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 « Can't kill us » KylexZach

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Love. Death. Immortality.

Match inter-scolaire de Hurling, 2009

La vie c'est quand même quelque chose d'étrange. Elle réserve un million de surprises, dans les meilleurs comme dans les pires moments. La vie, elle m'a jeté comme un chien quand j'étais gamin. Elle m'a dit que je ne méritais pas de parents, pas de famille. Elle m'a dit que je ne méritais pas qu'on m'aime, qu'on tienne à moi. Pourtant, la vie m'a aussi mis sur le chemin d'Andy. Elle m'a donné une seconde chance, un nouveau droit à l'amour, à la famille. Elle m'a donné le droit de grandir en ayant un cœur plus léger, et de ne pas m'imaginer ne pas avoir de lit le lendemain.

Mais ça, c'était y a longtemps déjà. Y a déjà quelques mois que mon cœur n'est plus léger. Mon corps a retrouvé la colère, mes yeux la rage. Depuis que la vie l'a mis lui, sur mon chemin. Kyle aurait pu être une belle surprise, une pièce de plus dans un puzzle qui devenait bien solide. Au lieu de ça, il a été la pièce qui colle pas, celle avec laquelle on a beau forcer, on y arrive pas. Kyle parle trop fort, fait trop de connerie. Kyle risque nos places auprès d'Andy depuis son arrivée ici.

Ce connard risque ma vie autant que la sienne, et pour ça, pour ça je lui vaux un bon taux de haine. Pourtant, difficile de le faire partir sans tout risquer, sans tout voir s'écrouler. Alors on se supporte, difficilement, comme on peut. On se hurle dessus, on se frappe dès que tout le monde a le dos tourné. On se lance des regards qui disent tout ce que l'on ne dit pas, tout ce que l'on ose pas dire. Mais le pire dans tout ça, le pire, c'est qu'au fond, je crois que j'y tiens déjà, à cet abruti. Si on enlève son côté insupportable, il est attachant, ce con. Il a quelque chose dans le regard, il a quelque chose dans tout ce qu'il ne dit pas, qui fait qu'au fond de moi, j'y tiens déjà.

Peut-être parce que même s'il est insupportable, il est le seul frère que je n'aurais jamais. Peut-être parce qu'une part de moi rêve de le protéger. Andy m'a raconté son histoire avant qu'il arrive, pour expliquer son comportement j'imagine. Andy m'a dit d'être bienveillant. Il m'a dit, juste avant qu'on ouvre la porte sur sa tête blonde, « Il a besoin de toi, ce garçon, plus qu'il ne le sait. Et toi tu as besoin de lui, plus que tu ne l'imagines aussi. » Et parfois, quand j'ai envie de le foutre à la porte, je repense à ces mots là et je me demande ce qu'Andy a voulu dire. Y a ce truc en moi, qui ressasse ces mots là, parce qu'Andy ne s'est jamais trompé, pas plus qu'il ne m'a laissé tomber. Il n'a jamais fait venir personne d'autre que Kyle avec nous et il avait ses raisons. Il ne fait jamais rien sans raison, mon père. Il agit en voyant des choses qui sont invisibles à mes yeux, à ceux de Kyle aussi je crois.

Alors on continue à se détester mutuellement, s'en foutre plein la gueule continuellement. Mais Andy n'abandonne pas, pas un jour il ne baisse les bras. Je crois que nous non plus, au fond, on baisse pas les bras. On attend peut-être quelque chose de l'autre, sans savoir quoi, sans comprendre quoi. Peut-être que c'est ça, le problème, c'est qu'on sait pas ce qu'on attend, on sait pas ce qu'on se veut.

J'ai seize ans. Seize ans et de la rage à revendre. Je suis en colère contre le monde, contre tout. Alors comme tous les gosses en colère, on m'a collé au sport. Il faut que j'apprenne à me défouler, extérioriser. Il faut que j'apprenne à déplacer ma colère sans casser la gueule à Rod, ou un autre. Alors j'enfile ma tenue autant de fois que possible et cours sur le terrain. Le Hurley à la main, prêt à donner toute mon énergie pour gagner, pour ne plus penser. Ni à Kyle, ni au reste. Extérioriser dans une violence autorisée.

Tout se passait très bien, chaque entraînement, chaque match. Il n'y avait jamais eu de grands débordements, du moins pas de mon côté. La violence du jeu me suffisait. Mais ça, c'était avant aujourd'hui. Avant l'idée de merde de l'école de faire un tournoi inter-classes. Avant de me retrouver face à mon frère sur le terrain. J'ai tenté de négocier, tenté d'éviter.

J'te jure, Andy, j'ai essayé.

Mon regard se pose sur notre tuteur qui nous observe du bord du terrain.

« Coach, j'préfère vraiment pas jouer ce match, j'ai mal à une épaule. » « Tu te fous de la gueule de qui, Madden ? Tu vas très bien, alors fais pas ta chochotte et va sur le terrain. »

Et merde.

J'en suis capable. J'en suis capable.

Je pose mon casque sur mon crâne, resserre la crosse entre mes doigts. Kyle est dans mon champ de vision et malgré toute la volonté du monde, je n'arrive pas à le quitter du regard. J'en suis incapable, peut-être parce que je suis prêt à accepter de perdre contre n'importe quelle équipe mais pas la sienne. Surtout pas la sienne.

« Venez vous saluer avant de vous positionner. »

Une poignée de main polie envers tous les joueurs. Nos regards se fixent tous les uns après les autres dans ce faux air de défi, gamin, sans mauvaise pensée derrière. Et puis vient le blond. Son regard sous son casque et ma main dans la sienne. Main que je serre brutalement. « Je te jure Kyle, t'as pas intérêt à faire de la merde sinon ça va mal tourner. » Une menace complètement stupide murmurée plus parce que j'ai peur de moi que de lui. Mais c'est quand même fait.

Le joueur derrière moi me bouscule pour qu'on aille se mettre en place. Que le match commence. Et je me place, la mâchoire serrée, tendu et nerveux, attendant le coup d'envoi. Mes yeux dans les siens, même à une certaine distance, je tente de lui dire, sachant pertinemment qu'il comprendra sans doute pas.

Déconne pas, putain. Pas devant tout le monde, on va tout perdre sinon. On réglera ça plus tard. Mais pas sur le terrain.

Et c'est parti pour soixante minutes. Soixante minutes à tenir et l'éviter. Se concentrer sur les autres joueurs pour éviter la catastrophe. On peut le faire. Je peux le faire.

doctor sleep
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Speed. Violence. Momentum.

Match inter-scolaire de Hurling, 2009

La vie, c'est quand même une grosse pute. Je croyais sincèrement que ce serait terminé, tout ça. Que les angoisses, sauter de famille en famille sans réussir à faire ma place, tout ça, ce serait terminé. J'y ai si bien cru que quand je suis arrivé chez Andy, il y a quelques mois, j'ai tout fait pour bien lui faire sentir que c'était pas le moment. J'ai tout essayé, absolument tout. J'ai chanté, à m'en crever les poumons, pour le convaincre de m'en coller une. Je l'ai poussé à bout, j'ai trouvé toutes les failles possibles et imaginables, mais ça n'a servi à rien. Pourtant il n'aurait suffi que de ça, en réalité. Une baffe. Juste une, juste celle de trop, celle qui suffirait pour que je n'aie plus qu'à appeler les flics, qu'un assistant social me fourre dans sa jolie voiture de fonction et que je puisse enfin partir de Bray pour toujours. Mais non. Il y a même eu cette fois où j'ai cru être enfin arrivé à mes fins. Une belle occasion, dorée, comme dirait l'autre. J'ai touché le nerf à ne pas toucher, à savoir son ex-femme. Ou morte, j'en sais trop rien, et pour être honnête j'en ai rien à foutre. Dans tous les cas elle est plus là, et son absence c'était précisément ce qu'il me fallait pour le faire tourner berserk. Ca m'a pas pris longtemps, juste deux bonnes semaines à ne parler que de ça, que du fait qu'elle soit partie, tous les jours. Une petite allusion, un petit éclat de voix, une ou deux assiettes cassées, trois fois rien. Et je l'ai vu, dans ces yeux. Ce petit brasier, cette colère noire qui l'enflammait de plus en plus, à mesure que j'enfonçais mon doigt capricieux dans la plaie ouverte pour voir quand il se mettrait enfin à hurler.
Ce matin, il a craqué. Ce matin, j'ai cru que c'était bon, que j'allais enfin avoir ma rouste, que j'allais enfin pouvoir partir d'ici. Des mois que j'étais coincé dans cet Enfer, des mois que je me cognais sa gentillesse sans borne et sa putain de compassion. J'ai remis le sujet sur le tapis, au petit déjeuner. Il a empoigné sa fourchette, l'a serrée si fort que ses phalanges ont blanchi. Si fort que j'ai presque pu entendre craquer ses articulations. L'adrénaline s'est mêlée à l'excitation, cette douce euphorie d'une libération si imminente que je pouvais presque la sentir contre ma peau. J'ai continué. Il a lâché sa fourchette et s'est redressé brusquement, a fait deux pas dans ma direction. Rapides. Brutaux. Au fond de ses yeux noirs, je pouvais enfin la voir. La flammèche, c'était devenu un putain de brasier. Un brasier si ardent qu'il m'a foutu les foies. Parce que ce brasier, c'était le même que je voyais au fond des yeux de la vieille peau, y'a pas si longtemps. Je crois que je me suis tassé dans ma chaise. Je sais que je tremblais. Les larmes sont montées toutes seules alors qu'il me dominait de toute sa hauteur, et j'ai levé le bras aussi sec pour me protéger le visage quand il s'est penché vers moi.
Je sais pas ce qu'il s'est passé. Il m'a pas frappé. Il m'a serré dans ses bras, il a glissé une main dans mes cheveux, et a enfoncé mon visage au creux de son cou. Sa voix, je pouvais l'entendre tout autour de moi. Une voix douce, cassée, qui me disait que tout irait bien. Que j'étais en sécurité, maintenant. Que plus personne ne lèverait jamais la main sur moi. Et comme un con, je me suis mis à pleurer.

