crissement de pneus (dagda&emily)

Reprenons. Donc, à quel moment Emily était passée de la meilleure amie, celle qui répondait quand on appelait à l’aide et dont la réciproque était vraie, à… Celle qu’on embrassait ? Disons que j’avais embrassé pas mal de gens dans ma vie. Par séduction, par sensualité, pour le sexe tout court, par bravade, par envie, des personnes de tout genre, des hommes, des femmes, des plans culs, des relations « sérieuses » comme on le disait d’un air pompeux à quinze ans. J’avais jamais embrassé mes potes, ou alors c’étaient des sex-friends ou des ex.

Mais là, ça m’avait pris d’un coup, j’avais été porté par ce que je disais, et c’était venu tout seul. Et quand ça venait tout seul, j’avais tendance à penser que c’était la sincérité qui parlait. Et si c’était la sincérité qui parlait, alors… Qu’est-ce qu’elle disait hein ? J’en savais trop rien. D’ailleurs, Emily avait l’air foutrement paumée, et j’étais resté silencieux de peur de la réaction qu’elle allait avoir. Elle balbutiait. Ok. Puis elle posa une question un peu bête. « Généralement, je fais ça sur la joue. » Et c’était vrai.

C’était probablement pour ça que je dus réprimer un fou rire, qui avait probablement plus de la nervosité que réellement de l’hilarité. Mais je répondis quand même à la mauvaise question : « Euh, depuis là. Maintenant. Même si c’était la mauvaise question. » Petit rire en même temps que le sien.

Et elle parla encore de ces visions, qu’elle aurait bien aimé avoir pour se préparer. Si je n’avais pas été aussi proche d’elle, probablement que je me serais frappé le front avec la main. Est-ce qu’elle vivait dans une autre réalité que la mienne pour réellement vouloir tout savoir avant que ça arrive ? C’était pas déjà ça de le savoir au moment où ça arrivait ? Ca évitait bien d’autres malaises. « Tu m’aurais peut-être pas envoyé ce SMS, du coup. » C’était sorti tout seul, mais c’était aussi la formulation de ma crainte. Que si elle avait su que j’allais l’embrasser sur un coup de tête, qu’elle abandonne son plan de me faire chercher ses chocolats, pour m’engueuler sur ce que je faisais réellement de ma vie, pour finir sur ça. J’avais un peu peur de ce qu’elle réponde à cette question indirecte. J’avais même pas envie de savoir, ce genre de question ne se posait pas dans ma logique de l’existence. J’étais pas de ceux qui disaient « si j’avais su, j’aurais fait autrement ». Non, jamais. Regretter, je le réservais à mon crime, et ça, j’avais fait le deuil.

Je ne lui laissai pas le temps de répliquer, pas spécialement envie qu’elle mette tout de suite fin au suspense. J’allais encore en faire qu’à ma tête, sûrement, peut-être profiter du moment de flottement quand y’avait des questions auxquelles je ne voulais pas de réponses, tant qu’elles occupaient le vide, j’allais continuer. « J’avais pas prévu, mais tu m’connais, j’prévois rien. Du coup, bah, j’vais pas te dire, allez, on est en couple, j’emménage, t’as pas besoin de te préparer à ça – d’ailleurs, ça aurait été injuste parce que j’étais pas plus prêt que toi. Mais voilà, je t’ai embrassée, et j’vais recommencer. » Cette fois-ci, puisqu’elle voulait tant que je la prévienne, alors c’était fait.

A présent, j’allais peut-être y aller plus gentiment, elle pourra répondre – ou pas – comme elle le veut. Je mis ma main derrière sa nuque, histoire de l’approcher de moi. On n’avait pas une très grande différence de taille – heureusement, j’avoue que j’avais assez de complexes dessus, j’allais pas en plus devoir lever la tête pour faire un baiser hein.

Puis sans attendre plus je repris où j’en étais avant de m’en aller un instant plus tôt. De toute façon, parler au milieu de tout ça, ça n’avait rien de pratique, ni même de sexy. Vas y Emily, dis moi.