Coffee and Chitchat | Alix & Aisling

En temps normal, je serais directement entré dans le Starbucks, pour y récupérer une boisson. Mais pas cette fois-là, où à la place je me suis installé à une table en terrasse, attendant la venue de mon meilleur ami. Je ne l’avais pas vu depuis des semaines, ce dernier vivant à Cork jusqu’il y a peu. Depuis des années, malgré la distance, on se confiait l’un à l’autre, soit par téléphone ou skype, soit lorsqu’il revenait à Bray pour voir sa famille. Malgré notre différence d’âge, nous avions assez facilement sympathisé des années plus tôt, lorsque nous nous sommes retrouvé à travailler ensemble à l’école pour aveugles. Tous deux nous étions bénévoles pendant l’été, animant des activités pour les jeunes aveugles. Alix était déjà un habitué du bénévolat et moi, j’y étais allé car l’un des professeurs était un proche ami de mon grand-père. Assez vite, ma sexualité est venue sur le tapis et Alix n’en a pas été choqué, lui-même étant bisexuel – et il ne m’a pas fait du rentre dedans non plus, comme beaucoup de mecs lorsqu’ils apprennent que je ne m’intéresse pas à eux ! Bref, depuis nous nous sommes rapprochés, tous deux étant des écolos convaincus, et puis c’était agréable d’avoir quelqu’un à qui se confier sur tout – ou enfin presque tout. Parce que je ne lui ai pas dit pour mes visions, d’abord ne voulant pas l’inquiéter, et ensuite, parce que je ne sais pas comment il réagirait en apprenant que je suis sujette à des phénomènes surnaturels. Peut-être que je lui dirai, quand il se sera bien installé en ville.

En attendant, je vais déjà lui lâcher un gros morceau, quand je lui annoncerai ce que l’ophtalmologiste m’a dit. Mais d’abord je compte lui parler de choses plus légères. Après tout ce temps que nous ne nous sommes pas vus en chair et en os, je veux passer un moment léger avec lui, garder les mauvaises nouvelles pour la fin. D’ailleurs l’un des sujets dont je compte lui parler, c’est Siam. La belle rousse qui travaille pour moi à la librairie me fascine depuis son arrivée, et je ne doute pas un instant qu’Alix voudra tout savoir d’elle. Peut-être même que je pourrais faire en sorte qu’ils se rencontrent ? Je suis curieuse de connaitre l’avis de mon meilleur ami sur elle, je l’avoue. Bon, je ne vois pas ce qu’il pourrait lui reprocher, c’est un fille adorable, gentille et travailleuse, donc je m’attends à ce qu’il l’aime bien, mais un œil extérieur ça ne peut pas faire de mal. Pendant quelques minutes, je me perds dans les souvenirs (pas encore très nombreux et exclusivement à l’intérieur de la librairie – que j’ai de Siam. Je me reprends juste à temps pour voir arriver une silhouette que je reconnais. Surexcitée, je me lève, sautillant presque sur place en attendant qu’Alix vienne me rejoindre. Quand il est en face de moi, je lui saute au cou, pour le serrer dans mes bras. « Alix, tu m’as manqué, je suis tellement contente de te voir. ». J’attends à peine qu’il me réponde avant de le traîner derrière moi dans le Starbucks. J’ai besoin de ma dose de caféine avant de pouvoir discuter sérieusement avec lui. Peut-être un Moka supplément caramel.

Physiquement mon meilleur ami n’a pas changé depuis les vacances dernières. Il a ce charme discret et ce sourire qui fait que les regards s’attardent quelque peu sur lui, mais il n’y prête pas attention, ce n’est pas le genre à en jouer. Au contraire, il est plus le type de personne qui s’intéresse vraiment aux gens derrière leurs façades, ce n’est pas pour rien que je l’ai rencontré pendant du bénévolat, et encore moins qu’il est devenu assistant social, chaleureux et compréhensif qu’il est. Pour l’instant, je le sens aussi excité que moi, tant par ses mots que son attitude. Sa réponse amène une autre de ma part, presque automatiquement : « Alors là je suis d’accord, Skype c’est bien, mais c’est pas la même chose en vrai ! ». Parce que si le virtuel permettait de maintenir la connexion et d’atténuer le manque, ce n’est pas la même chose que de serrer quelqu’un dans ses bras, et de pouvoir lui raconter les choses importantes de la vie en face à face, en rire ou se faire consoler. Avoir Alix près de moi à cet instant me fait réaliser à quel point ça m’a manqué. Mais d’abord café.

