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 I'll keep coming || Zach

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Les mots. Ils n'avaient jamais été doués pour ça, pour les mots. Les intentions étaient trop pures, les répercussions trop intenses pour qu'ils ne s'en servent qu'avec une parcimonie toute réfléchie. Certains filaient comme l'eau, des mots, mais d'autres, les plus importants, restaient toujours coincés dans leurs gorges. Un mutisme involontaire, à moins que ça ne soit pas tout à fait le cas. Car les mots, ils savaient l'un comme l'autre qu'ils n'avaient pas le vocabulaire adéquat pour en faire de jolies phrases. Ils avaient le sens qu'ils voulaient bien leur donner, d'autant plus lors des moments où la vie était plus dure. Et même avec ça, ils n'arrivaient toujours pas à les faire sortir.
Parce qu'ils étaient trop cons. Parce qu'ils n'étaient pas des intellectuels. Parce qu'ils s'aimaient trop, aussi, peut-être.
Dans ces moments où tout était trop dur, pourtant, ils avaient trouvé une parade. Les regards prenaient le relais, chargés d'une intensité démultipliée à l'infini. Chargé de tout le sens que les mots leurs refusaient. La violence des émotions, qui transparaissait dans toute sa beauté par des éclats, des lumières, au fond des iris. Terre contre océan. Chaos et Tempête. A ces moments, Kyle savait ce que son frère lui disait. Kyle se chargeait de parler, de dire tout haut ce que Zach ne réussissait plus à faire sortir. Parce que la Terre et l'Eau ne sont rien l'une sans l'autre. Parce que sans Zach, le Triton n'aurait jamais plus réussi à chanter.

Quand on était gamins, Zach, tu passais ta vie à me dire que je parlais trop. Que mes mots sortaient trop vite, trop abrupts, trop fort. Tu passais ton temps à te plaindre de ma violence systématique, que ce soit dans mes gestes ou dans mes émotions. Et si j'ai appris à me contenir, si j'ai appris à me canaliser, y'a toujours des situations dans lesquelles elle reviendra toujours. Parce que toi, toi, tu laisses jamais sortir tes sentiments. Tu les gardes pour toi, au fond de toi, ils t'envahissent, ils te dévorent, et ça se voit. Ca se lit dans tes yeux. Les émotions montent comme un raz de marée et te noient dans leur ressac.
C'est pour ça que j'ai appris, Zach. J'ai appris à dire les choses que tu ne dis pas. Même si c'est maladroit. Même si c'est obscur. Même si ça fait mal, plus mal que ça ne le devrait.
Je fais tout exploser, Zach. Toi, moi, le monde. Je fais tout exploser, parce que toi, tu ne le fais pas. Tu n'y arrives pas.
Alors j'ai appris à te faire mal. Pour que tu ailles mieux.


Kyle avait toujours trouvé le regard de son frère trop expressif, pour qui savait le lire. Et les années lui avaient donné toutes les clés pour apprendre à déchiffrer chacun des messages qui s'y trouvaient, comme un codex dont il était le seul à connaître la combinaison. Une fierté sans pareille qu'il avait toujours éprouvée, quand bien même ils ne se disaient jamais ce genre de choses. Parce qu'avec toute la merde qu'ils avaient brassée ensemble, il était fier de connaître son frère. Il était fier de son frère, de sa force, de sa ténacité. Mais son regard, cette brume qu'il voyait au fond de ses yeux rougis par l'émotion et la fatigue, était insoutenable en ce moment précis. Naturellement, il laissa retomber son bras. Conscient qu'il avait touché un nerf sensible en ouvrant trop vite, ou trop fort la bouche, il se contenta de hocher faiblement la tête. Bien sûr qu'il en aurait fait de même. Bien sûr, et ça se lisait dans ses prunelles océanes. Il aurait sacrifié le monde et la planète pour s'assurer que son frère serait en sécurité, c'était inscrit dans son corps, dans son sang.

J'entends tout, je comprends tout. Parce que je sais, Zachary, je sais. Je ne le sais que trop et ça me bouffe à un point que tu ne peux pas imaginer.
Parce que j'ai peur, Zachary. J'ai peur qu'un jour, tout s'étiole. Parce que j'aurais été trop loin, parce que j'aurais été trop con. J'ai peur qu'un jour tu t'effondres, et que je ne parvienne pas à te relever.
Que ce soit avec mes mots, ou parce que j'aurais tout gâché.


L'alcool aidant, le Triton finit par se laisser aller en arrière. Reposa sa nuque sur le rebord de la baignoire, le remous laissant déborder une infime cascade d'eau tiède sur les carreaux au sol. Un soupir, plus un grognement qu'une résignation, s'échappa de ses lèvres. Zachary refusait son aide, Zachary refusait son argument. Refusait que Kyle assume son rôle dans cette nuit de chaos, ou même qu'il assume ses propres erreurs. Comme tant d'autres fois auparavant, la position de son frère était trop nette, trop abrupte, elle aussi. Vexant, il aurait pu l'être, si Kyle ne connaissait pas le brun sur le bout des doigts. Il cherchait encore à le protéger. Il cherchait encore à le défendre, voire à l'excuser. Pourtant, sa détermination avait quelque chose de rassurant. Une légère fluctuation dans sa voix. Celle qui assurait qu'il ne cherchait pas le conflit, mais la résolution. Qu'il acceptait, aussi, de se reposer.
Aussi frustrant que puisse être son frère, ce dernier savait être raisonnable. Une qualité qu'il avait apprise au fur et à mesure, lui aussi. Ils n'avaient jamais su être raisonnables, par le passé. Mais ils avaient grandi. Zachary avait grandi, et Kyle était plus que fier de l'homme qu'il était devenu.

Même les yeux fermés, le Triton pouvait sentir le poids de son regard sur ses nageoires. Une autre constante, une brûlure à laquelle il avait fini par s'habituer. La marque d'un passé commun un peu trop douloureux qu'il valait mieux oublier. Un commencement, aussi. Celui de leur relation, ce moment de suspension lorsqu'ils s'étaient enlacés dans cette ruelle humide de Dublin, et s'étaient promis silencieusement de ne plus jamais se quitter. S'il lui avait fallu du temps pour accepter l'état de ses nageoires, Kyle ne les voyait plus comme une honte. Elles étaient une force, un témoignage. La preuve immuable, physique, qu'on n'avait pas besoin d'être du même sang pour être frères.
Sa voix lui arracha un sourire embrumé, alors qu'il rouvrait les yeux sur le plafond. Cette maison, quand bien même elle n'était pas la leur, était elle aussi un réceptacle de souvenirs. Ce n'était certes pas celle d'Andy, mais ce qu'ils avaient vécu entre ces murs était tout aussi beau que chez eux. Ce serait amplement suffisant, vu la soirée qu'ils étaient en train de subir.

