Ta phrase juste à toi « ... Invocare.. Ifrit. » Il fait sombre et la dernière bougie allumée s’éteint. C'est la troisième fois qu'elle invoque un être du plan Astral et la difficulté est grande, le Djinn récalcitrant. Pourtant elle en a besoin, elle a besoin qu'il exauce son vœux. Qu'elle soit débarrassée de cet homme qu'elle hait et qui l'effraye de plus en plus. Elle halète, l'invocation semble ne pas avoir fonctionné. Aurait-elle invoqué un djinn déjà occupé ailleurs ? Mais ce dernier prends son temps, et c'est d'abord un immense sourire de feu qui s'offre à la vue de la jeune mage assise à genoux sur le sol de béton. Le reste vient, l'apparence est jeune, masculine, et au visage passablement amusé. « Humaine. » Il renifle d'un air dédaigneux. Ce n'est pas la première fois qu'il est invoqué, mais la première fois qu'il s'agit d'une jeune femme aux traits pâles, blonde et malingre. Ses yeux amusés, ses prunelles de feu s'éteignent pour devenir d'un vert teinté de magie. « Pourquoi m'as-tu invoqué ? » Il demande, donnant avec sa stature l'aspect d'une statue de cire. Le trouble émane de la jeune femme, et elle bredouille. « Je.. Euh. Djinn. Je veux que tu exauces mon souhait. » Il sourit, et flottant toujours au dessus du sol, il se décide à se poser et à faire apparaître des vêtements sur son corps tacheté de rousseurs. Au moins elle ne tourne pas autour du pot. « Dis moi quel est ton souhait, femme. » Elle semble hésiter, et l'agacement gagne rapidement le djinn, qui tape du pieds sur le sol. « Humaine. » dit il tout en s'approchant d'elle, presque menaçant. « Je veux que tu tues quelqu'un. » La malveillance l'envahis, c'est un vœux assez commun et presque trop classique pour une jeune femme comme elle. Il s'accroupit, ses yeux fixés dans ceux de la magicienne. Il ne réponds pas, restant à la regarder comme ça pendant un long moment. Lui d'habitude si prompt à exaucer les vœux pour sa tranquillité, voilà que quelque chose le retient. Son faciès se craquelle, sa mimique hautaine s'envole, ce vœux il ne peut pas l'exaucer et il ne comprends pas vraiment pourquoi.

Il est sombre, le djinn, vêtu de noir sous la pluie battante. Ses yeux sont ternes et ses épaules basses, ne pipant un seul mot de toute la cérémonie. Quelques uns lui ont serré la main, essayé de lui procurer paroles réconfortantes, mais qui étaient-ils pour chercher à réconforter une entité astrale ? De sales humains. Il est plein de colère Aifric, plein de ce sentiment d'injustice cuisant, alors que tout est de sa faute. Qu'il lui suffisait d'accéder au vœux de la jeune femme pour que tout se termine bien, comme dans un conte de fée. Mais c'est lui le grand méchant loup, pas la mère-grand qui attends son petit pot de beurre et ses tartines. Il soupire, alors qu'il finit par être seul devant la tombe de cette femme qu'il a instantanément aimé.

Et il est coincé sur terre, coincé dans ce corps qui va commencer à vieillir mais il y a cette femme qui rayonne et qui l'empêche de perdre pieds. Cette femme, cette fée, qui l'empêche de sombrer, qui l'empêche de faire sortir le monstre de sa colère. Oriana. Elle apparait dans le paysage pour devenir son pilier, pour lui donner une raison de rester sur terre plutôt que de retourner dans l'Immatériel qui l'a vu naître. Il l'aime d'un amour filial, fraternel, immuable. Il l'aime et pour elle il l'accepte même lui, ce bébé humain.