Alors que nous nous installons dans la queue pour commander nos boissons, Alix commence déjà à prendre de mes nouvelles. Je lui souris, heureuse de l’avoir en chair et en os avec moi, et lui répond : « Je suis sûre que j’ai raté pas mal de choses te concernant aussi ! En ce qui me concerne il y a de bonnes et de mauvaises nouvelles, mais je t’en parlerai en tête à tête. Ah et la librairie fonctionne bien super bien en ce moment, j’ai même pris une employée. » J’ignore s’il peut entendre mon enthousiasme au sujet de mon « employée », peut-être, après tout il me connait bien. Et maintenant que je lui ai dit que j’ai de mauvaises nouvelles, je sais qu’Alix ne lâchera pas le morceau, même s’il me laissera sans doute le temps d’amener ça à ma façon. L’avantage d’avoir un assistant social comme meilleur ami, il sait être patient et laisser les gens parler de leurs problèmes à leurs rythmes. Et il sait réconforter et trouver des solutions aussi, même si je doute qu’il puisse trouver une solution à mes problèmes de vues ! N’ayant pas très envie de m’attarder sur la bombe à retarder qui s’est installée dans ma vie, je décide de changer de sujet : « Et toi, comment se passe ce retour à Bray, pas trop dépaysé ? Tu t’es trouvé un appart’ d’ailleurs ? ». Dans le pire des cas, je suppose qu’Alix s’est installé chez sa mère, une femme adorable et assez énergique que j’aime beaucoup. Ou peut-être chez Jägger ? Je ne sais pas trop ou en est la situation entre eux, faudra que je lui demande, s’il n’en parle pas de lui-même. Après tout, c’est mon job de meilleure amie de me tenir au courant de sa relation amoureuse, surtout qu’elle est un peu, chaotique.

La présence d’Alix est exhilarante, et même si nous ne faisons pas grand-chose à par discuter, je m’amuse, le simple fait de le retrouver après tout ce temps me met en joie. Tout le monde est à la recherche du grand amour dans ce bas monde et on sous-estime trop souvent l’importance d’une amitié profonde. Pourtant, c’est tout aussi important d’avoir quelqu’un à qui se confier, dont on sait qu’il ne nous jugera pas si on fait des erreurs, qui nous sert de soutien quand c’est nécessaire – ou qui nous remet les idées à la bonne place quand on est sur la mauvaise pente. Bref, je suis plus qu’heureuse de l’avoir à mes côtés, que ce soit de manière générale, mais aussi à ce moment-là en particulier. Alors que nous patientons notre tour, mon meilleur ami me taquine sur mon sens du suspense, et je me retiens de lui tirer la langue en retour – je suis censée être majeure après tout. Je préfère donc lui retourner mon attention, histoire d’installer encore plus de « suspense ». Ses paroles me font réfléchir, l’idée de vivre dans un souvenir me met un peu mal à l’aise, en songeant qu’un jour je devrais vivre avec le souvenir d’images que je ne pourrais plus voir, faute d’avoir des yeux fonctionnels. Mais j’évite de m’appesantir là-dessus, plus intéressée par les autres nouvelles. Ainsi donc Alix vit chez sa mère avec Leïlani, cette fille que je n’ai jamais rencontrée mais donc j’ai déjà entendu parler. Je suis un peu curieuse à ce sujet, puisqu’Alix la considère un peu comme une sœur, même s’ils n’ont aucun lien de sang. Toutefois je n’ai pas le temps de l’interroger plus en avant, puisque nous devons commander, et j’offre mon plus sourie à la barista qui me connais bien maintenant, lui demandant ma boisson préférée du moment. Une fois qu’Alix a passé commande, nous attendons, gardant le reste de la conversation pour plus tard, notamment parce qu’il y a beaucoup de bruits à l’intérieur.

A peine installé, Alix ne me laisse pas le temps d’assouvir ma propre curiosité et m’interroge. Je lui souris et sirote ma boisson, faisant exprès de la faire mariner. Je finis tout de même par craquer, et commence à lui raconter : « Pour les bonnes nouvelles, c’est comme je te l’ai dit, la boutique fonctionne bien, j’ai créé de nouveaux rayons qui plaisent, et j’ai mis en place un système de post-it avec mes avis sur les livres que j’ai lu et que je vends, les clients adorent. Et du coup j’ai embauchée quelqu’un, une fille super sympa qui s’appelle Siam, et elle assure au boulot. » Je me retins difficilement de révéler qu’elle est aussi très belle, enfin à mon goût, et qu’elle m’intéresse, mais je suis pas certaine d’avoir réussi à cacher mon intérêt pour elle, Alix me connait trop bien. « Bref, tu me connais, mon monde c’est la librairie, alors pas grand-chose à dire en dehors de ça. » Je conclus en lui faisant un clin d’œil, et je bois quelques gorgées de ma boisson. J’hésite à lui révéler pour la mauvaise nouvelle, me demandant si je ne devrais pas attendre un meilleur moment. D’un autre côté, je ne suis pas sûre qu’il y ait des bons moments pour annoncer les mauvaises nouvelles. Avec un soupir qui efface de mon visage mon soupir, je lui avoue à voix basse : « En vérité, je suis partie voir l’ophtalmo récemment, et … » . Ma gorge se noue, et je secoue la tête, n’arrivant pas à en dire plus.