-Et forcément la baignoire de la vieille pie était la meilleure...

Contrite, sa voix, trop rauque, trop feule. Comme chargée d'une ampleur qu'il n'aurait pas crue, qu'il n'aurait pas voulue. Ce n'étaient pas les souvenirs qui la rendaient comme ça, c'était toute la tension accumulée dans l'air qui retombait doucement, en même temps que la minuscule sculpture d'eau qu'il façonnait distraitement entre ses doigts. Une vague d'enivrement reflua dans son système, lui arrachant un énième ricanement léger. Ils avaient fait une quantité astronomique dans cette vieille baraque, c'était un fait. Emily en avait fait les frais. Mais ce qu'il retiendrait surtout de cette période, c'était le fait qu'ils étaient ensemble. Une vérité qui n'avait pas de prix, et recouvrait progressivement l'horreur d'un voile d'ouate.
L'odeur de la fumée de cigarette agita ses sens, et il se redressa pour observer son frère. Vraiment l'observer. Ses mains ne tremblaient plus autant que quelques instants auparavant, mais son visage était d'autant plus marqué par la fatigue. Secouant la tête pour marquer la négative, le blond se hissa pour s'emparer du paquet et lui subtiliser un bâtonnet. Les doigts trop mouillés et trop erratiques pour allumer la cigarette, il laissa le soin à son frère de s'en occuper pour lui. Tira une bouffée, la sentit parcourir sa trachée puis ses poumons, envahir ses nerfs et les apaiser. Au fond, il n'y avait plus qu'à espérer que son frère ait compris le message.

Reste. Reste, aussi longtemps que tes forces te le permettront.
Reste, aussi longtemps que tu le pourras.
Reste.


Et le temps de s'étirer, enfin, entre eux, dans ce silence dont ils avaient le secret. Un silence sécurisant, doux, où les mots n'avaient pas leur place. Où ils ne pouvaient ni blesser, ni heurter, ni faire mal par leur justesse. Une bulle confortable qu'ils avaient fini par se façonner avec le temps, avec les années. Parce qu'ils se connaissaient par coeur. Parce qu'ils savaient que certaines occasions n'appellent pas un autre bruit que celui, éloigné, de leurs coeurs battants à l'unisson.
La voix de Zachary finit par envahir la bulle, étirant ses contours pour finalement la faire exploser. Sa cigarette pendue à sa lèvre, le Triton battit sa nageoire caudale par dessus la faïence, lentement, écoutant son frère et sa voix trop brisée. Sa voix trop chargée en une multitude d'émotions contenues, trop lourde de sens pour être évitée.

Il aurait pu ouvrir la bouche, tenter de l'interrompre. Mais il y avait une telle urgence, dans la voix de Zach. Une telle douleur contenue que Kyle ne dit rien, écoutant en silence, encaissant chacun de ces mots trop durs, trop purs, à même le cœur. Car lui aussi, il avait peur. Peur de perdre le brun, peur de se réveiller un beau jour et ne plus jamais le revoir. Peur que le monde les arrache l'un à l'autre, sans qu'ils ne puissent rien y faire. On pouvait lui arracher son monde, sa vie, sa profession, sa Camaro et ses clopes de sous-marque. On pouvait lui arracher le coeur, on pouvait lui arracher les écailles ou l'âme, il s'en foutait. Mais pas s'il s'agissait de sa famille. Pas s'il s'agissait des deux hommes qui avaient réussi à atténuer le cauchemar d'une vie trop difficile, et lui avaient appris ce que c'était d'aimer trop fort, d'aimer à en crever.

Tu m'as toujours reproché de trop parler, d'avoir des mots trop bruts. Mais tu sais, dans le fond, c'est toi qui as toujours été le pire de nous deux. Parce que si tu ne les fais pas facilement sortir, ces mots que tu utilises touchent toujours droit au coeur. Font un mal de chien, à en crever, non seulement parce que tu as raison, dans le fond. Mais aussi parce qu'ils réveillent tout ce qui dort, au fond de moi. Cette terreur bien trop réelle que tout ça ne soit qu'un rêve. Une parenthèse, une oasis de douceur au milieu du désert.
Je parle quand tu ne parles pas, Zach, mais quand tu parles, tu me détruis.
Quand tu me parles, tu me reconstruis.


-Je comprends.

Et c'était vrai. C'était la chose la plus vraie qu'il ait pu dire, de toute la soirée, sinon lorsqu'il avait avoué à son frère qu'il lui faisait confiance.

J'aimerais te promettre, Zachary. Mais dans le fond tu sais comme je suis.
Tu sais qui on est.
Des bombes à retardement. Tôt ou tard, on se fera péter, sans retour possible. Des petits bouts de nous, de tout ce qu'on est, qui sera éparpillé un peu partout sans que personne ne puisse rien rassembler.
C'est ce qu'on est, toi et moi. Des dangers, pas pour les autres, mais pour nous-mêmes.
Mais j'aimerais, mon frère.
J'aimerais tellement pouvoir te le promettre.


Et le raz de marée d'emporter son frère par dessus bord. Il aurait voulu empêcher ces larmes de ruisseler le long de ses joues, il aurait voulu toutes les recueillir pour les remettre dans ses yeux. Tout petit garçon, il avait appris à faire des sculptures d'eau avec sa mère. Et quand, accablée par la douleur d'une vie avec trop d'échecs, Leanna s'effondrait, il posait ses paumes au creux de ses yeux clairs, doucement, tentant de les contenir. Mais pour Zach, il en était incapable. Non seulement parce que ce n'était pas ça, eux. Mais aussi parce qu'il n'était pas dans un plus bel état que le brun.
La boule qui s'était formée dans sa gorge l'empêchait de dire quoi que ce soit. Les larmes étaient venues toutes seules, alors qu'il s'était toujours efforcé de les contenir autant que possible. Parce que Zach avait ce don incroyable de le ramener toutes ces années en arrière. Des années douces, où le monde n'avait pas encore tourné au chaos, où la vie n'était pas une pute mais nourricière. Où le chant de Leanna résonnait dans les pièces ensoleillée de ce minuscule appartement où il se sentait tant en sûreté.

