La vie sociale de Kenan était devenue, depuis quelques mois, une torture, il n'y avait pas d'autres mots. Comment définir autrement cette façon dont son coeur semblait se retourner dans sa poitrine à chaque évocation du nom du jeune sorcier, à chaque photo, à chacune de ses apparitions. Il avait fallu que le désormais oracle le perde pour qu'il se rende compte de leur cercle social si similaire. Et Kenan avait un mal de chien à dissimuler le trouble toujours plus important qui prenait place, son éloignement de ses amis, de sa famille même, du reste de monde. La rupture avec Jonah avait été un choc terriblement douloureux mais ce n'était finalement que le début d'une descente aux enfers qui ne semblait pas avoir de fin. L'avoir toujours dans sa vie, entendre parler de lui, c'était tous les jours, tout le monde, plus le temps passait et moins Kenan ne pouvait le supporter. Le sorcier l'avait quitté, c'était suffisamment terrible, entendre Erin lui parler au téléphone, voir leurs photos sur instagram, ce n'était pas nécessaire. Oh ce n'était pas de la haine à proprement parler, c'était même très loin de là...C'était simplement l'oracle crevant de douleur de ne pas pouvoir faire parti des phrases concernant Jonah, de le voir mais de ne pas pouvoir l'embrasser et ce soir de venir à son anniversaire mais de ne pas être de l'autre côté de la table.
C'était la première fois en sûrement plus de dix ans que Kenan était aussi éloigné de Jonah le jour de son anniversaire. Il le voyait venir à des kilomètres, le moment du gâteau, des bougies, les photos et l'oracle perdu dans la foule d'amis, comme s'il n'était rien d'autre. Cette idée lui déchirait le coeur mais aurait-il vraiment pu ne pas venir ? C'était également inconcevable, Jonah avait 23 ans ce soir, il était tout à fait exclu que Kenan ne soit pas là pour le souhaiter. Jusqu'au dernier moment pourtant il avait hésité, le sorcier lui-même ne devait pas savoir qu'il venait tant l'idée de rester dans son lit l'avait obsédé ces dernières semaines. Mais ce soir-là, assis sur ce même lit, devant le cadeau qu'il avait prévu pour son ex petit-ami, Kenan n'avait pas pu rester ici, à se ronger les ongles, à les imaginer sans lui. A l'imaginer avec quelqu'un d'autre. Peut-être serait-il avec quelqu'un d'autre mais au moins Kenan n'aurait pas à l'imaginer. Sait-on jamais, le voir avec quelqu'un lui permettrait peut-être de tirer une croix sur leur relation? Peu probable. Erin sur ses talons, le jeune oracle frappa. Trois coups, ayant habilement évité les pots de fleurs sur le chemin, dissimulant toujours sa cécité autant qu'il le pouvait. Il connaissait l'endroit par coeur.
« Hey... » prononça sa soeur pour attirer son attention vers elle. « C'est bien que tu sois venu, ça va lui faire plaisir... »
« J'ai quelques doutes. »
« Si ça va pas et que tu veux partir tu peux me le dire hein je... » mais elle se stoppa. Car devant eux la porte venait de s'ouvrir. Et Jonah était apparu. Et le coeur de Kenan avait loupé un battement. Pourquoi avait-il fallu que ce soit lui à la porte et non pas Olga ou Norah ?
« ... Joyeux anniversaire. » souffla finalement Kenan, avec le sourire le plus sincère possible.
