Le deal à ne pas rater :
Jeux, jouets et Lego : le deuxième à -50% (large sélection)
Voir le deal

 

 Never forgotten

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
avatar
Invité
Never Forgotten
Eògan & Yukon




Agitée.
Gobelet fumant à la main, blouse encore sur les épaules, Eògan contemple par la fenêtre de l'hôpital la mer qui s'élance avec ferveur contre les côtes. Les vagues se soulèvent, se brisent contre les roches, s'enroulent sur les restes de plages, poussent jusqu'aux anciennes promenades, s'enfonce encore un peu plus, suit le chemin qu'elle a creusé, les dégâts qu'elle a causés.
Une gorgée de café brûlant.
Les jours se ressemblent, ces derniers temps. Pas une accalmie, ni ciel sans nuage. Tout le renvoie à sa peine. Il ne trouve aucun réconfort à annoncer la réussite d'une intervention ou à rassurer une famille, aucun réconfort dans les murs immaculés des salles d'opération, aucun réconfort dans les gestes précis et mécaniques.
Depuis que Deirdre l'a quitté, le deuil lui offre quelques fois des heures de repos, où il peut se souvenir que la vie continue et que le bonheur peut venir l'éteindre à nouveau. Mais aujourd'hui n'est pas de ces temps là. Aujourd'hui n'est que mer agitée et vague à l'âme.
Une gorgée de plus.
Le grand homme se détache de la baie vitrée et reprend son chemin vers les vestiaires. Sa journée de travail s'est terminée deux heures plus tôt, au moment même où une urgence entrait dans le service. Ils auraient pu appeler le médecin de garde, ou bien faire quérir le Dr McCormick, qui ne devait pas être bien loin. Mais il avait les mains propres et aucune famille qui l'attende à la maison, il avait donc préféré se dévouer.
Un bon café, et c'est reparti.
D'un signe de tête, il salue son infirmière de bloc, celle qui l'assiste dans la majorité de ses opérations, et va se changer. Il vide son gobelet d'un trait, sans sentir la brûlure du liquide encore trop chaud, le jette dans la première poubelle qu'il croise.

Il n'a pas besoin de lever la tête pour deviner la pluie qui s'abat avec force sur la ville. Le vacarme la précède alors qu'elle s'écrase sur le sol et que le vent la pousse sous les quelques inconscients utilisant encore des parapluies.
Sans doute des touristes. Tous les autochtones savent pourtant qu'un parapluie est inutile sur leur île ; lorsque le vent souffle à écorner les boeufs la moitié du temps, il est inutile de s'encombrer d'un objet si fragile.
C'est d'ailleurs en remontant les pans de son imper qu'Eògan sort de l'hôpital, indifférent à l'eau qui ruisselle sur son crâne.
Comme il se plaît à le dire, tout bon Irlandais est imperméable.
D'un bon pas, il veut rejoindre le chemin le plus rapide pour rentrer chez lui, non sans un petit détour par le bord des falaises pour contempler la mer déchaînée et y noyer son chagrin.
Et puis en fait non. Une autre idée lui traverse l'esprit : il y a un chemin plus court entre lui et la fin de ses tourments du jour. À deux pas de l'hôpital en fait.

N'est-ce pas cocasse ?
C'est ici que les proches de ses patients viennent fêter une rémission, ici qu'ils viennent se consoler d'une perte. C'est aussi ici qu'il trouvera ses patients futurs, ceux qui auront besoin d'une suture à cause d'une bouteille brisée, de voir leur nez remis en place à cause d'une bonne bagarre, ou une opération se programmer en urgence pour réparer les dégâts d'un coup de couteau.
C'est également ici, apparemment, que viennent les chirurgiens pour oublier leur chagrin. Eògan ne cherche même pas à s'asseoir à une table et s'installe directement au bar. Il voit quelques visages familiers, aucun de vraiment connu, à part celui qui s'approche de lui pour s'enquérir de sa commande.
Whiskey, is it ?” demande le barman, sourire narquois aux lèvres. Son client s'apprête à faire une précision, mais il l'interrompt immédiatement d'un geste de la main. “I know, Bushmill's 'tis. Not Jameson.1
Eògan ne peut que s'incliner face à tant de perspicasité.
Et s'inquiéter de sa fréquentation de ce pub, visiblement trop remarquée, étant donné que le barman connaît ses préférences.

