“You only live once, but if you do it right, once is enough.”
— Non, non et non ! Elle s'appellera Aileen.
— Mais non, Erlina c'est bien plus beau !
— Pourquoi pas les deux ?
— Personne n'a deux prénoms dans cette famille, on ne va pas commencer avec notre fille !
Calum et Fionna venaient de passer une demi-heure à se disputer sur le prénom ee leur enfant à naître. Allongés sur le canapé depuis un bon moment, ils échangeaient sur tout et rien jusqu'à ce que le sujet vienne sur le tapis.
— Pourquoi pas ? Le changement, ça ne fait pas de mal !
— Tu me fatigues... Aaaah.
— Pas besoin de t'énerver, chérie...
— Non, abruti... Aaaah... CALUM.
Il fallut encore de longues secondes à l'homme pour comprendre ce qui se passait. Il aida sa femme à se lever en se rendant doucment compte que ce soir là, 9 Avril, il allait avoir sa fille. Sa merveilleuse petite fille. Erlina Sweeney. Car on ne disait pas non à la femme qui venait de mettre au monde sa princesse.
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Au commencement, il y a les petits bonheurs
Erlina était une enfant heureuse, il n'y avait aucun doute là dessus. Elle évolua dans un cadre familial aimant, entre sa mère et son père qui étaient gagas d'elle, ses grands-parents qui donneraient tout pour la gâter et voir souriante et son oncle et parrain, qui passait le plus de temps possible avec elle. Cadre auquel s'ajouta un petit frère à ses quatre ans.
Elle grandit comme n'importe quelle gamine ; elle jouait, elle riait, elle avait des petits chagrins, elle découvrait le monde qui l'entourait avec émerveillement, un rien pouvait susciter sa curiosité.
C'était aussi une petite fille à croquer, du genre à attirer les regards lorsqu'elle sortait avec ses parents, celle à qui l'on ne cessait de dire "mais regardez comme elle est mignonne". Rouquine aux yeux clairs, elle ne se fondait pas exactement dans la masse. Et ça ne changea pas au fil des années.
Si vous lui demandiez, à elle ou à sa mère, de vous raconter des anecdotes sur son enfant, sûrement que la première à revenir serait cette obsession et cette extrême curiosité qu'elle avait développé dès son plus jeune âge pour l'univers magique. À ses cinq-six ans, la petite avait déjà pris pour habitude de s'installer sur les genoux de son père pour qu'il lui parle de ce monde fantastique qui se cachait derrière un rien. Elle se voyait déjà en Hermione Granger, sauvant ses meilleurs amis d'un monstre à trois têtes. Elle fut presque déçue de découvrir vers ses neuf ans qu'elle était loin du compte. La fan des films Harry Potter qu'elle était avait subi une réelle désillusion. Ce n'était que de la poudre aux yeux.
À dix ans, Erlina s'était mise en tête qu'elle deviendrait enfant du cirque et qu'il n'était jamais trop tard pour commencer ! Elle rejoignit un cours de gymnastique qu'elle suivit avec autant de sérieux qu'on puisse y mettre à cet âge là. Nouvelle déception quand elle se rendit compte que ses chances d'atteindre son fol but étaient minces. Extrêmement minces. Une année plus tard, elle se passionnait de piano et de musique. Et cette fois, elle réussit à accrocher. La petite touche-à-tout se centra enfin sur une seule activité au grand bonheur de ses parents qui n'en pouvaient plus de courir entre la natation, la danse, le karaté, le dessin, la sculpture et dieu seul sait ce qu'elle aurait pu leur sortir de plus.
Quand elle acquit une certaine aisance, elle osa demander à ses parents de l'inscrire également à un cours de violoncelle. Son temps libre était partagé entre les deux instruments, au fil du temps, elle se mit à composer et à écrire des chansons. La musique faisait battre son coeur, elle ne vivait plus qu'en courant entre cours et conservatoire. C'est notamment grâce à elle qu'elle connut à l'âge de douze ans celle qui deviendrait sa meilleure amie. Fionna était nouvelle dans son cours de piano mais avait déjà un petit niveau, leur professeur les mit ensemble pour un quatre mains pour le concert de fin d'année. Et comme si elles étaient destinées à être amies, ça accrocha directement et depuis ce jour là, elles ne se lâchèrent plus.
