Nez douux ( Janet ♥)

Les courses de Noël, un grand moment de l’année. Toi qui te cherchais toujours des petits boulots pour t’occuper la tête et les mains, c’était toujours le moment le plus favorable à l’embauche à court terme. Et bien sûr, tout ce qui te remplissait les poches… Tu finissais par le dilapider copieusement sans regarder la somme, pour accabler de cadeaux les amis que tu avais en quantité, sans oublier ta mère - et toi-même à l’évidence, de loin celle qui finissait la plus gâtée. Tu avais déjà quelques sacs dans les bras, les premiers d’une longue série d’achat qui te faisait presque oublier que tu rentrais en moto. A tous les coups, tu allais devoir finir par appeler ta mère ou un taxi, juste pour transporter tes sacs sans mourir ou risquer de tout faire tomber sur la chaussée. Tu t’étais faite une liste de personnes à qui tu voulais offrir des trucs aussi, autant dire que tu n’avais pas encore eu des idées pour tout le monde, tu faisais un peu au feeling en passant dans les allées. Mais ça faisait partie des quelques trucs qui te consolaient l’humeur, tu étais en plein dans une période délicate après tout.

Qu’est-ce que tu n’étais pas allée t’aventurer dans une boutique de fringues - à tous les coups, tu allais y claquer trois fois trop. D’entendre quelqu’un appeler ton nom relevait presque du miracle, un message envoyé par le ciel pour t’empêcher de trop te perdre dans les rayons. Tu as relevé la tête sur Moon - un prénom comme celui-là, tu étais bien obligée de le retenir ! - et d’ailleurs à bien réfléchir, cela devait faire un moment que tu ne l’avais plus croisé. Quelle tête tu avais dû faire à l’époque tiens, en apprenant qu’il était un génie, il faut dire qu’à l’OBCM où l’on t’avait un peu tout appris, les mises en garde accompagnaient très souvent la description de ces drôles d’énergumènes. Et lui… cachait plutôt très bien son potentiel de dangerosité.
« Salut Moon, il est chouette ton pull! » Tu vas jusqu’à lui et portes la main sur le tissu, c’est vrai qu’il est doux, même si t’as quand même tendance à trouver le dessin assez moche. Cela dit, pour rester chez soi dans un plaid devant la télé, c’était quand même top-moumoute. « T’as raison, dis-donc c’est pas plutôt un pyjama ? » Tu ris un peu, et puis il te vient une réflexion, parce que Moon, c’est quand même un phénomène, et on est jamais trop prudent. « Dagda t’a donné de l’argent ? Tu sais que tu dois le payer, pas vrai ? » Tu n’avais pas la moindre idée de comment se passait leur arrangement à tous les deux, l’idée que Dagda se retrouve avec une personne à charge te faisait doucement rigoler, même si tu devais reconnaître au fond de toi que cette figure paternelle lui allait plutôt bien. En tout cas, c’était clairement un sacré challenge qui s’imposait à ces deux-là. Mais tant mieux, tu te dis. Tu allais pouvoir prendre des nouvelles, en voilà une idée qui te faisait plaisir.

Tu savais bien comment il était, Moon, pourtant t’as pas pu t’empêcher de rire quand il t’a demandé ce qu’était un pyjama, c’était plus fort que toi. Bien sûr tu te mettais un peu à sa place, débarquer de nulle part sur Terre et devoir tout apprendre ce qui pour toi tenait de l’évidence, ça n’était pas une mince affaire. Mais quand même, Moon, un pyjama ? Toi, tu trouvais ça sacrément drôle, et encore plus maintenant que tu devais lui expliquer ce que c’était, parce que c’était assez débile comme concept finalement. « C’est des vêtements que tu portes pour dormir, enfin je dis ça mais j’aime bien les porter de jour aussi quand j’ai pas envie de sortir. En tout cas c’est pour rester chez soi, tu aurais l’air bête à sortir dehors en pyjama. En général, c’est des tissus tout doux, c’est pour ça. » Et des motifs assez ridicules, assez souvent. Après tu dis pas, même toi t’avais un peu passé l’âge maintenant – il faut dire aussi que tu étais une bouillotte sur patte, alors t’étais plutôt sur les pyjashorts et les t-shirt XL quand il s’agissait de dormir avec une couette.