No one will ever see This side reflected And if there's something wrong Who would have guessed it And I have left alone Everything that I own To make you feel like It's not too late It's never too late
Il était là. Leurs regards se croisèrent pour une seconde qui parut bien longue qu'elle ne l'était vraiment et alors que le sorcier détournait les yeux pour passer une main dans ses cheveux, Kenan leva un sourcil. Alors oui, il était beau, évidemment, ce n'était pas le problème mais les cernes qui creusaient ses joues et la pâleur de son visage étaient inhabituels. Ce n'est pas comme si les deux jeunes hommes ne se voyaient plus, leur cercle d'amis communs ne les aidaient pas à couper le cordon pour parler cruement mais aux dernières nouvelles, il n'avait pas l'air aussi fatigué. Epuisé serait plus correct. Le jeune homme se tourne, les invite à entrer et Kenan s'exécute, lançant un regard à Erin dont le sourire ne dit rien qui vaille. Pourquoi n'y a-t-il aucun bruit ? Pourquoi Jonah n'est-il pas habillé pour faire la fête ? Pourquoi la maison semble-t-elle...Vide. Kenan balaie la pièce du regard alors que le sorcier referme la porte derrière eux et rapidement, la réalité s'impose : Il n'y a personne. Des paquets cadeaux ouverts sur le canapé, l'ordinateur du jeune homme sur la table de salon, pas de musique, pas de trace d'une possible réunion. Peut-être juste une légère odeur de cuisine, et encore.
"J’ai rien prévu cette année je pensais que Olga ou Norah vous avaient prévenu..."
Kenan se tourne vers Erin, fronçant les sourcils. A lui, Olga n'avait rien dit. Mais à Erin par contre...Cette dernière a le sourire, et souffle un « Oui oui les filles m'avaient dit » qui fait vriller l'ainé. Pardon ?! Comment ça les filles lui avaient dit qu'il n'y aurait pas de fête ? Il avait donc été dupé pour venir ici ? Dans un sens, ce n'était pas un si grand scandale, au moins le jeune homme n'aurait pas à supporter la vision de Jonah soufflant ses bougies sans lui mais c'était un mensonge éhonté que la plus jeune avait mené.
“je suis désolé de vous recevoir comme ça … J’fais pas un très bonne hôte …"
« Non, c'est parfait. » souffla Kenan qui ne supportait toujours pas que le sorcier se dévalorise. C'était sorti naturellement, malgré la gêne que représentait cette rencontre.
“vous voulez boire quoi du coup ?”
« Rien pour moi, merci, je ne vais pas rester ! »
Pardon ?
« Je venais simplement te souhaiter un bon anniversaire, je travaille dans...Une petite demi-heure. » et avec ces mots, la cadette des Lynch laissa une bise sur la joue de Jonah, lui donna le cadeau qu'elle avait emballé un peu plus tôt et se dirigea vers son frère. Une bise sur sa joue, un petit "désolé" soufflé simplement pour lui et la voilà partie, plus vite qu'elle n'était arrivée, laissant derrière elle sa promesse d'être avec lui pour partir s'il en avait besoin. Kenan en était à présent persuadé, ce plan était une idée de tout son entourage, Olga, Norah, Erin et même Liam qui l'avait aidé à choisir quoi porter. Ils savaient parfaitement que Kenan n'aurait pas accepté de se rendre de lui-même chez les Scully s'il savait que cela allait être un tête à tête avec son ex petit ami et du reste, il avait bien raison puisqu'à présent, ils étaient bien embêtés. Avaient-ils seulement pensé au fait que peut-être Jonah ne souhaitait pas voir Kenan aujourd'hui ? C'était son anniversaire, sa journée, il avait sûrement autre chose à faire que de la passer avec son ancien petit ami.
« ...Et bien...Va pour un chocolat chaud. » prononça-t-il finalement, avec un petit sourire tendre. Il n'allait pas partir maintenant, pas avant de lui avoir offert son cadeau après tout. « Je suis désolé de débarquer comme ça, un peu à l'improviste... Tu imagines bien qu'Erin ne m'avait pas dit que tu n'organisais rien cette année. »
En disant ces mots, un point d'interrogation s'ajouta à sa première impression. Jonah avait l'air épuisé, mal en point, ses cheveux étaient en bataille, Kenan avait déjà remarqué qu'il avait maigri mais sa pâleur, ses cernes, ses lèvres un peu bleutées...Sa maladie avait-elle empiré ces derniers mois ? Le jeune oracle s'était pourtant bien renseigné, avait posé 10 000 questions au reste de leur cercle d'amis, ils lui avaient assuré que tout allait bien, qu'ils le lui diraient si quelque chose n'allait pas. Etait-ce sa cécité maintenant bien avancé qui lui brouillait les choses ? En y pensant, son coeur se serra, au rythme où cela allait il ne lui faudrait que quelques mois pour ne plus le voir. Pour ne plus jamais le voir. Il garderait son image, leurs photos en mémoire mais ce ne serait jamais plus comme avant. Il allait d'ailleurs falloir éviter de le regarder trop dans les yeux, Charlie commençait déjà à lui dire qu'il n'arrivait plus à concentrer son regard, à regarder véritablement les gens dans les yeux, Jonah aurait vite fait de remarquer que quelque chose n'allait pas dans son regard et il en était hors de question. Il ne voulait pas que son ex petit ami le prenne en pitié.
