Que la vérité éclate - Castiel

La situation échappait au contrôle de Castiel. Il n'en avait pas vraiment l'habitude, en réalité, il était toujours celui qui maniait les situations, qui en tirait avantage. Il tenait ça de son père, c'était sans doute l'explication la plus logique. Alors quand rien n'allait dans son sens, il se sentait encore plus perdu qu'il n'aurait dû. Il était facile de prévoir les réactions, humaines ou animales, c'était même une chose normale pour quelqu'un comme lui, qui passait sa vie à les combattre. Connaître ses ennemis, c'était le B.A.BA du chasseur. Ceux qui pensaient pouvoir poursuivre toute une espèce sans en savoir les moindres détails finissaient morts au bout d'une semaine. S'il avait réussi à tirer son épingle du jeu, c'était simplement parce qu'il ne chassait pas seulement pour avoir quelque chose à faire, mais parce qu'il était entièrement dévoué à sa cause. Son envie de justice était tout aussi grande que son besoin de vengeance, et c'était là sa force. On pouvait dire de lui qu'il était un «  control freak » et sans doute ne serait-ce pas dénué de vérité. Il n'aimait ne pas s'attendre à quelque chose tout comme il haïssait les surprises, ne sachant pas vraiment comment réagir. Pour les cadeaux, dans une moindre mesure, c'était la même chose, faire semblant de s'extasier devant un parfum ou un chiot, ça allait bien deux minutes. Le truc, c'est qu'il se méfiait toujours des humains. Il n'accordait sa confiance qu'en de très rares occasions, et au bout d'un temps infini. Mais les animaux … Il avait vu en Brann, ou du moins celui qu'il pensait être un chien, un compagnon. On ne pouvait pas se faire trahir par un chien, jamais. C'était qu'un putain d'animal, et les animaux étaient tous les mêmes, à quelques différences près. Il lui faisait confiance. C'était bête, complètement idiot, de raisonner ainsi. Mais c'était comme cela qu'il voyait les choses. Il n'avait jamais douté que ce jour pouvait arriver, et actuellement, il s'en trouvait bien bête. Il pensait pouvoir reconnaître les métamorphes et voilà qu'il se trouvait piégé dans une situation qu'il n'aurait jamais crue possible. « Mais c'est quoi ton délire, tu trouves ça normal ? Tu comptais jouer le jeu combien de temps encore ? T'attendais quoi, justement ? C'est un espèce de plan foireux pour finir par m'attaquer quand je m'y attendrais le moins ? Félicitations t'y étais presque. »

Il ne croyait pas vraiment à ce qu'il disait, même s'il essayait de s'en persuader. Il se remémorait quelques fois où Brann avait pris les devants et qu'il l'avait défendu. Il se rappelait d'un jour où une méta lynx avait essayé de l'attaquer par derrière. Lorsqu'il s'était retourné, il l'avait retrouvé agonisante, le chien penché sur elle. C'est sans doute ce souvenir qui poussa Castiel à se défaire de son sac à dos pour le lancer à côté de Brann, son arme toujours pointée, à défaut de savoir réellement quoi faire. « Il y a du fil et une aiguille, si t'enlèves la balle tu devrais pouvoir t'en sortir. » Bien entendu, ayant pris la balle dans le bras, il y avait très peu de chances que Brann puisse faire tout ça tout seul. Mais il n'était pas encore convaincu que l'aider était la meilleure chose à faire, l'incompréhension l'empêchant réellement de réfléchir à la situation. Il se demandait encore comment il en était arrivé là, et comment il avait pu faire confiance à un métamorphe sans se rendre compte qu'il en côtoyait un.