Le pragmatisme du brun ne pouvait rien y changer. Kyle s'en foutait de boire ou de manger. Ses forces étaient revenues, juste assez pour qu'il se redresse, juste assez pour soutenir son propre corps suffisamment droit. Juste assez pour qu'il enroule ses bras autour de ses épaules dans une puissante étreinte. Juste assez pour qu'il fourre son menton dans le creux de son cou et ferme les yeux. Une étreinte qui signifiait bien plus que les mots. Qui signifiait bien plus que les enchevêtrements de syllabes qu'il était incapable de prononcer, surtout à qui les connaissait tous les deux.  

Je pars pas. Je ne partirai plus. Je ferai attention. Je veux pas que tu t'inquiètes autant. Je veux pas que tu pleures. Je veux pas que tu souffres. Je veux pas que tu partes. Je veux pas qu'on s'abandonne.
Je veux pas te bouffer parce que je suis trop con, et je sais, je sais que tu finiras par en crever, de mes conneries. Je le sais, et je veux pas de tout ça.
Je veux pas te perdre.
Alors je te promets. Je te promets que je ferai plus attention. Je te promets que je serai moins stupide, moins inconscient. Je te promets que tu n'auras plus à t'inquiéter autant pour moi, que tu n'auras plus à te faire de mal pour moi. Je te promets, aussi, d'être toujours là pour toi.
Pour te rattraper quand tu tomberas, toi aussi. Parce que tu peux pas porter notre poids à tous les deux sur tes épaules. T'es pas assez fort pour toi, même si pour moi, tu seras toujours le plus fort de nous deux.


Ils restèrent ainsi enlacés pendant des minutes qui semblèrent durer une éternité. Peu importait que les larmes se mêlent à l'eau tiède, peu importait que la position soit inconfortable, peu importait que Zach soit trempé.
Zach serait trempé. Kyle finit par le relâcher, et glissa un regard embrumé sur son frère. Constata les traces d'eau partout sur son vêtement, qui, même s'il pompait le liquide vaillamment, était tout sauf en éponge.

-Merde, mais qu'est-ce que j'suis con !

Il n'y avait ni pensé ni réfléchi. Le geste était venu instinctivement, comme une nécessité absolue. Vitale. Celle de maintenir la carrure trop fine, trop accablée de son frère. De lui montrer que tout irait bien, tout en se rassurant lui-même. Mais le mal était fait, et le pull du brun était résolument foutu pour la soirée. Et Kyle de pester, pour éviter le malaise de s'installer entre eux. Pour leur épargner une explication, de la gêne ou quoi que ce soit d'autre. Parce que ce type de gestes, ils ne les faisaient jamais. Ce type d'étreintes, ça n'était jamais que sous-entendu entre eux. C'étaient leurs yeux qui parlaient, d'ordinaire, leurs bouches. Pas leurs cœurs. Pas leur humanité.

Mais je te promets, mon frère. Je te promets que tu n'auras plus à laisser l'inquiétude, la peur et le chagrin te ronger comme ça. Je te promets que tu pourras compter sur moi, aussi longtemps que tu le voudras.
Aussi longtemps qu'on sera en vie.


Un sourire naquit timidement sur les traits du blond, avant de s'accroître. L'embarras n'avait pas sa place entre eux. Pas plus que les mots, pas plus que la douleur. Ils avaient suffisamment donné, l'un et l'autre. Mais, même si le temps était passé, même si les larmes avaient coulé, ils espérait sincèrement que Zach aurait compris. Que si les mots n'étaient pas sortis, ils étaient pensés. Des mots qui venaient du cœur.

-C'est con, t'avais réussi à pas t'en foutre partout jusqu'à maintenant ! Mais eh, quitte à être mouillé...

Suffisamment de forces, et suffisamment d'alcool dans le système pour désamorcer toute l'émotion qui s'était instillée entre eux. D'un mouvement ample de nageoire, il envoya une giclée d'eau tiède sur son frère, achevant de ruiner son pull dans un éclat de rire gras. Enfantin. Un rire libérateur qui faisait un bien fou, qui déployait ses poumons, qui lui permit de reprendre de l'air en larges goulées. Parce qu'ils avaient suffisamment souffert, tous les deux. Parce qu'il valait mieux rire que pleurer. Le soleil était toujours plus beau après la pluie.
Inondant son frère, le sol, et une bonne majorité de la salle de bain à grands coups de nageoire, il l'aspergea autant que possible avant de se calmer. De revenir, s'accoudant au rebord de faïence, et de repousser quelques mèches trempées du large front de Zachary. Ca faisait du bien, de le revoir s'énerver, et rire. Ca faisait du bien de revenir à leurs habitudes, de l'entendre jurer, de le voir revivre.
Parce que Zachary mort, il en rêvait, des fois. Des nuits de cauchemars profondes, d'angoisse réelle. Le visage pâle de son frère, ses immenses yeux marrons vitrifiés par son face à face avec la Faucheuse. Des nuits qu'il passait dans son lit, même à la vingtaine passée, même s'il le repoussait pour prendre toute la place, juste pour le sentir bien vivant à ses côtés. Et il ne voulait pas voir ça. Jamais.

-J'te promets que ça va aller, Zach. J'te promets d'être un peu moins con. Mais toi promets-moi que tu vas pas tarder à aller te pieuter.

Baisse tes défenses, le monde ne peut pas nous atteindre, maintenant. Pas quand on est ensemble. Je te promets de veiller sur toi, tout comme tu veilles sur moi.


-Si tu veux j'peux te chanter une berceuse. Ce sera pas la première fois. Pis ça m'ferait plaisir.

Ca lui ferait plaisir de voir son frère enfin détendu. Parce que ça faisait trop longtemps qu'il voyait ses traits tirés, ça faisait trop longtemps qu'il le voyait se fracasser sur les récifs, emporté par le ressac de ses propres émotions. Il laissa retomber sa main dans l'eau, sa joua distraitement avec ses nageoires écharpées. Chaque déchirure, chaque filament, lui rappelait qu'ils existaient tous les deux. Qu'ils étaient un contre le monde.
Sa voix se fit plus douce. Plus tendre, un peu, aussi, malgré toutes les insultes qu'ils se lançaient régulièrement en pleine figure. Parce qu'ils savaient, au fond, que ce n'était que des mots comme les autres pour se dire tout ce qu'ils étaient incapables de communiquer.

-Non vraiment j'suis sérieux, si t'as envie je te chante un truc. Faut vraiment que tu pionces.