Ce connard d'Andy, avec sa putain de gentillesse et son foutu cœur gros comme le monde. Je ne sais pas pourquoi il est comme ça, ni même pourquoi il fait tout ça pour moi. Toute ma vie, ça n'a été qu'un beau ramassis de merde. Toute ma vie, on m'a fait comprendre que je n'aurais ma place nulle part, et jamais le droit de rêver. Que tout ce que je méritais, au fond, c'était qu'on me cogne parce que je ne valais pas plus que d'être un punching ball. Je ne méritais même pas d'être. Puis j'ai été placé chez Andy. Et ce mec m'a fait tourner mauviette.
J'aime pas ça. Toute ma vie j'ai été en colère, et ça ne me plait vraiment pas de me laisser aller comme ça. De laisser quelqu'un s'approcher de trop près, de laisser quelqu'un m'atteindre. Ces idiots ignorent que s'ils ont le malheur de faire ça, de me fréquenter trop longtemps, tout ce qu'ils finiront par avoir c'est mal. Parce que c'est moi. Je fais mal tout autour de moi, sans concession, que je le veuille ou non. Une vérité que Deirdre m'a trop souvent répétée, à chacune de nos joyeuses séances de coups de canne. Une vérité qui est encore bien vivace sur mon dos, gravée en sillons profonds d'un rouge encore trop éclatant. C'est moi, ça. Je suis pas un martyr, je suis un connard. Je suis pas une victime, je mérite entièrement tout ce qui m'est arrivé. Et c'est pour ça que personne ne doit m'approcher. Parce que je ne suis pas seulement nocif : je suis une bombe à retardement pour tout et tout le monde.

Les gars au bahut l'ont bien compris, eux. Ils savent que quand je suis dans l'état où je suis aujourd'hui, c'est pas le moment de venir me chercher. J'erre dans les couloirs avec ma mine des mauvais jours, dominant l'espace, cherchant le moindre regard torve comme une excuse pour coller une droite. Parce que je me sens sale, aujourd'hui. Je me sens sale, parce qu'Andy et son cœur dégoulinant de compassion m'ont enlacé comme un enfant perdu, et j'ai aimé ça. Et c'est pas comme ça que je fonctionne. C'est pas comme ça que je me suis construit.
Par chance, aujourd'hui, c'est l'occasion rêvée pour passer mes nerfs. Le complexe éducatif de Bray est très bien foutu : il organise un tournoi de Hurling inter-classes tous les ans, et c'est pile poil le type de sport que j'aime. Un sport nerveux, où on court, où on cogne, où peu importe que l'équipe t'apprécie ou non t'auras quand même l'occasion de distribuer quelques coups en traître qui feront gagner tes coéquipiers. Adopté comme sport national, c'est aussi le mien. Je ne suis pas coopératif, mais j'aime gagner. Un fait que le prof de sport a immédiatement pigé, me mettant d'office à l'attaque avec d'autres gamins hargneux de ma tranche d'âge. Notre équipe est violente, fourbe, les filles sont aussi mauvaises que les garçons. On va rouler sur tout le monde, et c'est exactement ce qu'il me faut pour me débarrasser de cette impression désagréable qui m'enveloppe depuis l'étreinte d'Andy.
Cette sorte de honte que j'éprouve à l'idée, anticipée, de faire souffrir un gars comme ça.

J'ai quinze ans, et j'ai envie d'en découdre. Envie de montrer au monde que j'existe, lui cracher ma haine à la gueule et le laisser m'engloutir dans une volée de coups que je n'ai jamais que trop méritée. Une envie qui frémit au bout de mes doigts, alors qu'ils empoignent le casque de protection. Jenna, une co-attaquante solide me tend une batte. Ses grands yeux marrons accrochent les miens, pleins d'une promesse silencieuse. Si on perd, elle me lattera le cul à grands coups de hurley. Je lui réponds en montrant les dents, et elle glousse doucement, révélant des bagues d'une laideur exquise. Je l'aime bien, Jenna. Elle me fait penser à Alaska, à moi. Des boules de rage explosives et retorses, prêtes à tout faire pour péter un grand coup. Notre coup d'éclat de la journée, c'est ce tournoi. Et on est prêts.

Coup de sifflet, le terrain qui se déroule à perte de vue, et toutes les équipes présentes au rendez-vous, toutes au garde à vous. Notre première pool va se faire contre la classe juste au-dessus de la notre. Plus expérimentée mais moins agressive. Selon la tradition, les professeurs nous alignent face à face pour le serrage de main.
Et le gars que j'ai en face de moi n'est personne d'autre que Zachary Madden lui-même. Mon frère. Le plus ou moins fils d'Andy, un autre garçon que son cœur trop grand a recueilli et fait pousser à sa sauce. Un type que j'ai du mal à considérer comme mon frère, pour la simple et bonne raison que c'est un con prétentieux et moralisateur. Son regard me jauge, s'ancre dans mes prunelles, et je lui réponds avec un sourire merdeux. S'il a l'air d'hésiter à mener ce jeu avec moi, personnellement je n'attendais que ça. Parce que je ne retiendrai pas mes coups. Parce que ce connard est de trop dans cette maison, et que si Andy compte s'occuper de nous, il faudra pas qu'il compte sur ma coopération. La poigne du grand brun est ferme, la mienne écrasante. Non, fils de pute. Non, je ne retiendrai pas mes coups, bien au contraire.
Parce que tu n'as pas ta place auprès d'Andy. Pas plus que j'ai la mienne.

-J'te promets d'être sage, Papa.

Ma voix se fait minauderie, fait ricaner Jenna à côté de moi. Parce que tous les deux savent que je n'ai aucune intention de tenir ma promesse. Parce que ce connard n'a aucune leçon à me donner. Est-ce que c'est mon frère ? Non. Juste un dégât collatéral dans ma quête infinie de faire chier le monde, et de rendre à la vie tous les coups qu'elle m'a foutus.

Coup de sifflet, tout le monde en position. Jenna, d'autres gars et moi, à l'avant, on arque nos jambes et on se prépare à bondir. Cette lopette de Zachary passe son temps à me scruter, d'un regard sombre que je n'ai aucune envie de déchiffrer. S'il essaie de faire dans la télépathie, il n'est vraiment pas tombé sur le bon cheval. Je rue, moi. Et son regard est précisément l'excuse que je cherchais pour me déchaîner. Un regard trop insistant, trop torve, qui fait monter l'écume, qui fait révéler les crocs.
Je veux du sang.

Coup de sifflet. C'est parti pour soixante minutes.

Le sliotar s'envole, fendant la brise pour être rattrapé par qui le veut. Jenna, avec ses jambes à ressort et son corps tout en brindille, bondit la première. Si Bray était plus grande, ma camarade serait la meilleure de toute l'Irlande. Elle le prouve en arrachant la balle à un de nos aînés, beugle un grand coup et fait quatre pas en attendant qu'on. Derrière moi, Iwan est déjà prêt pour la passe. Le sliotar retrouve les airs, file devant nous comme un Vif d'Or en pleine partie de Quidditch. L'équipe d'en face semble ménager ses forces, ne pas trop pousser en début de match pour garder ses réserves jusqu'à la fin, et c'est parfait. Parce que ça nous permet d'attaquer.
La balle en bout de crosse, Iwan file, je suis sur ses talons. Toute notre classe se déploie comme une pieuvre à quatorze tentacules, dans une formation qu'on a plus que bien rodée tous ensemble. A la défense, ils n'en mènent pas large. Campent leur position, protègent autant que possible le but et son gardien. Mais on est agressif. On est solides. On est plus jeunes, et surtout plus fourbes qu'eux.