Toute à ma préoccupation sur mes résultats médicaux, je ne relevai même pas son commentaire sur Siam. Mon esprit se rejouait ma conversation avec mon ophtalmologiste, qui m’avait fait comprendre qu’il n’y avait pour le moment, aucun moyen de soigner mes yeux, et que la seule chose qu’il me restait était de prendre soin d’eux tant qu’ils fonctionnaient. Il m’avait donné des gouttes que je mettais chaque soir, pas vraiment sure de leur effet. Il avait bien mis l’emphase sur le fait d’éviter de me fatiguer les yeux au possible. Quelle blague ! J’étais libraire, mon gagne-pain passait par la lecture. Même en étant préparée à ce qui allait m’arriver, j’avais peur. Quand Alix me demanda donc s’il n’y avait rien qu’on puisse faire, je ravalai les pleurs qui menaçaient de sortir, et je lui dit d’une voix un peu tremblante : « D’après le médecin, non il n’y a rien. Il m’a filé des gouttes pour que mes yeux se fatiguent moins, mais à part ça … » . Je haussai les épaules pour illustrer mon point de vue.

Me forçant à avaler une gorgée de ma boisson caféinée, je me repris un peu, pour lui dire : « Il me reste plus qu’à me préparer ! Au moins je sais déjà lire le braille, il va falloir que j’adapte un peu mon matériel à la librairie et que je délègue, et si Daredevil peut être avocat, moi je peux être libraire ! » . J’avais pris le ton de l’humour, même si je n’étais pas totalement dans l’état d’esprit. J’avais conscience que j’étais autoritaire et indépendante et que j’avais du mal à laisser les autres faire les choses à ma place, j’étais partisante du « on n’est jamais mieux servi que par soi-même ». Puis je lui avouai : « Enfin dans l’immédiat, ce qu’il faudrait surtout que je fasse, c’est en parler à ma famille. Je leur ai encore rien dit. » . Je n’ignorai pas qu’ils seraient, surtout mes frères, très inquiets et qu’ils essaieraient de me couver. Ils étaient protecteurs, surtout Alex, et je savais qu’ils allaient vouloir se mêler de mes affaires pour « m’aider », tout le contraire de ce que je voulais. Une discussion difficile qui s’annonçait.

Réalisant que je venais de plomber l’ambiance, j’offris un petit sourire à mon meilleur ami, décidant de ne pas laisser ma cécité à venir gâcher ma vie avant l’heure. « Enfin, j’ai encore un peu de temps devant moi, je vais pas devenir aveugle d’ici demain. » Un ange passe alors que je réalise un peu l’énormité de ce que je venais de dire, mais je secouai la tête, déterminée. Essayant de ma rappeler de notre conversation avant mes mauvaises nouvelles, ce qu’il m’avait parvint enfin jusqu’à mon cerveau : « Attends, attends ! Tu connais Siam ?! Tu l’as rencontrée où, quand et comment ? Je veux tout savoir. » . Bon c’était peut-être une diversion pour ne pas parler de ce qu’elle m’inspirait. Mais j’étais réellement curieuse d’en savoir plus sur elle, et aussi son avis sur ma nouvelle employée. Puis c’était un sujet de conversation bien plus joyeux que l’état de ma vue. Il était en fait grand temps qu’on s’intéresse à un autre sujet de conversation que ma petite vie. Je comptais bien en savoir plus sur celle d’Alix, qui avait, comme il l’avait dit lui-même, des choses à m’expliquer.