« Je ne pensais pas que mon cadeau te servirait ce soir mais...Finalement peut-être que ça va occuper ta soirée ! »
Et avec un sourire il lui tendit la boite qu'il avait emballé. Une grosse boite, l'édition collector de son film préféré, avec le making-off, les interviews des acteurs, le film en version longue évidemment. Tout ce que Jonah appréciait. Kenan pouvait difficilement se tromper.
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Peut-être pas. Peut-être n'aurait-il pas dû fouiller des dizaines de sites internet pour trouver le cadeau parfait pour son ex petit ami. Sûrement n'aurait-il pas dû d'ailleurs, c'était un geste désespéré, un peu pathétique qui mettait simplement une pression supplémentaire sur les épaules du jeune sorcier. Il l'avait quitté, ce n'était pas récent, il était de sa responsabilité de l'oublier, de le laisser partir et de ne pas jouer sur ses sentiments de la sorte mais jusqu'à ce soir il avait pensé à demander à Erin de le lui offrir. De la part d'elle ou de Liam, de n'importe qui d'autre sauf lui. C'était une idée un peu stupide en réalité, Kenan était le seul à connaitre Jonah suffisamment, il n'y avait qu'à voir les idées de sa jeune soeur qui ne correspondaient pas du tout au beau brun. Mais au moins, cela lui aurait fait plaisir et peut-être aurait-il vraiment cru que cela venait de sa fratrie. Ou même le mettre dans le paquet de cadeau de la fête d'anniversaire qui aurait dû avoir lieu, sait on jamais, cela aurait peut-être pu être discret. Toutes ses idées étaient tombé en plan finalement, alors peut-être qu'il n'aurait effectivement pas dû.
“Merci ! Je cherche cette version depuis la sortie physique !”
Le cadet des Scully venait de l'enlacer, d'une étreinte qu'ils ne connaissaient plus depuis de longs mois. Ce contact physique était tellement rare que Kenan avait retenu un petit sursaut, étonné. Il pouvait en conclure que le cadeau lui plaisait et après réflexion, il ne regrettait rien. Il ferma les yeux une seconde, ne sachant pas vraiment où mettre ses mains. Il aurait voulu le garder contre lui, encore et encore, sentir les battements de son coeur contre son torse, respirer son parfum qui lui avait manqué plus qu'il ne le pensait. Il s'en rendait encore plus compte à cet instant. Et Jonah s'éloigna finalement, trop rapidement au goût du jeune oracle qui déglutit aussi discrètement qu'il le put. Pourquoi le temps ne s'était-il pas arrêté, pour les laisser profiter ?
Finalement Jonah s'éloigne, pour aller dans la cuisine, suivi par Kenan qui se cogne dans l'embrasure de la porte. Bon sang...L'ainé des Lynch s'en mord la lèvre, espérant que le sorcier n'ait rien remarqué. Il essaie de se motiver, de se dire qu'il connait la maison par coeur, que ça ne devrait pas être si compliqué quand même. Alors il prend une chaise, s'asseoit, au moins là il ne renversera rien. C'est de plus en plus dur de le dissimuler, combien de temps cela va-il mettre avant que la vérité n'éclate ? Peut-être cesser de le côtoyer aurait été une bonne idée mais pour cet après-midi, c'est loupé. S'en séparer pour ne pas l'inquiéter...Kenan déglutit, une fois de plus, c'était assez dur de ne le voir qu'en ami, aurait-il la force de ne plus le voir du tout ? Peu probable. Il était déjà destiné à ne plus le voir visuellement, le monde était-il si cruel pour tout lui enlever ?
