I'm lost in the deep end + SAMIRA&WYATT

Wyatt avait cette impression de devenir fou, de ne pouvoir retenir ses pensées vers les abysses de son esprit, la culpabilité provoquant comme un sifflement, jour après jour dans son crâne, lui vrillant presque les tympans. L'inactivité, l'immobilité, ce n'était pas pour lui, ça ne le serait jamais. Il avait besoin de trouver une solution. Il se souvenait trop clairement de la scène de la veille. Quelques coups frappés à la porte alors qu'ils étaient tous à table, silencieux, l'angoisse régnant. Un coup d'espoir aussi, l'espoir de retrouver les jumeaux sur son pas, attendant seulement de pouvoir rentrer de nouveau dans la ferme. Mais aussi la peur que ce soit tout l'inverse. Est-ce que vous avez déjà observé votre plus grande peur devenir réalité devant vos yeux ? C'est un policier en uniforme, casquette à la main, qui se trouvait là. Survint le cri de sa mère, déchirant, le faible déni sortant de ses lèvres et Jake qui s'était levé pour l'empêcher de tomber. Leïla. Il y avait encore de l'espoir pour Anthony, c'était ce qu'ils s'étaient répétés, encore et encore, pour ne pas perdre totalement la tête. Mais le savait-il ? On avait retrouvé le corps de la plus jeune près du lac mais il n'y avait là aucune trace des autres alors était-il au courant qu'elle ne s'en était pas sortie ? Etaient-ils séparés depuis le départ ou l'avait-on arrachée à lui pour la sacrifier près de l'eau ? Le magicien avait vidé ses tripes rien qu'à cette idée. Il n'avait, depuis la veille, que lâché rarement Soren et Ely, comme si ce qui arrivait à Anthony, la perte d'une partie de lui-même, allait se reproduire s'il les lâchait des yeux ne serait-ce qu'une seconde. La mort de Sarah les avait séparés, quelques mois plus tôt. Celle de Leïla semblait les rapprocher plus que jamais.

Mais ça ne pouvait pas continuer ainsi. Wyatt ne pouvait pas se réveiller tous les matins en se demandant lequel de ses proches allait manquer à l'appel, lequel il devrait chercher, lequel il devrait pleurer. Il était alors vide de larmes, comme si tout avait été épuisé pour ceux passés auparavant. Profitant de la maison presque vide, entre ceux à l'université, ceux au travail ou simplement ceux partis faire quelques courses, le magicien prit à peine le temps d'une douche et d'enfiler des vêtements pour finalement se mettre à genoux dans sa chambre. Retournant son tapis, il souleva les quatre lattes défaillantes. S'il partageait la chambre avec Soren, il s'était bien gardé de lui donner l'emplacement de cette cache. Ils en avaient d'autres, bien entendu, mais celle-là, personne ne la connaissait. C'était bien pratique pour cacher ce qu'il voulait quand on ne lui laissait que très peu d'espace personnel. Et des cachotteries, il en avait. De là, il sortit une petite mallette. Elle était poussiéreuse, très peu utilisée. Refermant la cache au cas où sa mère, seule présente dans la maison, n'entrerait sans prévenir, il s'assit en tailleur sur son lit, la malle devant lui. Il hésita un moment, puis finit par franchir le pas.

A l'intérieur se trouvait des livres. De vieux livres aux bords écornés et aux pages anciennes. Ce n'était pas là tous les livres qu'il utilisait pour sa magie, la plupart étaient rangés dans la bibliothèque familiale – après la mort de Sarah, c'était ce qui avait été convenu : pas de magie sans supervision – mais c'était, sans conteste, les plus dangereux. Il avait dû errer longtemps au Smooth Criminal avant de tomber sur la bonne personne à qui parler pour les obtenir. Ce n'était basé que sur des rumeurs, une magie taboue que personne n'était sensée pratiquée car jugée contre-nature. Après leur obtention, Wyatt avait réussi à se convaincre que c'était là de la folie que de tenter quoique ce soit. Alors il les avait rangé. Mais Leïla … Leïla s'en était trop. L'idée avait germé lorsqu'il avait revu Sirius après dix ans, s'était développée au fil du temps. Et s'il y avait bien des livres qui pourraient contenir l'incantation et le rituel pour ce qu'il voulait faire, c'était bien celui-ci. Il lui suffisait simplement de les chercher.

