour avoir passer beaucoup de temps ici depuis le début de ma cécité, j’avais appris à reconnaître chaque son et à faire la différence quand toute la fratrie était là et quand tout le monde était de sortie. Et non, je n’avais jamais réalisé avant à quel point cet endroit pouvait être calme. Parce que je passais mes journées à l’université, je rentrais le soir en même temps que mes frères et soeurs jusqu’au matin suivant. A présent tout était différent, je n’étais pas enchaînée à cette maison, mais j’y passais beaucoup plus de temps. Je me levais tôt le matin pour aller faire ma chronique à la radio, puis je rentrais ici.

Au début, cette situation m’agaçait, je ne supportais pas le silence, qui s’était fait d’autant plus pesant cette année. Je pense que ce n’était pas tant l’absence d’animation qui me dérangeait, c’était de songer que tout le monde menait sa vie, était libre de sortir quand il le voulait, quand, moi, j’étais dépendante d’eux pour tout ou presque. Aujourd’hui j’avais appris à m’accepter, à vivre avec mon handicap, être patiente envers moi-même et apprécier le calme autant que la tempête. Ce serait bête de ne pas profiter alors que le printemps pointait enfin le bout de son nez en Irlande et que les premiers rayons du soleil se faisaient sentir. Je ne pouvais pas voir le ciel bleu, mais je pouvais sentir la chaleur et les rayons sur ma peau.

Assise sur une chaise de la terrasse, je buvais une tisane, profitant de la météo et m’efforçant de ne pas songer aux raisons pour lesquelles la maison dans mon dos était terriblement calme depuis quelque temps. Orphée était couché à mes pieds, je savais que s’il se reposait, il ne dormait pas ou tout du moins, il serait prêt à bondir sur ses pattes dès que je me lèverai de mon siège. Je n’avais plus vraiment besoin qu’on me guide quand j’étais à la maison, je connaissais l’endroit par cœur. Tant que chaque chose était à sa place, à priori, je n’avais pas de mal à suivre mes habitudes.

Je crois que je pourrais passer des heures ici à me perdre dans mes pensées, si ces dernières ne me portait pas dans des souvenirs auxquels je ne préférai pas penser pour le moment. Heureusement, il était assez rare que je reste longtemps sans qu’on ne finisse pas venir me déranger. Dans ce cas, j’entendis des pas venir en ma direction. Quelqu’un qui rentrait à la maison, il n’y avait pas trop de doute possible. Et quand je vous dit que je connaissais cet endroit et ses sons par coeur, cela comprenait ses habitants :

- C’est à cette heure là qu’on rentre Mr. Kendrick-Smith ?

Je tournais la tête, dans la direction vers laquelle j’estimais mon frère être et lui adressais un sourire. Il n’était pas si tard, tout du moins, je pouvais sentir qu’il faisait encore jour. Ma phrase n’était qu’un prétexte pour attirer l’attention de Wyatt. J’avais l’impression que ça faisait bien trop longtemps que nous ne nous étions pas retrouver juste tous les deux. Ce qui se comprenait au vu des récents événements familiaux. Cependant, je soupçonnais Wyatt d’avoir évité ma compagnie aussi. Sans doute parce qu’il savait que je risquais de lui parler de Soren. Ou au moins de Soren. Je l’avais laissé tranquille jusque là, mais il savait que ça n’allait pas durer. Il était hors de question que je continue de regarder mes frères se repousser l’un l’autre de la sorte dans un moment où nous avions plus que tout besoin de rester solidaire et de se serrer les coudes.

- Asseyes-toi, j’imagine que si tu rentres c’est que tu n’as rien d’important à faire ou alors ça peut attendre.

D’un mouvement de la tête, je lui désignais la chaise libre à côté de la mienne. Toujours le sourire au lèvre, j’espérais vraiment qu'il ne trouve pas une excuse pour s’enfuir à nouveau. Je ne pouvais pas retenir Wyatt, mais je ne pouvais pas non plus le laisser continuer de s’enfermer. Après tout, s’il continuait de venir ici, c’est bien qu’il n’avait pas abandonné l’idée qu’il avait besoin de sa famille, autant qu’on… Que j’avais besoin de lui.

ça faisait maintenant quelques jours que Wyatt avait revu Sarah. Ou quelques semaines? Il ne saurait dire, le temps passait si vite alors que lui-même avait du mal à en suivre le cours. Il avait redoublé la consommation de poudre et se trouvait perdu au milieu de ce qui était réel et de ce qui ne l’était pas. Pourtant, il savait bien qu’il n’avait pas rêvé, que sa soeur n’avait pas trouvé le repos éternel comme il se soulageait à le penser pour éviter à sa culpabilité de ressurgir. Elle pouvait bien tenter de le rassurer en lui affirmant que les accidents arrivaient et que c’était ainsi, qu’elle ne lui en voulait pas, que ses émotions doublaient de volume. Comment avait-il pu enlever au monde une si belle personne et le laisser lui, largué, tenter d’y faire sens? Il avait une chance de vivre alors qu’il ne le méritait pas, en quoi était-ce juste? Et la faire errer ainsi, sans la possibilité de parler à qui que ce soit, sans que ses proches ne le sache? C’était une torture. Bien entendu, dans l’état dans lequel il était, il n’en avait parlé à personne. Sans doute la peur d’affronter les regards de ses proches qui ne le croieraient sans doute pas. Pire, qui s’énerveraient contre une blague aussi affreuse qu’insensible. Pourtant, il ne mentait pas, ça n’avait rien d’une blague. Mais que dire pour sa défense alors que la seule qui pouvait prouver la justesse de ses mots peinait à se montrer?

