Une fois face au propriétaire du grimoire que voulait découvrir Almath, je me fis introduire, et je le saluai à la japonaise, d’une façon dont j’avais perdu l’habitude, vivant depuis longtemps à Bray, mais que j’avais reprise dès que j’étais arrivé en ville. Après tout, j’avais vu beaucoup de gens, rencontré des membres de ma famille, donc mon dos s’était presque transformé en machine à se pencher automatiquement. Cependant, là où ce fut légèrement perturbant pour moi, ce fut d’entrer dans sa maison, et d’avoir un service de thé réellement à l’ancienne, à la traditionnelle. Même mes parents, attachés comme ils étaient à leurs racines japonaises, avaient abandonné toute idée de cérémonie de thé… Et là, j’en voyais une, sur une table où nous étions assis sur ces coussins durs, jambes repliées sous les fesses. J’avais l’impression de revenir à mon enfance, avec en plus cette discussion autour du grimoire que confia Almath au professeur.
Heureusement, je n’avais pas à faire la traduction orale, n’ayant pas été engagé pour ça mais bien pour la traduction du grimoire. Cependant, je trouvais cette explication tout à fait fascinante. Cela me pousserait presque à partager la passion d’Almath, un jour, pour ces livres de magie, qui faisaient tout de même un peu rêver. Si le quart seulement de ce que contenaient ces reliques du passé étaient vrai, alors ma conception du monde serait chamboulée !
Ah si je savais.
Enfin, après une discussion autour du grimoire d’Almath, il y en eut une nouvelle à propos de celui du professeur japonais. Il expliqua lui-même qu’il s’agissait d’un document venant d’une magicienne autrefois au service d’un seigneur durant l’ère Edo. Cela me permit au moins de situer que le japonais n’allait pas être trop différent, bien que j’allasse certainement devoir me souvenir d’anciennes formulations afin que cela soit compréhensible une fois traduit. Par ailleurs, il nous tendit l’ouvrage, que je pris avec précaution étant donné qu’il allait avoir l’air lourd et que j’allais probablement être celui qui le tripotera le plus.
« J’en prendrai grand soin. »
Je promis ceci au professeur, qui avait tout de même l’air de s’inquiéter un peu. Il sembla un peu rasséréné, alors il nous guida vers une pièce qui allait visiblement nous permettre de travailler au calme, surtout qu’au loin, j’entendais des cris d’enfants qui s’amusaient. C’était adorable, certes, mais pour se concentrer, c’était légèrement compliqué, en effet. Et une fois Almath et moi-même installés, j’ouvris soigneusement le grimoire, afin de faire comme on avait dit : je lui donne les titres rapidement des « chapitres », et elle décidera de ce qui l’intéressera le plus. J’attendis donc qu’elle soit prête, en me préparant moi-même : lunette ronde, longue chevelure réunie dans un chignon haut afin de ne pas être gêné.
« Alors, nous avons… Là, j’ai un chapitre de présentation de plusieurs… génies ? Je suppose que ça doit être ça le mot, il s’agirait d’esprits que ces dessins permettraient d’invoquer. Ils sont classés par spécialités, du soin, de la protection, de la… torture, et de l’enseignement. Des sortes de professeurs, de puits de savoir. Par la suite, nous avons… Des dessins à nouveau, classés par utilité aussi. Retenir le génie… »
Je continuai ainsi durant un long moment. Jusqu’à arriver vers la fin du grimoire, où je me rendis compte que ce n’était plus une continuité d’informations sur des dessins étranges ou des créatures, sortes d’esprits étranges. A vrai dire, cela semblait être une partie journal intime, comme un carnet de bord pour la tenue d’un génie…
« Juste à la fin, il y a l’auteur qui raconte qu’il a eu des problèmes avec un génie qui semblait… résister. Et qui explique de ce fait tout ce qui est arrivé. Ensuite, une écriture différente raconte la mort de l’auteur… »
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Sam 14 Juil - 17:28
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Lun 16 Juil - 0:16
Je notai donc qu’elle voulait se concentrer sur les enseignants, pour ensuite lui expliquer ce qui se disait sur ce côté journal intime du grimoire. C’était assez impressionnant comme histoire – je n’y croyais pas une seule seconde, cependant, Almath si. Sa façon de parler avait quitté le domaine de l’hypotéthique, pour aller dans la foi pure et dure. Cela me faisait vraiment bizarre, comme si elle invoquait réellement des créatures, pour leur soutirer des services. Je n’y croyais pas, mais elle… C’était comme si c’était une réalité, vraiment. Qu’elle s’était vraiment trouvée face à eux. C’était intéressant, mais plus ça allait, plus j’avais une impression que… Que je loupais quelque chose. Ainsi, durant son laïus sur les esprits, leurs invocations, et une précision sur les pouvoirs des sorciers, je m’étais montré légèrement circonspect. Difficile de ne pas la prendre pour une folle sur le coup, mais enfin… J’allais rester l’esprit ouvert.