Je suis désolé, Zach. Désolé de te faire souffrir autant. Alors laisse-moi me racheter. Laisse-moi m'occuper de toi, maintenant que le monde nous fout la paix.


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La fumée qui envahit doucement la pièce nous laisse tous les deux dans notre élément, dans notre zone de confort. J'ai mis plus de temps à allumer ma propre cigarette qu'à laisser la flamme allumer celle de mon frère. Sans doute pour vérifier s'il n'avait pas dit ça pour me faire plaisir, sans doute pour être sûr que je risquais pas de lui faire plus de mal encore qu'il n'en avait déjà.
Pourtant, le fait de tenir cette clope entre mes doigts, le fait de sentir la fumée traverser ma trachée pour venir se lover dans mes poumons à tout de suite un effet relaxant. Mes mains tremblent moins, concentrées sur ce geste pourtant si simple. Mon cœur palpite moins à s'assurer que j'expire correctement. Mon corps s'apaise et mon esprit aussi, doucement, lentement. La cigarette entre les doigts je joue délicatement avec la fine fumée qui s'échappe de ma bouche.

T'en fais pas, je pars pas.
T'en fais pas, je te laisse pas.


Des mots qui s'épuisent dans nos bouches sans même franchir nos lèvres. Des mots que l'on ne se dit pas mais qui ont plus de sens que tout ce que l'on arriverait à dire. Parce que ça a toujours été ça, le problème, le fait que je sois incapable de parler correctement de mes sentiments. Le fait que j'ai trop peur de dire ce que je ressens, que j'ai mal quand je finis par dire des mots qui comptent, bien plus mal que quand il me lance une chaussure dans la figure. J'ai pourtant fini par parler, fini par dire les mots qu'on ne dit pas. J'ai fini par oser, articuler et avoir l'impression de saigner à chaque syllabe. Pourtant je continue, et j'insiste. Avec des mots qui me brisent autant qu'ils le brisent. Avec des mots qui nous font plus mal qu'aucun coup ne le fera jamais. Et quand je finis par me taire, la voix de mon frère s'élève pour dire les mots qui à leur tour change tout, qui alors tour, veulent dire tout.

Tu comprends. Si tu savais comme ça me fait du bien, Kyle. J'ai besoin que tu comprennes que je veux leur casser la gueule, les étriper jusqu'au dernier. J'ai besoin que tu comprennes que si tu décides de les tuer jusqu'au dernier alors je t'accompagnerai. J'ai besoin que tu comprennes que moi aussi je veux te venger, mais pas autant que je veux te protéger. Alors je te demande juste de nous laisser un peu de temps, avant d'exploser. Je te demande quelques années de répit, quelques années pour croire qu'on a toute la vie devant nous sans que ça dégénère. Parce que t'as beau être mon frère, j'ai loupé quatorze années de ta vie et ça, c'est des années qu'on aura plus jamais. Alors laisse moi encore quelques années, mon frère. Quelques années pour te montrer combien t'es devenu un homme bon, combien je suis fier. Laisse moi quelques années pour graver des images dans ma tête avant que l'on explose ensemble.

Et puis c'est pas grave, si on pleure ce soir, mon frère. C'est pas grave parce qu'il y a trop de soirs où on a pas pu pleurer. Y a trop de soirs que la vie nous a volé. Alors tant pis, si les larmes coulent sur nos joues fatiguées. Tant pis si ce soir, on est bon qu'à pleurer.

Malgré la proposition maladroite, je n'ai pas envie de bouger. Pas envie de quitter cet espace sûr qu'on a réussi à se créer. Je n'ai pas envie de quitter ce moment, ni cette pièce, pas encore, pas maintenant. Mais pourtant, le geste du triton me surprend. Son étreinte me fait écarquiller les yeux un millième de seconde avant que mes mains ne se glissent dans son dos et ma tête dans sa nuque. Avant que le monde extérieur disparaisse complètement, l'espace de ces quelques instants. Mes doigts serrent son dos abîmé et j'ai l'impression, là maintenant, que plus rien ne pourra nous arriver.

C'est bon, Kyle, je sais. Je sais tout ça et c'est pas de ta faute si je suis comme ça. C'est pas de ta faute si je m'inquiète trop, c'est juste parce que je t'aime un peu trop. Je sais que tu partiras plus, mon frère. Je sais qu'on ne se quittera plus, mon frère.
Je te promets que tu ne me perdras jamais. Je te promets que quelque soit l'heure, le jour, l'année, tu auras toujours mon épaule sur laquelle t'appuyer. Tu m'entends Kyle ? Arrête d'autant t'inquiéter pour moi, tant que tu es là, ça va. Tant que tu respires, je respire aussi. Tant que tu vis, je vis aussi. Promets-moi juste que n'importe où, n'importe quand, où qu'on soit, on sera toujours tous les deux.
C'est tout ce que je veux.
Parce que je sais que je peux compter sur toi plus que son mon propre cerveau. Parce que je sais que c'est toujours toi qui me tiendras hors de l'eau.
Alors arrête de t'en faire autant, Kyle, parce que ça va. Ça va parce qu'on est encore là, toi et moi. Ça va parce que personne n'a meilleur frère que moi.
Ça va, parce que dans ma vie, dans mes bras, il y a toi.
Et tant que t'y seras, j'te jure que ça ira.


L'instant paraît durer une éternité. Une éternité trop courte et trop longue. Une éternité qui réchauffe le cœur, qui permet d'apaiser les maux. Une éternité dont on avait bien trop besoin et dont lui seul pouvait prendre l'initiative.
Comme toujours, parce qu'au final, celui qui finit par sauver l'autre, c'est toujours toi. Tu t'en rends compte de ça ?

L'étreinte se rompt dans une douceur naturelle. Nos regards se croisent et j'esquisse un sourire faible, mais vivant. Un sourire qui n'aurait pas pu se dessiner quelques minutes auparavant. La voix de Kyle me fait sursauter, et avant que je ne comprenne ce qui le faisait parler, je réponds, par réflexe. « Tu m'as fait peur putain. » Mais avant d'avoir pu dire un mot de plus, ou même d'enlever ce pull trempé. Avant même d'avoir le temps de réagir plus que par la surprise, je vois son sourire se dessiner et commence à vouloir me reculer, articulant difficilement, et inutilement un « Non ! » Mais c'est trop tard. L'idée avait germé bien trop vite dans la tête du blond et j'étais bien trop fatigué pour fuir en courant.

Alors j'évite le maximum de dégâts en glissants sur le carrelages déjà mouillé, mes yeux fixés dans les siens. Ce regard qui lui répond, dans cette micro seconde avant sa bêtise.