Le liquide ambré ne tarde pas à arriver, quelques euros sont échangés, la monnaie laissée dans le petit pot tips abandonné à côté de la caisse.
Il respire profondément les senteurs de son whiskey, s'imprègne des diverses subtilités du breuvages.
Puis avale le verre cul-sec.
Le barman attrape aussitôt la bouteille qu'il avait déjà rangée et s'approche de lui. Il connaît cette attitude des mauvais jours. Dans son travail, on apprend très vite à reconnaître celles et ceux qui se réfugient dans la boisson… Et à freiner mauvais payeurs et briseurs d'ambiance.
Another ?2

_________________
1Whiskey, c'est ça ? … Je sais, du Bushmill's. Pas de Jameson.
2Un autre verre ?
Revenir en haut Aller en bas
avatar
Invité
Never forgotten.Eògan C. Wheelan & Yukon Z. WrightLes journées de merde comme ça, je m’en passerais bien. Ces journées où je suis dans un tel état de nerf que je pourrais laisser ma peau de nounours pour être une bête féroce. Ou au moins un nounours qui grogne et qui montre ses griffes. En clair, je suis sur les nerfs, et j’ai juste envie de péter les plombs. Ça ne m’arrive pas souvent, mais quand ça m’arrive, je sais qu’il n’y a qu’une seule chose à faire pour me calmer : me déchirer. A peine rentré du boulot, et toujours sur les nerfs, j’avais embarqué ma meute pour faire une promenade, qui serait de toute façon de courte durée puisque beaucoup d’entre eux, comme apparemment tout être vivant normalement constitué, ils n’aimaient pas la pluie. Enfin, les plus fous avaient quand même pris la peine de courir un long moment sous la pluie pour finir par se jeter dans les flaques de boue du jardin. Ce qui n’avait pas aidé à calmer mes nerfs, même si j’étais intérieurement incapable de leur en vouloir. C’était parti pour une heure de bain à la chaîne pour ces crasseux. Et une douche rapide pour moi, histoire de ne pas rester avec des traces de boue sur la gueule, même si la pluie allait me rincer.

Parce que ouais, après tout ça, j’étais ressortis. A pied. Jusqu’au Drunk Mermaid. La pluie aidait à me calmer, à rester le gentil nounours et à ne pas avoir envie de faire des croche-pattes aux premiers venus. Je prenais tout mon temps d’ailleurs pour aller au pub, que j’avais choisi parce qu’il était loin de chez moi, que je pourrais profiter de chaque gouttes, de sentir mes cheveux se gorger d’eau, de sentir mon jean faire l’éponge, de sauter dans les flaques comme un gosse, même si c’était de rage. A ce stade là, il n’y avait vraiment que des dizaines et des dizaines de bières qui pourraient me faire vraiment de bien. Le vent est là aussi. Oh oui. Du vent. Alors, je l’avoue, je traînais encore plus les pieds pour pouvoir… m’amuser, me détendre. J’étais très loin de maîtriser mon pouvoir, et de toute façon, je ne savais pas si je pourrais le faire un jour, personne n’était vraiment en mesure de m’apprendre à le faire. Je ne connaissais qu’à moitié mes limites, c’était bien pour ça que je ne l’utilisais pas souvent et que ce n’était que de brefs moments. Là en revanche, avec la force qu’il avait, je ne pouvais pas m’empêcher de jouer. Parce que c’était bel et bien le mot : le jeu. Une main dans la poche, l’autre la paume ouvert vers le vent, je le poussais dans un sens, puis dans l’autre, balayant quelques feuilles et branches au passage, certaines poubelles aussi, ce qui était même plus jouissif que de donner des coups de pieds dedans. Ce qui était génial d’ailleurs, c’était que personne ne pouvait voir mon pouvoir. Au pire, je passais pour un idiot sous la pluie qui faisait des gestes absurdes. Ce qui pourrait s’apparenter à une danse. Ou de la folie.