J’avais donc hoché la tête avec un petit sourire, montrant que j’entendais bien ce qu’elle m’expliquait, pour ensuite me remettre au boulot, pour un temps qui allait être plutôt long. D’un côté, il y avait moi qui prenait les traductions des chapitres qu’elle m’avait demandé – le travail d’une bonne journée, heureusement que nous étions partis au matin – et peut-être même du lendemain, si elle comptait revenir pour terminer. De l’autre, il y avait elle qui recopiait les dessins avec une exactitude qui me laissait légèrement pantois. Enfin, je me concentrai surtout sur mon travail, heureux de pouvoir mettre en marche mon cerveau. Ce fut parfois compliqué et j’eus à utiliser internet pour traduire certains caractères, mais dans l’ensemble, j’étais plutôt content de moi, pour un boulot tout de même à l’arrache.
Et après plusieurs heures penché sur le travail, je finis par me redresser, m’étirant, craquant pratiquement chaque os rouillé de mon corps, à rester dans cette position. J’avais besoin de prendre l’air un peu, de boire un peu.
« Almath, j’ai terminé l’avant-dernier texte. Je vais prendre l’air un peu, ça te dit ? »
J’avais commencé à marcher dans la pièce, élançant mes bras pour retrouver toute ma motricité. J’avais oublié combien le fait de rester quasi immobile, à écrire, faisait mal au corps dès qu’on s’animait de nouveau. Cela me rappelait aussi quand ma femme se moquait de moi car on aurait dit que je marchais comme un petit vieux après des heures posé sur les fesses. D’ailleurs, je me rendis compte que j’avais des fourmis dans ma jambe droite, vu que j’avais croisé mes jambes pour être plus à l’aise.
« Ca ne ferait pas de mal de nous aérer, je pense… »
J’ignorais si elle était comme moi à se plonger dans le boulot jusqu’’à tout oublier, mais en tout cas ça y ressemblait. Juste, après ces années à bouger partout, je n’étais plus aussi endurant et j’étais donc présent pour lui rappeler que le corps avait besoin de sortir de cette pièce histoire de mieux fonctionner par la suite. Sans compter qu’elle devait avoir une crampe à la main, d’avoir dessiné tout ce temps.
« Ca va la main, au fait ? La mienne est un poil engourdie. »
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Ven 27 Juil - 17:57
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Mer 8 Aoû - 11:03
LEARNING IS NOT ATTAINED BY CHANCE it must be sought for with ardor and diligence.Je constatai qu’il était réellement temps que je signale qu’une pause était nécessaire… J’avais la sensation de trouver un miroir en décalé dans le temps de moi. Une sorte de copie de l’homme qui travaillait à en oublier tout le reste. Est-ce que c’était quelque chose de courant dans le monde, ou bien juste de Bray ? Cela m’amusa, et je répondis même à sa question avec un certain entrain :
« Très loin d’Harry Potter, ça oui ! A se demander qui avait raison au final, Rowling ou bien ce livre, ou peut-être aucun des deux. Mais ça reste intéressant malgré tout, c’est un pan de l’histoire japonaise que mes parents ne m’auraient certainement jamais raconté. »
A mon sens, ce n’était probablement aucun des deux, mais enfin, je me prêtais au jeu. Je me sentais comme lorsque je travaillais sur ces textes anciens de geste, ces histoires de troubadours sur les exploits de chevaliers, émerveillé par les histoires, mais n’y croyant pas un seul instant. Tout comme ces histoires de samouraï que mon père me décrivait avec force d’imitation et de bruits, allant parfois jusqu’à récupérer son vieux Katana de famille et me montrant des mouvements que je ne pourrai probablement plus faire aujourd’hui, puisque je n’avais pas pratiqué depuis longtemps.
