DANGER DANGER [Vali & Emily]

J’attendais depuis un bon dix minutes, trépignant presque. Mon pied battait en rythme de Mon cœur, rapidement donc. Woody à mes pieds, beaucoup plus calme que sa maitresse d’ailleurs, j’essayais de lire mon livre. Enfin, j’essayais de faire semblant de lire de manière convaincante, postée sur le banc près du 10 de la rue. Quitte à lire, après tout, j’aurais été plus confortable chez moi. Et mes coups d’oeils incessants hors dudit livre et vers la porte de la vieille maison du 10 ne devaient tromper personne. Quoique, personne ne passait dans la rue non plus, donc il n’y avait personne à tromper. Mais le livre n’était qu’un prétexte. Parce que c’était louche, une jeune femme qui attendait devant une maison que quelqu’un en sorte. Ca faisait harcèlement sexuel et histoires sordides. Mais j’attendais effectivement Vali, qui finirait bien par sortir de chez lui à un moment ou à un autre.

Pourquoi est-ce que je n’allais pas frapper chez lui, me direz-vous, si je voulais tant le voir. La réponse tient en la personne du colocataire de Vali. Adam. C’était en tout cas le nom par lequel il se faisait appeler. Vali était, de façon assez incompréhensible pour le commun des mortels, tombé sous le charme d’Adam. Ils vivaient ensemble, et les rumeurs allaient bon train sur la nature exacte de leurs relations. Les rumeurs, je m’en fichais bien. Le même genre de rumeurs avaient couru quand je vivais avec Darleen. Les villes rurales aiment les rumeurs, c’est tout. Ce qui m’inquiétait, en revanche, c’était le danger qu’Adam représentait pour le blondinet. Au début, ça n’avait été qu’un instinct, une petite voix qui avait susurré à mon oreille la première fois qu’Adam était passé près de moi. Je n’avais fait que le croiser pourtant. Mais l’aura d’Adam avait généré une forme de malaise qui avait empli mon corps. Et puis, était venue la vision. La certitude, désormais ancrée, que Vali était en danger s’il restait près de son colocataire. Adam n’était pas armé de bonnes intentions, loin de là. Et il fallait que j’essaie de prévenir Vali.

C’était stupide, cette manie que j’avais encore de vouloir prévenir les gens. Cet espoir, mince et futile, que peut-être, un jour, j’arriverais à éviter qu’une de mes visions se produise. Je ne sais pas si je le faisais encore par habitude ou par conviction. Peut-être étais-je juste une idéaliste désespérée et désespérante. Il faut dire qu’Anna, avec ses pep talks, m’encourageait un peu dans cette voie. Elle était persuadée que mes visions n’étaient pas le fruit d’un hasard sadique qui s’acharnait sur moi. Elle voyait dans celles-ci un outil que je pouvais contrôler, utiliser, et dont je pouvais me servir pour faire le bien autour de moi. Jusqu’ici, les résultats n’avaient pas franchement été concluants. Mais j’essayais, encore. Parce que je ne pouvais pas savoir que Vali était en danger de mort, et ne rien faire.