Aussi longtemps qu'on sera en vie, mon frère.

Malgré moi, le sourire sur mon visage s'agrandit en réponse au sien. « Kyle bordel de merde », les insultes reprennent leur place alors que je protège inutilement mon visage et m'étale un peu plus par terre à mesure qu'il y rajoute de l'eau. « Con de poisson, t'as fini oui ! » Mais non, il n'avait pas fini, et c'était tant mieux. Parce que mes mots s'accompagnent d'un rire cassé, mais d'un rire qui vit, qui sourit. D'un rire d'enfant, avec son frère. D'un rire idiot, qui n'a pas conscience du monde qui l'entoure. Et ce moment là, il fait respirer, lui aussi. Cet air pur qu'on ne trouve plus quand on est adulte. Parce que cet air là, il existera toujours tant que Kyle existera. Lorsque le calme reprend doucement sa place, qu'il prend le temps de replacer mes cheveux, moi, je ne le quitte pas des yeux.

T'es beau, mon frère. Et j'suis fier, tellement fier.

Sa promesse est aussi douce que ses gestes. Aussi illusoire que le moment aussi. Parce que malgré tout, malgré nous, on fera toujours des conneries et on ira toujours trop loin. Mais je sais qu'il y croit, autant que je crois en lui, alors je lui souris, sans rien lui dire. Parce qu'il a raison, Kyle. Il a raison que s'il se tue à sa façon, je me tue aussi à la mienne, et c'est tout aussi con.

« Oui bien sûr, et puis tant que t'y es tu vas me gratter le dos. » Une remarque débile, une remarque qui n'apporte pas grand chose à la conversation et qui pourtant, semble naturel. Je me relève lentement, essore mon pull et me retrouve en t-shirt lui aussi trempé face à Kyle qui bouge lentement ses nageoires. Face à ses blessures autant qu'à son innocence. Face à sa violence autant qu'à sa douceur. Face à ses doutes et mes peurs mais aussi face à nos rires et nos joues rougies par les rires. On est en vie, au final, et c'est tout ce qui compte vraiment.

« Et il faut que tu pionces aussi, Kyle. » C'était un peu facile, comme réponse. Parce qu'il restait sans doute moins fatigué que moi.

Mais j'veux pas dormir sans toi. Pas ce soir. Pas après tout ça.
J'veux pas faire ce cauchemar dans lequel j'me réveille et j'te vois pas. J'veux pas me réveiller et ne pas te voir là, à mes côtés. Parce que des fois j'ai peur, Kyle, peur de me réveiller et que tu sois plus là. J'ai peur que la réalité nous rattrape, toi et moi. Je sais que c'est débile, je sais que c'est gamin.
Mais c'est toi qui fais partir les monstres sous le lit parce que tu parles fort. C'est toi qui m'apaise et qui me permet de dormir sans me réveiller en sursaut. C'est ta présence qui fait que j'ai l'impression qu'il y aura un lendemain. Et d'habitude, j'suis assez fort, Kyle. Assez fort pour combattre mes peurs enfantines et stupides. Assez fort pour me dire que c'est pas parce que je te vois pas que t'es pas là. Mais pas ce soir, Kyle, ce soir j'y arriverai pas.

Alors reste avec moi.


« Je vais attraper des serviettes et des fringues. Y a toujours mes affaires ici au cas où la vieille ait un souci. J'te laisse tranquille quelques minutes et on va aller se pieuter dans la chambre d'amis. »

J'suis désolé Kyle, désolé d'avoir autant besoin de toi.

Un dernier regard et dans un juron pour mes pompes trempées je quitte la pièce, quitte sa présence pendant quelques minutes. Et l'instant même où la salle de bain n'est plus dans mon champs de vision, je perds l'équilibre, m'appuie contre le mur. J'étouffe en silence, pendant quelques instants. Je ressens cette angoisse, forte et violente. J'ai failli le perdre, vraiment. J'ai failli le perdre encore une fois et pour quoi ? Parce que je ne veux plus sortir, parce que je mets trop de temps pour réagir. Putain de merde. C'est pas possible. C'est pas possible.

Une dernière larme coule sur ma joue tandis que je respire lentement. Je me redresse, et regarde droit devant. Je marche vers le placard qui contient les serviettes propres et dans mon regard, dans mes pensées, il y a cette pensée, pour tous ceux qui l'ont jamais touché. Il y a cette haine, dans mon regard, cette haine du monde qui cherche à briser mon frère alors qu'il est juste trop naïf. Il y a cette rage, de vouloir leur tordre le cou, à tous ces connards, parce qu'ils peuvent tuer n'importe qui mais pas mon frère. Pas ma famille. Pas mon cœur.

Ils ne prendront pas mon cœur.

Et c'est une promesse silencieuse, qui se glisse dans un coin de mon esprit. J'attrape les serviettes les plus douces et sors également de quoi nous habiller tous les deux pour la nuit. Seulement deux ou trois minutes sont passées et pourtant, j'ai eu l'impression d'avoir le cœur déchiré, à ne plus pouvoir le voir de mes propres yeux, à ne plus pouvoir voir s'il allait bien. La salle de bain à nouveau dans mon champ de vision, je balance deux serviettes sur le lavabo à côté de lui tandis que je retire mes fringues pour me changer aussi.

« Si avec toute cette flotte, j'attrape une pneumonie, je te préviens que je te crache mes poumons à la gueule jusqu'à ce que tu tombes malade aussi. »

Sans un regard, je prends le temps de me changer, me réchauffer et vérifier qu'il va bien. Malgré moi j'observe son dos pour ne pas y voir de nouvelles cicatrices, malgré moi je vérifie s'il n'a pas de piqûre dans les bras, s'il va bien. Mais je reste silencieux, parce que je sais aussi qu'il va penser que je m'inquiète encore trop. Il va me dire qu'il me l'aurait dit, s'il y avait eu autre chose. Et je sais qu'il a raison.

Mais c'est plus fort que moi, tu vois.
J'ai trop peur qu'on t'enlève à moi et que même toi tu le vois pas.