Une passe foireuse. La balle tombe dans la main d'un adversaire, qui décide de tenter un crochet sur la droite. Et je suis, justement, à droite. Jenna et Iwan hurlent, pas de côté, je suis à juste deux pas de la cible. Madden est supposé réceptionné. Madden ne réceptionnera pas, je m'en assure personnellement.
Le sliotar descend sur nous comme un boulet de canon, et je pique un sprint vers mon frère. Arrive brutalement au contact pour lui arracher la balle des mains, en profite pour dissimuler un bon coup de coude dans ses côtes. Pendant une fraction de seconde, nos yeux se croisent. Le message me passe par dessus la tête alors que mes lèvres s'ourlent dans un "Oops" narquois. Je m'en branle de son avis, je m'en branle de sa colère, j'ai la balle en main et mon équipe n'attend que moi. Alors je m'éloigne du brun, fais mes quatre pas et passe la main à mes coéquipiers.

Je m'en fous qu'il m'en veuille, j'ai jamais promis de jouer selon les règles. J'ai jamais promis à Andy quoi que ce soit vis à vis de ce con.
Il est de trop. Sur ce terrain. Dans ma vie. Dans ma tête. Et il va payer pour ça, et pour tout le reste.  

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Le match commence. Trente minutes non stop et puis une pause. Trente minutes à l'éviter, éviter son regard et de m'approcher de lui. Tout le monde me fait signe qu'on la joue tranquille. L'équipe de mon frère a la réputation d'être tout sauf fair-play, et nous, on a pas que ça à faire. Tout le monde se dit et se redit que ces tournois là, ils ne comptent pas, ce ne sont pas ceux là qui nous amènent en championnat. On s'en fout de perdre contre eux. Pas de blessés, pas de cartons. C'est notre seul objectif de la journée. Le reste, c'est que du bonus, du plaisir. Rien que ça. Je me le dis et je me le répète alors que l'on commence à courir et se mettre en place.

Je laisse les mots de mes camarades prendre toute la place alors qu'ils commencent déjà à jouer agressif. Je n'ai jamais été un type qui fonctionne par le passif, mais plutôt par l'agressif. Alors je me retiens, serrant le hurley entre mes doigts et je respire. Je sais pertinemment qu'on va perdre ce match en jouant comme ça. Mais c'est le plus prudent, c'est le mieux pour l'équipe. Alors je ne dis rien, et j'observe les actions. Je reste à l'écart pour ce match ci, c'est encore le mieux à faire.

Mais ça, c'était sans compter sur Teo qui hurle mon nom pour que je réceptionne la passe. Je serre les dents et j'acquiesce, malgré moi. Parce que je sais que c'est donner l'opportunité à l'autre idiot de faire une connerie. Je ne le sais que trop bien. Et c'est pour cela que lorsque je vois le blond foncer droit sur moi, je ne réagis pas. Je souffle, lentement, et prends l'impact en pleine gueule.

Serre les dents, Zach, serre les dents.

Le coup qui suit, pourtant, ne fait pas partie du jeu. Kyle le fait exprès et dans la surprise, m'arrache même un grognement douloureux. Je lui lance un regard assassin et plonge mes yeux dans les siens. Quel connard, putain. Sa mesquinerie m'irrite au plus haut point et alors qu'il s'éloigne de moi, je ne le lâche pas du regard. Hors de question que l'on en reste là.

Parce que tu vois, Kyle, ton problème, c'est ça. Ton problème c'est que tu te crois tout permis, que tu crois tout savoir. Tu crois que sous prétexte que t'as eu une enfance difficile et que t'as pas choisi d'être là, ça te permet d'être le plus grands des connards. Tu crois que parce que t'as des cicatrices, t'es en droit d'en infliger aux autres. Et tu sais quoi, je m'en fous complètement que tu cherches à m'en créer à moi mais tu touches à Andy, et ça, clairement, t'as pas le droit.

Parce que tu vois, Kyle, t'as pas compris que ça marchait pas comme ça. T'as pas compris que t'aurais beau ramener sa femme dans le tableau tous les jours de ta vie, jamais il ne lèvera la main sur toi. T'as pas compris que tu pourrais même lui coller directement ton poing dans la gueule tous les matins, Andy, jamais il ne lèvera la main sur toi. Il n'est pas comme les gens que t'as connu, il n'est certainement pas ce que tu crois. Et puis d'abord, tu crois savoir quoi, au juste ? Tu crois que tu décides de ce que tu as et ce que tu n'as pas ? Tu crois que c'est toi qui décide si tu mérites Andy ou quoi ? Ça marche pas comme ça, connard. Tu décides rien.

Parce que tu vois, Kyle, ton problème, c'est ça. C'est que t'as rien compris à la vie. T'as rien compris à tout ça. On choisit ni le bon, ni le mauvais. On choisit pas qui on est, Kyle. C'est la vie qui décide, c'est certainement pas toi. Et tu décideras pas pour Andy. T'auras beau tout essayer, t'auras beau y mettre toute ta volonté, jamais il ne te foutra dehors. Même si tu partais, il irait te chercher. Il traverserait le monde pour te retrouver. Parce qu'il a vu quelque chose en toi, que moi je ne vois pas. Il a vu quelque chose en toi que je ne comprends pas. Mais Andy, quand il voit quelque chose en quelqu'un, il ne lâche pas.

Parce que tu vois, Kyle, c'est ça que tu comprends pas. C'est que si tu continues comme ça, tu vas le tuer, Andy. Tu vas le tuer avec tes conneries parce que tu crois tout savoir de la vie. Tu vas le tuer comme j'ai essayé de le faire avant toi. Et je ne te laisserai pas faire. Pas cette fois. Andy il a suffisamment souffert à cause de moi. Alors c'est peut-être pas juste, parce qu'il n'a plus la force qu'il avait pour moi. C'est peut-être pas juste, parce que personne n'était là pour m'arrêter moi. Mais j'ai été patient, Kyle. J'ai été trop patient avec toi. Je t'ai laissé être con, parce que j'ai compris que t'avais le droit de l'être. Je t'ai laissé être idiot, parce que j'ai compris que t'avais besoin de l'être.

Mais tu vas trop loin. T'es allé trop loin aujourd'hui, et tu vas trop loin sur ce terrain. Parce que si tu continues, si on se bat, si tu n'arrêtes pas, le pire ne sera pas qu'on retourne en foyer toi et moi, le pire ça sera qu'Andy n'y survivra pas. Et t'as pas le droit de tuer Andy, t'as pas le droit de faire ça.


Alors je fais un signe de la main à mes coéquipiers. C'est fini le défensif, on ne peut plus se le permettre, pas tant qu'il sera sur le terrain. Alors je vais me faire un plaisir de le pousser à la faute, quitte à me faire sortir aussi. Mais Andy restera hors de tout ça pour aujourd'hui et tous les jours qui suivront. C'est entre lui et moi. Kieren l'a très bien compris et même si son regard désapprouve, il suit quand même le mouvement. Parce qu'on reste soudé, parce qu'ils savent tout aussi bien que moi que ce petit con de blondinet est un problème à ne pas négliger.

Alors on fonce, les mouvements s'enchaînent tandis que l'on récupère le silotar. Les passes se font rapides, efficaces, jusqu'à l'erreur de l'un de mes camarades. Jusqu'à ce que la balle arrive dans les mains de mon frère. Et c'est mon tour, cette fois. Malgré les côtes qui cognent comme des tambours, malgré ma gorge qui se serre et le poids du regard d'Andy que je sens de plus en plus fort sur moi.

Pardon, Papa, mais c'est pour toi que je fais ça.

Le contact se fait violent, mais dans les règles. Tous les deux à terre. Je me retrouve sur lui avant de me relever. L'arbitre nous regarde, vérifie que l'on aille bien puis s'éloigne. Ces quelques secondes qui me suffisent à le relever de force et le serrer contre moi, tordant son avant bras entre mes doigts. « Ecoute moi bien, connard. Si tu fais quoique ce soit qui nous fout dans la merde, cette fois-ci, c'est pas que ta gueule que je vais casser. » Je nous éloigne l'un de l'autre d'un mouvement tout aussi brusque, et le match reprend.

Mes yeux croisent rapidement ceux d'Andy, qui me supplie silencieusement de ne pas aller trop loin, de le comprendre.

Mais tu vois Kyle, le problème c'est qu'Andy il ne te voit pas comme moi je te vois. Il ne voit pas que tu t'arrêteras pas, que t'as pas de limite. Il ne voit pas que t'ira tellement loin qu'on va tous finir par crever. Il ne voit pas que je fais ça pour le protéger mais pour te protéger toi aussi.

Mais ça, toi, tu le verras jamais. Tu verras jamais que si je suis aussi violent avec toi c'est pour que tu t'arrêtes. Pour que t'ouvres les yeux et que tu finisses pas dans un caniveau. Que tu nous foutes pas tous dans des caniveaux. Mais ça, tu comprends pas, Kyle. Tu comprends pas que tu t'auto-détruis à chaque fois que tu respires. Tu vois même pas que tu fais ça pour rien, que ça t'apportera rien. Alors t'as beau être con, t'as beau être pénible, j'ai pas envie de te voir crever. J'ai pas envie qu'Andy ne puisse plus se lever.