Ce jour-là, il faisait grand soleil. Lorsqu’il avait vu Sarah, il pleuvait des cordes, le contraste était bien présent. Wyatt avait fini le boulot plus tôt que d’habitude et il se soulageait à penser qu’il serait peut-être seul en rentrant à la maison. Même avec la mort de Leïla, qui les avait momentanément rapprochés, il ne se sentait toujours pas à l’aise à l’idée de croiser Jake ou Soren de peur d’avoir à affronter leurs regards accusateurs, notamment car il n’avait rien à dire pour sa défense. C’était sans compter sur Ely. Bien entendu qu’elle était là, où pouvait-elle être sinon? Il pria brièvement pour qu’elle ne l’entende pas mais s’il avait bien appris une chose, c’est que la perte de la vue n’avait en aucun cas perturbé ses autres sens, bien au contraire. Avec un soupir, il se tourna vers elle. “ Toujours là à ne rien faire hein? C’est pour ça qu’on te paye, Blackridge-Jones?” Avec Ely, on peut dire qu’il savait garder son sens de l’humour. Elle était l’une des seules qui le traitait encore comme avant, comme s’il n’avait pas foutu leur vie en l’air en tentant de s’immiscer dans une mission bien trop dangereuse pour lui. Avec un soupir, il s’affala sur le fauteuil à ses côtés, tirant un petit grognement ensommeillé à Orphée. Pour se faire pardonnrer, il lui offrit quelques caresses, le chien fermant de nouveau les yeux. “ J’aime mieux ça petite boule.” Pour le reste, il resta silencieux. L’apparition de sa soeur tournait encore et encore dans son esprit et pourtant, dès qu’il souhaitait en parler, les mots se bloquaient au fond de sa gorge.

Mais Wyatt savait que s’il y avait bien quelqu’un à qui il devait se confier, c’était Ely. Elle le faisait bien. Et c’était une oracle. Qui sait ce qu’elle pouvait accomplir en ayant connaissance de la réalité? Pouvait-elle “invoquer” Sarah? L’appeler? Il ne connaissait pas grand-chose à ce surnaturel là mais elle était liée aux esprits, non? Alors, avec une grande inspiration, il ouvrit la bouche. “Je dois te dire un truc. Mais tu dois me promettre que tu n’en parleras à personne tant que ce ne sera pas … Disons… Approuvé.” Sarah ne lui avait rien dit, il ne savait pas s’il devait en parler ou si elle attendait de pouvoir se montrer, mais c’était bien plus fort que lui. “ Est-ce que tu crois aux fantômes?” Une question basique mais tout ce qu’il pourrait dire reposait sur la réponse qu’elle allait lui donner. Si elle répondait par la négation, avait-il le droit, toutefois, de lui cacher ce qu’il savait? Le magicien avait déjà attendu trop longtemps. “ Tu te souviens de l’anniversaire de Sarah? Je ne suis pas venu avec vous au cimetière à cause de … Soren et Jake. Mais ça la jeune femme le savait déjà, pas la peine d’en rajouter. “ Bref. Je m’y suis rendu plus tard et … J’ai vu Sarah. Ce n’était pas seulement mon esprit, j’ai parlé avec elle, elle a suivi tout ce qu’il se passait dans la maison pendant tout ce temps et je… J’ai dû mal à faire sens à tout ça.” Si jamais Ely se demandait pourquoi il était encore plus distant qu’auparavant, voilà la réponse qu’elle pourrait trouver.

Le rythme de ses pas avaient décélérés, signe qu’il me portait attention, qu’il hésitait à s’arrêter. Maintenant que Wyatt savait que j’avais repéré sa présence, je savais qu’il n’allait pas m’ignorer. On restait frère et sœur malgré tout, le golden trio, même s’il avait pris un coup depuis le décès de Sarah. Je ne blâmais personne pour ce qu’il s’était passé. Bien sûr, je ne voulais pas perdre ma grande-soeur, mais je savais qu’il y avait certaines choses qu’on ne pouvait pas éviter. Le destin était cruel, mais essayer de l’empêcher causait parfois plus de dommages que l’inverse. Je n’avais pas eu de vision ce soir-là, mais une intuition, je savais que quelque chose de grave allait arriver. Bêtement, j’avais remis ça sur le dos de l’anxiété de la mission à venir. Si j’avais écouté mon instinct, peut-être que, malgré tout, j’aurais pu empêcher ce qui était arrivé. Malheureusement, comme je viens de le dire, il y a certains événements qu’on ne peut empêcher.

Je haussai les épaules d’un air indifférent à la réponse de mon frère. Il n’avait pas tort, je passais beaucoup de temps ici à ne rien faire. Enfin, dès qu’il faisait beau, ce qui ne représentait pas beaucoup de jours en Irlande, raison de plus pour en profiter un maximum. Après un temps pareil, j’étais certaine que demain il pleuvrait des cordes. Toujours le sourire au lèvre, je me permis de répondre à mon frère sur le même ton que celui qu’il avait employé :

- J’aimerai bien qu’on me paye pour te supporter.

Évidemment que je ne voyais pas mon frère comme un poids. Mais que ce serait une fratrie sans ses taquineries incessantes ? Je savais que je pouvais d’autant plus me le permettre avec Wyatt. Il ne le prendrait pas mal. Le seul que à qui j’adressais le moins de piques était sans doute Jake, parce qu’il risquait de le prendre mal. Quoique, à y réfléchir, je ne pense pas qu’il avait de quelconque traitement de faveur de ma part. Puis, si on partait sur l’impulsivité, Soren gagnait définitivement tous les prix. Mais apparemment, énerver Soren me dérangeait moins. Je savais qu’il se calmerai rapidement et oublierai facilement, quand Jake était capable de me faire la morale pendant plusieurs semaines.

A mon invitation, Wyatt se laissa tenter. J’entendis ses pas passer devant moi, réveillant Orphée au passage. Le chien ne réagit pas plus que ça, il avait l’habitude de la présence des membres de la famille. Puis c’était un chien-guide, il était habitué à la présence des gens en général. Je ne fis aucun commentaire. Je savais que si Wyatt était resté c’était pour une raison. Quand je vous dit que j’ai appris à écouter et être patiente ces dernières années. Après quelques secondes de silence, mon frère finit par se lancer. J’eus un petit hochement de tête pour répondre à sa demande de promesse. Est-ce qu’il avait vraiment besoin que je lui confirme à voix haute ? Wyatt savait que je mourrais avec ses secrets s’il me le demandait. Mais il semblait si peu sûr de lui que j’ajoutai :

- Bien sûr, tu peux compter sur moi.

S’il s'était agi de quelqu’un d’autre, j’aurais hésité avant de répondre et je n’aurais pas été aussi catégorique dans ma réponse, parce que tout dépendait du secret qu’on me demandait de garder. Si j’estimais que ce dernier était trop dangereux pour être gardé, alors j’irais en parler, mais pas à n’importe qui non plus. Cependant, comme je l’ai déjà dit auparavant, il s’agissait de Wyatt et pour mon frère j’étais prête à garder ma langue en toute circonstance. Je lui faisais confiance et c’était la meilleure façon de procéder pour que la réciproque reste vraie. J’étais déjà des plus rassurée qu’il continue de venir se confier à moi. Tout n’était définitivement pas perdu.