Parce que la vie est une pute, qu'elle est cruelle et qu'elle a essayé déjà trop de fois de couper tes ailes. Alors je peux pas m'en empêcher, et même si ça le fait chier, je continuerai, jusqu'à notre dernier souffle. « Bon, maintenant que t'as bien joué, tu veux me raconter ta soirée pour m'endormir ? Ce sera toujours mieux que t'entendre chanter tes chansons sensées charmer. »

Je sais que t'es fatigué, Kyle. Je sais que tu vas probablement t'endormir avant moi. Mais j'ai besoin de t'entendre un peu parler. J'ai besoin d'être encore un peu rassuré. Comme un gamin avec une veilleuse, c'est toi qui stoppe mes pensées. Alors j'suis désolé, désolé de t'en demander encore trop, désolé de pas savoir m'y prendre avec les mots. J'suis désolé Kyle, mais j'ai besoin de t'écouter, parce que moi, j'ai trop parlé.

« Appuie toi sur moi pour aller jusqu'à la chambre. Et rechigne pas, c'est pas le moment de te casser la gueule, j'ai pas ce qu'il faut pour te recoudre là. »

C'est peut-être ma façon à moi de te demander pardon de toujours avoir besoin de toi. Si je sais pas te rassurer avec des mots, alors laisse moi le faire avec des gestes. Laisse moi remplacer mes coups par mon épaule sur laquelle t'appuyer. Laisse moi faire encore un peu ce que je peux. Parce que j'ai l'impression qu'au final, j'ai bien plus besoin de toi, que toi, de moi. Et ça me fait peur, ça. Alors s'il te plait, donne moi ton bras, discute pas.

Demain sera un autre jour après tout. Et cette soirée gravera nos mémoires et nos cœurs comme celle de Dublin. Elle les gravera trop fort, trop grand. Elle les gravera trop dur, trop douloureusement. Mais cette soirée là, comme celle de Dublin, elle me rappelle que je ne lui dis pas assez, à mon frère, je ne lui dis pas assez combien j'ai besoin de lui.

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Comme le soleil après la tempête, leurs rires cascadaient dans la salle de bain en même temps que l'eau tiède se déversant de la baignoire. Des rires trop secs, trop forts, trop intenses. Trop purs, aussi, libérés du carcan de tout ce qui les rendait adultes pour ne plus les laisser qu'enfantins. Des rires aussi intenses que l'avaient été leurs larmes, qui ne chassaient pas la peine, mais qui l'adoucissaient un peu. Et ça faisait du bien. Et c'était ça qu'il leur fallait. Se tendre la main et se retrouver gamins, se retrouver tout court, pour mieux encaisser les claques de la vie adulte. Le calme avait beau être retombé entre eux, entrecoupé de jurons, il n'en était pas moins rassérénant. Chargé de promesses que seuls leurs regards pouvaient communiquer, parce qu'ils étaient comme ça, au fond. Parce que c'était comme ça qu'ils s'exprimaient le mieux.

Je t'aime, mon frère. J'aime mieux te voir rire que souffrir. C'est comme ça que je me souviens de toi quand tu n'es pas avec moi. Avec ces yeux trop grands remplis d'étincelles de malice, un sourire trop large plaqué sur ton visage trop fin.
Je t'aime, Zach, et je laisserai jamais personne t'arracher ton beau sourire.


Un gloussement enivré franchit les lèvres du Triton, alors qu'il encaissait la répartie de son frère dans un haussement d'épaules complice. Lui gratter le dos, plutôt mourir, mais bon au point où ils en étaient, Zach aurait pu lui demander la Lune qu'il la lui aurait ramenée. Parce que c'était ça aussi, eux. Parce que Kyle aurait tout fait pour maintenir ce sourire radieux sur le visage trop brisé de Zachary, juste parce que c'était son frère. Juste parce que c'était une partie de lui, de son âme toute entière. La moitié de son cœur. C'est drôle, comme les gens s'attachent parfois contre toute attente. Comme de diamétralement opposés, ils avaient appris qu'ils n'étaient, au final, que trop similaires. Mais aucun ne l'admettrait jamais. Parce que eux, c'étaient des regards, des sous-entendus. Pas ce type de mots, quand bien même ils en pensaient chaque syllabe.
La remarque plus terre à terre de son frère mit un instant à atteindre son esprit embrumé, mais le blond finit par acquiescer. Il avait raison. Zach n'était pas le seul à avoir besoin de repos, mais Zach avait toujours raison sur ces choses-là. Se laissant glisser dans ce qu'il restait d'eau, ses nageoires battant mollement un ressac paresseux, il agita une main dans la direction de son frère, s'improvisant grand prince.

-Fais, fais, j'vide la baignoire le temps que tu reviennes.

Ne pars pas. Me laisse pas seul. Me laisse pas seul avec les ombres. Reviens.

Se laissant aller en arrière, il retrouva le contact froid de la faïence et ferma les yeux. Les pas de Zach s'éloignaient lentement, et la portière grinça pour finalement claquer. Et son coeur de voler en éclats.
Parce que tout revenait dans son esprit, maintenant que Zach n'était plus là. Une terreur qui gonflait en même temps que les larmes, qui s'empara de sa gorge pour la serrer, de son coeur pour l'empaler. Les cauchemars, les ombres, les hurlements, la solitude. Tout, alors qu'il se laissait glisser dans l'eau, la laissant recouvrir tout le haut de son corps et son visage. Tout, qui revenait, mais surtout cette peur bien trop grande, bien trop réelle. Parce que tout avait été trop vrai ce soir-là, comme à Dublin. Tout avait été trop vrai. Il avait failli risquer pire, bien pire que tout ce qu'il prétendait. Il avait failli risquer sa vie, avec ce connard qui l'avait drogué. Il avait failli perdre sa famille, Andy, son frère, son propre coeur, ce soir. Une réalité bien trop crue qui lui arracha un cri, étouffé dans l'eau. Toujours trop bon, toujours trop con. Zachary avait raison, et ses paroles flottaient tout autour du Triton. Il devait faire plus attention. Qui savait ce que l'enfoiré qui l'avait drogué aurait pu lui faire. Ce n'était plus un jeu, maintenant que le monde avait connaissance du surnaturel. Un sanglot d'impuissance éclata à la surface de l'eau, alors que le Triton se désagrégeait enfin. Que l'eau envahissait ses poumons, que ses larmes se mêlaient au bain, que Zach ne risquait pas de l'entendre. Zach. Où était-il ? Il avait failli ne pas être là, au moment où c'était le pire. Et si jamais, si jamais un tel jour arrivait. Si jamais un jour, Zach ne pourrait plus être là. Si jamais il lui arrivait un accident par sa faute ?