T'as peut-être vécu suffisamment de trucs dur dans ta vie mais c'est pas ça, la normalité. T'as peut-être cru que tout le monde finirait par te détester, mais c'est pas ça la vérité. Parce que même moi, j'y arrive pas. Même moi, j'arrive pas à te haïr malgré tout ce que tu me fais. Alors tu vois, Kyle, au bout d'un moment faudra que t'ouvres les yeux, et que tu vois le monde tel qu'il est. Et si pour ça je dois te casser la gueule continuellement, alors je le ferai. Comme je continuerai à prendre tes coups tant qu'il le faudra. Mais j'abandonnerai pas, pas tant qu'Andy abandonnera pas. Alors ouvre les yeux putain, ouvre les yeux avant de tous nous tuer.


Le match a repris comme si de rien n'était, et je sens mes côtes me tirer. Je vois la balle voler les crosses se cogner. Mais je reste un peu hors du match, le temps de souffler. De me calmer. Le temps de ne pas aller trop loin, moi non plus. Parce que j'ai beau vouloir protéger Andy, je sais qu'une erreur de trop et c'est moi qui détruirai tout. Alors j'essaie, comme je peux. J'essaie, et c'est sans doute parce que j'essaie un peu trop, que lorsque j'entends Teo me hurler de faire attention, je ne le vois pas arriver, et que je n'ai pas le temps de réagir.

Et merde. Tout ça ne faisait bel et bien que commencer.
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J'exulte. Le regard noir de mon "frère" est si jubilatoire que je suis tout bonnement incapable de m'arrêter de ricaner, sous mon casque, alors que le reste de mon équipe continue de faire sa sauce. Parce que cette lopette et toute son équipe ont décidé de jouer défensif, une très grossière erreur quand on est face à une bande de chiens fous comme nous. On s'en fout en soit, des sélections et de ce type de conneries. C'est la classe supérieure, la classe de Zachary, qui est scrutée et décortiquée par les recruteurs des équipes nationales. Pas la nôtre. On peut se lâcher sans avoir peur des répercussions, on peut les laminer autant qu'on le veut pour la seule raison qu'on peut. Personne ne nous en voudra si on joue pas dans les règles. Pas les profs, pas les arbitres, pas les autres joueurs. Parce qu'on est libres, parce qu'on est cons, et parce que, quoi qu'on fasse, ils nous pardonneront toujours sous prétexte qu'on est jeunes.
Alors j'exulte, oui, j'exulte en le voyant se redresser, une main sur les côtes et le regard d'un noir d'encre. A croire qu'il essaie encore de jouer la télépathie, mais ça prend pas. Ca prendra jamais, avec moi. Jamais, tu m'entends, Saint Zachary, Premier Péteux du nom ? Ca prendra jamais avec moi parce que ton regard, je l'ai vu une centaine de fois, de centaines de gens différents avant toi. La même rancoeur, la même supplique silencieuse, je les ai si bien vues que je les connais par coeur. Elles sont aussi bien gravées dans mes rétines qu'elles me pourchassent la nuit, quand ma loupiote n'est pas allumée. Mais tu sais la différence entre toi et moi, connard ? Je m'en branle de ton avis.
Parce que j'ai cherché trop longtemps à comprendre pourquoi le monde me haïssait autant. Et, comme j'ai jamais eu de réponse, j'ai décidé de le lui rendre au centuple.

Parce que tu sais, Zachary, dans les méandres de ton esprit moralisateur, je sais que t'es pas mieux que moi. Tu prétends tout savoir, avoir tout appris, mais rappelle-toi que t'as pas plus qu'un an de différence avec moi. T'as été élevé dans un cocon, putain, t'as même pété dans la soie. Moi, la soie, j'y mouchais mon sang en pleurant quand Deirdre visait le visage. Mais t'as pas connu ça, hein, connard. T'as pas connu la violence, t'as pas connu l'envie de mourir, t'as pas connu l'envie, le besoin, la nécessité de disparaître. Alors me la joue pas grand frère, exemple, ou tout ce genre de conneries. J'ai passé l'âge de m'en foutre, comme j'ai passé l'âge de m'en foutre de ce que tu penses.

Parce que tu sais, Zachary ? T'es qu'un con. Comme la multitude de cons que j'ai croisés toute ma vie, qui se pensent supérieurs parce qu'ils sont plus âgés. Ils ont tous oublié que la vie c'était une pute, ou alors ils t'enveloppent ça dans un joli petit paquet cadeau avec un joli noeud en bolduc pour cacher la misère. Pour nier l'évidence du problème. Et mon évidence, mon problème à moi, c'est toi. Parce que même si j'ai envie de m'en foutre réellement, j'ai jamais eu de grand frère sur lequel baser mes actions. Tous les gens bons, dans ma vie, ils m'ont été arrachés l'un après l'autre pour que je n'aie plus que les cons comme exemple.
Et je sais pas comment faire autrement qu'en étant comme eux. Un con.

Parce que tu sais, Zachary ? Au fond je m'en fous de ce qu'on est toi et moi. Supposés être. Des frères ? Des potes ? Je m'en fous, si tu savais. Parce qu'au fond tu seras jamais ni mon frère ni mon pote, parce que t'es trop différent de moi. Parce que tu prétends me connaître, alors qu'au fond tout ce que tu sais de moi c'est ce que je daigne te montrer. Ca te fait une belle jambe, hein ? Parce que tu sais pas. Tu sais pas que je dors en boule pour éviter d'avoir trop mal quand on me frappe pour me réveiller. Tu sais pas que je pleure pour m'épuiser et m'endormir, des larmes de rage et de dégoût si intenses qu'elles te viendraient jamais.

On ne sera jamais pareils parce qu'on peut pas l'être. On sera jamais comme Andy veut qu'on soit parce qu'on est trop différents pour ça. Et ça sert à rien que tu me fixes en espérant me faire passer des messages subliminaux ou ce genre de merdes. Ca prendra pas, parce que j'ai pas envie que ça prenne. Et peu importent les répercussions, peu importe ce qu'on est toi et moi, c'est pas toi qui m'apprendras à vivre. Andy, peut-être, même si j'y crois pas.
Mais pas toi.


Mon regard rivé sur ce qui me sert de frère, je prends mes appuis, je l'observe. Son mouvement de main est évocateur, son équipe a décidé d'arrêter de jouer lopette pour entrer enfin sur le terrain. Enfin. Ils ont enfin l'intention de se sortir les doigts du cul pour nous offrir ce qu'on exige depuis le premier coup de sifflet : le sang va couler. Un signal qui ne nous fait pas peur. Parce qu'on est prêt depuis bien longtemps, nous. On a toujours été prêts, les potes et moi. Toute notre vie on n'a jamais attendu que ça.

Derrière moi, Barney ricane et se place. Trop violent pour être à l'attaque, le coach nous l'a mis à la défense. Mais il est pire que nous tous réunis, et le premier attaquant qui entre dans son collimateur, c'est contact direct. On suit le mouvement, on marque les appuis, on suit les passes. Ils sont méthodiques, trop. Le sliotar approche dangereusement des buts, mais pas assez pour eux. Barney donne un coup de hurley assez limite contre une crosse, les bois s'entrechoquent bruyamment, mais c'est pas ça qui va nous arrêter. On a pas fait de faute, jusqu'à présent. On n'a pas l'intention d'en faire, non plus.
Jenna rugit, on a de nouveau la main. Il faut rattraper tout le terrain pour aller marquer, et creuser la différence entre nos deux équipes. Et, si on ne joue pas nos vies, ça nous empêche pas de suivre le mouvement. Pieuvre à multiples tentacules, tout le monde s'étire dans des coins difficiles à garder. La défense alterne les passes, Barney et Damian en tête, si bien réglés sur la même fréquence que les plus vieux ont du mal à les rattraper. Et, lorsque Damian lance le sliotar vers l'avant, on est prêts à sprinter.

Je suis prêt, moi. Suivant le vol du sliotar, je cours à en perdre haleine pour rattraper la petite balle en cuir, ma crosse en avant. Ma concentration est extrême, si extrême que je ne vois pas tout de suite le membre de l'équipe adversaire et lui fonce dedans.
Forcément. Forcément, il fallait que ce soit lui. Le choc est brutal, il me coupe les jambes et le souffle pendant quelques secondes. Secondes qui sont salutaires à ce connard de Zach pour qu'il me relève, et glisse une énième menace à mon attention.

-Essaie, connard, essaie de me péter un truc. Je t'attends.

Nos paroles sont basses, audibles que de nous, et nous seuls. Il me tord le bras, profitant que l'arbitre soit déjà passé à autre chose, et me repousse en même temps que je me tords pour lui échapper. S'il croit m'impressionner, il mise pas sur le bon cheval. Je crache au sol, suit son regard vers les tribunes. Andy est là, lui aussi. Assis dans les gradins, un peu à l'écart des autres parents, il nous couve de son regard noir. Peut-être nous encourage-t-il, un peu, aussi. Mon coeur se serre, je détourne les yeux. Parce que je suis certain que c'est l'équipe de Zachary qu'il supporte, au fond. Ce serait plus logique.
Et le souvenir de ce matin revient. Bien trop intense. Bien trop amer. Le bout de ma crosse frappe brutalement l'herbe grasse du terrain, soulevant une petite motte de terre alors que je ravale mes larmes. Que la colère revient en sourdine, étrécissant ma vision périphérique mais me redonnant ce petit coup de nerfs dont j'avais besoin.