La suivant dehors, je récupérai tout de même la théière de thé, heureusement thermos, avec deux tasses, histoire de pouvoir boire quelque chose. Une fois arrivé dehors, face au jardin, je n’eus qu’à m’asseoir sur le bout de la terrasse plate en bois, après avoir retiré les chaussons d’intérieur. Heureusement ma plante des pieds ne touchait pas totalement le sol, je n’aurai pas à les relaver avant de remettre les chaussons. Et Almath semblait bien contente d’être sortie.
« J’ai souvent raison. »
J’avais pris cet air assez suffisant, plus pour la plaisanterie qu’autre chose. Puis, après avoir servi la tasse de thé et l’avoir tendue à Almath, je m’en pris une, pour ensuite regarder un peu dans le vide. J’aimais beaucoup ce voyage, finalement. Ce qui aurait dû être un simple mariage devenait extrêmement intéressant, d’autant plus que mon cerveau continuait à tourner, et que j’avais la sensation que mon imagination était de retour. Car tout ça, ce grimoire, cette histoire de femme sorcière qui s’est laissée porter à aller trop loin dans la magie… Ca pourrait tellement être une idée pour un nouveau roman, une suite dans cette saga que j’avais commencée, publiée, puis abandonnée avec ma séparation avec ma femme, deux ans auparavant. Je me sentais vraiment bien. Et je tins à en remercier cette femme rencontrée par hasard dans l’avion.
« Vous savez, j’ai publié des livres, en Irlande. Une petite série d’aventure sur un samouraï… Il y a quelques années, j’ai arrêté d’écrire. Et puis tout ça, cette traduction, le fait de remettre mon cerveau en marche, et de lire ça… Mon imagination revient. Du coup, je tiens à vous remercier. Vous, et aussi le hasard qui nous a mis dans le même avion ! »
J’eus un léger rire. Si je n’avais aucune tenue, j’aurais pris des feuilles déjà et commencé à écrire. 2981 12289 0
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Mer 26 Sep - 19:46
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Dim 30 Sep - 23:53
LEARNING IS NOT ATTAINED BY CHANCE it must be sought for with ardor and diligence.Raconter à cette femme que j’écrivais un livre autrefois, ça exacerba encore plus mon envie d’écrire. C’était revigorant, je me sentais presque vivre. J’étais réellement reconnaissant envers cette femme, et qui savait ? Peut-être allais-je m’y mettre au soir, quand je rentrerai après cette journée.
Je souris un peu tristement quand elle mit le doigt sur le fait que les deux métiers, littérature et gestion d’hôtel, étaient une rare combinaison. Elle n’avait vraiment pas tort : « La vie est une combinaison rare à elle-seule… J’ai hérité de l’hôtel par mes parents. Je cherche à le vendre mais disons que les acquéreurs ne se bousculent pas au portillon. »
Je grimaçai, mais fallait vraiment que j’arrête de me plaindre. Je le faisais bien trop souvent, à un tel point qu’on pourrait me surnommer monsieur complainte ! Surtout qu’au final, c’était un peu ma faute. Comme le disait implicitement Almath, j’aurais pu continuer à le faire sur mon temps libre, ou même au boulot quand les clients font leur vie et que je me fais chier à attendre que le suivant se montre à l’accueil. « Je pourrais. Faut dire que je me suis laissé engluer dans une espèce de routine, mettant un peu tout ça entre parenthèse le temps de vendre. Mais si je pouvais au moins reprendre l’écriture… Je pense que ça pourrait déjà être un bon départ. » Un excellent départ, même, quelques lignes par-ci, par-là. Continuer cette saga. Reprendre contact avec cette dessinatrice qui avait fait des miracles pour illustrer mes histoires, voir si mon éditeur était toujours intéressé par une suite qu’il m’avait tant demandée, puis mise aux oubliettes vu que je faisais le mort… Je l’espérais.
