Naissance et enfance. Mes parents ne se connaissaient pas avant de se marier. Mais les alliances arrangées ont toujours fait partie de la tradition, dans la famille, et ce depuis des générations. Il ne faudrait surtout pas mélanger la race avec une autre, beaucoup plus impure, pas vrai? C'est ainsi que Gidéon Ò Murchù , monument de la médication en Irlande, s'est trouvé lié à Maryan Ederness, journaliste et star montante dans le domaine de l'information. Ils ne se sont jamais aimé, mais ils formaient le couple le plus puissant des environs, et c'était suffisant pour cette famille qui ne jurait que par le pouvoir et l'apparence. Ils ne tardèrent pas à donner naissance à leurs premiers jumeaux, ou plutôt jumelles: Hayley et Hecate. Mon père a toujours été déçu, lui qui souhaitait un fils. Assez vieux jeu, il préférait léguer tout ce qu'il avait à un aîné. Il a toujours eu d'autres buts, même avant ma naissance, mais honnêtement, je n'en avais aucune idée jusqu'à trop récemment. Trois ans plus tard, nous naissions Niamh et moi. Ma mère était préposée aux jumeaux, il fallait croire, parce qu'encore deux ans plus tard, c'était au tour de Phoebe et Nathan. Je vous fais grâce des demi-frères et demi-soeurs que je dois avoir un peu partout ... Mes parents n'ont jamais été les plus fidèles, moi qui me demandais d'où je tirais mon mariage foireux. Le fait est que mon enfance a toujours été dorée. Bien sûr, j'ai dû apprendre à me battre très jeune, parce que d'après mon paternel, c'était le meilleur moyen de ne jamais se laisser surprendre. Aiguiser son intelligence autant que ses poings. Il nous le montrait d'ailleurs souvent. Mais en dépit du désintérêt de ma mère pour notre éducation et de la violence de Gidéon, je pense pouvoir dire que j'étais heureux, dans ma fratrie trop grande, avec Hayley, celle que j'avais toujours vue comme la seule mère que j'aurais jamais.

Le début de la descente. Adolescence. C'est à partir de mes onze ans que tout a commencé à déconner. Un soir, mon père est venu me voir, et sans une once d'émotions dans la voix, m'a annoncé qu'on avait retrouvé Hayley, morte, dans les bois. Tous les signes indiquaient qu'elle s'était faite ouvrir la gorge par un métamorphe. La vérité sur l'homme qu'elle fréquentait éclata, et nous avons commencé à jouer avec la haine, chassant comme nous nous figurions qu'elle avait été chassée. Je commençais déjà à entrevoir la noirceur qui pouvait résider en moi. Mais je n'ai rien fait de spécial pour la chasser. Je me séparais de mes amis, les éloignant de moi. Je tombais amoureux, elle me quitta. Je connus la douleur comme jamais, encore et encore, comme une boucle incessante. Puis arriva l'incendie. Notre manoir partit en fumée, tous nos souvenirs ne furent plus que cendre. Puis l'annonce, parmi le chaos, s'assurer que tout le monde allait bien, l'absence de la mère. Gidéon qui promettait qu'il avait tout fait pour la sortir des flammes, sans y arriver. Et nous qui n'en croyons plus rien. Mais je le suivais, j'étais le seul à le faire, à obéir encore à ses ordres, bosser dur pour le satisfaire et enfin entrer dans son entreprise. Je me souviens encore du jour où tout a basculé. C'était le vendredi 18 mars 2015. Le jour où j'ai découvert toute la vérité. Comment mon père avait tué ma soeur, de rage, pour avoir osé s'enfuir avec un méta. Comment il avait utilisé ce fait là pour nous utiliser pour le bien de ses projets. Comment il utilisait les médicaments qu'il produisait à des fins peu reluisantes. J'ai tout su, en une seule soirée. J'aurais pu le tuer. Nathan, qui était avec moi, aurait pu m'y aider. Je ne serais sans doute pas celui que je suis aujourd'hui si nous l'avions fait. Mais mon petit frère, lui, c'était quelqu'un de bien. Il a commencé à crier, à vouloir nous dénoncer, à jurer notre perte. Je ne pouvais pas le laisser faire, ruiner notre nom alors que toute notre vie a été gâchée pour sa préservation. J'ai voulu l'arrêter, mais sa tête a beaucoup trop violemment frappé contre le mur. En un rien de temps, j'étais un meurtrier. Mon père m'a forcé à me relever, à faire disparaître les preuves. J'aurais pu m'effondrer, me laisser mourir enfin, là, à ce moment là. Tout plutôt que devenir un monstre. Mais j'ai préféré oublier à quel point j'avais aimé mon frère. Penser que je ne savais pas ressentir plutôt que de laisser entrer la douleur. Alors j'ai continué. Encore et encore.

L'âge adulte. Hecate est entrée en hôpital psychiatrique peu de temps après la mort de Nathan, ne supportant pas de voir l'un des enfants qu'elle a élevé mort ainsi. Niamh a décidé de faire un tour du monde, nos relations s'étant largement dégradées au fur et à mesure des années. Pour ma part, je me suis marié. Son nom est Anthea, largement recommandée par mon père, il n'aurait pas pu trouver mieux pour me rendre malade que ce serpent. Quelque part j'aime ce jeu, lui rendre la vie impossible, savoir qu'elle me le rend bien. L'amour à la dure, c'est notre truc. J'ai racheté le bar The three goddesses et l'ai renommé The Drunk Mermaid après la ... Discorde que j'ai eu avec l'ancienne propriétaire. Long story short elle a fini le crâne explosé par un rocher. Mais je n'allais quand même pas laisser l'endroit le plus prisé de Bray sans propriétaire. ça me permettait de gérer le côté plus ou moins illégal de Oax Pharma.

J'ai fait des conneries. ça ne fait pas si longtemps, pas assez pour que je puisse dire que j'étais con à cette époque, mais que j'ai bien changé maintenant. C'est le cas, mais ça n'en efface pas les faits. Il y a quelques temps, j'ai appris que mon père, Gidéon, avait eu une aventure avec une Egerton. Si nous avions des némesis, ce serait probablement eux. Egerton vs Ò Murchù, j'ai marqué un point en enlevant la mère des bâtards de mon père. Je l'ai torturée pendant des mois et des mois. La torture et la cruauté n'ont jamais fait partie de moi, pas à ce niveau d'horreur. A l'heure actuelle j'essaie encore de comprendre ce qui a pu vriller à l'intérieur de mon esprit pour atteindre un tel extrême.

J'ai appris la maladie de mon père, son cancer qui le tuerait peut-être. Ce fut le début de la fin de ma période de déni. La mort, un doux rappel du dernier à avoir trépassé. Puis l'annonce d'une naissance, pour contrebalancer le mauvais sort, et presque automatiquement l'agression de ma femme et de mon enfant à naître. Elle faillit perdre le bébé ce jour-là. C'est là qu'ils revinrent, les cauchemars. Plus puissants encore, plus terribles. Nathan, en boucle, comme une musique infinie.

J'ai l'impression de m'éveiller d'un coma. L'idée même de ce que j'ai pu faire me donne envie de vomir, et la culpabilité finira par me tuer si je n'y remédie pas très vite. Je ne crains pas la prison, je ne crains pas d'être tué pour mes actes, Dieu sait que je le mériterais ! Je crains seulement de ne pas pouvoir expier mes fautes. Ce n'est pas mon frère, finalement, qui traînera le nom Ò Murchù dans la boue. C'est moi. Et avec le sourire en plus.