J'ai pas ma place, ici. Ni dans cette ville, ni sur ce terrain, ni dans cette maison, ni dans le coeur de qui que ce soit. Quelque chose que ni toi ni Andy ne comprenez, Zachary. Si je suis aussi con, c'est pas seulement par choix, c'est aussi par nécessité. Parce que si je reste, si vous vous creusez une place dans mon coeur, j'saurai plus quoi faire. La seule fois où j'ai eu une vraie famille, vous savez ce que ça a donné. Alors ne me faites pas ça, bande de connards. Vous en avez pas le droit.
Et pourtant, pourtant je peux pas m'empêcher d'être touché par le regard de ce connard de père de foyer. Cette sensibilité que j'y vois à chaque fois que je le croise, cette même sensibilité qui le traversait ce matin, alors qu'il me laissait morver sur sa chemise. Il y a quelque chose d'intemporel dans Andy, et je pense que ce quelque chose, c'est de la bonté. Une bienveillance d'un autre temps qu'on ne croise que dans les contes de fées. Parce que ce mec est pas humain. Parce qu'il est trop bon pour avoir élevé un con comme Zachary. Pour pouvoir élever un con comme moi.

C'est ça, la différence fondamentale entre toi et moi, Zachary. Toi, t'as pas été vicié par la vie. Toi, t'as grandi avec Andy, t'as appris de lui. Au fond, t'es pas si mauvais comme gars. Que moi, c'est les orties, c'est les ronces, c'est une maison à l'abandon qui m'a élevé. Les coups de canne, les hurlements, les interdictions et les insultes. T'es sain, Zach, c'est ça que je t'envie. T'es p'tet' con mais t'es sain.
Pas moi.

L'écho des hurlements de mes camarades me rappelle à l'ordre, m'arrachent à la vision d'Andy et cet étrange regard qu'il pose désormais sur moi. Mais qu'est-ce qu'ils ont tous, dans cette putain de famille, à dévisager les gens comme ça ? Ils versent dans l'hypnose ou quoi ? Ca m'agace. Jenna arrive à mon niveau, me fout un coup de coude dans l'épaule, marmonne une énième menace à mon égard et ça me requinque. Je trotte à sa suite, alors que le reste de mon équipe mène toujours le jeu. Les buts sont pas loin. Il suffit juste de pousser un peu plus.

Pousser. Le sliotar s'envole, et la passe est pour moi. Une passe risquée, péchue, qui va chercher les recoins du terrain pour déstabiliser l'équipe adversaire. Une de nos bottes secrètes, parce qu'on est des connards et qu'on aime ça. Je fonce comme un boulet de canon. Vois Zachary sur la trajectoire de la balle. Et mon esprit ne fait qu'un tour, parce que cette rage que je ressens envers ce connard a raison des dernières strates de réflexions que j'aurais pu avoir.
Appui. Je bondis, crosse la première, mon épaule suivant le mouvement. Un geste par lequel je suis certain d'aller au contact, avec lequel je suis certain de faire mal, mais qui me permet autant de renvoyer la balle en sens inverse que de rappeler à ce con que je ne suis pas sa pute. Il avait pas à être là.

Le choc est violent, mais la manœuvre porte ses fruits. Le sliotar repart dans le sens inverse, rattrapé aussitôt par une Jenna refaite. Et, si le mouvement m'a semblé se faire au ralenti, on retombe de nouveau pèle-mêle au sol, Ducon des Plaines et moi. Au-dessus de lui, je lui crache dessus, ma salive coulant le long des grilles du masque de protection. Ca ne se voit pas. Je ricane

-Te crois pas privilégié parce que t'es mon frère, connard. Je fais ce que je veux.

T'es trop bon, au fond, Zachary. S'il y a bien une chose que j'ai apprise, en 15 ans, c'est que les gens bons se font bouffer par les cons dans mon espèce. Et j'espère bien te bouffer. Parce que peut-être que comme ça tu réaliseras qu'on est pas faits pour cohabiter. Pour vivre ensemble. Pour être frères. Pour ton propre bien.


Bondissant sur mes pieds, je me redresse sans lui donner l'opportunité d'en faire autant. J'aurais pu caler un coup de pied dans son abdomen, mais Andy nous regarde. L'arbitre, les parents, le monde entier nous regarde. Autant éviter les petits coups en douce devant un public qui pourrait nous pourrir. Ca se fait pas. Mes trottinements m'éloignent du brun avant qu'il n'ait l'occasion de me rendre un coup, et ma main s'agite dans la direction d'Andy. Ca me fait mal, de le voir là. Ca me pousse dans mes retranchements, c'est désagréable, c'est pas normal. Mais, surtout, ça me rend beaucoup trop coulant.

Un grondement satisfait résonne dans le terrain, un grondement qui vient de mon équipe parce qu'on a marqué un nouveau but. 2-0. Comme quoi même quand ils tentent de faire les caïds, l'équipe d'en face, avec tout son méthodisme, ne fait pas le poids contre notre envie de sang. L'arbitre siffle, nous incite à nous repositionner en ligne au centre et relancer la balle ainsi que la partie.

Je croise de nouveau les grandes billes marrons de son prétendu frère. Lui adresse un sourire hypocrite, parce que c'est quand même drôle, malgré tous ses efforts pour enlever ma salive de son casque, elle est toujours bien accrochée. Mes prunelles se glissent dans les siennes, en écho à tous ces messages subliminaux qu'il me lance depuis le début de la partie.

Si t'essaies de m'arrêter, on va tous les deux au mur. Alors laisse-moi, pour une fois dans ta misérable existence de connard, laisse-moi respirer. Pour ton bien. Pour celui d'Andy. Pour le mien.


Le sliotar est remis en jeu, mais cette fois-ci, on n'est pas assez rapides. Un gars de l'équipe adverse l'empoigne en plein vol et leur balance, nous forçant à jouer défensif. Dieu sait si on a horreur de ça. Mais ça fait partie du jeu, faut croire. Les plus vieux montent sur nous, engloutissent nos défenses, forcent Barney et Damian à hurler un chapelet d'injures dans notre direction. Jenna met sa crosse sur son épaule. Tout le monde sait ce que ça veut dire.
On arrête le fair play sporadique. On joue au tacle, et tant pis si ça fait mal. Le premier à en faire les frais et un sprinteur de l'équipe d'en face, un blondinet un peu chétif du nom d'Abel qui se fait faucher par Damian. Certes, la balle lui échappe des mains. Certes, elle part dans notre direction. Certes, je suis le mieux positionné pour la rattraper.
Ce que j'essaie de faire. Mais c'était sans compter sur le mordant de l'équipe adverse, et sa volonté de nous faire payer nos deux buts.

La volonté de l'autre con de me faire payer mes ricanements.

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Je t'attends. Je serre les dents alors que l'on s'éloigne l'un de l'autre. Le match reprend trop rapidement et ne me laisse ni le temps de reprendre mon souffle ni mes esprits. Je laisse échapper une grimace sous mon casque. Je reprends ma place en jeu et fais de mon mieux pour me concentrer sur le match, sur tout, sauf lui. Tout sauf sa gueule de con que j'ai envie d'éclater pour qu'il arrête ses conneries.

Mais ça, évidemment, c'était sans compter sur sa coopération à lui. Il n'aura fallu que quelques instants pour qu'on se retrouve à nouveau au sol lui et moi, lui contre moi. À nouveau au sol et de la haine débordante, tellement débordante qu'elle est sur le point d'éclater. Ce connard me crache dessus, et se marre. Et puis il sort sa phrase débile et clichée, qui m'agace encore plus que sa connerie juste avant. Je me redresse alors que Caïn arrive près de moi et de me demande si ça va. Comme si j'avais l'air d'aller bien. Il se ravise et tente de me dire de rester calme, qu'on réglera ça plus tard, qu'il faut pas que je m'inquiète.

Ils marquent un nouveau but, et je m'en fous royalement. Les autres commencent à râler, disant que ça joue pas fairplay. Mais moi, leur match à la con, j'en ai plus rien à foutre, c'est sa gueule de con à lui que je veux caler dans les buts et éclater. Je soupire alors qu'Abel me tape sur l'épaule pour que l'on se remette en place. Tout le monde se repositionne et moi, je ne regarde plus Andy. Je ne regarde plus personne, plus rien, plus le match. Je prends sur moi au maximum pour ne pas aller trop loin. Pas comme ça, pas ici.

Et puis y a son sourire, son sourire de connard, prétentieux et fier de lui. Y a son sourire qui fait mal, tellement mal qu'il me fait péter un plomb. Et que j'en ai rien à foutre des conséquences, j'en ai rien à foutre du reste.

Parce que moi aussi je peux être un sale con.