Leur amitié fût rythmée par leur passion commune mais pas que ! Elles furent réunis sur les bancs de leur dernière année de collège, elles eurent bien vite fait de devenir un petit tandem infernale pour leurs amis. Leur complicité n'avait égale que le niveau de leurs plans tordus. Missions cupidons, enquête sur des nouveaux, elles se lançaient dans des histoires tirées par les cheveux à force de se prendre pour des Sherlock en herbe. Et ça n'avait fait qu'empirer quand elle furent engager ensemble par la rédaction du journal du lycée pour tenir une rubrique "Le saviez-vous ?" spécialement dédiée à la vie de l'établissement.
Elle qui n'avait pas de soeur à la maison, elle considérait que Fiona occupait cette place : une soeur d'une autre mère que la vie aurait réuni par la suite. Pour autant, elle ne s'en plaignait pas tant. Elle n'était pas malheureuse d'avoir un frère avec lequel elle s'entendait plus que bien. Leurs rapports avaient pu être houleux alors qu'elle commençait à grandir et qu'elle le considérait comme un gamin mais ça allait en s'arrangeant puisqu'ils avaient trouvés plusieurs terrains d'entente : les jeux vidéos, la musique, au détail près que son frère soit plus branché musique moderne que formation classique, les séries et films. Elle aimait passer du temps avec Rayan. Leur activité préfère ? Regarder des comédies musicales. Ils pourraient y passer des heures ! Vraiment ! Entre les High School Musical enfants, les films d'animation disney, puis d'autres plus sérieux plus tard comme la la land ou the greatest showman, les dernières années. Ils s'accordaient bien pour dire que les comédies musicales ont le pouvoir de rendre tout meilleur.
Les amourettes ne furent pas une priorité pour l'adolescente. Ce n'est qu'à l'âge de seize ans qu'elle se mit à s'intéresser aux garçons et parfois même... aux filles. Elle ne comprit pas tout de suite qu'elle pouvait se sentir attirer par les deux et quelque part, elle eut peur de se confier à Fiona à ce sujet. Bien une première ! Inconsciemment, elle avait peur que cela change quelque chose entre elles. Et c'était bien stupide de sa part, comme l'avait si bien affirmé son amie.
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Et puis il y a les catastrophes qui arrivent. Il faut bien vivre avec des plot twist, qu'ils disent. — Allez, dis oui, dis oui, dis oui ! Ça sera génial et tout le monde y sera, ça sera le meilleur moment de l'année !
— Je ne suis pas sûre, ma puce. Tu sais ce qui se passe dans ces soirées.
— Alcool, drogue, sexe, je sais, je sais, tu me le répètes à chaque fois. Mais ça, c'est les autres. Je ne bois jamais, tu le sais !
— Oui mais parfois, on veut juste faire comme les autres à ce genre fêtes, ça commence par un verre et après c'est la décadence.
— Promis, je serais sage. Et puis, je vais faire une bonne action, maman ! Je vais surveiller Fiona pour qu'elle ne fasse pas de conneries.
— Tu rentreras avant 3h ?
— Bien sûr !
— Bon... D'accord, pour cette fois.
Le cri d'excitation qui échappa à la jeune fille était tout ce qu'il y a de plus strident, à en percer les tympans de sa pauvre mère qui ne put s'empêcher de rire face à la bonne humeur de sa fille. Cette dernière avait attrapé son téléphone au même moment pour appeler sa meilleure amie. Ça allait être mé-mo-ra-ble. Erlina devait attendre Fiona qui avait emprunté la voiture de ses parents pour les emmener elle, leur ami Jacob et son petit ami du moment Reidlegh. La soirée, comme elle s'y attendait, fût absolument géniale. La jeune femme avait tenu la promesse faite à sa mère, pas un verre d'alcool n'avait approché ses lèvres. Elle tournait au jus d'orange et au virgin mojito. Avec Fiona et Reidlegh, elle gagna trois parties de bière pong, son petit ami étant le seul à boire à tous les coups. Sa meilleure amie ne devait pas exagérer puisqu'elle les raccompagnait.
Aux alentours d'une heure et demie, la jeune fille alla trouvée son chauffeur attitré pour lui proposer de rentrer. Aussi fatiguée qu'elle, elle accepta bien vite. Criant pour se faire entendre par dessus la musique qui battait son plein, Erlina pouvait encore l'entendre lui répondre :
—Oui ! On va y aller. J'allais venir te trouver. J'ai peur que si on s'attarde je sois trop claquée pour prendre le volant.