En signe de compassion, la main de mon meilleur ami vint serrer la mienne, et je luis souris en retour. J’appréciais de pouvoir compter sur lui quelques soient mes problèmes. Certes j’avais ma famille, enfin en partie, mais ce n’était pas la même chose qu’un confident qui prendra toujours mon parti quoi qu’il se passe. Ses paroles suivantes se voulaient rassurantes, et je ne le contredis donc pas. Mais la réalité était que j’avais bel et bien de grands risques de devenir aveugle, aussi rare que cela soit. De toute façon le moment où je perdrais définitivement la vue arriverait bien assez tôt, et aussi bien Alix que moi ne pourrions pas y échapper. Mais le moment était mal choisi pour le reprendre sur le sujet, nous venions à peine de nous retrouvons alors qu’il revenait en ville, nous aurions tout le temps d’en discuter plus tard. A la place, je souris à sa remarque sur mes lunettes. Je sortis ma paire que je glissai sur mon nez, avant de prendre la pose : « Alors ça me va bien ou pas ? » . Je tournais la tête dans un sens puis dans l’autre, comme une mannequin qui serait prise en photo. Bien vite, je perdis mon sérieux et rit à mon comportement ridicule. J’avais besoin d’un pu d’humour en ce moment, et je refusais de laisser mon dossier médical me gâcher tous les aspects de ma vie. Je repris un peu mon sérieux pour lui parler de ma famille, et il me proposa de m’accompagner, ce qui fait naitre une vague de tendresse en moi. J’avais bien de la chance de l’avoir. La fin de son discours me fit rire. C’était vrai que mon coming-out n’avait pas été évident. Mais je l’avais fait, et en comparaison leur parler de mon état de santé serait plus simple. J’allais juste avoir mes parents sur le dos qui allait vouloir me couver, c’était tout. Un peu rassérénée, je répondis : « Merci Alix. Et tu as raison, c’est pas si terrible, c’est juste qu’ils vont s’inquiéter et vouloir me materner et tu sais que je déteste ça. Je suis une femme du XXIème siècle moi ! » .

Heureusement la conversation dévia, et nous laissâmes tomber le sujet peu agréable de mon état de santé derrière nous, pour nous concentrer sur un sujet qui m’intéressais bien plus : Siam. Face à mon intérêt que trop évident, Alix me sourit, taquin, mais j’étais prête à endurer toutes moqueries. La rousse avait capté mon intérêt de bien des façons, et toutes les informations que mon meilleur ami serait en état de fournir étaient bonnes à prendre. Puis en tant que confident, je voulais savoir ce qu’il pensait d’elle. Parfois un second avis était utile pour juger d’une personne. C’est donc avec une attention totale, mes lunettes toujours posées sur mon nez que je l’écoutais. Ainsi Alix avait repris le dossier de la famille. Il ne voulut pas m’en dire plus et je ne cherchais pas à insister. Je comprenais qu’il doive garder le secret, et de toute façon je ne voulais pas que Siam pense un jour que j’aie cherché à fouiller dans sa vie sans autorisation. Demander des infos à Alix en tant qu’ami était une chose, mais en tant qu’assistant sociale de sa famille c’était une autre. Après je faisais confiance au blond pour me faire comprendre à demi-mots, si besoin, si les O’Raghailligh étaient toxiques ou dangereux de quelques manières. La suite des révélations d’Alix me fit sourire : alors comme ça Siam était aussi une cliente Bridget ? Le fait que cette dernière ait raconté des anecdotes sur son fils ne m’étonnait pas, c’était bien mon genre, et je faillis rire, mais me retins par solidarité avec lui. Qu’Alix apprécie Siam et me soutienne dans l’idée de me rapprocher d’elle me réchauffa le cœur et je souris, avant que de répondre sur un ton espiègle : « Merci Ô grand maitre Jedi. » .

Je répondis par un sourire à son clin d’œil, et j’avalai quelques gorgées de ma boisson, heureuse de l’instant présent, passé avec mon meilleur ami. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas passé un moment ensemble, en vrai, et ça m’avait manqué. Rien de remplaçait la présence physique de ceux qu’on aime. Alix brisa le silence paisible en s’excusant d’avoir raté anniversaires et Noëls. Comme si je lui en voulais ! J’allais le lui dire, mais trop curieuse, je m’interrompis avant de dire quoi que ce soit, pour prendre la boite et l’ouvrir doucement. Dedans reposait un bracelet en argent, avec deux instruments côte à côte, un violoncelle et une guitare. Je savais qu’Alix jouait de la guitare, et le fait que je jouais du violoncelle n’était pas un secret, je devinais donc assez aisément le message derrière bijou. Surexcitée je me levai à moitié, lui sautant au cou pour le serrer contre moi et lui faire la bise. « Il est magnifique, je l’adore déjà ! Tu me le mets ? ». Ce disant je tendis mon bras vers lui, attendant qu’il me le mette. Je n’avais même pas pensé à lui offrir un présent. Pour ma défense, j’ai trop pressée de le revoir pour penser à autre chose, y compris un cadeau. Mais je comptais bien me rattraper plus tard. Mon regard s’aiguisa alors que je lui demandai : « Tu t’es acheté le même ? Parce que bon, un bracelet de l’amitié, c’est plus intéressant si on est deux à le porter ! ». J’avais pris un air sévère mais en réalité, je me doutais déjà un peu de la réponse : Alix n’avait pensé qu’à me faire plaisir et n’avait sans doute pas pensé à s’en prendre un lui-même. Je ne pouvais pas vraiment lui en vouloir pour ça n’est-ce pas ?