Le match reprend et je reste plus ou moins en retrait. Parce que c'est le mieux pour l'équipe, le mieux pour que je n'explose pas, ni sa petite gueule d'ange à lui. Et puis y a les hurlement d'Abel, qui vient de se prendre le vol du siècle, ce connard de Damian a repris ses bonnes vieilles habitudes et me donne tout droit de reprendre les miennes. Alors je siffle à Matt de prendre position, et il prend le sliotar à la volée, il se faufile entre les autres et avec Saw et Erwann, ils enchaînent les mouvements, ils gèrent le match, le point, agacés d'avoir vu l'un des nôtres tomber.

Et moi, je me concentre sur toi. Ta gueule d'ange qui cherche absolument à gagner, qui suit le jeu des yeux sans me voir arriver. Parce que je n'ai aucune raison d'arriver là, derrière toi, maintenant. Ni toi ni moi sommes au cœur de l'action. Ni toi ni moi n'avons d'intérêt à nous approcher maintenant. Mais c'est trop tard, parce que c'est allé trop loin cette histoire. Et qu'il faut qu'on sorte du terrain, toi, moi, ou nous deux. Et peu importe si c'est en civière, j'en ai rien à foutre.

T'as voulu jouer au con, te voilà face au plus grand des cons.

Je fonce droit sur mon frère sans ralentir, ignorant les autres, ignorant le monde. Il s'écroule et je me retrouve une fois de plus au dessus de lui, sauf que cette fois-ci, je lui place un coup de crosse entre les côtes, violents, sans doute trop, mais j'm'en fous. « T'as gagné, on joue plus. » Mes mots sont durs, froids, mais pas autant que mon regard alors que j'enfonce un peu plus la crosse et que l'arbitre siffle.

2-1. Il s'approche de nous et demande si tout va bien.

« Oui, j'ai rippé, désolé j'espère que je t'ai pas fait mal. » Sale connard. Un sourire bien hypocrite qui se glisse sur mes lèvres alors que la mi-temps est sifflée suite au but, nous évitant à l'un comme à l'autre de nous faire virer du terrain. N'ayant pas laisser l'opportunité à Kyle de me rendre mon coup, je m'éloigne vers mon équipe, vire mon casque pour m'asseoir sur le banc et me rincer enfin la figure.

Ils parlent discrètement de mon frère, me demandent si j'vais bien, et j'réponds que oui, que ça ira, que faut pas s'en faire. J'réponds qu'on réglera ça plus tard et je vais rapidement prendre des nouvelles d'Abel. Il nous manque un joueur, son épaule est démise. Je soupire et les autres se mettent d'accord pour qu'on les laisse gagner, de toutes façons, on a plus à perdre en laissant tous nos joueurs se faire massacrer tandis que les sélections arrivent plutôt qu'à les défier à tout prix.

Je les écoute d'une oreille tout en levant mon maillot pour observer rapidement mes côtes et voir un hématome se créer. Quel connard. Je soupire tandis que tout le monde se remet en place, moi aussi. Les quelques minutes pour souffler n'ont pas suffit à me calmer totalement mais suffisamment pour ne plus lui sauter à la gorge. Pas pour lui, mais pour mon équipe. Certainement pas pour lui.

Mes yeux évitent les siens, je l'évite, simplement.
Parce que tu vois, Kyle, le problème avec toi c'est que tu me pousses dans mes retranchements, tu me fais avoir trop mal, tu me fais avoir trop peur. J'ai peur de perdre tout ce que j'aime et même ce que je n'aime pas. J'ai peur de perdre l'équilibre qu'on a réussi à installer quand tu réagis comme ça. Et le pire, je crois, ce qui me fait le plus mal, c'est que je sais que t'es pas si mauvais que tu veux le faire croire.

Tu peux peut-être tromper tes connards de copains. Tu peux peut-être leur faire croire, à Jenna, Barney et Damian. Leur faire croire que t'es qu'un connard sans cœur et sans pitié mais moi j'prends pas à ton p'tit jeu. Je sais bien que t'as un cœur bien plus grand que tu l'admettras jamais. Mais t'as peut-être peur qu'on te le brise, je sais pas.

Et même si ça t'excuse pas d'agir comme tu le fais, j'crois que je te pardonne au fond, parce que je sais qu'un jour, tu seras moins con.


Ou alors, j'ai trop d'espoir. Trop envie d'y croire. Le match reprend et je me place directement en défensive alors que Jenna attrape rapidement le sliotar et se glisse à merveille entre les joueurs de mon équipe qui tentent de l'arrêter sans vraiment le faire. Encore trente minutes. Trente minutes à les écouter ricanner, les voir marquer et se faire des checks comme s'ils étaient plus malins que le reste du monde. Trente minutes à supporter tous ces connards et on en parle plus. Mon regard se tourne instinctivement vers Caïn qui me fait signe de me décaler tandis que le but est sur le point d'être marqué. Mais trop tard, encore une fois. Trop tard parce que le temps que je tourne la tête, la sentence est trop proche pour que je m'éloigne, que je bouge du terrain.

« Putain de merde. »
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Je l’ai pas vu arriver. On était en train de mener, une fois de plus. Les mecs droits devant, Jenna se faufilant dans les rangs ennemis avec des bonds de sauterelle. J’étais pas loin derrière, j’avais complètement zappé l’existence de l’autre con. Les yeux rivés sur le sliotar, mais en retrait. Après tous mes coups d’éclat, il était normal que je laisse un peu la part belle aux autres, question de principes. Revanchard oui. Mais pas égoïste. Pas avec mes potes.
Mais je l’ai pas vu arriver, quand il m’a foncé dessus. Un pic de douleur m’a pris dans les côtes, j’ai entendu un craquement sinistre. Ma respiration s’est coupée aussi sec, me coupant les jambes au passage, et mes genoux ont touché l’herbe humide. Impossible de reprendre mon souffle, impossible d’arrêter les battements paniqués de mon coeur. La douleur avait allumé des loupiotes dans toute ma vision, des filaments dorés d’une netteté absurde vu que tout le reste était en train de se brouiller. C’est con, le corps humain.
Aussi con que porter ma main à mes côtes, là où ça faisait le plus mal, la pressant contre la source de la douleur ne servant qu’à l’accentuer. Un réflexe de gosse, un réflexe malaisé, tout aussi idiot que celui de chercher du regard le connard qui m’avait frappé. Oh, il n’était pas loin. Oh je savais parfaitement qui c’était, et pourquoi. Je l’avais entendu, parfaitement. Ce colossal enculé de Zachary Madden.

Lutter. Lutter contre l’inconscience. Par chance, j’étais rôdé, question douleur. Mais cette foutue côte vrillait mon flanc et chaque inspiration ravivait les filaments devant mes yeux. Des baskets sales levèrent quelques mottes de terre, devant moi. Erwann, le seul à avoir encore un coeur dans notre équipe, qui venait s’assurer que j’aille bien. J’agrippai son bras pour me redresser difficilement, alors que Madden minaudait auprès de l’arbitre. J’ai rippé. Sombre connard. Pris d’un regain d’énergie, je me serais jeté sur lui. Je l’aurais fait, oui, si Erwann n’avait pas retenu mon bras, si Madden s’était pas tiré avec son sourire de merdeux. Un bon coup de poing dans sa face de fouine. Mais il était trop tard, et j’avais mal à en crever.

Parce que c’est ce que tu me fais, avec ton attitude, connard. Mal. Chaque fragment de vie qu’on partage, chaque moment insignifiant qui donne l’impression que la mienne de vie peut être un peu plus douce. Moins cruelle. Ca fait un mal de chien, ça m’arrache les trippes, ça me broie le coeur. C’est ça que vous me faites, Andy et toi.
Quand je vois les yeux bridés d’Andy disparaître sous son sourire, tellement il est grand, tellement il est beau, quand il est dirigé vers toi. T’es un ingrat Madden, tu le sais ça ? Tu te rends compte d’à quel point il t’aime, ton père ? D’à quel point je suis jaloux, jaloux à en crever, de votre relation ?
Parce qu’au fond, on le sait tous les deux. Je l’aurai jamais, cette relation. C’est le type de liens qu’on n’a qu’une seule fois, avec un seul père. Toi t’as le tien. Moi le mien, on l’a assassiné.


Toute bonne chose à une fin, paraît-il. La mi-temps fut sonnée, nous permettant de boire un coup et souffler un peu. Jenna trotte vers la troupe, fait l’état des lieux, me jette un coup d’oeil circonspect alors que je m’effondre lourdement sur le banc. La douleur dans ma côte pulse comme un métronome, diffusant une brûlure constante, une morsure profonde. J’ai l’impression d’accentuer le craquement à chaque fois que je lève le bras.

-Fais pas le con, Osborn. On a l’avantage maintenant qu’on a viré la lopette, tu peux y aller mollo...
-Commence pas à me péter les couilles, Captain. J’ai un ravalement de gueule express qui m’attend, tu m’feras pas sortir du terrain.
-Tu veux qu’on serre Madden ?
-Oui, et vous me le laissez.