Parlant de Vali, le voilà qui sortit enfin de chez lui. J’entendis sa voix, et il avait sa façon à lui de claquer la porte. Il était sans Adam, Dieu merci. Je m’étais jurée de ne pas me faire trop voir d’Adam. Je ne tenais pas à devenir une cible. D’un geste, je rangeais mon livre et Woody était de nouveau sur ses pattes, prêt à jouer son rôle. Son rôle, en l’occurrence, consistait à se jeter sur Vali pour lui dire bonjour. J’avais dit à cet adorable chien que s’il voulait lui faire la fête, histoire de bien forcer le blond à répondre, il aurait une friandise supplémentaire. Et Woody semblait avoir très bien compris la consigne. Il se rua donc sur le jeune homme, et je laissai « malencontreusement » partir la laisse. Posant mon livre sur le banc, j’étais debout, feignant la surprise avec une conviction absolue. Enfin, j’espérais.
« Woody, reviens ici!”, m’exclamai-je, et le chien tenta un dernier saut avant de revenir sagement. Fier de lui, probablement, et impatient d’avoir son cadeau. Je repris la laisse et me redressai.
« Désolée, il est tout heureux en ce moment. Comment tu vas? C’est marrant de te voir ici. »
J’étais peut-être la pire actrice du monde. Je n’en avais aucune idée. Je priais intérieurement pour avoir en moi une graine d’actrice à Oscars.
« Tu, euh…tu tombes bien, je partais justement prendre un café. Ca te dit, un café ? »
OK, je ne gagnerais définitivement pas d’Oscars. C’était pitoyable. Avec un peu de chance, Vali ne m’en voudrait pas. Ou il penserait que c’était un plan drague foireux. Ce qui ne risquait pas de marcher si les rumeurs sur Adam et lui étaient fondées. Mon plan tombait à l’eau.

Heureusement pour moi, Vali ne semblait pas avoir vu clair dans mon jeu. Il semblait surtout très content de voir Woody, qui le lui rendait bien. Une chance que mon chien adorait qu’on s’occupe de lui. Pourtant il ne manquait pas d’attention avec moi. Mais il allait quand même en chercher partout où il pouvait.
Et avec Vali, il était servi. Le jeune blond était fort sympathique. J’avais du mal à le cerner, pour être honnête. Mais je l’appréciais. Parfois, il faut juste arrêter de chercher pourquoi.

Il présenta sa nouvelle maison avec une joie et une excitation qui irait bien à un gamin. Et je lui souris en retour, parce que sa joie était contagieuse. Je savais qu’il avait emménagé avec Adam. Je n’étais pas censée le savoir, évidemment, alors je feintai une légère surprise. S’il savait. J’étais là exactement pour ça. Sa colocation. Son colocataire. L’emmerde monstrueuse dans laquelle il s’était plongé. Celle de laquelle j’essayais de le sortir, malgré lui, malgré moi. Lui avait l’air content de sa situation. C’est cool, qu’il disait. J’avais envie de le secouer un grand coup pour qu’il comprenne.

« Un café ? Bah euh d’accord. Je crois savoir ou y’en a un dans le coin ? Tu viens ? »
Soulagement. Il semblait accepter l’invitation plutôt bien, même si elle venait de nulle part. Jusqu’ici, le plan se déroulait sans accroc. Manque de chance, c’était la partie facile qui se jouait actuellement. Ce serait une fois que l’on serait installés que la partie difficile commencerait. Il y avait effectivement un café pas loin. Et j’avais vérifié qu’il était ouvert aujourd’hui. J’avais tout prévu. Enfin, je crois.
Notre petite compagnie se mit donc en route pour le café, Woody caracolant en tête, moi le suivant doucement, Vali à côté de moi. Une mission secrète vers leur QG, et un chocolat chaud. Un muffin si nous nous accordions une folie. Ce fut Vali qui reprit la conversation. Dieu merci. Emily était tellement dans l’anticipation qu’elle aurait été bien incapable de parler de la météo.

« Eh bien, il fait beau, et Woody avait besoin d’une balade. Donc je me suis dit qu’aller boire un café en ville serait mieux que de le boire dans mon canapé. La vie fait bien les choses. »
Oui, la vie, ou toi, Emily. Mais j’essayais de donner le change autant que je le pouvais.
« Et on va bien ! Merci. Pas facile tous les jours, mais Woody est en forme, et moi aussi. J’attend les fêtes de fin d’année avec impatience. C’est la première fois depuis des années que je le ferai avec ma famille. Ca va être bien. »
J’espérais. Quand j’étais partie aux Etats-Unis, je n’étais pas revenue pour les fêtes de fin d’année. Pas le temps. Pas le courage. Pas la force d’affronter le regard de tous ceux que j’avais laissé derrière. Alors cette année serait une première depuis longtemps. Avec Andy, Zach, Kyle, maman. Ensemble. Ca pouvait être une merveilleuse soirée, faite d'amour et de bienveillance. Mais connaissant les deux garçons, ça pouvait être aussi un désastre formidable. Et puis, ma mère était devenu un élément imprévisible avec sa maladie, et elle semblait avoir quelque chose contre Andy ces derniers temps. Sauf qu'elle était incapable d'exprimer quoi.