Lucian il n'en voulait pas. Il ne voulait pas s'encombrer d'un fragile humain, d'un être inachevé et sans magie. Mais elle n'a pas laissé le choix au djinn, malgré ses tentatives de la dissuader. Alors il était dans le tableau, dans la vie du petit qu'il ne cessait de mal-éduquer. De pousser à faire le plus de bêtises possibles tout en le gardant paradoxalement en sécurité. Incapable de dire non à sa fée, incapable de mettre en danger l'être qu'elle aime le plus au monde. Alors Aifric il s'est installé, et Oriana lui a payé cette boutique-librairie au centre de Bray. Lui a permis de se trouver une identité humaine et d'installer sa carapace de simple magicien sans histoire. Mais les douleurs sont arrivées, fulgurantes, et les articulations craquaient. Pris du mal de l'Astral, Aifric voulait partir, voulait retourner d'où il venait. Mais il y avait sa fée. Alors le djinn a cherché un moyen de revenir, un moyen de retourner sur terre pour sa fée, et pour le bébé humain qu'elle élève. Il s'est tourné vers cette famille de magicien qu'il connait, les Murphy.

Cette femme notamment, la nièce d'Erin la magicienne. Il a eu du mal à la retrouver avec le temps qui est passé, et la convaincre de l'invoquer sans qu'il ne soit obligé d'exaucer tous ses vœux ne fut pas une mince affaire. Mais à croire que la bonté humaine n'est pas qu'une fable, parce qu'elle l'a vraiment fait. Aifric s'est donné la mort, sa première, et a disparu de la circulation pendant un mois sans rien dire à personne, attendant de voir si Karen Murphy allait tenir sa promesse. Et il est revenu, avec cette apparence qu'il a eu la première fois qu'il a croisé la route d'Erin. Et plusieurs années plus tard il a fait de même. Partir sans rien dire, et revenir comme une fleur, libéré des douleurs humaines et de cette apathie magique qui le gagnait à force de rester sur terre.

Mais elle ne veut plus, Karen. Elle ne veut plus pour son fiston, pour ce gamin en chaise roulante qu'Aifric ne connait pas. Elle refuse et Aifric en souffre. Il a besoin d'elle, besoin de son pouvoir, besoin qu'elle tienne cette promesse parce que personne d'autre ne peut la tenir à sa place. Alors Aifric il menace, il hurle, il harcèle, mais n'obtient pas satisfaction. Elle sait qu'il ne peut la tuer, qu'il ne peut rien lui faire alors elle prends le risque la magicienne, et Aifric n'a d'autres choix que de chercher une autre solution. Se plongeant dans les livres, dans les recherches, les entrevues avec d'autres entités surnaturelles, il est là, à accumuler tout le savoir disponible pour réussir dans sa quête. Il n'est plus question qu'il soit dépendant. Il veut la liberté, la magie, et la possibilité de sauter d'un monde à l'autre. Il n'a pas besoin des humains et il refuse qu'on le plaigne. Alors Aifric il pioche là où il peut, côtoyant des gens pas forcément recommandables pour obtenir sa réussite.

Serait-ce pour avoir côtoyé l'infréquentable qu'il se retrouve dans cette situation ? Qu'il se retrouve seul dans son arrière-boutique à gémir de douleur, et à voir cette lueur autour de Lucian au devant du magasin ? Est-ce à cause de ses aller-retour que la magie s'est attachée de la pire des façons à cet adolescent que sa fée chérit ? Il dégluti, s'adosse contre le mur et de grosses gouttes de sueurs tombent de son front. Elle va le haïr. Il est persuadé que c'est de sa faute, comme la mort d'Erin a été de sa faute, que l'enfant devienne un oracle. Et il ne peut rien y faire. Alors il se tait Aifric, et quand elle le supplie d'aider son fils, il en est incapable. Il pleure, pour la première fois de sa vie de djinn-magicien. Seul dans son arrière-boutique et vide comme il ne l'a jamais été.

Deux ans. Deux ans où tout s'est dégradé, la santé de Lucian et sa santé à lui comme un echo. Des désirs insatiables de trouver les réponses à tout, des solutions à tous les problèmes. La magie ne résout pas tout et l'impuissance d'Aifric le rends incapable d'être optimiste. Rageur, il lance un livre qui traverse la fenêtre de sa librairie, n'y trouvant aucune réponse. « Putain. »

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