"Et ... et comment tu vas ? Le travail ? Les études ? ... On a pas trop eu le temps d'en parler dernièrement ..."
Perdu dans ses pensées, Kenan n'avait pas vu Jonah se retourne vers lui une nouvelle fois, hésitant visiblement sur la manière de dire les choses.
« Ca va, je bosse toujours à la poste. » un travail qu'il n'allait plus pouvoir garder bien longtemps, difficile de rendre un colis sans voir le nom écrit dessus. « Et la dernière année d'étude est...Plus difficile que je ne l'avais calculé. Mais ça va, je pense en sortir avec le diplome quand même. » un diplome qui ne lui servirait jamais puisqu'on peut difficilement réparer un ordinateur sans en voir ses composants. Peut-être qu'au final, non, Kenan n'allait pas bien. Peut-être ne prenait-il pas la nouvelle aussi bien qu'il voulait le faire croire, peut-être que tous ses projets étaient tombés à l'eau, que l'idée de ne plus jamais voir sa famille, l'homme qu'il aimait, le reste du monde le faisait paniquer. Peut-être était-ce plus dur qu'il ne le dirait jamais.
« Tu as l'air...Fatigué Jon. » le surnom lui avait échappé, il s'en mordait les doigts. « ...Jonah. Est-ce que tout va bien ? »
Si au départ il avait cru s'inquiéter pour rien, leur nouvelle proximité continuait de lui donner cette mauvaise impression. Jonah n'avait jamais été très gros mais il lui semblait qu'il avait encore maigri. Et ces cernes...Kenan avait une vue défaillante, pas des hallucinations. Et cette annulation de son anniversaire... Il connaissait Olga et Norah, elles n'auraient jamais accepté de ne pas célébrer leur frère cadet sans une excellente raison.
« Je sais qu'on est plus ensemble mais je ne suis pas un étranger...Tu peux me parler. Est-ce qu'il y a quelque chose qui cloche ? Une nouvelle bronchite ?... » puis Kenan secoua la tête. Une nouvelle fois il se mêlait de ce qui ne le regardait plus. « Excuse moi, je ne voulais pas insister...Mais tu peux me parler quand même. Je peux être...Une oreille. » A défaut de pouvoir compter sur ses yeux.
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"Tu peux continuer à m'appeler Jon ... ça ne me dérange pas ..."
Cette simple petite phrase lui avait serré le coeur inexplicablement. Ou plutôt si, c'était très explicable mais il ne pouvait rien faire contre cela. Il ne pouvait plus l'appeler Jon. Plus vraiment. Jon était le surnom de son meilleur ami, qu'il connaissait depuis l'enfance, celui qui était présent dans chacun de ses souvenirs. Et puis par la suite, Jon était devenu le surnom de l'homme qu'il aimait, qu'il avait aimé chaque jour un peu plus, qu'il avait appelé l'homme de sa vie sans vraiment douter de la durée de leur relation. "Jon", c'était tout ça. Ce n'était pas le surnom de son ex, c'était la douceur des jours heureux, il ne pouvait pas l'associer avec ce qu'il se passait actuellement. Peut-être que le surnom ne dérangeait pas le brun mais il dérangeait Kenan, il sonnait faux.
“Bien sur que tu n’es pas un étranger … Tu restes mon meilleur ami pour moi … enfin … Plus que ça même … Avec tout ce qu'on a partagé …"
Et là encore, malheureusement, ça sonnait faux. Il n'était plus rien pour lui, simplement son ex qu'on range dans une case appelée communément "passé", qu'on ne ressort plus. Il n'était plus son meilleur ami, il ne faisait même plus vraiment parti de sa vie autrement que par leurs amis en commun. Ce n'était pas une nouveauté mais c'était toujours aussi désagréable.