Reviens. Reviens. Je t'en supplie reviens. Me laisse pas tout seul avec moi-même, tu sais très bien que je le supporte pas. Reviens, Zach, ramène le soleil, empêche la tempête comme tu sais si bien le faire. Engueule-moi, frappe-moi, autant que tu voudras, j'ai compris la leçon. Mais me laisse pas seul, je t'en supplie.
Parce qu'un monde où tu n'existes plus m'est insupportable. Parce que tu as si bien réussi à te frayer un chemin jusqu'à mon coeur, t'y as si bien trouvé ta place, que la seule perspective de te perdre m'est insupportable. Que je préférerais mourir avant toi que d'avoir à vivre sans toi.
Reviens.


Une nouvelle kyrielle de bulles éclata à la surface, emplissant l'eau refroidissante de sel et de douleur. S'il respirait parfaitement, Kyle avait pourtant la sensation de se noyer. C'était toujours comme ça, quand son frère n'était pas là. Quand ils avaient ce type de conversation, quand la difficulté de la vie le rattrapait et que Zachary ne lui hurlait pas de dessus. La sensation de noyer en lui-même. Une fracture trop nette qui lui brûlait tant les yeux que les poumons. Que le cœur.
Il prit quelques minutes pour se calmer, jusqu'à sentir l'eau vibrer sous les pas de son frère qui s'approchait de la salle de bain. Finit par se tortiller pour donner un coup de nageoire à la robinetterie et faire sauter le bouchon de la baignoire. Se hissant sur le rebord de cette dernière, il passa une main sur son visage pour chasser la panique. Laissa la bonde engloutir ses larmes, sa terreur et sa solitude bruyamment, dans un tourbillon d'émotions littéral. Et adressa un sourire en coin à son frère alors qu'il revenait. Il ne s'était rien passé dans cette salle de bain, pendant son absence. Rien.

Pardon, Zach. Pardon d'être aussi dépendant de toi.


-T'en as mis, du temps ! J'me pèle les écailles dans cette baignoire !

Tu m'as manqué. J'ai cru que tu reviendrais jamais.


S'assurant que la baignoire soit bien vide, Kyle repoussa les restants d'eau au fond de la bonde de quelques mouvements de nageoire. Pressa son front contre le rebord, le temps que la transformation se passe et que ses jambes se dessoudent. La sensation de renaître, à chaque fois. Une sensation désagréable, qui lui arracha une grimace, avant qu'il ne tourne doucement ses chevilles pour se réapproprier ses propres membres. Tout le temps de la transformation, il le passa à surveiller son frère. Ses mouvements étaient plus naturels, moins nerveux, alourdis par la fatigue. Il n'avait plus sa tête entre ses épaules, se tenait plus droit, parce que ça allait un peu mieux. Juste un peu. Au bout d'un certain temps, la morsure du froid se faisant trop vive, il empoigna une serviette et entreprit de se sécher. Epongea le rebord de la baignoire pour s'en extirper précautionneusement, et fit attention de ne frôler aucune flaque. Ca aussi, il avait été trop con pour s'en soucier, quelques instants plus tôt. Et s'il aurait pu dormir dans la baignoire, il n'en avait pas envie, ce soir.

Je te lâche pas, Zach. Tu es ma veilleuse, tu es mon attrape-rêves, tu es mon chasseur de cauchemars. Tu l'as toujours été, tout comme je sais que mes paroles, que mes chansons, t'ont toujours apaisé. Je te lâche pas. Je te lâcherai jamais. Aussi longtemps que tu tomberas, je serai toujours là pour te rattraper.
Tu sais que tout ça, j'peux pas te le dire. Mais je te le promets.
Sur mon âme, je te le promets.

-Vu la quantité de merde que tu me craches à la gueule, une de plus, une de moins, c'pas pour ce que ça va changer.

Des merdes, et des choses trop vraies. Des injures, et des paroles trop pleines de sens. Trop pleines de ces mots qui ne se disent pas, de ces sentiments qui sont trop forts. Prenant sur lui pour maintenir ses jambes tremblantes, le retour au plancher des vaches demandant toujours un certain temps d'adaptation pour retrouver l'équilibre, il prit appui sur son frère. Enfila à son tour les vêtements secs, sans rechigner, leur confort coupant enfin ce maudit froid qui le rongeait jusqu'à la moelle. Nouvelle brûlure du regard de Zachary. Sur ses bras. Sur son dos qu'il sait marqué par la vie. Un tour d'inspection qu'il connaît par coeur, qu'il n'a essuyé que trop de fois.

-T'as fini de me reluquer comme une tapette ? Je sais que j'suis beau gosse, mais t'es mon frère. C'est dégueulasse !

Je suis désolé, Zachary. Je sais que tu t'inquiètes, beaucoup trop, beaucoup trop fort. Qu'à chaque fois que tu vois ça, ça ravive de mauvais souvenirs. Tu t'en es toujours voulu, de pas avoir pu me protéger. Tu ne l'as jamais dit, mais quand tu me regardes comme ça, je le sais. C'est plus fort que toi. Tu t'en veux de ne pas avoir été là pour tout empêcher, mais tu sais, c'est pas grave tout ça.
Moi, tu sais, que tu sois là ça me suffit. Parce que c'est toi. Parce que le passé, c'est vieux, ça n'a plus franchement d'intérêt. Parce qu'il ne compte pas autant que ce présent que j'ai la chance de passer avec toi.
Avec le meilleur des frères que j'aurais pu avoir.


-Ah bah j'sais pas moi, t'avais l'air plus préoccupé par mon cul que ce que j'aurais pu te raconter. Pas besoin de te charmer, clairement. T'es déjà à fond sur moi.

C'était idiot. Mais il refusait de laisser passer l'occasion. Celle où il pouvait désamorcer l'inquiétude de Zachary, si tangible entre eux qu'il pouvait presque la toucher du doigt, avec une bonne réplique de mauvais goût. Parce qu'il savait, au fond. Il savait parfaitement ce qu'étaient ces regards, et leur raison profonde. Prenant appui sur son frère, il le laissa prendre les commandes et les guider jusqu'à la chambre. Epancher la drogue dans la cuvette des WC puis retrouver le contact de l'eau avait éclairci ses pensées, mais n'avait pas ôté son ivresse. Ses jambes toutes neuves flageolaient encore trop, et la progression était hasardeuse. Mais Kyle avait Zach. Sa chaleur, contre son flanc, son bras autour de sa taille. Et Kyle occuperait ses pensées, pour qu'il ne se noie pas lui aussi. Qu'il arrête de se noyer. Il savait que ce soir, ils ne tomberaient pas. Ce soir, ils ne s'effondreraient pas.
Ca lui suffisait.