— Super. Faudrait qu'on trouve les deux gigolos, je les ai perdus y a un moment déjà.
— J'ai vu Jacob, il m'a dit qu'ils rentraient plus tard avec un pote à eux.
— Okay, bah on se tire.
— Super, je te rejoins dans cinq minutes, je dois trouver Irwyn avant.
— Va, je t'attends dans la voiture.
Elle la voyait encore lui balancer les clés et faire volte de face, se frayant un chemin dans la foule en se trémoussant sur une chanson de Jennifer Lopez très en vogue à ce moment. En montant dans la voiture des parents de Fiona, la jeune fille mit le contact, brancha son téléphone à l'aide d'un câble auxiliaire et se laissa bercer par les douces notes de Fall for you de Secondhand Serenade. Elle ne releva même pas quand son amie claqua la portière côté conducteur et démara. Elle fit abstraction de ses piaillements joyeux et se laissa doucement enfoncé dans un sommeil éveillé où elle percevait à peine ce qu'il se passait autour.
Jusqu'à ce que le main enfoncée sur le claxon de son amie la tire de son doux coma, elle sursauta puis tout se passa au ralenti. La voiture qui fonçait sur eux, Fiona qui braquait, la sortie de piste. Pourtant, tout ne s'était produit qu'en quelques secondes. En quelques secondes, son existence avait basculé. La voiture s'était retournée et elle avait perdue connaissance.
Quand ses yeux se rouvrirent, elle eut bien du mal à se situer. Jusqu'à ce qu'elle voit le pare-brise éclaté et que ses teux tombent avec horreur sur Fiona dont une partie du visage était couverte de sang. Fébrilement, elle chercha son téléphone. Elle devait faire quelque chose. Qu'importe. Pourtant, elle se sentait piégée. Elle était incapable de bouger les jambes, la carrosserie s'était tordue et l'emprisonnait.
Elle finit par trouver l'objet de ses recherches. Écran cassé mais tactile fonctionnel, elle put joindre les pompiers. Au bout du fil, une femme à la voix posée lui répondit.
— 999. Que puis-je pour vous ?
— Je... Je... Mon amie et moi... On a eu un accident. On est coincées. Y a du sang. Je ne sais pas quoi faire. Je ne peux pas bouger. À l'aide.
— Calmez vous, mademoiselle. Comment vous appelez-vous ?
— Erlina, mais on s'en fiche ! Je vous dis qu'il y a du sang... Mon amie, mon amie risque de mourir, il faut que vous fassiez quelque chose !
— D'accord, où êtes-vous, Erlina ?
— Je ne sais pas. C'est flou. Il y avait des arbres et.. et je ne suivais pas par quelle route on allait.
À grand renfort de mots rassurants, la femme au téléphone pût récupérer les informations leur permettant de retracer le trajet des deux adolescentes. Elle ne raccrocha pas pour autant. Elle resta avec elle jusqu'à ce que les secours arrivent sur place, probablement pour éviter qu'elle ne retombe dans l'inconscient. À leur arrivée, les secouristes commencèrent par Fiona qui semblait en bien pire état qu'elle. Ce qu'elle entendit par la suite la choqua.
— Elle est coincée, que disait l'un d'entre eux.
— On peut pas la dégager ?
— Non, ça serait beaucoup trop risqué, on pourrait lui provoquer une hémorragie, ça pourrait être mortel.
— On ampute, alors ?
— C'est la seule solution viable.
La seule femme de l'équipe s'approcha d'elle avec un regard compatissant, le regard qu'on assène à une proie avant de l'achever. Les doigts d'Erlina se renfermèrent sur l'avant-bras de la secouriste.
— Non. Vous ne pouvez pas, non.
— Il n'y a pas d'alternative.
— Non ! Je ne vous laisserais pas ! Vous n'allez pas prendre ma jambe. Non !
— Ma belle... Ça va aller, je te le promets.
— Non, pas ma jambe, pas ma jambe.
Les larmes avaient empli le regard de la rouquine. Elle ne pouvait pas imaginer sa vie en étant une... handicapée.