Dans le pub, j’étais trempé jusqu’au os, je grelottais un peu, mais j’étais plus ou moins calmé. Et j’avais le sourire. En plus avec l’odeur d’alcool qui inondait les narines, je savais que ça ne pouvait qu’aller mieux. Vite, une pinte avant que je ne me remette à penser à ce qui m’a foutu dans un tel état de nerf. Retirant mon blouson et l’accrochant au premier porte manteau venu, je m’approchais du bar, prêt à m’installer pour enchaîné les verres quand je reconnus une silhouette. Une carrure plutôt. Que j’étais plutôt content de voir d’ailleurs. Boire, c’était bien, quand ce n’était pas seul, c’était encore mieux. Eògan C. Wheelan. Le Dr Eògan C. Wheelan. Je ne pouvais pas dire que je le connaissais bien, mais on était pote. Rencontré à la Fairy Road, on avait très vite sympathisé tous les deux, je crois que sa viré là-bas lui avait plu. Tapotant son épaule, je posais les avant bras sur le comptoir, penchant la tête vers lui.

« Hey, salut. Tu picoles sans appeler ton pote, c’est du propre. T’es à combien de verres ? Histoire que je te rattrape. »

Je fis signe au barman de me servir une pinte, me tournant à présent à moitié vers Eògan, examinant son expression. Lui aussi n’avait pas l’air de péter le feu. Encore une fois, je ne le connaissais pas autant que ça, mais j’avais bien le sentiment qu’il n’était pas dans sa meilleure humeur. Et à ça, je ne connaissais qu’un remède. Remède qu’il avait déjà commencer à prendre. Je compris assez vite à quoi il tournait, mais pour le coup, j’allais rester à la bière. Irlandais pure souche qu’il était, le whisky, il le prenait dans son café. Quelles que soit mes origines, je n’étais pas aussi Irlandais que lui. Mais j’avais quand même une bonne descente.
© Crimson Day
Revenir en haut Aller en bas
avatar
Invité
Never Forgotten
Eògan & Yukon




Un seul geste de tête a suffit à se faire comprendre. D'un air entendu, le barman attrape le verre laissé par son client et y verse le liquide alcoolisé. Eògan pourrait s'y perdre, comparer cette robe ambrée à la beauté d'une pierre précieuse, contempler ses ocres et songer à quelques vers d'un célèbre écrivain écossais adorateur de whisky…
Mais non.
Il se contente de resserrer sa poigne autour du verre, et, dans l'indifférence totale du regard désapprobateur – peut-être plein de pitié – que lui lance un groupe d'amis assis plus loin, en avale le contenu aussi sec.
La seule culpabilité qu'il pourrait ressentir serait de ne pas prendre le temps de déguster un si bon whiskey.

Il a à peine le temps de poser le verre sur le comptoir. Il veut demander à ce qu'on lui laisse la bouteille – tant qu'à faire – mais un seul geste suffit à l'interrompre. Une main, juste pour se manifester à lui. Un sourcil se lève, mais il ne lui faut pas longtemps pour identifier un visage familier.
Yukon.
D'un geste synchronisé avec celui de son camarade, il désigne la bouteille au barman. Il fouille ensuite dans une poche de son imper et en sort un billet de la même couleur que cette dernière, qu'il fait glisser sur le bar.
Voilà qui devrait suffire, et même anticiper quelques consommations supplémentaires.
Il se ressert donc un nouveau verre, en laissant Yukon en voir le contenu pour se faire une idée de sa légère avance. Il faut dire qu'après deux verres, il commence à se sentir d'humeur moins sombre.
Non, l'alcool n'efface pas son chagrin, ne lui fait pas oublier la mer agitée ni le vide de sa grande maison. Il ne remplace pas les projets qu'il avait bâtis, les cris d'enfants qui ne verront jamais le jour, le visage radieux d'une femme aimante.
Il balancerait bien la bouteille contre un mur.