Deux heures plus tard, il n'avait pas décroché ses yeux du premier livre. Les pages commençaient à voler, certaines se détachant. Il n'était pas facile à décrypter, ce n'était certainement pas de l'anglais ou aucune langue encore parlée. Les illustrations étaient, quant à elles, toutes plus terribles les unes que les autres. Personne à l'heure actuelle ne savait réellement si ce type de magie était efficace ou bien même réelle, surtout depuis la disparition des djinns. Mais ces livres étaient basés sur des croyances d'esprits bien plus torturés que tous ceux qu'il avait pu rencontrer. Des bruits se firent entendre au rez-de-chaussée alors qu'il avait devant lui, de ce que montrait les signes, imageries et formules, de quoi provoquer une combustion spontanée. Il n'y prêta pas attention, quelque peu fasciné par les crayonnés des flammes et de la chair brûlant, la grimace de douleur frôlant presque trop le réalisme. Il n'avait pas encore trouvé ce qu'il cherchait mais bien d'autres choses.

C'est à ce moment que sa porte s'ouvrit sur Samira. Il ne l'avait pas vue depuis des mois et l'étonnement le fit réagir et refermer le livre une seconde trop tard avec beaucoup trop d'empressement pour que ce ne soit pas suspect. « Sam ! Qu'est-ce que tu fais là ? »

Wyatt n’avait pas vu Samira depuis des mois. On pouvait facilement placer leur dernière entrevue avant la mort de Sarah, en mai. Il ne se souvenait même plus si elle avait assisté aux funérailles, pour être honnête, lui-même n’y avait fait qu’une brève apparition pour finir par picoler dans un coin avec son cousin en jugeant tous ceux présents juste parce qu’un enterrement faisait de l’animation à Bray. Il n’avait pas cherché à la voir non plus. Non pas qu’il ait quelque chose contre elle, loin de là, mais voilà maintenant neuf mois que tout allait trop vite, qu’il vivait dans une bulle et que le reste du monde continuait à défiler devant lui, impuissant, incapable de suivre. S’il s’était rapproché de Charlie pour ce qu’elle pouvait lui donner, il avait délaissé tous ses autres proches, sa famille par culpabilité, Jonah et Kenan sans réellement le vouloir et Samira … Pour la magie.

Lorsqu’ils avaient découvert leur attrait pour l’ésotérisme, Samira et Wyatt avaient appris ensemble. Leurs magies propres étaient différentes mais ni l’une ni l’autre n’était mauvaise, ils en avaient conscience. Alors ils avaient pris plaisir à évoluer ensemble et se découvrir, se tromper, se soutenir lorsqu’ils en avaient le plus besoin. Puis il y avait eu la tornade, la confiance trop grande du magicien en ses pouvoirs et la descente aux enfers de sa famille. A partir de là, la magie l’avait traumatisé. Ce n’était pas comme s’il pouvait expliquer ce qu’il s’était réellement passé et il avait menti à tous ses proches tout comme à la police, arguant que sa grande soeur avait fait une mauvaise chute lors d’une randonnée, comme on l’avait sommé de raconter pour sa propre protection. Même Samira n’était au courant de rien et pourtant, il avait laissé de côté grimoires et sortilèges pour ne redevenir qu’un humain lambda, comme si ça allait changer quelque chose à ce qu’il s’était produit. Puis il avait revu Sirius. Si l’on devait poser une image sur le métamorphe, il était le serpent qui avait offert la pomme à Eve juste pour la regarder commettre le péché sous ses yeux. Et là, c’était une idée folle qu’il avait décidé de lui mettre en tête, une idée impossible … Mais l’était-elle vraiment?

Alors il s’était intéressé à la magie noire, dans le secret, alors que tous pensaient qu’il n’utilisait même plus les sorts les plus basiques. Et avec ses trouvailles récentes, le retour de Samira tombait au plus mauvais point. Il se posa brièvement la question de savoir si elle était là pour Leïla mais apparemment, elle ne semblait pas au courant. Ce n’était certainement pas avec sarcasme et cynisme que l’on allait voir quelqu’un qui venait, de nouveau, de perdre un membre de sa famille. Du moins il l’espérait. Il soupira. “Je … C’est pas que je ne le suis pas.” Doucement, il se leva de son lit, attrapant machinalement quelques feuilles pour les lancer dans la mallette. “Je suis surpris c’est tout, ça fait des mois qu’on ne s’est pas vus et ce n’est pas particulièrement le bon moment.” Par là il lui faisait comprendre qu’elle aurait pu, très probablement, lui envoyer un message avant de débarquer dans sa chambre. Pour ce qu’elle en savait, il était peut-être à poil en train de chialer. La situation aurait été belle à voir. ” T’as appris pour Leïla?” Il fallait que Wyatt demande. Après tout, c’était une belle coincidence si ce n’était pas le cas.