Maintenant que le contrat était passé, Wyatt se lança. Sa question je fis froncer légèrement les sourcils, perplexe. En temps normal, je lui aurais sûrement ris au nez, en lui demandant qu’est-ce qu’il avait encore comme idée saugrenue derrière la tête. Mais je sentais au ton de sa voix qu’il était des plus sérieux, ce n’était pas le moment de rigoler. Sans m’en rendre compte, un de mes doigts étaient venu caresser la cicatrice en forme de croix qui se trouvait sur la paume de ma main. Fantômes, esprits, visions, ils étaient liés. C’était sûrement pour cette raison que Wyatt avait choisi de m’en parler à moi et pas à quelqu’un d’autre.

- Pour être honnête, c’est une question complexe. Je sais que les esprits existent, que c’est certain d’entre eux qui nous envoient des visions. Mais des fantômes ? J’imagine que tu entends par là, des manifestations des esprits des défunts dans notre monde. Je n’ai jamais entendu parler d’une telle possibilité. Les esprits vivent dans un monde, une dimension qui leur est propre, il faudrait que… Mais continue, qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Depuis ma première vision, ou plus exactement depuis que je savais que j’étais une oracle, j’avais étudié mon sujet pour comprendre ce qui m’arrivait. Samantha m’avait aidé dans cette tâche. Et il était possible que j'ai essayé de contacter Gabriel, en vain. Je n’avais plus réessayer depuis de rentrer en contact avec des esprits. Pourtant, ce n’était pas comme si l’envie de parler à nouveau avec certaines personnes ne me manquait pas. Wyatt reprit son récit. Je hochai la tête sans l’interrompre. Oui, je me souvenais de l’anniversaire de Sarah, Wyatt n’était pas venu avec nous à cause de nos deux autres frères. Une période compliquée. A nouveau, j’eus un froncement de sourcils perplexe. C’était une révélation des plus étranges. Wyatt n’avait pas de lien avec l’esprits, il n’était pas un oracle, j’étais sûre de ce fait.

- Hm, c’est étrange. Est-ce que tu as… Pratiqué un rituel ou un sortilège pour la voir ou elle et juste apparu comme ça ?

Wyatt pratiquait la magie, et sans être autant une experte que lui dans le domaine, je me doutais bien qu’il puisse exister des sorts pour appeler les esprits de leur monde vers le nôtre. Je n’allais pas réprimander mon frère, bien que jouer avec ce genre de magie puisse être très dangereux, je comprenais que la tristesse nous menait à des actes désespérés. J’avais simplement besoin de savoir, pour comprendre.

- Et qu’est-ce qu’elle t’as dit ? Pardon, si tu ne veux pas me le dire, c’est ok, mais tu es sûr que c’était bien elle ? Au delà de son apparence.

Encore une fois, je ne connaissais pas de magie qui permettait de prendre l’apparence d’une autre personne, mais sait-on jamais. Certain esprits étaient capricieux, j’avais lu des récits sur des oracles qui se font manipuler en pensant que l’esprit qu’ils avaient contacté était un proche, alors que pas du tout. Il fallait être prudent face au surnaturel et rester vigilant.

Ely était l’une des seules personnes de la famille qui n’avait pas changé de comportement à son égard après la mort de Sarah. Même s’il ne le lui avait jamais vraiment dit, c’était quelque chose qui lui faisait beaucoup de bien, malgré le fait qu’il ne pense pas le mériter. Wyatt se mit à rire avant de s’asseoir. Elle était celle dont il était le plus proche, ça avait toujours été le cas. Enfin … Il y avait eu Soren aussi, mais le jeune homme doutait retrouver un jour la complicité qu’ils partageaient dans le temps. Il se souvenait de toutes ses soirées où ils étaient censés dormir qu’ils passaient à discuter ou à jouer à des jeux de société. Ils se disaient tout. Ely était sa confidente, sa meilleure alliée, sa soeur. Elle était tout à la fois et il ne voyait pas sa vie sans elle. Sa franchise et son franc-parler ne lui avait pas toujours fait plaisir, mais elle savait trouver les mots qu’il avait besoin d’entendre, à chaque fois. Et pour dire vrai, il ne pouvait pas vraiment se passer de son humour tranchant. “Malheureusement je ne pense pas que quiconque soit assez riche pour ça, je suis quand même un sacré spécimen, Hawk.” Ce surnom, il le lui avait attribué bien des années plus tôt, presque à l’époque de son arrivée dans la famille, lorsqu’ils avaient fait leur première convention de super-héros. La fascination qu’elle avait pour Hawkeye et le fait qu’elle aimait endosser son identité lors de ses cosplays n’y était pas étranger.

La demande du magicien n’était que formalité, il savait pertinemment qu’Ely n’irait jamais contre sa volonté et ne partageait jamais rien qui le concerne sans son accord. Ce fut la première qu’il mit au courant de sa bisexualité lorsqu’il comprit que ses attirances étaient multiples, et elle avait été d’un soutien sans faille. Nombreux étaient les secrets qui résidaient entre les deux. Ces derniers temps, il ne pouvait pas être totalement honnête avec elle, cela dit, surtout concernant sa magie. Toute la maison pensait qu’il avait définitivement mis ça derrière lui après la mort de Sarah et Wyatt savait pertinemment qu’elle n’en serait pas ravie, d’autant plus que ce qu’il visait maintenant n’était pas la plus sûre des sorcelleries. Sa seule crainte à ce sujet était qu’elle en ait une vision et que tout s’écroule. Parce que même elle ne pourrait pas le comprendre. C’était l’une des trop nombreuses raisons qui le faisaient prendre du recul sur sa propre famille.