« Et toi, ça va ? C’est chouette que tu aies trouvé quelque part où t’installer. Parle-moi de ton coloc. Il est bien ? »
NON. La réponse était non. Le colocataire était dangereux. Il était tout sauf bien. Mais je me devais de ménager un peu Vali. Il avait l’air attaché à l’homme, dans ma vision. Peut-être l’était-il déjà. Auquel cas, ce serait encore plus difficile de le convaincre du danger qu’il représentait. Et puis, comment faire ? Je ne pouvais pas juste lui dire que j'avais vu l’avenir et qu’il lui ferait du mal, un jour, mais je ne savais pas quand parce que mes visions n'étaient pas datées. Tâter le terrain me donnerais déjà une bonne idée de à quel point nous étions dans la merde. Lui littéralement ou presque. Moi, parce qu’elle s’était donnée cette mission divine de l’en sortir.

« C’est vrai c’est vraiment un gros coup de hasard que vous soyez venu dans le coin ! »
Je souris docilement. Il avait l’air d’avaler le bobard que je lui avais sorti. Donc pour l’instant, moi et mon opération ninja, on était protégées. Ca ne me plaisait pas beaucoup, de mentir à Vali. C’était un garçon vraiment bien. Je l’appréciais. Mais je n’avais pas beaucoup d’autre choix que de lui mentir. La vérité était trop…étrange, il ne l’accepterait probablement pas.

Et puis, il avait l’air heureux. Je savais que ça ne durerait pas. Je ne savais que trop bien qu’il finirait clairement moins heureux. Mais pour l’instant, il avait vraiment l’air d’apprécier la situation dans laquelle il se trouvait. Je n’avais pas le courage de lui dire frontalement « ton coloc est un être maléfique et il va finir par essayer de te tuer. Peut-être même réussir ». Des fois, c’était difficile d’être la porteuse de mauvaises nouvelles.

Vali m’expliqua donc qu’il avait déménagé à cause d’ennuis avec son ancien propriétaire. Je ne relevai pas, me contentant d’un haussement de sourcils. Un souci avec le propriétaire ? Vali était parfois un peu spécial, comme s’il venait de débarquer sur Terre. Il ressemblait à ce personnage de film dont j’avais oublié le nom. Celui où Amy Adams est une princesse qui débarque dans le monde réel. Un des seuls films que j’ai accepté de regarder, enfin, d’écouter, depuis ma cécité. Vali pouvait être considéré par certains points comme un inadapté au monde actuel. Mais de là à se faire virer de là où il vivait…

Mais je n’insistai pas, car il passa à la partie qui m’intéressait le plus. Le coloc. Que Vali semblait vraiment apprécier, et ça commençait presque à m’inquiéter. Comment je réagirais, si on me disait que Dagda était un être maléfique qui allait finir par me tuer ? Ou Anna ? Pour le sauver, je devais lui faire comprendre et accepter que cette personne qui l’avait presque recueillie et avec qui il semblait bien s’entendre, allait le trahir. Si j’étais à sa place, je me frapperais et ensuite je fuirais, et je refuserais probablement de m’adresser la parole jusqu’à la fin de mes jours.