Le triton pouvait compter sur les doigts d'une main les moments où il avait perdu pied, sans savoir quoi faire. Et là encore, il commençait à comprendre ce que lui disait Brann, sans réussir à décider s'il lui logeait une balle dans le cœur où s'il allait à son secours. Parce que tout se contredisait dans son esprit. Il chassait les gens comme lui, et pourtant, il avait l'impression qu'il ne devrait pas s'en prendre à celui-là. Comme souvent lorsqu'il se retrouvait dans une impasse, il se demanda comment réagirait sa jumelle. Mais là encore … Elle n'était pas réellement chasseuse. Elle ne voyait jamais les choses comme lui, et c'est ce qui faisait, en un sens, la force de leur duo. Sans doute lui dirait-elle de baisser son arme. De parler calmement. Alors il le fit. Lentement. Sans la lâcher, mais plus en la pointant sur le brun, qui se vidait déjà de son sang. « Tu les connaissais ? » Il serra les dents. Se rendant compte qu'il n'avait pas été très explicite, il éleva la voix de nouveau, encore plus brusquement, loin d'être amical. « Ceux que j'ai tué tu les connaissais ? Ou au moins un ? Est-ce que tu sais quelque chose sur la mort de ma sœur ? » Parce que c'était là la question toujours plus importante que les autres. Avait-il participé à sa mort ?

Castiel était complètement perdu. Ce n'était pas simple de savoir comment réagir, devait-il le tuer, ou pas ? Il se sentait trahi mais pire que tout, il se sentait impuissant. Il savait que quelque part Brann avait raison, s'il avait découvert la vérité lorsqu'il l'avait rencontré, jamais il ne lui aurait laissé le temps ne serait-ce que de s'expliquer. Sa haine envers les métamorphes était sans doute pire que tout, pire que celle qu'il rencontrait à l'égard des djinns, des wendigos, des magiciens … Non, le pire, c'était que le métamorphe avait raison. Il l'aurait tué sans un regard en arrière, sans même hésiter une seule seconde et n'aurait ressenti absolument aucun remord. Parce qu'il était comme ça et que venger sa sœur était la seule chose qui importait à ses yeux. Les morts qu'il semait sur son passage ne comptaient pas. Il voulait découvrir la vérité, il voulait savoir. Il voulait que la peine qu'il ressentait, cette sensation de vide, comme s'il n'avait jamais pu se remettre de la mort de sa sœur disparaisse. Il voulait se sentir en paix avec toute cette histoire et la mettre enfin derrière lui. Mais il n'y arrivait pas, plus le temps passait et plus sa haine grandissait, plus il tuait, plus il voulait le faire. Ce n'était pas une solution, c'était un piège. Il ne savait pas si son père savait quel effet cela faisait, s'il l'avait lancé volontairement dans cette quête pour qu'il s'y perde, mais le résultat était le même. Il ne s'arrêterait jamais, il ne pourrait pas vivre une vie normale, pas après ce qu'il avait traversé. Savoir que quelqu'un s'en était tiré sans en subir les conséquences, avait détruit toute une famille, une vie entière de possibilités jamais accomplies, ça le rendait fou. Il en faisait des cauchemars, se réveillant au milieu de la nuit sans savoir pourquoi, l'image d'Ailee apparue dans les journaux le hantant. Il ne s'en déferait sans doute jamais.

Brann, avec cette question, jouait sans doute sa vie, sans qu'il ne le sache. S'il y avait quoi que ce soit de douteux dans sa réponse qui aurait pu montrer qu'il avait pris part au recouvrement de cette histoire, il en paierait le prix fort. Il aurait pu se demander s'il ne mentait pas, si ce n'était pas juste pour couvrir ses traces qu'il lui affirmait qu'il ne les connaissait pas, qu'il n'avait rien su de la mort de sa sœur. Mais tous les métamorphes lui avaient sorti la même réponse. Une fois, il en avait même eu une qui avait déballé tout ce qu'elle savait, par peur de mourir, sans doute. Elle lui avait dit qu'elle connaissait le petit ami d'Ailee, qu'ils avait couru ensemble dans la forêt quelques fois. Mais il ne lui avait rien dit. Il avait tenté de le retrouver mais il semblait évaporé de la surface de la Terre. « Le loup que tu connaissais, pourquoi tu ne l'as pas sauvé ? » Il ne remettait pas en cause ses mots, seulement sa loyauté. Il n'en comprenait pas le sens. Jamais il n'aurait accepté que l'on s'en prenne à ses proches, sans parler de famille, ses amis étaient tout aussi importants.