Pourtant, Ely était la seule à qui il pouvait parler de Sarah, de ce qu’il avait expérimenté quelques jours plus tôt. Elle était la mieux placée pour comprendre et c’est pour cela qu’il prit la parole. Les mots trouvèrent difficilement leur chemin, comme s’il savait à quel point cela semblait ridicule. Parce que ça l’était. S’il n’était pas sûr de lui, il aurait sans doute gardé ce secret en silence, mais toute la poudre de fée du monde ne pouvait avoir trompé sa conscience à ce point. “ Il faudrait que …?” Quelque part, il espérait que sa soeur aurait une sorte d’explication au fait que Sarah soit encore présente. “ On a beaucoup parlé. Elle n’a jamais réussi à entrer en contact avec personne avant moi. Je ne sais pas pourquoi mais quelque chose s’est débloqué quand je me suis retrouvé devant sa tombe. J’ai failli partir en courant je te jure.” Un petit rire sortit de ses lèvres pour s’évanouir presque aussitôt. “ Elle m’a dit aussi qu’elle avait cherché papa et … Leïla. Sans succès.” Parler de la jumelle d’Anthony lui serra la gorge, sa mort encore trop récente pour qu’il ne montre pas sa peine lors de son évocation. Comme pour chasser cette image de son esprit, il secoua la tête. “ Après ça … Elle a tenté de me toucher mais elle m’a traversé c’était … Etrange. Froid.” Il se souvenait très nettement du frisson qui l’avait parcouru, de la déception qu’ils avait tous deux ressenti. C’était surtout le sentiment d’échec qui était dur à supporter.

Ely posa ensuite une question qui le sortit de son souvenir, presque à l’en faire paniquer. Savait-elle qu’il avait repris la magie? Et si oui, à quel degré? Il ne pouvait, à ce stade, que nier en bloc. “Non, non, tu sais bien que j’ai arrêté depuis … et bien, l’accident.” Wyatt était bien trop sur la défensive pour transpirer l’honnêteté, il s’en rendait compte. Il espérait juste que Ely ne poserait pas de questions. Ce qui était sans doute mal la connaître. Alors il tenta de noyer le poisson. “ Elle est apparue toute seule, apparemment elle essaie depuis sa mort mais n’a fait qu’échouer.” La question suivante était totalement compréhensible, logique. Il soupira. Sur le moment, il avait cru devenir fou, en avait fait une crise d’angoisse, avait pensé à un cauchemar, puis un rêve, puis un retour un peu trop méchant de la drogue qu’il ingérait bien trop régulièrement. Mais rien de tout ça ne collait avec ce qu’il avait vu et entendu. Il se passa une main sur le visage. “ Je lui ai posé tout un tas de questions pour savoir ce qu’elle avait vécu. Elle a tout vu, les disputes, les règlements de compte entre Soren, Jake et moi, la détresse de maman, la disparition des jumeaux … Elle était là pour tout Hawk.” Sa gorge se serra de nouveau rien qu’à l’idée de la douleur et de l’impuissance que sa soeur aînée avait dû ressentir face à leur détresse devant toutes les épreuves qui n’avaient cessé de pleuvoir sur les Jones. “ Mais il y a plus que ça. Comme le plus grand des océans. ” C’était là la phrase que Sarah utilisait toujours après un “je t’aime”. La phrase qui lui appartenait, celle que personne d’autres que seuls ses proches avaient entendu, cette phrase devenue une tradition dès qu’ils se quittaient le soir pour aller se coucher. Wyatt en était persuadé: personne n’aurait pu le savoir si ce n’était la famille et son fiancé. “ Elle était seule tout ce temps et on en avait aucune putain d’idée.” Toujours cette colère contre lui-même, destructrice. S’il l’avait pu, il aurait sans doute crié ou tapé dans un mur. Mais il fallait qu’il respire.

Le sourire au lèvres, j’étais rassurée par le comportement de mon frère. Malgré tout ce qui s’était passé, certaines choses ne changeront jamais et je crois qu’on avait besoin de ça. De quelques points de repère, comme la lumière des phares pour nous guider et nous empêcher de s’écraser contre les falaises. Cela pouvait sembler futile, mais après tout, ça ne nous coûtait rien, alors pourquoi ne pas le faire ? Puis c’était aussi simple qu’un trait d’humour ou un surnom. Cependant, ce n’était pas pour ça que Wyatt s’était installé à mes côtés. Peut-être que notre court échange avait aidé à le convaincre que c’était le bon moment pour discuter, mais il y avait clairement quelque chose qui le tracassait. Je n’avais pas besoin de voir le visage de mon frère pour sentir qu’il était préoccupé.

Je n’essayai pas de détourner les questions ou de comprendre l’intention de Wyatt avant qu’il ne l’évoque lui-même. Un rien pourrait le faire dévier de son idée initiale et le pousser à conclure que ce n’était pas le bon moment ou que je n’étais pas la bonne personne à qui parler. Or je ne voulais pas que ça arrive. J’avais besoin de mon frère, il avait besoin de moi, notre relation avait trop longtemps été mise de côté. Il était temps qu’on redevienne une véritable famille, plus soudés que jamais. Je ne lui demandais pas d’aller faire la paix avec Soren ou Jake, pas tout de suite, mais au moins de rester, de me parler, c’était une début. De quoi ? Aucune idée, mais c’était mieux que rien.

La conversation s’orienta sur les esprits, les fantômes. Je comprenais maintenant pourquoi mon frère était venu me trouver. S’il y avait bien une experte dans la famille en la matière, c’était moi. Enfin, ce qui se rapprochait le plus d’une experte. Parce que je n’avais jamais vu de fantôme, jamais autrement que dans des visions et encore. Je n’avais pas très envie de me lancer dans des détails techniques qui ressemblaient à une situation totalement farfelue, frôlant l’impossible, mais si Wyatt le demandait… Puis si j’avais bien appris une chose au cours de cette vie entourée de surnaturel, c’est que le terme “d’impossible” n’a pas vraiment de sens :

- Il faudrait que nos deux mondes soient connectés, comme une brèche, ou que sais-je encore. Je n’ai aucune idée comment ce serait possible. Puis il faudrait que les esprits veuillent rester sur terre. Je ne sais pas à quoi ressemble leur au-delà, mais de ce que j’en sais, ce n’est pas un endroit qu’on quitte sur un coup de tête.

Malheureusement cela ne devait pas aider beaucoup Wyatt à expliquer ce dont il avait été témoin. Il est vrai que la tristesse pouvait nous donner des hallucinations, qui n’aurait pas envie de revoir une dernière fois l’être cher perdu ? Mais je préférais entendre mon frère jusqu’au bout. Wyatt savait faire la différence entre le vrai et le faux, il avait dû pensé à cette possibilité, mais s’il venait m’en parler, c’est qu’il avait des doutes à ce sujet. Et à l’écouter, il est vrai que, si on peut douter de la véracité d’une apparition quand elle est en face de nous et nous parle, il est plus difficile de l’ignorer quand on la sent physiquement. C’est ce détail de son récit qui finit de me convaincre que ce spectre n’était pas une simple hallucination.