Le temps défile à une vitesse phénoménale, donnant un sentiment de tournis à Wyatt. Parfois il s’arrête brusquement, jusqu’à lui couper le souffle et parfois il tourbillonne. Il est dans un manège, le magicien. Un manège infernal dont il ne peut plus sortir, bloqué à jamais, passant d’une mort à l’autre sans réussir à se remettre d’aucune. Il a sur le coeur une nausée constante qui ne semble pas vouloir partir, il est prêt à vomir ses tripes à la moindre secousse de trop. C’en serait fini de lui, de ce qu’il a été et de ce qu’il aurait pu devenir. Il ressemblait déjà de moins en moins à ce que l’on connaissait. La drogue le changeait, mais pas que ça. Il n’était qu’une marionnette poussée par une puissance qu’il ne comprenait même pas, se servant de sa tristesse habilement pour que la chute semble inévitable. Comme la rupture brutale qu’il avait eu avec ses plus proches amis dont Samira faisait partie. Il y avait eu le fait qu’il avait dû prendre sur lui pour se rapprocher de nouveau des siens, les épauler, qu’ils veuillent de lui ou pas, comme Soren qui continuait à le juger coupable pour Sarah, mais il y avait cet espoir, cette soif de contrôle, de retrouver ce qu’il avait perdu, de se servir de son don pour obtenir bien plus que ce que la vie était prête à lui apporter, sans savoir ce que ça pourrait bien lui coûter. Il n’était pas pour autant prêt à l’admettre, surtout pas maintenant. “ Tu veux quoi, un câlin? Un grand sourire? Les deux sont plutôt indisponibles pour le moment, tu devras te contenter de ça.” La phrase était un peu dure, sans doute, mais Samira devait se douter qu’il n’était pas en état de faire semblant, de faire “ le Wyatt”.

C’est toujours ce qu’on attendait de lui, sourire, faire des blagues, remonter le moral des autres. Il était comme ça, optimiste, vivant, joueur, drôle. Et bien non, plus maintenant. Comme s’il pouvait faire autre chose que pleurer ses morts et espérer que le suivant serait sa propre personne pour ne plus jamais avoir à traverser ça. Pourquoi est-ce que les gens le lui reprochaient? Il n’avait pas le droit, lui, à un peu de vérité, un peu de calme? Il n’avait pas le droit de se sentir si dépassé par les événements que plus rien ne comptait? Se laisser aller comme chacun pouvait le faire sans qu’on les regarde de travers? “ Ces derniers mois c’est plutôt facile de me trouver aux enterrements, mais sinon, le chemin qui mène à la ferme bouge pas de place tous les matins hein. T’es sérieusement venue pour me dire que t’avais une vie et me parler de ta putain de chèvre?” Son ton était las plus qu’énervé… Pour le moment. Wyatt aimait les animaux, vraiment. Ils en avaient quelques uns dans la propriété, forcément puisqu’ils vendaient des produits fermiers, mais ce n’était pas le moment. Il lâcha un soupir, secouant un peu la tête.

Quand Samira annonça qu’elle était au courant pour la soeur de Wyatt, sa première réaction fut la surprise, réelle encore une fois. Elle savait? Réellement? Au fond, c’était d’une logique profonde, l’histoire des kidnappings faisait la une des journaux depuis plusieurs semaines maintenant, c’était évident qu’à la découverte d’un corps, la nouvelle se propagerait comme une traînée de poudre. Mais lorsque la surprise passa, ce fut la colère qui la remplaça, inattendue, sortie de nulle part. “ C’est la première chose que tu me demandes? Pourquoi je suis pas venu te voir? Le monde tourne pas autour de ta personne Sam’, j’ai une famille en train d’exploser et envie de me tirer une balle A CHAQUE FOIS QUE J’OUVRE LES YEUX. Et toi tu te pointes comme une fleur, tu me reproches des trucs en plus alors que tu sais que je viens de perdre ma soeur? C’est quoi qui tourne pas rond chez toi? On t’a jamais appris ce que c’était que l’empathie ou je sais pas, tu t’es laissée bouffer une moitié du cerveau par ta bestiole?” En parlant, Wyatt bougeait dans tous les sens, comme pour se calmer. Là sortait toute la rancoeur qu’il ressentait pour tout le monde, et malheureusement, c’est Samira qui devait encaisser. Il laissait paraître toute l’injustice de la situation, tout ce qu’il ne pouvait dire à sa famille en deuil, tout ce qu’il ressentait. Il en avait bien trop sur le coeur.