“C’est que … J’ai encore du mal à connaitre les limites Kenan … Je ne veux pas te faire souffrir en me comportant comme avant cette fête ou tu m’as embrassé … Est-ce que ça serait être un connard de me comporter à nouveau comme ton meilleurs ami ? Est-ce que cette proximité te ferais souffrir ? Ou est-ce que c’est de prendre mes distances qui te fera le plus de mal ? J’en sais rien du tout … Je veux pas te perdre mais … Je veux pas rendre ça plus difficile pour toi … Je t’ai déjà assez fait de mal comme ça …"
Que répondre à ça ? Kenan se força à ne pas le regarder dans les yeux. Déjà parce que le sorcier verrait sans difficulté les différences présentes dans ses pupilles et ensuite parce qu'il ne saurait pas quelle expression son regard traduirait, pendant qu'il le pouvait encore. Il n'y avait pas de proximité envisageable, pas de "meilleur ami à nouveau", rien. Et il l'avait déjà perdu. Kenan ne s'amuserait pas à remettre ce sujet sur le tapis mais rien ne serait jamais plus comme avant cette fameuse fête et leur premier baiser. Ils avaient cessé d'être Jonah et Kenan, leur duo n'était plus rien depuis que leur couple s'en était allé. Il n'y avait pas de question à se poser, il n'y avait que les souvenirs du passé et du peu de lien qui leur restait, l'inquiétude de Kenan, les sourires de Jonah, rien de plus.
“Mais tu as raison … Je te dois la vérité sur ma santé … Je voulais pas t'inquiéter … La semaine dernière je l’ai passé à l’hôpital …"
Il le sent se crisper. Il se crispe aussi. Voilà exactement ce que le blond redoutait et la raison pour laquelle il avait harcelé ses amis de questions ces derniers jours. Il l'avait senti. Pourrait-il mettre ça sur le compte de ses nouveaux pouvoirs d'oracle ou cela était-il juste dû à son côté paranoiaque quand le sujet était la maladie de Jonah? Peut-être un mélange des deux mais bordel, il l'avait senti. Quelque chose n'allait pas et personne ne le lui avait dit. Son poing se serra un peu en imaginant le sorcier à l'hopital, seul, effrayé. Parce qu'il l'avait été. Il n'en doutait pas, il se souvenait du nombre de fois où il était resté au téléphone avec lui toute la nuit pour ne pas le laisser seul dans cet environnement qu'il détestait, qui l'effrayait. L'hopital était toujours une épreuve, quelque soit ce qu'il allait y faire, il détestait ne l'apprendre que maintenant. Et en trois mots, Jonah termina d'augmenter ses inquiétudes : Il avait opéré. De quoi ? De qui ? Une greffe ? Non, on le lui aurait dit, tout de même. Alors quoi ?
“Je prends plus de poids … j’en perd même … Il a été décidé de me poser une sonde gastrostomie, dans un mois si tout va bien on passe à une sonde stomie … ça me permet d’injecter les nutriments directement dans mon estomac …"
Kenan n'était pas médecin, il n'avait même pas réellement fait d'études là dedans, avait simplement passé son brevet de secouriste, voulant être prêt au cas où Jonah avait une crise à la maison pour limiter les dégats. Mais cette merde de sonde, il avait beaucoup lu à son sujet et ce qu'il avait appris ne le rassurait absolument pas. Comment ça Jonah perdait du poids ? C'était peut-être un détail pour les autres mais pour lui c'était gravissime, le jeune homme était assez maigre comme ça. Sa tentative d'humour était absolument inefficace tant Kenan comprenait, avec douleur les implications que cela engendrait. Sa santé se dégradait. Tous deux savait que cela devait arriver, il arrivait à l'âge où tout allait arriver et où la greffe de poumons était la seule à pouvoir lui offrir quelques années de vie, sans pour autant résoudre le problème. Ils étaient conscients de tout ça, l'un comme l'autre et à travers les lignes, tout était dit.
“Je suis sortie qu’hier … J’ai franchement pas la force de faire la fête ni l’esprit à ça … Et ça aurait fait encore plus de frais à mes parents … Je leurs ai pourtant dit que je voulais pas de cette putin de chirurgie … ça sert à rien hormis creuser leurs dettes, encore et encore ..."
Kenan n'avait pas réfléchi. Alors que Jonah venait de dire qu'il en avait marre de se battre, il s'était précipité pour amener sa chaise près de la sienne et le prendre dans ses bras. Sans hésitation, sans s'inquiéter des barrières qu'ils avaient mis ces longs mois. Ils étaient seuls ici, Jonah avait les larmes aux yeux et déclarait qu'il en avait marre de se battre et que cela ne servait à rien. C'était insupportable, il n'allait pas rester sans rien faire. Aussi l'attrapa-t-il dans ses bras, le faisant venir contre son torse et son épaule, calant sa tête contre la sienne, le sentant craquer, doucement d'abord puis en sanglots puissants.
