Mortimer était là depuis….trop longtemps. L’idée de base, c’était d’aller prendre un café au Coffee Shop, trente minutes maxi, et ensuite aller à l’université pour faire sa journée de travail. Bien évidemment, ce plan initial était tombé à l’eau. D’une part parce que Mortimer avait peu dormi, trop obnubilé par un livre passionnant sur la pigmentation des coraux. La nuit s’était retrouvée beaucoup trop courte. Alors le premier café avait vite été suivi par un second. Et un troisième. Mais au lait celui-là, donc c’était pardonnable, non ?
Et puis, Mortimer avait sorti son livre. Un autre. Les actes d’une conférence majeure en chimie biologique à laquelle il souhaiterait, un jour, participer. Alors il fallait bien s’imprégner de l’ambiance, voir quel genre d’articles était accepté. Quel était le niveau. Bref, ça faisait bientôt une heure et demie qu’il était là. Le troisième café s’était retrouvé miraculeusement accompagné d’un muffin. La gourmandise, c’est mal, mais tant pis. Assis dans le coin du Coffee Shop, Mortimer ne voyait pas le temps passer, ni les gens. Pourtant, le matin était toujours un peu frénétique. A croire que tout Bray passait par là avant d’aller bosser ou de vaquer à ses occupations. Les serveurs prenaient les commandes sans s’arrêter, les tables se remplissaient et se vidaient en quelques minutes. La machine ne cessait son doux sifflement. Quelque part, Morti aimait cette ambiance. Il aimait le calme, de manière générale. Le bruit de fond, c’était parasite, ça brouillait sa pensée. Ca lui rappelait qu’il n’était pas seul, qu’il y avait plein de monde autour qui fourmillait, et en général ça ne l’aidait pas à se concentrer. Mais dans des jours comme celui-ci, la vie lui convenait mieux. Ca lui évitait de s’endormir sur place.
Il leva la tête quand le troisième café fut vide et que son corps lui suggéra qu’un quatrième, ce n’était pas une si mauvaise idée, pas vrai ? Il chercha du regard un serveur et aperçut une serveuse. Il lui fit un signe avant de se rendre compte qu’il la connaissait. Blonde, fine, des yeux de chat. Merde. Eileen, elle s’appelait. Il l’avait vue lors de cette période honteuse où il avait tenté les cours de développement personnel. Pas un franc succès, soyons clairs. Et il préférait oublier cette tentative. Il était un homme de science, pas un mec crédule en quête de sens qui faisait de la méditation et de la pensée positive en pantalon de yoga. Il avait tenté ces cours dans un élan de détresse. Une réflexion stupide, comme quoi il avait 37 ans et que sa vie ne ressemblait en rien à ce qu’il aurait voulu. Un frangin qui sortait de prison, une fratrie éclatée, un doctorat à peine entamé, un célibat qui était en grande partie sa faute. Il s’était inscrit sur un coup de tête, pensant que ces séances l’aideraient peut-être à accepter sa vie telle qu’elle était. Ou alors à l’aider à changer cette vie, et la rendre un peu plus comme il la voyait il y a vingt ans. Il avait vite abandonné. Tout ça lui avait paru tellement….futile. Le jeune homme se renfonça dans sa chaise en espérant que la jeune serveuse n’ait pas vu son appel.
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