Spoiler:

Wyatt aurait eu envie de hurler. Si ça n’avait pas été Samira, il aurait probablement eu l’impulsion de lui mettre son poing au milieu de la figure, ou dans un mur pour faire bonne mesure. Mais elle était son amie, peu importe comment elle réagissait actuellement. Parce que tous n’avaient pas de tact légendaire lorsqu’il s’agissait de deuil et il pouvait comprendre - pas l’intégrer complètement ce jour-là mais au moins le comprendre - qu’on ne pouvait pas tous être à l’aise avec l’idée de perte. Le deuil était compliqué pour tout le monde, la mort effrayait autant qu’elle intriguait et voir ses proches dans l’état du magicien actuellement, ce n’était pas chose aisée. Alors le brun ferma les yeux un instant, reprit sa respiration, serra les dents. Il sentait la colère gronder, menaçant de sortir encore, de ravager tout ce qu’il restait d’amitié entre les deux, mais il ne la laissa pas faire, pas tout de suite du moins. “ Bah qu’est-ce que tu veux que je te dise? Je suis désolé d’être surpris de te voir alors que t’as pas été foutue d’être présente avant quoi.” Comme quoi, il ne pouvait pas être de la plus grande des sympathies non plus, ne pouvait s’en empêcher. Et la discussion avait très vite tourné au vinaigre sans qu’il ne voit le moyen de revenir en arrière. Désamorcer maintenant? ça semblait hors de portée.

La suite ne semblait pas bien partie pour en tout cas. La toute nouvelle résolution de Wyatt de calmer les choses se vit fondre au soleil aux phrases suivantes de la fleuriste. Il avait beau garder en tête tout le malaise que la situation pouvait susciter chez Samira, c’en était trop pour lui. Il ne pensait plus aux autres, qu’à lui-même, à sa famille et à ceux qu’il avait perdu, et c’en était déjà trop pour lui. “Bah désolé d’avoir une vie de merde. C’est pas des blagues à la con qui vont me faire me sentir mieux quoi.” Au moins, il avait arrêté de faire des tirades interminables, c’était déjà ça.

“Bah je sais pas, t’as fini de me casser les couilles sur le fait que je suis pas un bon pote? Alors probablement ouais. C’est pas facile pour moi Sam, essaie de comprendre un peu quoi.” Wyatt se calmait, petit à petit mais il se calmait. Ce n’était pas très voyant mais ses muscles se détendaient au fur et à mesure. Elle avait raison sur un point au moins, il avait besoin de sortir ce qu’il avait sur le coeur. Ses amis lui manquaient mais il n’était pas encore prêt  à les affronter. Deux pertes en moins d’un an, c’était beaucoup trop pour un esprit déjà fragile, et s’ils ne s’en rendaient pas compte d’eux-mêmes, c’était dommage mais plus son problème.

La première chose qui lui vint lorsque la Chadwick fit allusion à sa soeur fut : trop tôt… Bien trop tôt. Mais ce n’est pas ça qu’il dit. Si elle ne l’avait pas compris depuis le début de la conversation, il ne pouvait plus rien pour elle. “Bah oui c’est sûr, fais en des blagues maintenant tant qu’on y est. Imagine deux secondes, rien que deux secondes que c’est toi qui avait perdu ET ton frère ET ta soeur au courant de l’année. T’apprécierais pas ce genre de trucs quoi.” Elle était pourtant la plus apte à comprendre normalement, celle dont la vie ressemblait plus ou moins  à la sienne, sans les Surnaturels, sans les organisations, sans le nombre qu’ils étaient. Elle aussi avait été adoptée, elle aussi était fusionnelle avec les siens. Alors pourquoi était-elle aussi consternante?