« Je suis là Jon...Je suis là... » sa voix trembla sur la fin, une larme commençant à se créer au coin de son oeil à lui aussi. Il y avait une chose que Kenan ne disait jamais à Jonah, c'est que tout irait bien. Tout n'irait pas bien, ils le savaient depuis l'enfance et le blond n'avait jamais voulu lui mentir. Il y avait ça entre eux, la conscience de ce qui allait arriver mais la certitude que quoi qu'il arrive, Kenan serait là. Evidemment c'était si différent aujourd'hui, il l'avait même appelé de nouveau Jon, comme si la rupture n'existait pas vraiment. Elle existait. Mais à cette seconde précise, il ne voulait pas l'entendre. Il caressait son dos, ses cheveux, comme avant, le laissant lâcher tout ce qu'il avait à lâcher. Il en avait besoin, Kenan se détestait déjà de ne pas pouvoir avoir été là plus tôt, il ne comptait pas bouger.
« Quoi qu'il arrive... » souffla-t-il finalement, comme avant. Ca sonnait différemment. Peut-être pas faux cette fois mais...Différent. Il ne pouvait pas lui dire qu'il l'aimait, comme il le faisait d'habitude. « Je suis toujours là... » et cette fois-ci c'est sa propre larme qui glissa le long de sa joue et disparu. Il était là. Aujourd'hui. Mais le reste du temps ? Rupture à la con. Alors ils restèrent là. Longtemps. Se perdant dans l'étreinte de l'autre, dans un parfum qu'ils n'avaient pas senti depuis des mois, oubliant l'espace de quelques minutes ce qui les avaient séparé. Se complaisant dans la présence de l'autre, comme ils ne pouvaient plus le faire. Et enfin, quand les sanglots du sorcier se calmèrent , Kenan glissa doucement sa main son menton pour qu'il le regarde.
« Ils font ce qu'il faut, ça n'a jamais été ta faute, ça ne le sera jamais. Mais ça vaut le coup Jon...Tu vaux le coup, je te jure... »
Et tout à ses inquiétudes pour le jeune homme, Kenan en avait oublié quelque chose. La proximité de leurs regards. Les yeux de Jonah qui étaient dans les siens. Dans les siens abimés par sa nouvelle nature d'oracle. Il était impossible qu'il ne remarque pas une différence à présent.
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Le temps se suspend, l'espace de quelques secondes, le temps pour Kenan de retrouver un réflexe qu'il avait cru perdre et de descendre ses yeux sur ses lèvres. L'embrasser semble si proche et en même temps, si loin dans ses souvenirs. Avec douleur souvent le jeune oracle se rappelle de leur premier baiser, de la logique de cet instant, de ne jamais avoir rien ressenti d'aussi incroyablement juste. Leur histoire avait été d'une logique incroyable après être resté dans l'ombre de ce que Kenan ne voulait pas s'avouer toutes ces années mais aujourd'hui, où en étaient-ils ? L'oracle aimait encore le sorcier, bien évidemment. Pourrait-il seulement arrêter un jour, malgré la rupture ? Certainement que non et l'envie de prendre les devants, une nouvelle fois, de faire ce que son coeur lui hurlait à nouveau lui dévorait les entrailles. Mais ce ne fut qu'une seconde, fugace avant que le regard de Jonah ne se plante dans ses yeux et que la réalité le rattrape avec la violence d'une claque. Préoccupé par les problèmes de santé du jeune homme, de ce qu'il venait de lui avouer, de ses sanglots qui lui avaient brisé le coeur, l'oracle en avait oublié sa nouvelle nature. Sa cécité avançait à grand pas, trop vite, trop intensément. Et Jonah venait de le comprendre. Ils n'avaient pas eu besoin de se le dire, en un échange de regard, la réalité les avait rattrapé.