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Et parfois, une catastrophe en entraîne une autre. Facilis descendus averno, non ?Quand elle ouvrit difficilement les yeux, elle était à l'hôpital. Sa mère tenait sa main et semblait assoupie sur la chaise. Combien de temps avait-elle passé dans cet état ? Elle ne saurait dire. Des heures ? Des jours ? Puis la réalité la frappa de plein fouet. La soirée, l'accident, l'amputation. Lâchant la main de sa mère, elle se mit à tâter... Non. Non, non, non. Sa jambe. Elle... elle n'était plus là. Sa soudaine agitation tira sa mère du demi-sommeil dans lequel elle était plongée et cette dernière poussa un petit cri.
— Oh, tu es réveillée. Chh... C'est bon, ça va aller...
Et c'était ce que tout le monde lui avait affirmé lors des jours qui avaient suivis. Que ça allait aller. Qu'elle allait s'en remettre. Qu'il fallait juste s'y faire.
Juste s'y faire. Comme si c'était normal. Comme si elle pouvait arriver de passer outre. Fiona s'en était apparemment sorti indemne, juste une commotion qui avait entraîné un petit suivi pendant 48h. Elle était tirée hors d'affaire.
La rouquine se renferma sur elle même, elle ne parlait à plus personne, refusait de sortir ou d'essayer de marcher avec sa prothèse, elle était entrée dans un cercle vicieux. Et doucement, tous la lachèrent. Elle voulait se transformer en ermite imbuvable ? Grand bien lui fasse. Tous sauf Fiona. Jusqu'au jour où elle mit leur amitié à dure épreuve.
Elles étaient dans sa chambre et cette dernière insistait pour qu'Erlina essaye au moins de faire quelques pas avec la prothèse. Que si elle y mettait du sien, elle pourrait revivre normalement. Et Erlina explosa.
— La ferme, Fiona. Qu'est-ce que t'en sais ? Aucun de vous ne sait ce que ça fait. Je suis la seule à avoir pris cher. Et comment c'est arrivé ? En te suivant dans tes conneries et tes soirées de merde ! C'est de TA faute si je suis dans cet état. À cause de TON plan foireux. Alors maintenant, tu te la boucles avec tes airs de bon samaritain. JE NE VAIS PAS ME LEVER ET MARCHER.
Elle avait vu les yeux de sa meilleure amie s'emplir de larmes avant qu'elle ne ramasse son sac et parte sans rien ajouter.
Par la suite, la solitude bouffa Erlina de l'intérieur et elle fit même la folie d'essayer d'invoquer un Djinn pour qu'il lui rende sa jambe. Cela avait failli se retourner contre elle si sa mère n'avait pas débarqué au bon moment pour la couper dans son élan.
Et finalement, le déclic se fit par le biais de son frère. Elle avait encore été odieuse et elle ne s'était absolument pas attendu à ce retour de balle. Ils étaient tous assis à table au dîner et il finit par taper du poing.
— Arrête de faire ta garce, bordel.
— Rayan, l'avait averti leur mère.
— Non, c'est vrai ! On a compris, Erlina. Tu souffres. Mais t'es pas la seule, merde. T'es entrain de briser cette famille, il est temps que tu te réveilles. Y en a marre, j'en ai marre de supporter tes sautes d'humeurs et tes chouineries. C'est pas la fin du monde. Si tu passais la moitié du temps que tu passes à te plaindre à essayer de remarcher tu pourrais déjà courir un marathon.
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"Ad maiora"... Vers de belles choses. — Tu es sûre que tu veux faire ça ? lui avait demandé Fiona en l'accompagnant.
Et pour être sûre, elle l'était. Voilà deux ans qu'elle était passée par le pire. Et maintenant qu'elle avait difficilement remonté la pente, elle voulait le marquer sur sa peau. Elle avait réussi.
Elle en avait mis du temps à choisir son tatouage. Mais elle était plus que sûre de le vouloir. Elle avait longuement réfléchir à sa définition et pris le temps de trouver un professionnel à la hauteur. Ce jour-là, sur sa clavicule, on put lire un message. Ad Maiora. Vers de belles choses.
Et c'était le cas dans sa vie, loin d'accepter totalement la perte de sa jambe, elle la vivait bien mieux. Elle avait arrêté de se morfondre et elle avançait. Elle avait repris ses études qu'elle avait mis entre parenthèses pendant un an. Elle prit son indépendance en emménageant seule puis en adoptant un chien. Elle se faisait certes financer par ses parents mais elle avait pris un job d'étudiant, pour pouvoir avoir son argent à elle. Finalement... Elle pouvait être heureuse, non ?