Il n'en fait toutefois rien. Il préfère observer le niveau de bière monter à la tireuse, avant qu'on pose la pinte devant son comparse. Il lève alors son verre dans sa direction, et enfin lui adresse un mot, seul signe qu'il l'accepte comme compagnie.
Si on ne le connaissait pas, on pourrait le prendre pour un connard antipathique.
Sláinte Mhaith !1
Les verres se rencontrent et tintent joyeusement, contrairement aux deux hommes, plus ici pour calmer les nerfs que pour passer du bon temps.
Peut-être cela peut-il toutefois changer…
Il faudrait pour cela qu'on dépasse son sale caractère et qu'on apprenne à se sociabiliser. S'il n'est pas forcément du genre à faire la conversation, Eògan a conscience qu'il ne peut pas continuer à se renfermer sur lui-même et n'avoir que l'alcool pour seul ami.
Après tout, il ne faudrait pas que plus d'alcooliques se mettent à exercer en milieu hospitalier…
So… What brings ye here ?2
Les réponses possibles sont multiples.
L'ennui, l'envie de voir des gens, l'envie de trouver quelqu'un avec qui passer la nuit. L'envie de ne pas être seul.
La joie, l'envie de faire la fête. Mais celle-là, il l'écarte immédiatement. On n'entre pas dégoulinant d'eau de pluie dans un pub quand on est d'une humeur à péter le feu.
Le chagrin, comme lui. Quand la peine vous saisit aux tripes et que seul l'alcool peut vous offrir le bonheur de l'ivresse, le bonheur de l'oubli.
Ou, plus triste encore, l'alcoolisme.
Mais il ne lui souhaite pas. Il lui avait bonne impression à la Fairy Road, avec une certaine bonhommie et un professionnalisme qui lui avait plu. Ils s'étaient très vite trouvé des atomes crochus, et peut-être finiront-ils par se rapprocher pour se connaître davantage.
Ou peut-être finiront-ils au commissariat de la ville, à force d'avoir dansé sur le bar, nus comme des vers.
Ou pas.

_________________
1Expression irlandaise très commune, en gaélique, pour trinquer.
2Alors… Qu'est-ce qui t'amène ici ?
Revenir en haut Aller en bas
avatar
Invité
Never forgotten.Eògan C. Wheelan & Yukon Z. WrightMon regard ne lâchait pas Eògan, ni son verre, si cette bouteille qu’il venait de payer.  Son humeur, quelle qu’elle soit, n’était certainement pas bonne. L’alcool chez les Wright n’était certainement pas tabou, même si je gardais à l’esprit la pente qu’avait dévalé ma petite sœur, elle avait cependant une excuse. On avait tous une assez bonne descente, on enchaîner les verres pour faire la fête, mais nos limites étaient encore suffisamment claires et solides pour ne pas sombrer dans un alcoolisme certain. Alors oui, je ne le connaissais pas aussi bien que ça, mais le voir avec cette bouteille de Bushmill's  avec une intention évidente de la finir, je ne pouvais m’empêcher de m’inquiéter sur ses propres limites. Surtout qu’il prit soin de ne pas répondre à ma question quant à sa consommation… pas très bon signe tout ça.