Tu regardes son porte-monnaie, trop mignon soit dit en passant, et dis donc tout l’argent qui s’y trouvait – c’était pas très sage de se balader avec autant de liquide sur soi, mais ce serait mal venu de ta part de faire une réflexion dessus, vu que ça t’arrivait assez souvent. Mais tu évitais quand même de l’exhiber en plein magasin, soit dit en passant. Il a trouvé un travail, tout de suite tu es curieuse parce que c’est quand même un cas. Faire bonne impression en entretien d’embauche quand on ne savait même pas ce qu’était un pyjama, c’était quand même assez miraculeux, même si encore heureux, c’était une question qui revenait rarement, sauf peut-être pour bosser chez Etam ou Kiabi. « Un travail ? Tu travailles où, tu fais quoi ? » tu demandes avec un vrai intérêt, dans l’espoir -avouons-le- que ça te fasse marrer. T’avais même pas eu le temps de dire ça qu’il t’avait déjà embarqué de l’autre côté, t’as juste le temps de lancer en passant avec lui devant une pile bien pliée : « Oh regarde, un pyjama » - que vous voilà du côté des accessoires, très clairement un de tes rayons préférés.

Pas le temps de réagir ou de voir ce dont il s’agit qu’il te met sur la tête un serre-tête – et tu tournes le nez vers un petit miroir pour voir ce que ça donne. Tu commences à ricaner parce que ça lui va bien d’apprécier ce genre de truc, mais en vrai tu trouves ça tellement mignon que tu tombes en amour dessus. Résultat, t’as plus aucune envie de lui dire qu'il a pas besoin de faire ça, de lui dire d’économiser son argent comme un grand – pour quoi faire ? Tu seras plus heureuse avec un serre-tête que sans. Alors tu lui offres un grand sourire et tu lui sautes au cou pour lui faire des bisous sur la joue. « Oh trop bien, merci ! » Allez, et un génie d’amadoué, ça va qu’il était pas trop difficile à contenter celui-ci. Et après, on s’étonnait que tu l’aimais bien : mais t’es un peu vénale sur les bords aussi faut dire. « Pourquoi tu prendrais pas le bleu pour toi ? On serait assortis, et puis en vrai les vendeuses elles font toujours la gueule ici de toute façon. » Et allez, on critique un peu le personnel en passant, mais bon elles avaient qu’à faire leur travail sans imposer leurs jugements aussi, t’achètes bien ce que tu veux, non mais !

Moon avait l’air d’accrocher au concept du pyjama, et d’une certaine manière ça ne t’étonne pas beaucoup. Même si l’idée est stupide quand on y regarde d’un peu près (parce qu’enfiler un vêtement spécialement pour se plonger dans un coma de huit heures, ça restait quand même un peu bizarre) – même un peu stupide donc, c’était malgré tout une invention géniale. D’ailleurs, c’était honteux que tous les vêtements ne soient pas aussi confortables, et il serait fort à parier que tu passerais une bonne partie de ta vie dans des plaids en pilou-pilou si ce genre d’habitude était mieux vu en société. Non pas que tu avais beaucoup de respect pour les normes à ce niveau : le privé et la pudeur chez toi avaient tendance à être partagé un peu trop facilement, tes voisins pourraient en témoigner à la quantité de fois où tu es sortie en t-shirt culotte chercher le courrier. C’était peut-être cette espèce de légèreté, d’immaturité même qui faisait qu’avec Moon, le courant passait bien. Vous deviez être deux à trouver que l’humain se compliquait quand même vachement beaucoup la vie, et tout à la fois que vous étiez dans un monde et une époque formidables. Pour tout ce qui est contact aussi, ça passait bien. Tu étais quand même une gosse ouvertement tactile, pour le plus grand malheur de toute la tribu d’asociaux ou introvertis comptés parmi tes amis – et ça aussi, à Moon, ça semblait bien lui parler.