Mon cerveau chauffait, à essayer de comprendre ce qu’il s’était passé, à défaut d’avoir envie de penser à l’absence de Gabriel, de Sarah et de Leïla. Il fallait envisager toutes les possibilités. Je savais que Wyatt avait arrêté la magie, mais sait-on jamais, je n’allais pas le juger s’il l’avait fait, malgré les recommandations de notre mère. Après tout, est-ce que ce n’était pas la meilleure façon d’apprendre que de faire des erreurs ? Même si ces dernières ont parfois un coût élevé. La réponse de Wyatt ne se fit pas attendre. Il réagi si rapidement qu’il y avait de quoi douter de la véracité de ses propos. Je dû me retenir pour ne pas froncer les sourcils et trahir mon doute. J’espérais que s’il s’agissait bien là d’un mensonge, qu’au moins, Wyatt savait ce qu’il faisait. Définitivement, je n’aimais pas l’entendre me mentir, j’ouvris la bouche pour faire une réflexion à ce sujet, mais me fit immédiatement couper la parole.

La détresse de mon frère s’entendait dans le tremblement de sa voix. J’avais définitivement abandonné l’idée de lui reprocher son mensonge. J’aurais aimé pouvoir lui montrer mon soutien et trouver les bonnes paroles pour le rassurer. Mais pour moi aussi la disparition de Sarah, puis celle de Leïla, étaient difficiles à supporter.

- Wy’ je…

Ma phrase resta en suspens. Je ne savais pas quoi lui dire. Que j’étais là pour lui ? Que je le croyais mais que je n’avais aucune réponse à lui donner ? Techniquement, contacter un mort sans l’intervention de magie, ce n’était pas possible. Mais encore une fois, qu’est-ce qui était impossible dans ce monde ? Et je ne pouvais pas me laisser aller, pas quand Wyatt était dans cet état. Je pris une longue inspiration pour ranger toutes mes émotions au placard.

- Je te crois. Je ne sais pas comment c’est possible, mais je te crois. Et ne t’avise pas de me mentir non plus. Je ne trouve pas que ce soit une mauvaise chose que tu touches à nouveau à la magie.

Finalement, je n’avais pas pu laisser passer le sujet. J’étais assez sèche dans mes paroles, mais c’était aussi ma façon de bloquer le reste de mes sentiments, je ne pouvais pas me permettre de me laisser aller maintenant.

- Au contraire, on peut peut-être travailler ensemble…

Ce n’était peut-être pas une très bonne idée ce que j’allais proposer, mais pour Wyatt, pour Sarah, ça valait le coup d’essayer. L’ongle de mon majeur tapait distraitement sur la table, à un rythme régulier, signe que j’étais en train de réfléchir, d’organiser mes idées.

- Je ne sais pas si ça va fonctionner, mais après le décès de Gabriel, j’ai essayé de le contacter. J’avais trouvé un livre qui expliquait toute une suite d’étapes à suivre pour joindre un esprit en particulier. Normalement la procédure créer une connexion entre notre monde et celui des esprits, donc je ne sais pas si ça fonctionnerait pour un défunt qui est sur terre, mais ça vaudrait le coup d’essayer.

Il faut croire que mon échec de quelques années auparavant était encore bien ancré dans mon esprit pour que je veuilles autant retenter l’expérience et ne pas rester sur un échec. Pourtant, j’étais sûrement en train de me compliquer les choses pour rien :

- Ou alors, on retourne au cimetière et on voit ce qu’il se passe ? Désolé Wy’, je n’ai pas beaucoup mieux à t’offrir. En parallèle, il faudrait faire des recherches, peut-être qu’il existe des livres à ce sujet, je crois que tu es meilleur que moi dans ce domaine.

La magie n’était pas innée, elle s’apprenait, donc pour que Wyatt la pratique, il avait dû passer un certain temps le nez dans les bouquins. Et on ne va pas se le cacher, depuis que j’avais perdu la vue, mon champ de recherches se réduisait de beaucoup.

- Tu comptes en parler au reste de la famille ?

C’était bien beau de vouloir faire des recherches, d’essayer de contacter Sarah à nouveau, mais là était la grande question. Est-ce que Wyatt avait l’intention de dire au restant des Jones qu’il avait vu le fantôme de notre soeur, errer au cimetière. J’étais presque sûre de connaître la réponse à ma question. Mais ça ne coûtait rien de demander.

La réponse d’Ely laissa un moment Wyatt dans un silence songeur. Si la magie, à première vue, pouvait être liée aux esprits, il savait que la nature d’oracle de sa soeur l’était encore plus et que s’il y avait quelque chose sur laquelle il pouvait lui faire confiance, c’était bien les réponses qu’elle pourrait lui donner. Il n’attendait pas d’elle qu’elle les ait toutes en sa possession, peut-être que personne dans cette ville ou même ailleurs ne les avait, il n’en savait rien, mais au moins permettait-elle de mettre la lumière sur certains aspects que lui ne voyaient que trop mal. Il était aussi bien plus simple de tendre la main à Ely de cette façon. Lui faire comprendre qu’il avait besoin d’aide et qu’elle était son seul espoir, dresser un pont discret pour restaurer le lien qu’il avait tout fait pour briser, ne s’en sentant pas digne. Le magicien avait un long chemin à parcourir avant de pouvoir faire de même avec le reste de la famille, mais il le voulait. Sarah le voulait. S’il avait provoqué sa mort, il souhaitait plus que tout se racheter, et la faire souffrir à voir les siens se déchirer n’était pas la bonne façon de faire. Maintenant qu’il savait qu’elle pouvait être là à tout instant, il se devait de l’honorer autant que possible.