Remerciant le barman qui venait de poser la pinte devant moi, je trinquais avec mon camarade de boisson, un léger sourire sur les lèvres. Impossible de dire si l’irlandais était ma langue maternelle biologique, mais c’était une langue que j’avais aimé apprendre à l’école, et que je continuais de parler de temps à autre, parce qu’hélas, j’étais comme bon nombre d’habitant de Bray à user de l’anglais pour faire simple et me faire comprendre de tous. En fait, depuis le retour de notre voyage avec ma fratrie, où les américaines avaient adoré nous entendre parler gaélique avec cet accent si prononcé, je l’avais un peu mis au placard. Avec Eògan, c’était justement l’occasion de le faire. Mais bref, ce n’était pas la question. Après une petite gorgée, je reposais ma pinte pour sortir mon porte feuille et régler sous le regard patient du barman, retournant ensuite mon attention sur le Dr Wheelan. Mon humeur était passée de très sombre à disons plus lumineuse, déjà par sa présence, et aussi par ce truc que j’avais de toujours m’occuper des autres plutôt que de moi-même et de mes problèmes. Avec pudeur quand même, surtout que pour le coup, je n’avais pas envie de me prendre un tabouret de bar dans la face pour avoir était trop indiscret. Ce qui m’amenait ici, hein ?

« Mes pieds m’ont emmené ici pour commencer, » lançais-je après avoir fait la moue, cherchant les mots exacts à coller sur ce que j’avais ressentis au moment de ma décision, « guider par le besoin de noyer et assommer ce qui ne peut l’être physiquement. Traduction, j’ai passé une journée de merde, j’ai besoin d’ingérer quelques degrés d’alcool pour faire retomber tout ça. »

Je rattrapais ma pinte une fois mon argent remis en lieu sûr dans mon jean, bien que humide, pour me décoller du bar et de chercher une table ou s’asseoir. Boire debout, quand c’était pour une durée déterminée, pourquoi pas, sauf que cette rencontre fortuite nous promettais plutôt des heures d’échanges et de picole, alors autant prendre nos aises. Même s’il n’avait pas vraiment besoin d’une invitation, je lui fis signe de me suivre, optant pour une place stratégique, c’est-à-dire pas loin du bar pour les prochains services. Surtout si comme je le pensais, Eògan finissait rapidement la bouteille. M’installant sur la première chaise avec autant de grâce et d’élégance qu’un éléphant en tutu, je bus une nouvelle gorgée de bière, le regard de nouveau sur mon camarade.

« Et toi alors ? Qu’est-ce qui te fais enchaîner les verres de whisky aujourd’hui ? »

Suivant sa réponse, suivant si c’était juste de la morosité ou bien plus profond que ça, je savais ce qu’il fallait que je fasse. Bon, déjà parce que j’en avais envie, c’est vrai, mais que ce serait l’occasion de pouvoir le remonter un peu, et de faire quelque chose de fun. En plus, c’était très con. Et pourquoi pas enchaîner sur quelque chose d’encore plus con et encore plus drôle. En espérant que lui-même joue le jeu, ce que très sincèrement, j’espérais. Notre bonne entente ne suffirait sans doute pas pour le convaincre de faire des conneries avec moi. Après tout, j’arrivais toujours à entraîner les autres avec moi dans les conneries, pourquoi pas avec lui. Quelque part, j’en serais très fier.
© Crimson Day
Revenir en haut Aller en bas
avatar
Invité
Never Forgotten
Eògan & Yukon




D'un geste sûr, le barman attrape le billet nonchalemment abandonné et a tôt fait de le glisser dans la caisse. C'est que son client fait rarement l'appoint et est généreux sur les pourboires ; il ne faut pas lui laisser le temps de se poser la question du bien fondé de ses actes.
Visiblement, cette précaution est inutile : Eògan n'y songe pas un instant et se laisse porter par l'instant. Il attrape la bouteille qu'il vient de payer, le verre qu'il vient de vider, et suit enfin son comparse jusqu'à une place plus confortable. En ont-ils vraiment besoin ? S'asseoir, après tout, c'est prendre le risque de ne pas réussir à se relever…
Ainsi, Yukon se trouvait ici à cause d'une fort mauvaise journée. Une raison comme une autre. La sienne n'était pas forcément meilleure, et il n'allait pas lui jeter la pierre.
Au moins, il ne boirait pas seul.