Elle renifla, l’air peu convaincue. Ce qu’il fallait reconnaître à Jenna, c’était qu’elle savait où étaient les forces et les faiblesses de son équipe. La raison pour laquelle elle avait été propulsée cheftaine de notre équipe de bras cassés, et pour laquelle on la suivait comme son ombre. Ses grands yeux marrons me sondèrent encore un bref moment. Et c’est là qu’elle la vit.
Cette rage qui gonflait, à mesure que ma côte distillait son poison dans mes veines. Un monstre terrifiant, grandiose, inarrêtable. Ce n’était pas que l’adrénaline qui montait, non. C’était ce besoin viscéral de faire couler le sang. De rendre coup pour coup, et d’en donner encore plus. De mordre, d’arracher des morceaux de chair, de laper le sang et m’y repaître. Un monstre tortueux, tout en ombres, qui prenait progressivement le contrôle sans même que je ne veuille le combattre.
Jenna le connaissait bien, ce monstre. Elle le connaissait pour l’avoir vu montrer ses dents plus d’une fois, et il fallait croire qu’elle l’aimait bien. Parce que le hochement de tête, bref, qu’elle lança à réponse à mon sourire voulait tout dire. On lâchait tout. Les chaînes, le collier, les responsabilités. Un hochement de tête qui fut partagé par toute l’équipe. L’un des alphas était touché. C’était l’heure de se mettre en chasse.

Parce que ça, Zachary, tu ne le comprendras jamais. Tu as beau croire, tu as beau te donner l’impression de tout savoir, tu ne sauras jamais vraiment ce que ça fait.
D’avoir mal à s’y perdre. La douleur, c’est tout ce que je connais. Le seul langage que je maîtrise vraiment.
Tu m’as fait peur, Zachary. Tu m’as fait peur et tu m’as fait mal. Et pour ça, je suis désolé, mon frère, mais tu vas devoir payer.
On ne joue plus, c’est ce que tu as dit. Et pourtant tu te trompes, profondément. Parce que ce n’est que maintenant qu’on commence vraiment à jouer.


Une dernière rasade d’eau fraîche avant de se remettre en marche. Au terme d’un rassemblement de dernière minute, Jenna décida de remplacer Mei Ling par Stones. Notre Dieu de la Mort à nous. On ne gagnerait peut-être pas le match, en agissant de la sorte. On ne gagnerait qu’à se faire sortir du tournoi, mais c’était une question d’honneur. Les coups de pute, y’a que nous qui avons le droit de les faire. Sur le coup de sifflet de l’arbitre, nous reprîmes nos places dans le rang pour la seconde demi-heure. Il n’y en aurait pas d’autre, et ça se voyait dans chacun des regards que nous nous sommes lancés avant le coup de sifflet final. Dans le regard que j’ai lancé à Madden, un regard d’un noir d’encre, qui n’avait plus rien de taquin ou de narquois.

Tu sais Zach, au fond, c’est pas à toi que j’en veux.

Le sliotar s’envola, et Jenna se propulsa pour le chopper avant que les autres n’aient eu le temps de réagir. C’est ça qu’est marrant, avec la rage. C’est contagieux. Surtout dans notre équipe de fils de chiennes. Frais comme un tic tac, Stones marqua la cadence, faisant mine de la suivre alors que ses yeux étaient rivés sur les mouvements de Madden. Alors que les miens étaient rivés sur lui. Il était rapide, fourbe. Il se posta devant mon frère pour l’arrêter dans son élan, ouvrant toutes ses défenses. Le Dieu de la Mort effectua une pirouette et me jeta un sourire de chacal avant de filer vers les buts, prêt à soupeser l’âme d’un autre de nos adversaires. Prêt à la bouffer, elle aussi.

Et la bête grondait. Elle gronda si fort que je piquai un sprint pour couvrir la distance qui nous séparait. Elle grondait si fort que je l’écoutais alors qu’elle m’incitait à mettre ma crosse en avant, le cueillant en plein ventre. Elle hurla puissamment alors que je me calai de tout mon poids sur lui, que je l’attrapai par le t-shirt pour donner un coup de casque dans le sien. Le tintement métallique n’étouffa pas les cris extatiques de la Rage. Elle poursuivit, hurlant toujours plus fort, couvrant mes oreilles. Je n’entendais plus qu’elle, lorsque je levai la visière de Madden. Je n’entendais plus que ses jappements joyeux alors que j’armai mon poings. Que son rire bestial, un ricanement lugubre, terrifiant, alors que je frappai.
Et frappai.
Et frappai encore.

Tu sais Zach, au fond, c’est à moi que j’en veux.

Je n’entendais qu’elle. Que la Rage. Et elle était heureuse, mais elle n’était pas repue. Mes phalanges se fracassaient tantôt sur la chair moite, tendre du visage de Zachary, tantôt sur le métal poli de son casque. Mais je n’entendais pas le son. Mais je ne sentais plus la moindre douleur. Un état de flottaison de l’esprit paradoxal, alors que je voyais parfaitement mes poings s’abattre sur sa sale gueule. Alors que je sentais mon souffle se propulser hors de mes poumons, alors que je sentais vibrer mes cordes vocales. Alors que je sentais mon diaphragme se soulever contre ma côte douloureuse, la bête riant à s’en arracher la voix. Comme si j’étais ailleurs, un spectateur extérieur, silencieux, qui ne pouvait qu’acquiescer.

Tu sais Zach, au fond, j’aimerais ne pas être comme ça.
J’aimerais être digne d’Andy. De toi.
Mais c’est pas possible, tout ça.


Du sang coula, sans que je ne sache si ça venait du visage de Zachary ou de mes phalanges. Peut-être un mix des deux. Le rire de la colère en écho, les battements de mon coeur envahissaient mes tympans. Tambourinaient sous mon crâne, dans mon corps, dans mes veines. J’attrapai les épaules de Madden pour le soulever, et l’abaisser violemment contre le sol. Parce que voir du sang, ce n’était pas suffisant.
Parce que je pouvais le tuer. Parce que je pouvais La tuer, cette salope de Deirdre. Parce que je pouvais tuer tout ce qui me faisait mal, tout ce qui me faisait peur, en vrai. Tant que j’avais la colère avec moi, tant qu’elle me supportait, elle, je pouvais détruire tout ce qui me blessait.
Elle pouvait me détruire, moi aussi.

-...born... Os... born... OSBORN MERDE !

Des mains agrippèrent mes bras, mon torse, me tirèrent en arrière. Je tentai de me débattre, mais les étreintes étaient trop solides. Trop nombreuses pour moi. Des doigts s’enfoncèrent dans ma côte douloureuse, m’arrachant un hurlement sourd.
Me ramenant aussitôt à la réalité.

Tout autour de nous, le chaos. L’arbitre qui sifflait à s’en arracher les poumons, les parents ainsi que les spectateurs debout, paniqués, dans les tribunes. Il n’y avait plus de match, plus de sliotar, juste des gamins qui se distribuaient des coups d’une équipe à l’autre. Juste les battements erratiques de mon cœur alors que je jetais un regard paniqué à Stones, alors que ma côte me faisait atrocement souffrir sous ses doigts. D’une main ferme, il m’attrapa le menton et me força à dévisager ma victime. Le frisson glacial qui me doucha éteignit aussitôt tout ce qu’il restait de ma colère. Je sentis à peine Stones me relâcher.
Madden était en piteux état.

-Oh merde... Merde... !

C’est pas possible tout ça, parce que mon vrai visage, c’est ça.
Parce qu’il y a des gens qui sont beaux, dans ce monde. Andy. Toi.
Mais pas moi.

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Mon regard dans celui de Caïn, signe que je me décale. Mes yeux qui se glissent rapidement sur les adversaires pour voir ce qui arrive en face de moi. Ce foutu Stones, qui me bloque le passage, que je fixe droit dans les yeux pour lui dire de pas se foutre trop en travers de mon chemin. Mais il s'en fout, lui, se décale pour continuer le jeu tandis que je détourne le regard pour suivre les mouvements. Tout le monde hurle. Que ce soit des encouragements dans le public, des cris des coachs ou bien même des propres membres de nos équipes qui se concentrent sur la partie. Et cet instant d'inattention, cet instant durant lequel j'ai perdu Kyle du regard, durant lequel je me suis laissé happer par le match et les cris de mes camarades a été de trop. L'instant qui a suffit pour voir mon frère trop tard se diriger droit sur moi, claquer nos casques l'un contre l'autre et me sonner de surprise.

Je n'ai pas le temps de réagir, pas vraiment la force non plus. Parce que j'ai souvent vu Kyle en colère, parce que je me suis souvent battu avec lui, mais pas comme ça, pas comme maintenant. Je tente d'articuler tandis qu'il retire le métal protecteur de devant mon visage. Je tente désespéramment de lever le bras pour attraper le sien, sans y parvenir. Incapable de le maîtriser dans ce moment, mes yeux cherchent les siens, je cherche à y voir un minimum d'humanité et pourtant, j'y arrive pas. Je vois de la rage, de la haine, de la colère, et je ferme les yeux quelques secondes.

Un coup.

J'ai mal. J'ai déjà mal dans la mâchoire parce qu'il frappe trop fort, trop brutalement. Je cherche à l'attraper avec un bras mais sa prise, la fatigue et mes côtes déjà douloureuses ne me donnent pas assez de poids pour le contrer.

