I'll teach you everything I know × ft. Aisling & Emily
Je passai la porte de la librairie, Woody devant moi, et l’odeur des livres me happa de suite. J’adorais cette odeur. Elle me ramenait dans un monde plus calme, plus serein, un monde que j’aimais. Je souris. Les livres avaient un certain pouvoir. Et j’avais eu beaucoup de chance de trouver une librairie qui vendait des livres en braille.
Aisling, c’était la libraire. Et elle vendait des livres en braille d’une part parce qu’elle était une fille intelligente qui avait compris que son public ne se composait pas que de valides ; d’autre part, parce qu’elle-même perdait la vue depuis quelques mois. Je n’étais pas vraiment entrée dans les détails, c’était plutôt elle qui m’en parlait en général. Je ne voulais pas m’immiscer dans sa vie et la perte de la vue était une situation particulièrement délicate. Je le savais, je l’avais vécue. Et étrangement, il semblerait qu’Aisling vive une situation similaire à la mienne il y a des années. Personne ne savait pourquoi, mais elle perdait la vue, petit à petit. Alors j’essayais, quand elle discutait avec moi, de la rassurer comme je pouvais. De lui montrer implicitement qu’on pouvait vivre et être heureux sans voir. Il faut dire que j’avais une responsabilité envers elle. Enfin….j’avais une responsabilité envers son frère. Et je l’avais transférée sur elle.
Dagda était mon ami au lycée. Et j’avais eu une vision de lui commettant un meurtre par accident. J’étais arrivée quelques minutes trop tard. Juste à temps pour comprendre qu’il avait déjà porté le coup fatal. Je m’étais toujours sentie coupable. Comme si c’était ma faute. J’avais été trop lente à comprendre la vision. Trop lente à venir. Trop lente à le trouver. Si j’avais été là cinq minutes plus tôt, il n’aurait pas tué son ami, il n’aurait pas été condamné à la prison. Sa vie aurait été différente. La mienne aussi, d’une certaine façon. Alors aujourd’hui, j’essayais de garder contact avec Dagda, et j’essayais de veiller sur Aisling. Ma façon de faire amende honorable, je suppose.
Je me dirigeai vers les rayons des livres en braille, cherchant une nouvelle perle pour passer mes jours de pluie. Il y avait de tout dans cette librairie. Ca tombait bien, je lisais de tout. Je venais de terminer un thriller passionnant de Harlan Coben, un maitre du genre. Je cherchais quelque chose de plus léger. Un roman d’aventure peut-être ? Ce serait chouette. J’entendis au bout d’une minute des pas derrière moi, ceux d’Aisling. Je me retournai et lui adressai un sourire. « Bonjour Aisling ! Tu vas bien ? », lui demandai-je avec un sourire. Woody jappa joyeusement et vint se frotter à la jeune libraire, signe de son affection. Mon chien aimait les gens, c’était dingue. « J’ai déjà fini les livres de la fois dernière…je viens me refaire un stock ! ». Le fait est que je lisais vite. J’aimais lire. Et je détestais la télé. Il n’y avait bien que l’émission délicieusement stupide de Darleen que je regardais avec elle. Mais de manière générale, je n’aimais pas l’audio description. Un film était avant tout fait pour voir les images. Il n’était pas adapté aux gens comme moi, et cela me frustrait souvent. Les livres, eux, étaient faits pour tout le monde. C’était un autre genre de voyage. Un voyage qui me passionnait souvent, m’émouvait chaque fois. Aisling avait un talent particulier pour commander des merveilles, des perles rares peu connues au milieu des best sellers. On reconnaissait un bon libraire à son stock. Aisling était définitivement une bonne libraire à mes yeux.
« Comment tu te sens ? Ca se passe bien ici ? » Un moyen comme un autre d’engager la conversation. Une façon détournée surtout d’évaluer la progression du handicap de la jeune femme. Elle avait une certaine facilité à me parler, parce que j’étais aveugle sûrement. Je pouvais comprendre ce qu’elle traversait. Et puis, j’avais connu Aisling il y a plus de dix ans. Elle n’était encore qu’une gamine ; moi aussi, d’ailleurs. Cela avait instauré une certaine relation de confiance entre nous, teintée de timidité et de retenue, mais qui faisait son chemin doucement depuis que j’étais revenue à Bray.
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