Il n’abandonnait pas son combat ni ses recherches, bien entendu. C’était même devenu plus pressant que jamais maintenant qu’il connaissait l’existence des fantômes et qu’il avait pris conscience de l’année d’errance de sa soeur aînée. Mais il pouvait bien mener plusieurs batailles en une seule pour ne pas définitivement perdre ce qui lui restait de famille. Il savait que c’était jouer gros, risqué, et qu’ils ne le regarderaient jamais plus comme avant si toutes ses actions venaient à se savoir. Il suffisait d’une vision d’Ely pour tout faire foirer, pour le montrer comme un monstre sans comprendre ce qu’il recherchait. Un frisson le parcourut. L’appréhension, peut-être. Ce n’était pas le moment pour ça, si tant est qu’il y en ait un. “ Je ne pense pas qu’elle ait eu un endroit à quitter. De ce qu’elle m’a dit, elle est réapparue très peu de temps après sa mort. Je ne sais pas si elle parlait de minutes ou d’heures, mais entre les deux, elle ne se souvient de rien. Elle parlerait mieux que moi à ce sujet mais je ne pense pas que son but était de se condamner à une existence de solitude et d’errance.” Mais la magie avait toujours été plus complexe que cela. Elle ne l’avait peut-être pas voulu mais inconsciemment, il y avait la possibilité qu’elle n’ait pas su se convaincre de lâcher prise. Ce n’était que suppositions que Wyatt ne prit même pas la peine de retranscrire à l’oral. ça ne se basait sur rien de concret, juste des hypothèses. Mais comment faire autrement alors que c’était la première fois qu’il se trouvait face à une nouvelle sorte de surnaturel? On ne les avait pas préparés à cette éventualité. Toute leur vie avait tourné autour de ce sujet pourtant, comment faire autrement alors qu’ils l’étaient tous - ou presque? Et s’ils connaissaient plus ou moins bien toutes les espèces vivantes, voilà qu’on bouleversait son monde en lui imposant une nouvelle donnée bien peu réjouissante. Et s’il n’y avait pas de réelle vie après la mort? Et si c’était tout ce qu’ils pouvaient espérer?

Wyatt soupira, se passant de nouveau les mains sur le visage, comme si cet acte pouvait donner sens à tout ce dont ils parlaient. Il aurait dû se douter que sa réaction était bien trop contradictoire avec ce qu’il essayait de lui faire croire. Il y avait peu de chances que sa soeur puisse sentir la différence de magie qu’il utilisait, pas sans en voir réellement un exemple, mais elle pouvait bien sentir qu’il ne s’en était pas totalement défait. La magie, comme tout le reste, était une drogue dont il n’arrivait pas à se passer. Il faut bien plus qu’une interdiction pour empêcher un addict de récupérer ses doses et le magicien en était conscient. Autant en faire quelque chose alors et ne pas s’en servir pour atteindre ce qui était vraiment important était gâcher une trop longue éducation. “ … Je suis désolé.” Désolé de lui mentir ou peut-être de ne pas lui dire toute la vérité? C’était bien difficile à savoir à l’heure actuelle. “ Jake ne serait certainement pas du même avis que toi hein.” Il voyait la colère froide de son frère presque aussi distinctement que celle explosive de Soren. S’il voulait un jour réussir à renouer leurs liens, il fallait que ça reste entre Ely et lui, il n’y avait aucun autre choix.

Intrigué par les réflexions soudaines de l’oracle, Wyatt tourna son regard vers elle, les sourcils froncés. Il n’avait aucune idée du fait que sa soeur ait tenté de contacter leur père. Décidément, les secrets courraient un peu trop chez les Jones. “ Pourquoi tu ne m’en as pas parlé à l’époque?” Ce n’était pas vraiment un reproche mais une vraie curiosité. Les livres de magie étaient pourtant son domaine plus que celui de sa soeur, s’il y avait bien quelque chose qu’il maîtrisait c’était les incantations … Enfin presque. Et sans le savoir, Ely avait tapé dans le mille, ou pas loin en tout cas. C’était exactement ce qu’il tentait de faire. Différemment, avec un accent plus réel et bien plus dangereux incluant de la poudre de fée, mais on se rapprochait de ses propres plans. S’il pouvait avancer sur ses sorts en travaillant avec sa soeur, il ferait d’une pierre deux coups sans que personne ne se doute de rien. C’était l’occasion parfaite offerte sur un plateau. “ tu l’as toujours ce livre? Maintenant que tes pouvoirs d’oracle se développent, peut-être que tu pourras plus facilement l’”invoquer”, si on peut appeler ça comme ça. Je ne pense pas que retourner au cimetière serait d’une grande utilité … Si j’étais Sarah, ce n’est pas vraiment là que je passerais mes journées hein. Elle est peut-être retournée voir Anthony.” Là il ne parlait pas de son frère toujours disparu mais du fiancé de Sarah, seul depuis sa mort.

Wyatt eut un petit rire sec face à la question de sa soeur. “ Yep, je pense que ça passera bien autour de la table ce soir. Le camé alcoolique de la famille qui a vu le fantôme de la soeur qu’il a tué. Ils ont pas ta compréhension, si elle arrive pas à réapparaître je vais juste faire du mal à maman, c’est tout ce que ça fera.” Si sa famille ignorait tout de la poudre de fées, il en était autre chose pour les bouteilles d’alcool cachées dans sa chambre et les sept joints qu’il se fumait par jour. “ Je la laisserais faire pour ça, je pense que c’est le mieux.”

Les paroles de Wyatt me laissaient songeuse. Evidemment, personne n’avait consciemment envie de devenir un fantôme et de devoir errer éternellement sur terre en quête d’attention et voir ses proches faire des erreurs sans jamais pouvoir intervenir. Donc c’était plausible que Sarah ne comprenne pas pourquoi elle était revenue. Mais il devait y avoir quelque chose. Les défunts ne quittaient pas le monde des esprits par hasard ni sur un coup de tête. Une personne insensée pourrait proposer de s’essayer à la projection astrale, séparer son corps et son esprit pour essayer de comprendre ce qu’il se passait dans le monde de ces derniers. Cependant, c’était sûrement un exercice des plus dangereux. Je n’en avais lu que quelques lignes en passant, sans jamais chercher à ma renseigner à ce sujet. Mais s’il était si peu développé dans les ouvrages, c’était sans doute pour une raison.

J’essayai de mobiliser tous mes neurones pour comprendre la situation, pour faire le lien entre l’expérience de Wyatt avec Sarah et la mienne avec les esprits en général. Malheureusement, j’ai bien peur s’en savoir assez peu à ce sujet. Après, je savais que je pouvais faire confiance à mon instinct, mais dans l’immédiat, à part me conseiller de croire mon frère, mon instinct ne me soufflait pas grand chose.

- Elle a dû pénétrer dans le monde des esprits rapidement et être renvoyée ici, mais pourquoi, comment ? J’ai du mal à comprendre comment c’est possible. A part la théorie de la brèche, mais comment une telle chose a pu arriver, et pourquoi maintenant ?