Mais il voyait bien que plus le temps passait, plus le métamorphe se vidait de son sang. Il n'avait pas trente solutions, soit il l'aidait, soit il le laissait mourir, mais il ne pouvait pas hésiter plus longtemps. Avec prudence et énormément de lenteur, il s'approcha pour s'agenouiller auprès du brun. Sans rien dire, il ouvrit son sac pour en sortir du fil, une aiguille et une flasque d'alcool. « Je vais essayer de trouver la balle. Ca risque de faire mal, serre les dents et ne bouge pas. » Puis il enfonça deux doigts dans sa blessure, pour en déloger la balle du chasseur.

Castiel commençait doucement mais sûrement à accepter que son ami à quatre pattes puisse être, malgré tout, un humain. Il ne lui pardonnait pas, pas immédiatement, il faudrait sans doute des jours, peut-être des semaines pour que cela arrive, mais il l'acceptait, c'était déjà un bon pas en avant, ou du moins c'est ce qu'il pensait. Il ne pouvait pas, d'une minute à l'autre, changer d'opinion, c'était impossible. Mais le fait était qu'il n'avait plus réellement envie de lui loger une flèche entre les deux yeux. On pouvait appeler ça un pas en avant, si on était optimiste. La vérité était qu'il ne savait même pas réellement comment réagir. Devait-il être en colère, réellement en colère, continuer à le mitrailler d'insultes à n'en plus trouver ses mots ou devait-il abdiquer? De toute manière, il paraissait évident qu'il ne le tuerait pas, c'était au-dessus de ses forces. Et puis, il lui devait bien cela. C'était ce qu'il avait en tête à ce moment, en vérité. Il le lui devait, histoire d'être à égalité. Il ne pouvait pas revenir en arrière, ne pas faire entrer ce clébard dans sa vie, il ne pouvait pas remonter le temps et le chasser à grands coups de pompe, alors il avait décidé de remettre les pendules à l'heure. Castiel détestait être redevable envers quelqu'un. Se faire sauver par un chien, ce n'était pas un gros deal, ça foutait un coup à l'honneur, c'était certain, mais on s'en remettait. Par contre, quand il s'agissait d'humains, on avait toujours tendance à vouloir rendre la pareille, ce qui était relativement ridicule, il fallait bien l'admettre, c'était loin d'être une compétition.

Aussi, il mit assez peu de temps, du moins selon lui, à prendre sa décision et à s'approcher, quoique précautionneusement, de Brann. Des questions, il en avait plein la tête mais ça ne servait à rien de les poser, sans doute personne n'en avait la réponse de toute manière. Il comprenait Brann, en un sens, ne pas lui avoir révélé sa nature avait été un gage de sa survie, c'était clair et net, il ne niait pas détester par dessus tout les métamorphes, après tout ils étaient totalement responsables de la mort d'Ailee, et pour ça, il les poursuivrait jusqu'à ce qu'ils meurent. Il en avait la détermination, en tout cas. " Si je laissais mourir tous ceux que j'aimais pas, Bray serait une ville beaucoup moins peuplée crois-moi." Une volonté d'alléger l'atmosphère, dédramatiser l'ambiance ou seulement une déclaration qui s'avérait être totalement vraie, le chasseur n'en avait pas la moindre idée.

Insérant ses doigts dans la plaie béante du brun, il en retira bientôt la balle, éclat logé assez profondément. Une fois que ce fut fait, il déposa la gaze sur la plaie, auparavant induite d'alcool. Il n'avait pas vraiment de désinfectant, Castiel n'avait rien d'un infirmier, alors ça risquait de piquer un peu ... Ou énormément, selon comment on se plaçait. "Petite nature, j'ai connu pire. C'est ça d'être un guerrier." Une fois qu'il eut désinfecté, il s'empara du fil et de l'aiguille, et commença à recoudre la plaie. "Evite de t'évanouir, je sais que c'est tentant mais c'est une très mauvaise idée si tu veux que je finisse le travail." En général, c'était lui le blessé et sa soeur qui avait le rôle de celle qui le soignait, c'était jamais vraiment l'inverse. Toutefois, il tenta du mieux qu'il put pour refermer correctement la blessure. Ce serait bête de devoir aller à l'hôpital pour une balle perdue.