Tu l’entends rire, c’est plaisant tout de même de côtoyer quelqu’un qui ne veut pas se prendre la tête pour trois fois rien : il essaie le serre-tête bleu, et vous vous regardez dans le miroir. Il rit encore, toi tu as la risette étirée sur les joues, un sourire trop grand pour ta bouche trop petite. C’était mignon, et un peu ridicule, mais pas un vilain ridicule : plutôt le ridicule que l’on se partage entre amis, dont on s’amuse, et dont on continue à rire ensuite avec le recul.
On peut prendre un… zut comment ça s’appelle… un fish ? Tu fronces les sourcils d’incompréhension, faisant tourner tes méninges comme des turbines à chercher le mot qu’il avait vraisemblablement faux. C’est lorsque tu entends photo que le lien se fait tant bien que mal. « Un selfie ? » tu demandes, un peu incertaine de ta traduction, et puis tu souris et tirant de ta poche ton téléphone – c’était une bonne idée après tout. Tu aimais les photos, tu aimais aussi les tirer, et les étaler sur tes murs. On se sentait moins seul, entouré de ce genre de souvenirs. Ça rendait nostalgique aussi, un peu.
Le temps d’ouvrir ton application, tu le laisses te raconter ce fameux boulot qu’il s’est trouvé. Il te parle d’un certain Maxwell et de sa maman, tu hoches la tête à la négative. « Je connais pas, mais j’suis sûre qu’ils sont gentils si Dagda te laisse travailler pour eux. » Tu dis ça machinalement, parce que tu considères que ce pauvre Dagda se retrouve responsable des moindres faits et gestes de cet énergumène. Si tu savais pourtant le peu d’amour qu’il y avait entre lui et son voisin, tu ne tiendrais sans doute pas le même discours. « Tu arrives à t’en occuper, ça va ? » tu demandes en souriant, et puis tu lèves le téléphone à hauteur de son visage, souriant, et dressant contre ta joue un v de la victoire. « Cheese ! Ça veut dire que tu dois sourire. » Tu préfères donner la précision, c’est vrai que ça ne doit pas être évident à comprendre. Une fois la photo prise, tu tournes la tête dans sa direction. « Dis-donc, tu connais les Photomatons ? Parce que si tu ne sais pas ce que c’est, il faudra que je te montre, je suis sûre que ça va t’éclater ! » Tu te voyais déjà le traîner dans la boîte avec son pyjama et son serre-tête lapin bleu, et lui apprendre à grimacer pour de vrai – la tête de Dagda le soir serait impayable, et rien que pour ça, ça valait le coup d’essayer !

Bonne nouvelle, t’étais apparemment bilingue en Moonais pour avoir su traduire son usage parfaitement erroné de l’irlandais ! C’était peut-être exaspérant au quotidien, mais toi en tout cas tu trouvais le jeu de devinettes très amusant, et la confusion entre des mots qui n’avaient vraiment rien à voir ensemble avait de quoi donner de sacrément drôles situations. Fish, vraiment ? Quelque part, tu avais presque envie de le voir s’adresser à une vendeuse et se planter complètement de mots, juste pour le plaisir de voir l’incrédulité sur le visage de l’employée. Il ne valait peut-être mieux pas remarque, c’était un coup à te donner un fou rire, et à te faire jeter du magasin. Toujours est-il que tu t’empresses de saisir ton téléphone pour ce selfie qui finirait sans doute sur ton Instagram, pendant que le génie te raconte les joies de son petit boulot. Apparemment, ce Max ne voulait pas être son ami, et ça semblait le contrarier beaucoup. Ça ne t’étonnait pas énormément, Moon était très sympathique mais il n’avait pas vraiment le comportement de son âge, et si Max était du genre exigeant et hermétique, et à fatiguer autour des gens bruyants – eh bien Moon n’était pas fait pour lui, tout simplement, et le génie allait bien devoir comprendre un jour qu’on ne pouvait pas être ami avec tout le monde. Mais quand on sait le temps que mettent déjà les humains à retenir cette leçon, tu t’attendais à ce que cela lui prenne un peu de temps. Tu peux au moins lui dire ce que tu en penses : « Tu sais, on ne peut pas être ami avec tout le monde, des fois le courant ne passe pas. Et puis souvent, les gens n’aiment pas mélanger l’amitié et le travail. Tant qu’il n’est pas méchant avec toi, c’est bon. » En revanche, s’il commençait à l’être, tu comptais sur Dagda pour aller lui remonter les bretelles. Non mais oh, ce n’est pas parce que le courant ne passe pas qu’il faut se relâcher sur le premier diamant d’innocence qui passe. Tiens, il avait regardé combien de Disney, Moon, depuis son arrivée ? Il faudra que tu lui demandes, ça reste quand même la base !

La photographie prise, tu vérifies que ta tête est potable dessus et tu t’empresses de l’envoyer à Dagda avec un commentaire ridicule, histoire qu’il sache au passage que son protégé n’était pas en mauvaise compagnie. Et puis, souriante, tu relèves le nez vers le génie. « Photomaton, c’est une grosse boîte, tu entres à l’intérieur et ça te prend en photo. Mais ça fait des photos, disons… sur papier, que tu peux emporter avec toi et accrocher sur les murs de ta chambre. C’est marrant à faire entre potes. Tiens, j’y pense, tu sais faire des grimaces ? » Tu retires ton serre-tête aussi pour le remettre dans les mains de Moon, complètement déterminée à l’embarquer dans cette nouvelle aventure. « Sinon, je vais t’apprendre. En tout cas j’ai plein de temps devant moi ! Et il y en a un je crois dans ce centre-commercial. Ça fait une paye que j’y suis pas allée, mais ça devrait encore y être ! Tu paies et on y va ? » lui demandes-tu avec enthousiasme. Mine de rien, à toi aussi, ça t’a manqué, ce genre de trucs. En même temps, ce n’était pas le fauteuil roulant de Samuel que tu allais pouvoir faire rentrer là-dedans.