C’était plus des questions que je m’adressais à moi-même plutôt qu’à mon frère. En dehors de mener plus ample recherche, je n’avais pas beaucoup à proposer à Wyatt, malheureusement. C’était terrible de se sentir soudainement si inutile. Mais non, je n’étais pas inutile, je faisais de mon mieux, personne n’avait la science infuse, j’étais oracle depuis quelques années à présent, mais il y avait tant à apprendre, je ne pouvais pas tout savoir. Par contre, je savais quand mon frère me mentait ou essayait de le faire et je n’aimais pas ça. Ecoutez, si je ne pouvais plus faire confiance à ma famille, alors qui ? Je haussai les épaules à la mention de notre aîné :

- Jake est un lourdeau qui ne comprend pas grand chose à la magie. Dans son esprit on est encore les mêmes gosses turbulents qu’à notre arrivée ici.

Est-ce que ça se sentait que j’avais un peu de rancoeur envers mon grand-frère en ce moment ? Je lâchai un soupire et enchaînai :

- Désolé, j’aime beaucoup Jake, mais il est tout le temps sur mon dos, et j’en ai un peu marre. Et c’est pire depuis qu’on est de moins en moins à la maison. Mais bref, si t’as besoin d’un soutien face à lui, je serais volontiers de ton côté.

J’adressai un sourire malicieux à Wyatt. Est-ce qu’il y avait vraiment besoin de préciser que je serais toujours de son côté ? On avait passé tellement de temps à jouer des tour aux autres membres de notre fratrie avec Soren, peut-être que Jake avait raison dans le fond, nous étions tous les mêmes gosses turbulents. Pour le moment Wyatt pouvait donc s’estimer pardonné. Je savais qu’il faisait des efforts pour revenir vers la famille, je n’allais pas lui mettre la pression, pas tout de suite.

En attendant, nous n’en avions pas fini avec cette histoire d’apparition et j’avais eu le temps de réfléchir un peu plus à ce que nous pourrions faire. Ce n’était pas la meilleure des solutions, mais ça ne nous coûtait rien d’essayer. En m’expliquant à Wyatt, je n’avais pas réalisé que je ne lui avais jamais parlé de mes essais pour contacter Gabriel. Je savais que Wyatt n’allait pas me juger, qu’il voulait simplement savoir, mais immédiatement, je me mis sur la défensive pour répondre :

- Sans doute la même raison pour laquelle tu es parti après Sarah.

La culpabilité, le besoin de se savoir pardonné, que ce n’était pas de ma faute malgré tout. Je crois que Wyatt pouvait comprendre facilement qu’on se sente désemparé dans ce genre de moment et qu’on préfère tout garder pour soi plutôt que d’aller embêter les autres avec nos sentiments. Tout ça pour qu’ils se contentent de nous dire “mais non, ce n’est pas de ta faute”, alors qu’on sait parfaitement que oui. Bref, en plus de tout ça, j’étais jeune, je venais de me découvrir oracle, cela faisait beaucoup à gérer et je ne voulais pas de la pitié de qui que ce soit, je voulais m’en sortir toute seule.

Je hochai la tête pour répondre à Wyatt. Oui, j’avais toujours le livre, quelque part, dans ma bibliothèque. Je n’avais jamais pris la peine de le cacher ou quoique ce soit, je savais que personne ne me poserai de question dessus. Il s’agissait d’un vieux livre qui me servait à mes recherches, c’était même Samantha qui me l’avait trouvé. Elle devait savoir ce qu’il contenait, peut-être qu’elle me l’avait donné exprès pour que je fasse mes propres erreurs. Qui sait. Le fait est que j’avais toujours ce livre, mais est-ce qu’il serait suffisant pour ce qu’on tâchait d’accomplir ?

- Tu as sûrement raison, elle pourrait être n’importe où. Je me vois mal aller voir Anthony pour lui demander, donc autant rester ici. Mais encore une fois, je ne suis pas sûre que ça fonctionne.

Je préférai qu’on soit bien d’accord sur ce dernier point, que Wyatt ne se fasse pas trop de films. Je savais que j’avais gagné en connaissance depuis ma première tentative, mais cette situation était encore différente.

- Ce ne sont pas les derniers des imbéciles non plus. C’est ta famille aussi Wyatt, si tu ne peux pas leur faire confiance, ils vont avoir du mal à te faire confiance aussi. Mais tu as quand même raison, il vaut mieux laisser ce choix à Sarah.

Je ne voulais pas faire de mal à maman non plus. Pas après tout ce qu’il s’était passé récemment, même si de tous les membres de notre famille, elle serait sans doute la plus à même de comprendre. Puis annoncer ça en plein repas de famille, c’était un peu ridicule quand on pensait que, je savais déjà, maman comprendrai, les jumeaux étaient absents, ce qui nous laissait avec Jake et Soren qui, eux, remettraient sûrement la parole de Wyatt en doute et le repas se finirai sûrement en engueulade. Il valait mieux que Sarah choisisse son moment. Elle au moins saurait apaiser les tensions et personne ne s’en prendrait à Wyatt.