Je repris une gorgée du thé que j’avais posé à côté de moi, en profitant pour jeter un œil à l’heure. Il commençait à se faire légèrement tard, je le voyais au ciel qui commençait à s’obscurcir et à ces chiffres sur le téléphone, heure d’Irlande que je convertissais en heure du Japon. Merci les mathématiques… « Il va pas tarder à se faire tard. Mais je pense qu’on a le temps de finir avant qu’il ne fasse trop nuit, histoire de ne pas non plus déranger notre hôte trop longtemps. Prête à y retourner ? » Ce n’était pas que je m’ennuyais, mais la bienséance, au Japon, surtout avec notre hôte qui avait tout du vieil homme traditionnel, rester jusqu’à l’heure du repas était mal vu, ça l’obligeait à nous inviter à sa table notamment… De ce fait, il valait mieux carburer. J’avais montré en tout cas que j’étais prêt en finissant moi-même mon propre thé.
J’étais plutôt fatigué il fallait l’avouer, mais l’idée de me remettre au boulot, de faire ce que j’aimais, ça me donnait une énergie insoupçonnée ;
LEARNING IS NOT ATTAINED BY CHANCE it must be sought for with ardor and diligence.J’avais été un homme heureux d’avoir travaillé pour quelqu’un, de lui avoir été utile. Surtout qu’elle avait su me remercier, et ça, ça valait tout l’or du monde. « C’était avec plaisir, Almath ! On refait ça quand tu veux. » Et ce n’était même pas des paroles en l’air, le hasard voulait que nous venions du même endroit et si je n’étais pas persuadé qu’elle aurait souvent affaire à des textes asiatiques, au moins j’avais plusieurs cordes à mon arc. « Pour information, je parle aussi brésilien. » C’était après tout ma deuxième langue maternelle, pratiquement. J’avais dit ça avec un petit sourire, avant de me lever définitivement, pour ranger le manuscrit avec délicatesse.
Nous avions assez rapidement pris congé de notre hôte, qui avait lui aussi terminé. J’avais l’impression que si nous avions travaillé à deux, lui avait eu une armée de traducteurs et de petites mains, car il n’avait pas l’air fatigué du tout, alors que pour notre part, nous avions l’air un peu parcheminé. D’ailleurs, après toutes les salutations d’usage, j’avais la sensation d’avoir fait un marathon, et la route pour la déposer à son hôtel me parût bien longue, il m’était arrivé de piquer un petit peu du nez, de temps en temps. Au moins avais-je Almath qui m’avait parlé, histoire de me garder éveiller, et aussi la voix très énervante du GPS japonais, cette espèce de voix de dessin animé que je ne supportais pas du tout – les otakus avaient réellement le pouvoir…
Une fois cela fait, je lui laissai juste mon numéro de téléphone sur un bout de papier. Après tout, j’étais plutôt sérieux quand j’avais dit qu’elle pourrait faire appel à moi quand elle voudrait. Simplement, ça serait certainement pour mon retour, car au vu du mariage de famille, elle allait partir avant moi. J’avais moi aussi l’envie de m’en aller, j’avais la sensation d’avoir accompli le dessein que Dieu m’avait réservé dans ce voyage, que je pouvais retourner à mon hôtel. Une sensation de miracle accompli. Mais non, j’avais ma famille qui m’attendait, cette cérémonie, et je comptais bien y faire acte de présence, aller les voir.
Après tout j’avais bien passé une journée, pour moi, à faire ce que j’aimais faire autrefois. 2981 12289 0
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[terminé] Learning is not attained by chance, it must be sought for with ardor and diligence. (Kabukichô )