Le pire dans tout ça, c’est que Vali semblait clairement reconnaissant envers Adam. Il se demandait pourquoi il avait bien voulu de lui. Déjà, ça traduisait un manque profond d’estime de soi. Mais ça, je n’allais pas lui jeter la pierre, j’étais plus ou moins dans le même cas. Mais surtout, à cause de ça, Vali parlait de son colocataire comme s’il était supérieur, et qu’il lui devait quelque chose. Au plus Vali parlait, au plus je me rendais compte de l’attachement qu’il avait pour Adam, et de la difficulté que serait de lui faire ouvrir les yeux.

« Tu sais, je suis sûre que tu es un super coloc. Il aime peut-être vivre avec toi, c’est tout. Ou alors, il a ses raisons. Ne te diminue pas comme ça. », dis-je avec un sourire.
On arriva enfin au café. Notre petite équipe entra, et s’installa à une table près de la fenêtre. Woody, au garde à vous, prêt à sauter sur le moindre bout de muffin tombé par terre.
« Comment tu as trouvé cette coloc ? C’est quand même un sacré coup du hasard, que tu doives quitter ton précédent appartement et que tu trouves cette colocation. Dans un beau manoir en plus. Il…ne te demande pas de loyer ? »
J’essayais d’attirer son attention sur les étrangetés de cette situation. Bon sang, je ferais vraiment une piètre espionne. Heureusement pour moi, la serveuse arriva pour prendre notre commande avant que Vali ait pu répondre.

- Il euh s’occupe des cadavres a la morgue il est Thana …. Truc chose. Et euh d’accord j’y penserais pour la mairie … Je pourrais essayer de postuler.

Thanatopracteur. Oui, le nom était difficilement prononçable. Et je trouvais ça assez ironique, que cet homme soit thanatopracteur. Il aimait la mort, ou cela ne le dégoûtait pas tout du moins. Bon, ok, j’extrapolais un peu. Mais maintenant, tout ce que pourrait me dire Vali ne ferait que renforcer ma conviction qu’Adam était dangereux et ferait du mal au jeune blond.

Vali n’avait pas l’air très enthousiaste pour le poste de la mairie. Je pouvais le comprendre, il y avait plus sympa que de bosser à la mairie. Mais au moins, c’était des horaires confortables, un environnement sain. Et on pouvait faire un travail intéressant, le mien par exemple me convenait bien. Pas le plus stimulant du monde, mais j’avais de quoi remplir mes journées, je rencontrais des gens, j’aidais à résoudre des problèmes. Ca me correspondait, au fond.

Malgré tous mes efforts pour lui mettre le nez dans la merde, Vali s’obstinait à ne sentir qu’une douce odeur de rose. Adam était « juste un mec sympa ». Non. Les mecs sympas qui hébergeaient des inconnus gratuitement, ça n’existait pas. Mais le blond était de toute évidence trop naïf. Ou trop attaché. Je me demandais si Adam n’était pas un genre de magicien, et qu’il aurait pu faire un élixir d’amour pour Vali, comme dans les films. Un truc qui ferait que Vali ne verrait que le bon en lui et refuserait de se détacher. Je n’étais pas sûre que ça existait, ceci dit. Probablement pas.

La serveuse arriva avant que j’aie pu protester. Vali regardait Woody, et je savais ce qu’il avait en tête. Ce chien avait le don de faire des yeux de merlan frit qui pourraient attendrir n’importe qui.
« Il n’a pas le droit de manger du gâteau. Ca pourrait le rendre malade. Et il le sait. Mais il est têtu. », dis-je en souriant. Je bus une gorgée de café et grimaçai. Il était trop chaud. Evidemment.
« Ecoute, je ne veux pas te mettre en conflit avec Adam. Juste….Fais attention à toi. Je le sens pas, ce mec. Et j’ai plutôt un bon instinct. »
Un bon instinct. Façon diplomatique de dire que l’avenir que je voyais finissait toujours par arriver. Malheureusement pour moi et les gens qui m’entouraient, j’avais rarement tort sur mes visions.