Need a friend [Hecate]

« Merde, merde merde merde ! »
L’injure fusa de plus en plus forte dans l’appartement. J’avais relevé la tête de mon livre en entendant l’horloge parler. Seize heure trente. J’étais en retard, j’aurais dû déjà être au rendez-vous à 16h30. Me levant rapidement, je courus dans tout l’appartement pour enfiler une paire de chaussures et un manteau, trouver la laisse de Woody et réussir à le faire lever de son panier. Branle-bas de combat. Paniquée, je courus presque jusqu’à la résidence O’Murchù. Arrivée devant la porte, je demandai l’heure à ma montre. Elle m’annonça seize heure quarante cinq. Un quart d’heure de retard. Je soupirai, puis cherchai la sonnette à tâtons avant de poser mon doigt dessus. Le bruit manqua me percer un tympan, comme chaque fois. Le souffle un peu court, honteuse de mon retard, j’attendis patiemment.
Lorsque je fus devant Hecate, Woody fut plus rapide que moi à lui dire bonjour. Je l’entendis presque lui sauter dessus en aboyant.
« Woody, arrête ! Enfin ! »
Mais Woody était comme ça. J’avais un chien sociable. Trop sociable. Si un inconnu venait chez moi me cambrioler, Woody serait plutôt du genre à venir lui dire bonjour. De plus, il connaissait bien Hecate, il l’avait côtoyée longtemps quand nous étions toutes les deux en études de droit. On en avait passé, des soirées à réviser, Woody sagement posé à côté de moi. Alors, maintenant, chaque fois qu’il la revoyait, c’était le même manège. Néanmoins, il s’assagit vite et revint dans mes jambes.

« Désolée, je suis en retard, je t’ai fait attendre… J’ai apporté mon dossier, avec une copie en non-braille. Je suis un peu paumée, je t’avoue, il y a beaucoup de choses à prendre en compte, tu as toujours été meilleure que moi pour déchiffrer ces trucs-là. »
Le dossier n’était qu’un prétexte. Une affaire un peu compliquée de querelle de propriété, avec des histoires d’héritage et de vente sous le manteau…et deux personnes très en colère qui me sautaient à la gorge dès que j’émettais un argument en faveur de la partie adverse. Il fallait que je règle ça rapidement, mais il fallait que l’argumentation soit en béton. Néanmoins, j’avais utilisé cette raison pour venir voir Hecate. Elle m’avait parlé de ses enfants et j’avais hâte de les rencontrer. Nous nous étions perdues de vue, moi partie aux USA et coupant un peu les ponts avec Bray, elle et ses soucis familiaux. J’avais loupé ce moment de sa vie et je m’en voulais un peu, avouons-le. J’espérais rattraper le coup. Retrouver mon amie. J’avais besoin d’une alliée ici, avec tout ce que j’avais à gérer. Ma mère, Zach, Kyle, Andy, les souvenirs pas toujours agréables, mes visions qui semblaient être plus fortes et plus fréquentes ici…retrouver un visage familier était ce dont j’avais besoin en ce moment.

« Comment tu vas ? »
La question n’était pas anodine. D’habitude, on la pose parce que c’est poli, aimable, et qu’il faut bien commencer quelque part. Mais Hecate vivait une période pas évidente. Elle était sortie de l’hôpital où elle avait été internée, heureusement, mais elle était encore comme coincée chez elle. Les O’Murchù m’avaient toujours semblé une famille complexe, mais j’avais toujours été trop polie et trop timide pour vraiment en parler. Mais Hecate était mon amie. C’était probablement en partie grâce à elle que j’avais pu passer mes années de droit les unes après les autres. C’était aussi elle qui m’avait aidée quand j’étais revenue de Detroit, à trouver un logement, un emploi, à reprendre mes marques tout en gérant ma mère. Elle avait été une alliée précieuse et j’espérais être à mon tour quelqu’un sur qui elle pouvait compter. Elle le méritait bien.