Il tire une chaise et s'y installe sans plus de grâce que son voisin. Il hausse un sourcil en l'entendant lui retourner la question, grimace ostensiblement et se sert à nouveau.
Cette fois, il a perdu le compte.
Le whiskey se verse, et permet à la pensée de filer. Il gagne quelques précieuses secondes pour savoir ce qu'il va pouvoir lui dire. Sans prendre en compte que l'alcool prendra sans doute la relève plus rapidement qu'il le pense… Ou en tout cas, pourra lui délier la langue.
Que lui répondre ?
Que le deuil le ronge de l'intérieur, qu'il ne parvient pas à le faire ? Qu'il est passé par toutes les étapes pour rester coincé à celle de la dépression et du chagrin ? Qu'il est empêtré dedans, et que faire face au vide de sa maison lui semble un peu plus pénible chaque jour ? Et que le doute, depuis l'enterrement, le bouffe alors qu'il se demande qui, puisque ce n'était pas un accident, aurait pu vouloir du mal à sa femme ?
Non.
Clairement pas. Déjà, ça plomberait une ambiance pas au beau fixe, et puis il n'avait pas vraiment envie de s'étendre sur ses états d'âme. Il préfère enfouir tout cela au plus profond, et ne pas y penser.
C'est à ça que sert l'alcool : le whiskey, c'est l'oubli.
Donc, un mensonge, vite !
Une mort sur la table d'opération ? Non, ça nuirait à sa réputation.
Une dure journée ? Boarf, ça sent le réchauffé.
Une mauvaise nouvelle ? Quoi de pire que la mort de son aimée !
Une tendance alcoolique qui l'emporte ? Non, pas besoin de verser dans le drame.
Oh si ! Il a une idée toute trouvée !

Mourning,1 s'entend-il marmonner.
Wait.
A-t-il dit ce qu'il a dit ?
Ah non, non, non, non ! Ça va pas du tout ça ! Il ne voulait absolument pas dire ça !
Surpris par lui-même, il baisse les yeux sur son verre, à nouveau à moitié vide, sourcils froncés. Il n'est pas dupe : le whiskey parle à sa place. Ça ne se passera pas comme ça !
'Tis...” Non. On s'arrête là. Il n'a pas besoin de s'épancher davantage. Il serre sa poigne autour du verre, se redresse, fait face à son interlocuteur. Il ne va pas se laisser battre par quelques verres !
Il retient donc son soupir et veut faire preuve d'aplomb.
'Tisn't easy everyday. Today's been a bad day.2
Bon bah voilà. Le whiskey est en train de gagner et de lui délier la langue. C'est inacceptable.
Enfin, à la rigueur, il réussit à limiter les dégâts. Il garde une certaine pudeur tout de même. Si on oublie son pouce qui fait tourner l'alliance à son doigt sans qu'il s'en rende compte, dans un geste qui traduit une anxiété certaine.
Dans tous les cas, il est mûr pour faire des conneries. Tout est bon pour oublier.
Encore deux trois verres et le fruit tombera de l'arbre… De lui-même.

_________________
1Le deuil.
2C'est… C'est pas facile tous les jours. Aujourd'hui a été un mauvais jour.
Revenir en haut Aller en bas
avatar
Invité
Never forgotten.Eògan C. Wheelan & Yukon Z. WrightMon regard était de nouveau sur la bouteille qu’Eògan venait de prendre à nouveau pour se verser un verre. J’avais eu l’idée de compter ses verres, mais vu son empressement à se servir, à ne jamais laisser son verre vide trop longtemps, j’avais laissé tomber. J’allais de toute façon perdre le compte assez vite. Mais je m’inquiétais vraiment de savoir ce qui pouvait le faire boire comme ça. Et je ne tardais pas à avoir ma réponse en vérité. Une réponse à laquelle je ne m’attendais vraiment pas, et qui me surpris plus que ce que que j’étais en train d’imaginer. Le deuil ? Cette nouvelle information ne faisait que pointer encore plus du doigt le manque de connaissance que j’avais de lui.