-Non mais soirée de malade, t'aurais dû venir, mec. Le DJ était pas glorieux, mais la bière était grave bonne. Les meufs aussi !

Inventer. Inventer des souvenirs qu'il n'avait pas, car la drogue avait tout remplacé par les mauvaises images, comme si on avait changé de programme télé. Diffusait confusément le même plan de cette ruelle trop sombre, à Dublin, sur laquelle se juxtaposaient des éléments bien trop proches du présent pour avoir appartenu à cette époque-là. Le sourire solaire, plein de dents, de la jolie fille du bar lui revint en tête alors qu'ils descendaient le corridor. Un sourire qui ne laissait pas présager du pire, et pourtant.

-Y'avait toute la bande, les habitués. O'Murchu nous a même fait rejoindre le carré VIP, on était fous ! Mais j'y suis pas resté longtemps. J'avais de la morue à dessaler, si tu vois c'que j'veux dire.

Tout était trop confus pour qu'il se souvienne quand ou comment ils avaient atteint la chambre. Il revint au présent en tombant dans le lit, une chute trop longue, trop abrupte, qui lui arracha pourtant un éclat de rire aviné lorsqu'il toucha les coussins. La chambre d'amis sentait vaguement la poussière et le renfermé, comme à son habitude. Comme quand ils étaient gamins, et jouaient aux explorateurs, farfouillant chacune des pièces lorsque la mère Dunham et Emily n'étaient pas là. Ca faisait bizarre de revenir ici dans de telles circonstances. Tâtonnant, il alluma une lampe de chevet vieille comme le monde, à proximité. Se débattit dans son t-shirt pour l'enlever et le glisser sur la loupiote, tamisant ainsi la lumière alors que Zach achevait de s'installer. Une habitude, là aussi. Car s'il avait son frère pour chasser les cauchemars, il avait toujours autant besoin d'une lumière pour repousser l'ombre de ses souvenirs.
Obéissant à l'impulsion, il finit par se glisser sous les couvertures, et se roula en boule. Les images se bousculaient dans sa tête, ses hurlements adolescents se superposant au froissement des draps alors que son frère cherchait une position. Le silence l'étouffait. Zachary enfin installé, le blond posa sa tête contre son dos, se concentrant sur la chaleur qu'il sentait contre ses cheveux. Comme avant. Comme à chaque fois que le monde était trop dur pour eux, et que la vie jouait aux connasses. Comme au terme de ces deux semaines de noir, suite à Dublin, où il s'était glissé en silence dans la chambre de Zach, sous ses draps, le frôlant tout juste. Des enfants en quête de réconfort. En boule dans un coin du lit, personne ne pouvait le blesser. Avec son frère, personne ne pouvait les atteindre.

Je suis désolé Zachary. Je sais que tu t'en fous, au fond, de ma soirée. Que t'as juste besoin de savoir que je suis bien vivant, que t'as juste besoin de te rassurer. J'suis là, mon frère. J'suis là et je veillerai sur ton sommeil, parce que t'en as vraiment trop besoin.
Laisse-moi chasser tes cauchemars. Laisse-moi m'occuper de toi, être ton Marchand de Sable. Laisse-moi t'enlever au reste du monde et t'amener dans un monde gorgé de lumière, où tu seras en sécurité. Où tu n'auras plus à penser à rien, juste à te reposer.

La lumière dans son dos filtra faiblement à travers ses paupières mi-closes. Pressant doucement sa tête contre les omoplates de Zach, il finit par fredonner doucement. Un air gaélique tout simple, enfantin, doux et apaisant que chantait Leanna pour l'endormir les nuits de trop plein. Un bonbon au miel sur leurs langues, alors qu'ils avaient trop enduré en quelques heures. La silhouette dorée de sa mère se transmuta, gorgée de lumière, sur ses paupières. Sa voix, rauque, faisait écho à celle de la sirène. Un souvenir chaud et doux, un souvenir qui ne pouvait que panser leurs blessures, à Zach et lui.

Ne résiste pas, mon frère. Laisse-moi t'emporter loin de toute ta souffrance, et dors. Dors. Tu en as besoin. Bien plus que de rester éveillé jusqu'à ce que je sombre. Bien plus que de ruminer tous tes cauchemars. Dors, mon frère.
Je suis là. Je partirai plus jamais.


-Idir ann is idir as, idir thuaidh is idir theas...

Zachary lui avait dit, de ne pas chanter. Mais Kyle savait parfaitement quand il devait l'écouter, tout comme il savait quand il devait l'ignorer. Tout comme il savait que c'était le seul moyen de s'assurer que son frère s'effondre enfin, qu'il abandonne sa lutte contre le monde et l'univers entier. Qu'il jette ses armes, et décide enfin d'oublier toute cette colère qui coulait bien trop souvent dans sa ses veines.
Inutile de se concentrer, sur ce chant là. Les mots coulaient naturellement hors de ses lèvres, ses capacités portées par les réminiscences abstraites qu'il avait du visage de Leanna. A mesure que défilaient les notes, le blond pouvait sentir les nerfs de son frère se détendre contre sa tête. Pouvait sentir son corps s'alourdir, dans le lit, sa respiration se faisant plus régulière. A la fin de la chanson, Zachary dormait enfin.

-J'suis désolé de t'inquiéter autant, Zach.

C'était plus simple, de dire des mots qui ont du sens quand la personne à qui on les adresse dort du sommeil du Juste. Se resserrant sur lui-même, Kyle se laissa bercer par les ronflements, légers, du brun. Finit par s'évanouir dans le silence, lui aussi, laissant tous les trémous de cette soirée orageuse loin, très loin derrière eux. La tête contre son dos, liés dans le sommeil comme dans la mort.

Longtemps, l'Homme a cru que la Terre et la Mer étaient rivales. Qu'elles ne pouvaient s'associer l'une à l'autre, constamment opposées par leur nature profonde. La réalité, c'est que la Terre ne peut vivre sans le Mer, et réciproquement. Les rivages s'échouent dans l'océan, et c'est de l'eau que renaît la terre pour se perdre jusqu'à l'horizon. Elles se complètent et se prolongent, complices infinies du renouveau de l'autre. Des soeurs inséparables, intrinsèquement liées depuis la nuit des temps.
Et là, bercés par la respiration apaisée de la torpeur et ce contact vital pour s'assurer que l'autre soit toujours là, les deux frères achevaient cette boucle infinie de la Terre et de la Mer. Une boucle éternelle, aussi ancestrale que neuve, où chacun n'était au final que la continuité de l'autre.



FIN DU TOPIC



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