For the good of all of us except the ones who are dead | Dagdag & Baz

Dagda O’Raghailligh & Basil Egerton

For the good of all of us
except the ones who are dead

La tournure de tes déclarations avait un petit quelque chose d’alambiqué, mais c’était tout un art de faire passer un message indirect, et tout à la fois assez clair pour que l’esprit embrumé d’un ivrogne en saisisse l’implicite sans pour autant que cela te mette en danger. Tu avais pris ton temps et tes précautions, ne précipitant pas ta voix pour prendre le temps d’appuyer les mots que tu voulais, sans montrer de peur, de doute, de panique. Prudence est mère de sûreté, même s'il faut avouer que la sûreté était loin d’être ta préoccupation première. Après tout, si tel était le cas, tu ne te serais pas amusé à jouer les tueurs en série et à mettre Scotland Yard sans dessus dessous, n'est-ce pas ? Bien qu'il faille le reconnaître, depuis ton arrivée à Bray, tu avais été particulièrement sage - peut-être parce que les Dux Tenebris avaient une morgue suffisamment fournie pour combler tes désirs les plus fous, et que le seul curieux que tu aurais eu à faire taire avait fini par t’exciter davantage vivant que mort. Toujours est-il que ce soir, la prudence n’avait été qu’une maigre précaution, et si tu ne dévoilais rien qui puisse t’incriminer réellement, puisque tu n’admettais aucun crime, tu admettais tout de même assez clairement n’avoir aucun problème à t’y laisser aller. Allait-il le comprendre ? A priori, le message était passé. Sa réponse, assortie d’un clin d’oeil, t’avait arraché un sourire entendu, où l’amusement n’était pas feint. Parce que tu n’étais pas un criminel, évidemment - bien sûr, en vérité, tu en étais un de la pire espèce, probablement pire que tout ce dont il pouvait se douter.

Alors tu avais continué, tu avais tâché de rendre ton propos plus clair dans ce bain de flou. L’incompréhension repassait parfois sur ses traits entre deux éclairs de génie - des mimiques de pochard, rien de plus. En fin de compte, tu as dû attendre son remerciement pour avoir l’assurance qu’il avait saisi tous tes mots. De toute façon, tu n’iras pas lui courir après pour qu’il commette des meurtres ou te remette les corps, il n’étais pas question de l’entraver ou le contraindre d’aucune sorte. Non, il pouvait bien en faire ce qu’il voulait, mais il savait au moins que le grillage sinistre du cimetière lui était ouvert - pour peu qu’il ait quelque chose à y faire. Non parce que, soyons clair, tu n’allais pas non plus le laisser pleurnicher sur sa tombe tous les soirs, il allait finir par t’irriter, et tu risquerais de vouloir l’envoyer sous terre dans le trou de son bien-aimé. Peu souhaitable, entendons-nous, alors espérons qu’il ne tarde plus à faire son deuil. Mais il semble en avoir fini, définitivement. Il ne restera pas davantage, quel intérêt de fixer un morceau de marbre en pleine nuit, ce n’était pas cela qui lui ramènerait son traitre de meilleur ami. Il se lève, tu te demandes d’ailleurs s’il ne va pas se vautrer - non pas que tu l’aurais rattrapé d’ailleurs, tu l’aurais laissé se casser le nez sur une tombe dans la plus parfaite indifférence, avec peut-être une risette pour la maladresse de cet ivrogne. Mais il s’en tirait plutôt bien, et se répandait en remerciements et politesses en tout genre. « Oh, mais il n’y a pas de mal. » Une déclaration terriblement hors contexte, que tu avais émise d’une voix trop chaude. Non, il n’y a pas de mal, quoi de plus normal que d’enterrer un corps pour un criminel, quoi de plus normal que presque encourager le crime ! Mais n’y pensons pas trop. Tu te lèves à sa suite, et tu le suis du regard, tu comptes bien t’assurer qu’il sorte et d’être définitivement à l’abri des regards. Il titube et vacille, et se retourne finalement, sur cette ultime réplique qui n’avait rien à faire là. Merci, t’es un chic type. Réplique qui te valut un haussement de sourcil, et un rire sonore qui rompit l’ambiance paisible du cimetière, et s’évanouit sans tarder. Tu lui fis tes adieux d’un geste de la main, arborant un sourire sans prononcer un mot.