Le deuil… je connaissais… Le souvenir de Dallas passa de nouveau sur moi, je pouvais le sentir sur mon épaule, je pouvais sentir le poids. Est-ce qu’on fait réellement son deuil, j’en doute réellement… De qui Eògan faisait-il le deuil ? Mon regard cette fois-ci se posa sur ce qui tenait ce verre, cette bouteille, sa main. L’alliance. Je l’avais remarqué quand il était venu faire ses parcours à la Fairy Road, un homme marié comme tant d’autres, rien d’anormal. Mais maintenant qu’il y avait ça sur la table… J’étais curieux, on ne va pas se le cacher, curieux de savoir si je partais sur la bonne hypothèse, mais je ne voulais pas le faire se sentir plus mal qu’il ne l’était déjà. Et puis, j’étais suffisamment bien placé pour savoir qu’on n’a pas envie de remuer le couteau dans la plaie. Ça expliquait quand même sa présence là.

« Je sais ce que c’est, mon pote... »

Qu’est-ce que je pouvais lui dire ? Qu’avec le temps, ça allait passer ? La bonne blague. Deux ans, et pourtant la douleur était toujours la même. Peut-être encore plus forte avec le manquait qui se faisait de plus en plus important. Je n’étais pas le meilleur conseiller en la matière, et encore moins le bon exemple à suivre. Sans même m’en rendre compte, mes doigts s’étaient resserrés autour de ma pinte alors que mes tripes se tordaient dans tous les sens. Voilà que ça recommençait. A choisir, je préférais retrouver mon humeur de merde à cause de ma journée de merde plutôt que d’être de nouveau en proie au chagrin et à la culpabilité.

Prenant une grande lampée de ma bière, je reposais la pinte lourdement sur la table pour taper dans mes mains. Pas question qu’on se laisse aller comme ça. L’idée que j’avais eu, je la mettais de côté pour le moment, elle ne le distrairait pas suffisamment de ce qui ne va pas, peut-être même qu’elle aurait l’effet inverse. Mais j’en avais à présent une autre, bien meilleure et qui me permettrait de mettre de côté le fantôme de mon frère que je sentais encore beaucoup trop à mes côtés.

« J’te propose de faire un jeu, le perdant doit finir sa bouteille, ou sa pinte cul sec. Bon, on les a déjà bien entamé, mais c’est pour s’échauffer. Ça va nous occuper, et je l’espère, nous amuser. Qu’est-ce que t’en penses ? »

Très sincèrement, j’espérais qu’il accepte. Parce que je n’étais pas doué pour jouer les psys, et que le sujet en question n’était pas non plus celui que je préférais. Je me levais pour aller demander au barman quatre verres vides, après lui avoir promis de les ramener intact, et dans le pire des cas de les rembourser, j’allais récupérer ma veste sur le porte manteau pour la poser sur le dossier de ma chaise et en sortir une petite balle en mousse. Balle qui en avait vu des vertes et des pas mûres avec chacun de mes chiens, mais qui en l’occurrence ferait l’affaire. Toujours debout, je plaçais deux verres devant Eògan, les deux autres devant moi, et avec un grand sourire, j’éloignais un peu nos boissons.

« Tu connais le principe du bière-pong, je suppose ? Là, c’est le même, mais on fait avec les moyens du bord. Et donc, c’est à la toute fin qu’on vide tout d’un trait. Le gagnant ? Celui qui fait rentrer la balle dans les verres quatre fois sans viser à côté une seule fois. Mais on peut se faire un vrai bière-pong aussi, si tu préfères. »
© Crimson Day
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé
Revenir en haut Aller en bas
 
Never forgotten
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
► URBAN LEGENDS :: Archives de UL V3 :: Ecrits :: Les écrits-