La brèche. Un événement bien particulier qui résonnera longtemps après que les magiciens vivants ne soient devenus poussière. A l’heure actuelle, personne n’avait les clés nécessaires pour pouvoir juger des conséquences d’un tel bouleversement sur le monde connu et ce simple fait faisait naître en Wyatt une angoisse qu’il avait beaucoup de mal à réprimer. Il était loin d’avoir les compétences et les connaissances nécessaires pour comprendre réellement les faits et la documentation manquait cruellement à ce sujet, peut-être parce que le combat ne s’était terminé que depuis une poignée d’années ou parce qu’aucun humain n’y comprenait quelque chose. On ne pouvait donc que supposer qu’elle avait eu un effet certain sur les âmes errantes du monde des esprits, sans en être sûr. La coïncidence serait pourtant bien trop étrange: les magiciens tiraient, auparavant, leurs pouvoirs des djinns qui n’étaient, en tout et pour tout, que des esprits bien plus puissants que les morts qui les avaient rejoints par la suite. Sans eux, il n’y avait pas de magie, pas de sorts et les pentacles n’en demeuraient que des dessins faits avec application sur le sol. Pourtant, un déclic avait eu lieu, une libération qui avait permis à tous les pratiquants de se sentir libres. Avec la disparition de ces êtres surpuissants, les vents avaient changé. Même Wyatt, à son niveau, l’avait ressenti. Mais c’était tout, il n’en savait pas plus et c’était bien trop lui demander que de deviner exactement les répercussions d’un tel changement. C’était une éventualité mais il ne pourrait le prouver ou l’infirmer que le jour où il aurait récolté le témoignage de fantômes bien plus anciens. Malheureusement, il n’en avait pas sous la main. “ La disparition des djinns a changé plus de choses que ce que l’on aurait pu penser.” La destruction d’une espèce entière, aussi bénéfique que ce soit pour le monde et l’humanité, se devait d’avoir des conséquences. Pourtant, c’est tout ce que le brun pouvait en dire sans risquer de sortir de fausses informations. “ Mais je n’en sais pas plus et elle non plus … Je ne sais pas si quelqu’un est au courant, en réalité, si ce n’était pas nouveau, on aurait croisé des fantômes bien avant, non? Et ce n’est pas comme si le surnaturel venait avec un manuel d’instruction.” Ce n’était pas entièrement vrai compte tenu de la quantité d’ouvrages consultables lorsque l’on savait où les chercher, aussi, le jeune homme se reprit. “ Enfin … Tu m’as compris. Ce que l’on connaît, la réalité des choses… ça a toujours été là. On parle de quelque chose de nouveau, pas de quelque chose que l’on avait jamais vu mais présent, je veux dire, mais d’un phénomène inédit.” Il y avait de quoi ne pas être rassuré, c’était bien loin de la zone de confort de n’importe qui.

De lassitude, Wyatt ferma les yeux, gardant pour lui un soupir pour ne pas qu’Ely pense qu’il lui était adressé. Il y avait bien trop de nouvelles données pour qu’il s’applique à mentir correctement et perturbé comme il l’était, la vérité - ou du moins une partie - s’échappa de ses lèvres. Il avait beau lui cacher certaines choses, la réaction qu’elle eut vis-à-vis de sa magie le rassura un peu, lui arrachant même un petit sourire face à la pique lancée à leur grand frère. Il ne pouvait vraiment savoir ce que ça faisait d’être couvé jusqu’à l’étouffement par Jake et ce n’était pas quelque chose qu’il lui enviait, loin de là. Il comprenait le métamorphe, cependant. Comme le magicien, il avait perdu bien trop de proches ces dernières années pour ne pas en ressortir entièrement détruit. Sarah avait été la pire, sans aucun doute, étant donné la relation qu’ils entretenaient, puis il y avait eu l’enlèvement et la mort de Leïla. C’en était bien trop pour lui, qui avait ce besoin d’agir comme un protecteur auprès des siens. Ely était toute désignée, pour ça, vue comme la plus faible avec sa cécité récente, bien qu’elle n’en soit rien. Probablement qu’il tentait de se protéger autant qu’il le pouvait d’un nouveau drame. C’est pour cela qu’apprendre que Wyatt avait repris la magie et pire encore, que Ely y participait, même de loin, le validait, pourrait le mettre en rogne, empirer une relation qui était déjà au point critique. “ Il faudrait lui trouver une copine, vraiment. Ou un copain. Au moins il te lâcherait la grappe.” Une blague distraite, visant à détendre l’atmosphère. Ce n’était pas comme si aucun d’entre eux n’avait réellement la tête aux rencards. La déclaration de sa soeur quant au fait qu’elle se rangerait de son côté si la magie venait à être évoquée devant Jake provoqua chez lui un nouveau sourire, reconnaissant cette fois, quand bien même elle ne pouvait pas vraiment s’en rendre compte. “ Merci Sis.” Il était resté beaucoup trop longtemps éloigné des siens, en oubliant presque qu’ils étaient là pour lui.

Mais ce n’était pas tout . Si ça avait été aussi simple, il ne cacherait pas les rituels sur lesquels il travaillait ni même les livres qu’il avait trouvés. Wyatt connaissait assez sa soeur pour savoir que même avec l’envie de le voir reprendre goût à sa propre vie, elle n’accepterait pas qu’il prenne de tels risques. Il n’était pas idiot, connaissait l’attrait de la magie noire et ce qui pouvait changer en lui à partir du moment où il s’engageait dans cette voie. Mais c’était là un prix bien modeste à payer, n’est-ce pas, si ça lui permettait de revoir sa soeur bien vivante. Il ne pouvait prendre le risque de voir ses plans contrariés, aussi il se devait de les garder pour lui. Comment pouvait-il donc reprocher à Ely d’en avoir fait de même? Il savait ce qu’elle pensait vis-à-vis de la mort de Gabriel et à l’époque, il n’avait pas compris, pas vraiment. Avec Sarah dans l’équation, les choses étaient bien différentes maintenant. “ Je l’ai méritée celle-là.” Et ce fut ses seuls mots sur le sujet. Elle avait raison, bien évidemment, et il n’insista pas.

L’évocation d’un nouveau livre attisa la curiosité du magicien. Il avait parcourut, depuis l’an dernier, toute une panoplie de manuscrits en tout genre, il avait eu l’impression de tout faire et pourtant de ne pas en faire assez et de loin. Arrivé à un certain moment, les ressources venaient à manquer et plus rien ne semblait assez innovant pour marcher. Un peu d’espoir, c’était pourtant tout ce qu’il lui fallait, et sa soeur lui en donnait l’occasion. “ Je sais bien, mais ça ne coûte rien d’essayer. On lui doit au moins ça. Je lui dois au moins ça.” C’était appuyer impunément sur sa culpabilité pour la faire flancher, un brin manipulateur s’il l’avait fait totalement exprès.

L’idée de devoir annoncer, sans aucune preuve, à la famille entière, que Sarah était toujours bel et bien vivante ne ravivait pas Wyatt. Il ne pouvait le faire sans la présence de Sarah, sans qu’elle ne se montre. Sinon il était persuadé d’être pris pour un fou, accusé de retourner un couteau déjà bien douloureux dans une plaie déjà salée. “De toute manière, quoique je décide, ce ne sera pas la bonne solution. Si je dis quelque chose, on m’accusera de mensonges et si je ne dis rien, d’avoir caché la vérité lorsqu’elle se montrera de nouveau. Je serais jamais gagnant, quoiqu’il arrive.” Soren et Jake n’étaient pas encore partis pour le pardonner, il avait encore bien du chemin à parcourir.