<Sol> I can"t catch my breath

"I can"t catch my breath"

You fascinated me, cloaked in shadows and secrecy... the beauty of a broken angel. I ventured carefully, afraid of what you thought I'd be but pretty soon I was entangled. You take me by the hand, I question who I am - Ksenia&Sol

Tu trembles, tu t'es mise à courir, en talons haut, en plein milieu de la rue qui, de toute façon n'a pas une seule lumière. T'as failli trébucher deux fois, parce que tu vois rien, l'obscurité et tes larmes qui brouillent ta vue, mais tu t'en fous. T'as toujours ce foutu papier dans les mains, qui devient trempé, au fur et à mesure que tu restes à découvert, la pluie battante gagnant sur ta capuche mal repliée sur ta tête. Tu cours toujours, tu sais pas trop où tu vas, et pourtant t'y vas quand même. Tu sais pas pourquoi là, mais t'en as besoin. Tu sais plus vers qui te tourner. Tu revois son sourire, tu revois sa joie. Tu revois cette étoile filante, ton étoile filante. Il faisait beau, ce jour-là. Elle avait fait des gâteaux, et t'avais comparé ses cheveux au poulpe de ton rêve. Et tu t'en souviens comme si c'était hier, de vos conversations. Tu t'en souviens parce que t'as pas réussi à t'intégrer comme tu le voulais, et qu'ici, c'était ta seule amie. C'était le rayon de soleil que t'avais pas, c'était le rire, toujours le sourire, comme le tien mais en plus beau. C'était la joie, l'amour. T'aurais aimé avoir une soeur, et si t'en avais eu une, ça aurait été elle. Lana.

Tu veux pas te souvenir de son sourire, de ses cheveux, de ses cupcakes, des poneys qui courraient dans son estomac. Tu veux pas parce que tu viens de voir cette image se détruire dans ton esprit, tu viens de voir la pire image de ton existence. Les journalistes, de nos jours, ils ne cachent plus rien, n'ont plus de respect pour personne. Alors t'as pu voir ce cliché, comme un coup dans le ventre, qui montrait ta seule amie, étendue par terre, des marques partout sur le corps. Elle était morte. Elle n'était plus. Elle ne te sourirait plus jamais. Et la mort, t'as jamais vraiment connu ça. T'as vu l'enfer, mais la mort, elle t'a jamais frôlé de près. Elle t'a jamais attrapé par la gorge en te promettant qu'elle allait venir te chercher, non, elle restait loin, et ça t'allait. Toi t'es la fée, celle qui aurait pu la guérir si seulement t'avait été là. Mais non, au lieu de ça, elle était seule. Seule dans la forêt qui pourtant est devenue ta compagne, et maintenant, tu veux la fuir à jamais, cette forêt, elle t'angoisse, elle est le symbole du mal, de la perte.

Tu t'arrêtes devant un immeuble délabré, comme tous ceux de Dragon Alley. T'es jamais venu là, pourtant tu sais que c'est là qu'il habite. Le seul qui puisse t'aider maintenant, du moins c'est ce que ton esprit, qui divague, qui ne sait plus vraiment où est la vérité, te dit. Mais t'as juste envie de le voir, de faire comme si tout ça avait un sens, comme si tu pouvais le supporter. Tu rentres, poussant la porte qui s'ouvre sans opposer de résistance. La sécurité et Dragon Alley, ça a jamais été tellement ça, mais pour cette fois, ça t'arrange. Tu montes les escaliers et t'arrêtes devant la porte 177. A ce moment là, tu commences à marteler la porte de ton poing tenant toujours fermement la page du journal. Tu sais plus ce que tu voulais dire, t'arrêtes de taper, comprenant le ridicule de la situation. Tu sais pas comment expliquer tes cheveux trempés, ton maquillage sur le bord de mourir, tes yeux rouges d'avoir pleuré, ton corps qui tremble. Dans ton esprit, tu te vois repartir en courant, tu te vois descendre les escaliers et disparaître. Mais au lieu de ça, tu t'effondres en pleurant devant la porte de Sol. T'as jamais été assez forte pour supporter ça.  

"I can"t catch my breath"

You fascinated me, cloaked in shadows and secrecy... the beauty of a broken angel. I ventured carefully, afraid of what you thought I'd be but pretty soon I was entangled. You take me by the hand, I question who I am - Ksenia&Sol

Il transpirait. Il s'étouffait. Il cauchemardait. Il se réveilla en sursaut, le souffle court, Thor laissant s'abattre son marteau lorsque ses paupières s'ouvrirent. Du dos de sa main il essuya son front, son cœur reprenait peu à peu un rythme normal. Il entendait un bruit sourd, régulier. Était-ce la pluie à son carreau ou un humain à sa porte ? Le bruit s'arrêta, pas la pluie. Il se leva et tituba hors de sa chambre, les membres encore engourdis par le sommeil, par le cauchemar. La porte, elle s'ouvrit sur une petite chose recroquevillée, une petite chose qui aimait la nuit mais qui pleurait cette nuit. Du bout de ses doigts il tira sur un bras trop lourd, il l'aida à se relever. Quand il put enfin la regarder dans les yeux, ces yeux si tristes, il posa son index sur ses lèvres. Pour l'instant, le silence valait plus que mille paroles. Il glissa une mèche de cheveux roses, trempés, derrière une oreille rose, froide. Avec ses pouces il essuya un maquillage disgracieux, un maquillage superflu lavé par l'averse. Et il la serra contre lui. Elle, ses cheveux mouillés, ses vêtements trempés, ses yeux rouges, le tout entre ses bras, le tout contre son poitrail.

Sans dire un mot, il la poussa doucement à l'intérieur, la fit s'asseoir sur une banquette jamais assez confortable, jamais assez chaleureuse. Et la pluie qui se faisait toujours plus intense, et Sól qui n'avait pas cœur à ce qu'elle s'arrête pour ce son qui ne manquait jamais de l'apaiser. Il la laissa seule quelques minutes le temps de trouver un t-shirt, un bas de pyjama pour qu'elle se change. Il attrapa une serviette, posa le tout à côté d'elle. Il entrouvrit la bouche, mais aucun mot ne daigna sortir, pas même une onomatopée. Alors il se retira dans sa chambre, l'abandonnant à nouveau, profitant de ces quelques autres minutes pour changer lui aussi de t-shirt et pour rouler deux cigarettes. Une pour elle. Une pour lui. C'était là sa définition du partage. C'était triste. Il fallait toujours, chaque jour passer de la crasse de la rue à la crasse dans ses poumons. Sans se lasser, sans pleurer.

Il risqua un œil dans l'encadrement de sa porte. La voie semblait libre. Il revint donc vers elle, une cigarette entre les lèvres, la seconde dans une main qu'il tendit immédiatement à Ksenia, son paquet de tabac dans l'autre. Il s'assit à côté d'elle, posa ses affaires sur la table basse devant lui. Il alluma sa clope, tourna la tête vers elle. Elle était belle. Elle était dévastée. Pourquoi venir jusqu'ici, n'avait-elle pas d'autre refuge ? Torgeir Sól Skjeggestad n'avait jamais été un homme curieux. Il ne poserait pas la moindre question tant qu'elle ne parlerait pas la première, ce serait trop malsain autrement. Enfin, il aurait voulu lui faire savoir qu'ici elle ne craignait rien. Qu'ici, quoi qu'il arrive, elle n'aurait pas de raison de pleurer. Mais il n'en fit rien. Il se contenta d'un regard qui ne voulait au final plus dire grand chose.