“Kenan …"
Il veut fuir. Il fait un mouvement vers l'arrière, essaie de détourner les yeux. C'est horrible comme il ne voudrait plus être là, à cette seconde précise. Remonter le temps, ne pas avoir fixé Jonah dans les yeux de cette façon. Il ne voulait pas le lui dire. C'était stupide, il n'allait pas pouvoir le cacher éternellement et peut-être serait-ce pire de l'apprendre une fois les dernières lumières éteintes mais le blond ne s'était jamais senti prêt. Il ne l'était toujours pas d'ailleurs, d'où son mouvement de recul mais Jonah l'avait retenu, s'aggripant à sa veste. Il le connaissait bien le bougre.
“Pourquoi ne m’as-tu rien dis ?”
Il ne peut pas véritablement le lui dire et puis, après tout, le sorcier le savait. Il le voit se répondre à sa question mentalement, comment aurait-il pu le lui dire ? Ils avaient rompu. Alors oui, évidemment, c'était facile à dire alors que lui passait son temps à demander à tout son entourage des nouvelles de l'état de santé de Jonah mais...Ce n'était pas pareil. Jonah était atteint d'une maladie terrible qui ne lui offrait plus beaucoup d'années. Si Kenan devenait aveugle, cela n'entachait en rien son espérance de vie. En théorie. Et puis cela avait toujours été leur dynamique, l'oracle était l'épaule sur laquelle Jonah se reposait, si l'épaule ne pouvait plus le tenir, que restait-il ? Et peut-être Kenan n'était-il pas prêt à accepter l'idée de ne plus jamais le voir. De perdre l'une des seules choses qui lui restait, leurs photographies dans son téléphone. Celles accrochées au mur. Son album photo, en général. Vestiges de leur histoire auxquels il n'aurait plus droit et une fois Jonah parti, il ne lui resterait plus rien. Kenan n'était pas prêt à l'accepter, comment l'aurait-il pu ?
“Kenan … depuis combien de temps perds-tu la vue ? Et ne me ment pas … J’ai vu Ely perdre la sienne … Je reconnais les signes …"
Il avale sa salive le jeune garçon, le voit culpabiliser, s'en vouloir, comment aurait-il pu le savoir ? Kenan passait son quotidien à essayer de le cacher, de façon plus ou moins discrète.
« Si tu n'as rien vu c'est parce que je ne voulais pas que tu le vois... » finit-il par articuler, difficilement. Lui qui se donnait tant de mal pour vivre une vie à peu près normale avait laissé tomber sa garde avec Jonah. Evidemment. C'était Jonah, il oubliait tout à ses côtés. Mais comment lui expliquer à présent ? Il ne voulait pas lui dire la vérité mais était bien incapable de lui mentir. Mais admettre que sa vue déclinait depuis un peu moins d'un an était bien trop parlant. Jonah avait les connaissances nécessaires pour faire le rapprochement entre sa cécité brutale, sa nouvelle nature d'oracle donc et leur rupture qui en avait été à l'origine. Un choc émotionnel qui l'avait rendu vulnérable. Trop fort d'un coup. Il hésita, comment allait-il pouvoir s'échapper de ça ?
« Ecoute ça fait...Quelques mois. Mais c'est pas...'fin.... » Il allait dire que ce n'était pas grave. Ca l'était. Il ne pouvait pas lui mentir. « Mais ça va...Je le gère. Ne t'inquiète pas pour moi... » Conneries. Il allait s'inquiéter. Jonah avait du coeur, ils se connaissaient depuis tant d'années qu'il était absolument inconcevable qu'il ne s'inquiète pas ne serait-ce qu'un minimum. S'il aurait dû regretter de l'avoir avoué, une certaine chaleur emplissait son coeur, très égoistement. L'idée de le lui avoir enfin avoué. De pouvoir le voir d'aussi près, au moins une dernière fois. Et de le voir s'inquiéter pour lui, comme si leur histoire avait encore un sens pour le sorcier. Elle en avait pour Kenan.
« Je ne voulais pas que tu t'inquiète Jonah...C'est plus ta responsabilité... » prononça-t-il finalement, à contre-coeur. Il aurait tellement aimé que ce le soit encore.
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