Ta phrase juste à toi T’es né dans une famille de fées. Tu sais, ces êtres avec ces ailes à paillettes, cette poudre qui permet de contrôler les esprits, oui, ces êtres-là. Pourtant, cette particularité n’en était pas une, pas aux yeux de ta famille, qui vivait totalement intégrée dans cette société à l’apparence humaine. Il y avait cette communauté énorme à Galway, où ils se connaissaient tous un peu, et tu as grandi avec des cousins, des amis, avec lesquels tu as pu faire des courses-poursuite aux ailes battantes, dans un jardin de maison de campagne, comme prémices de ton futur métier.

A vrai dire, à tes yeux, cette vie fut chiante à décrire, mais plutôt cool à vivre. Tu séchais les cours parfois, car t’étais quand même un petit con à cette époque, mais ça ne t’a pas empêché d’être pas trop mauvais à l’école, et même de faire des études. Bref, t’étais pourri-gâté, plus à te marrer avec ton rire chelou, qu’à pleurer. Mais ça s’est un peu gâté après, en revanche.

Le premier véritable événement dans ta vie fut ta rencontre avec cette magnifique femme, Thea. Tu fêtais la fin de ton avant-dernière année d’étude, elle fêtait sa rémission d’un cancer qui lui avait pourri son adolescence. A vrai dire, ce fut un coup de foudre, tu savais que c’était elle, elle savait que c’était toi, mais elle ne voulait pas s’engager trop vite, pas alors qu’elle se croyait foutue et qu’en réalité, elle a toute la vie devant elle. Alors, vous avez pris votre temps, elle a débuté des études à son tour, t’as fini les tiennes. Et alors que tu passas inspecteur, elle t’a demandé en mariage. T’as dit oui autant à un poste à Cork, Irlande, qu’à sa demande.

T’as commencé aux drogues et crimes organisés, tu bossais comme un fou pour prouver que si tu n’avais pas eu à gravir les échelons comme d’autres de tes collègues, tu restais un type compétent. T’as galéré, autant dans ton début de carrière, que dans l’art de tenir un mariage. Tu n’étais pas un mauvais bougre, juste tu la prenais pour acquis, et t’étais jamais vraiment à l’écoute, tu ne comprenais les choses que lorsqu’on te les disait. Typiquement un aveugle. Et surtout tu n’avais aucune patience au boulot. Tu tirais des conclusions trop hâtives, tu te lançais sur un suspect comme un chien sur un os, et t’as bien failli détruire une vie.

Tu avais trouvé un informateur, qui te disait tout ce que tu voulais sur un trafic de drogue, et qui t’avait balancé le nom du responsable. Et tu as tout, tout fait pour que ce mec tombe. Sauf que rien ne te permettait de prouver son implication. Rien, que dalle, que des preuves circonstancielles. Alors… T’as utilisé ta poudre de fée, pour qu’il avoue. Tu l'as pratiquement torturé et il a avoué, persuadé que des types lui feraient la peau s'il ne confessait pas. Et il l'a fait, sous le regard ahuri de son avocat, qui a bien failli avoir une attaque sur le coup.

T’es tombé des nues quand ton partenaire a découvert que le soi-disant miraculeux informateur était tout simplement un type payé pour donner de mauvaises pistes. Et il a trouvé le vrai chef du trafic. D’ailleurs, ce fut à ce moment là que tu pris la décision de ne plus jamais te servir de tes talents au service de la police. Trop risqué. Puis, ça t’a mis du plomb dans la tête, t’as grandi, et t’es passé de bleu à inspecteur à ce moment-là, vraiment. T’as accepté que ton bureau allait toujours crouler de dossiers, et que ton travail allait être de longue haleine, vraiment.

Du coup, t’as bossé, t’améliorant avec le temps, t’as fait partie de ces flics qui bossaient tellement que leur mariage passait au second plan. Thea était compréhensive, du bol hein ? Enfin, c’est surtout qu’elle n’a pas vraiment eu le temps de se dire que tu te foutais de sa gueule, car le cancer, il est revenu. Vous aviez 28 ans.

Vous êtes tombé de haut, mais pourtant, vous étiez optimistes. Elle n’allait pas si mal que ça finalement. Juste son foie qui était illuminé comme un sapin de Noel à l’IRM. Et elle avait déjà survécu à un sale cancer avant, alors cette fois-ci, ce n’était pas grand-chose hein ? Du coup, t’étais un peu dans le déni, et ta femme, elle a surtout cherché à t’épargner, du coup, comme un con, t’as passé les deux dernières années de sa vie à elle à sauver la vie des autres.

T’essayes de te consoler en te disant que c’était pour le bien public, mais en fait, tu te sens comme un gros connard.

Peu après l’annonce de son cancer, vous avez déménagé à Bray, car les effectifs de la crim’ là-bas étaient en besoin, t’as rempli les trous un peu. C’est là que t’as rencontré l’autre Craig. T’as vérifié, il était pas de ta famille, mais bordel, ça t’avait pas rendu jouasse. Au début, dès qu’on appelait l’un, les deux répondaient, et en plus, ils vous ont foutu en partenariat. Les CraigCraig. T’as mis du temps à l’apprécier, lui…

Durant les dernières semaines de ta femme, t’as quand même vu que ça n’allait pas fort du tout. Qu’elle faisait des malaises quand t’étais pas là. T’as fini par l’emmener à l’hôpital où ils t’ont dit qu’elle se laissait mourir. T’as pas compris, et tu comprendras jamais, mais ta femme t’a abandonné, à ton sens. Et quand elle est morte, t’as pété un câble, tout détruit dans la maison que vous avez achetée tous les deux.

Depuis, tu vis avec une cuisine tout juste fonctionnelle, un canapé devant un meuble télé, tout ça dans le salon. T’es plus jamais allé dans votre chambre, et tu vas dans la buanderie quand ton sac de sport qui contient tous les vêtements que t’as gardé – les seuls que t’as acheté toi-même, les autres ont brûlé – est vidé. D’ailleurs, la seule chose que t’as gardé d’elle, c’est ton alliance, qui est désormais à l’annulaire opposé.

Quand t’es retourné au travail, tu t’es rendu compte que t’avais changé. Là où t’étais plus cool avant, t’es devenu un peu plus terne. T’es devenu un malade de la santé, tu t’es mis au sport encore plus qu’avant, tu fais gaffe à ton alimentation, tu te dis que c’est parce que tu te fais chier tout seul, mais en fait, t’as juste une peur bleue d’attraper le cancer toi aussi, parce que le karma est une bitch et que tu penses le mériter.

Mais vu que t’étais plus trop fan de l’idée de rentrer chez toi alors que t’arrives même pas à vendre ta maison – elle est proposée en vente, mais tu refuses toutes les propositions, du coup, les agents immobiliers ont un peu abandonné – que t’es devenu un élément vachement important pour la police. Et t’as fini par accepter l’existence de ce partenaire.

Puis, il était pas si mal, ce Craig².

Par contre, tu tiens bien à préciser encore que vous n’êtes pas du tout de la même famille. Des fois que ça ne serait pas évident…