Deux coups.

J'ouvre les yeux, j'étouffe des cris de douleurs et tente de toutes mes forces de chopper son poing avant qu'il ne cogne encore une fois.

Trois coups.
Quatre coups.
Cinq coups.

Arrête toi, putain. J'arrive pas à articuler, j'arrive pas à l'arrêter, j'arrive pas à lui demander d'arrêter. J'entends un sifflement dans mes oreilles coupé par ce bruit sourd que les coups font lorsqu'ils touchent mon visage. Je respire mal, j'ai trop de sang dans la bouche. J'ai mal et j'ai envie de hurler, de le repousser avec une force que je n'ai plus. Alors je ne fais rien et je subis. Lamentablement, je subis les coups de mon frère qui ne sont pas ceux que l'on se fout d'habitude. Et c'est sans doute ça, qui me fait encore plus mal, sentir qu'il y a un truc différent dans sa haine, dans ses coups. Sentir que cette fois c'était la fois de trop et qu'il n'y aura peut-être pas de retour en arrière.

Les minutes sont affreusement longues alors que les coups s'enchaînent et que la douleur se diffuse lentement dans tout mon crâne. Et puis le blond m'attrape par les épaules, il me relève et je hurle dans un cri de douleur, crache du sang par la même occasion, il a du me péter une dent. Le coup d'après est trop violent, trop violent pour le subir en plus du reste, alors je perds connaissance, les sifflements, il ne reste que les sifflements dans mes oreilles et un monde affreusement lointain. Je n'ai pas la moindre idée de ce que fait Kyle, s'il cogne encore ou non. Pas la moindre idée de ce qui se passe autour de moi. Non, j'essaie juste de respirer comme je peux.

Les minutes sont affreusement longues, alors qu'il n'y a plus rien autour de moi. C'est terrible, ce silence que je ne comprends pas. Il reste les sifflements, le noir complet, et puis plus rien. Mes battements de cœur sont lointain, tout l'est, Kyle encore plus que le reste. J'ai envie d'ouvrir les yeux, me réveiller et surtout vérifier que tout va bien. Pourtant, j'arrive même pas à ouvrir une paupière, j'arrive même pas à entendre correctement ce qu'on cherche à me dire. J'arrive pas à ouvrir la bouche non plus. J'arrive à rien, vraiment à rien. Alors je lâche prise.

Et je me souviens, Kyle, du jour où tu es arrivé. Je me souviens quand Andy m'a raconté ton histoire, du moins ce qu'il en savait. Je me souviens qu'il m'a dit d'y aller doucement avec toi, parce que tu avais été beaucoup blessé. Je me souviens m'être dit que j'essaierai. Mais j'ai pas réussi. J'ai pas réussi parce que tu me tapes sur le système. Tu m'irrites au plus haut point avec tes airs de grand gaillard. Tu crois tromper ton monde mais j't'assure que tu n'as jamais trompé Andy. Tu m'as jamais trompé moi. Tu fais croire que ton passé c'est rien, que t'es un gros dur avec une belle carapace. Mais au fond t'es qu'un gamin qui souffre et t'en veux au monde entier.

J'en ai voulu au monde entier alors que j'avais que sept ans. Comment tu pourrais ne pas en vouloir au monde entier après quatorze ans. Mais putain Kyle, arrête de te battre contre Andy, arrête de te battre parce que lui il arrêtera pas. Il t'aime déjà comme son fils, comme sa chair. Il s'était attaché à toi à la minute où il a vu ta sale gueule. Et j'ai beau pas tout comprendre, j'ai beau vouloir te frapper plus que te dire que je t'aime, putain, j'veux pas que tu te casses. J'dis pas qu'on va te réparer, on est pas des foutus jouets cassés. J'dis pas qu'on va changer ton passé, mais bordel, Kyle, arrête de te battre contre ton présent, arrête de te battre contre ton futur. Tu vas finir par te faire tellement mal que tu t'en relèveras peut-être pas.


La douleur. La douleur elle a des effets étranges. D'abord elle vous fait hurler, puis elle disparaît, puis elle vous ramène à vous, violemment, brusquement. Je hurle alors que mes yeux s'ouvrent. J'ai mal partout et je suis incapable d'articuler. Autour de moi, le monde s'agite trop fort et me fait déjà chier. Je tente de serrer les dents mais j'en suis incapable, pas plus que de serrer les poings. On me demande de me calmer, le médecin est en train de vérifier que j'ai rien de trop grave. Teo et Caïn sont à côté, flous, en train de me sourire de ce sourire qui dit « t'as vraiment une sale gueule, tu sais. » Je cherche du regard Andy, que j'aperçois rapidement. Par réflexe, je tends la main vers lui, j'attrape son bras avec le peu de forces qu'il me reste. « Kyle, il est où, Kyle ? » Mes mots ne sont pas clairs, je tousse, me coupe et me fait engueuler.

Mais je m'en fous. Je veux voir Kyle. Je veux étrangement savoir qu'il va bien. Andy l'appelle d'un signe, le surveillant du regard et moi, j'y vois toujours flou. Je distingue malgré tout sa chevelure blonde et tandis que tout le monde commence à un peu trop s'agiter, Andy leur demande de se taire, comme il sait si bien faire. Je prends le temps de respirer et la distance maintenue entre mon frère et moi, j'articule comme je peux.

« C'est bon, j'vais bien. » Des mots inutiles, une sensation que même moi je ne saisis pas totalement. Si j'ai souvent envie de le frapper, de lui dire à quel point il est con, là, tout de suite, j'ai surtout envie de lui rappeler qu'on va pas l'abandonner, qu'il va pas s'en tirer comme ça. « Tu m'as pété une dent j'crois, putain. » Je tente maladroitement de rire et m'étouffe à moitié. Y a sûrement pas qu'une dent de pétée. Mais c'est pas important, l'important c'est qu'il sache que ça va pas le débarrasser de nous, qu'il n'est pas jetable parce qu'il a fait une connerie. J'ai pas le temps de parler que le médecin me coupe, putain, comme si j'en chiais pas assez.

« Il faut l'amener à l'hôpital. », je resserre mon bras sur celui d'Andy. Non. Pas l'hôpital. La dernière fois c'était pour mon poignet et j'ai eu la peur de ma vie. J'ai eu trop peur là bas. L'asiatique resserre sa main sur la mienne et me dit qu'il reste avec moi, et moi, comme un con, j'ajoute. « Kyle aussi. Kyle aussi il vient, pas vrai ? »

Parce qu'au fond, même si j'ai mal, même si j'ai peur de toi, on est une famille depuis qu'Andy a décidé que tu rentrerais dans nos vies. C'est comme ça. C'est tout, que tu le veuilles ou non, Kyle. Tu pourras faire ce que tu veux, on partira pas sans toi. Plus jamais.

La suite se passe vite, trop vite pour moi. Le monde s'accélère alors que je n'arrive toujours pas à y voir clair. Tout le monde me dit que c'est bon, je suis en sécurité, que ça va aller. Comme si j'en avais douté. Comme si j'avais douté qu'avec ma famille, j'allais finir autrement qu'en sécurité. Je soupire, et la perfusion m'endort le temps du trajet. Le temps de dire à la douleur de se taire pour ne pas faire de connerie. Andy a promis qu'il suivait avec Kyle, qu'ils ne me laissaient pas. Et j'y crois. Parce que je le crois sur parole depuis des années.

Arrivé à l'hôpital, on me réveille, des blouses blanches et des mains s'enchaînent autour de moi, on vérifie mes côtes, mes poumons. Rien de transpercé. J'aurais pu le dire, s'ils avaient demandé. On vérifie ma mâchoire, fêlée. Une dent pétée. On vérifie les hématomes, qu'il n'y ait pas d'hémorragie. On vérifie mon putain de cerveau, voir si le sang se perd pas quelque part là dedans.

Il a pas fait exprès. Que j'ai envie de gueuler mais que je n'arrive pas à articuler. Et puis les tests s'enchaînent, la perfusion d'antidouleur me drogue suffisamment pour ne pas trop avoir mal mais me laisse enfin le loisir de respirer correctement et de voir un peu moins flou. J'ai un bandage autour des côtes, des pansements un peu partout et une attelle au poignet. Je ne me souviens pas de la moitié de mes blessures, je n'ai pas l'impression que Kyle m'a frappé autant.

Le temps des examens m'a semblé interminable jusqu'à ce que l'on m'amène dans une chambre, avec Kyle et Andy qui m'attendent. Le médecin demande à voir Andy dehors et nous laisse, en fermant la porte, mon frère et moi. Je soupire, un peu shooté, un peu sonné. Et puis je le regarde, mes yeux sur ses phalanges avant d'articuler un peu plus nettement qu'avant. « Tu devrais montrer ça à un docteur, qu'il te soigne. »

Je ne suis plus en colère, je ne suis plus rien. Plus rien d'autre que fatigué, qu'effrayé d'avoir failli le perdre, se perdre, nous perdre. Je ne sais même pas trop décrire, au final. Peut-être parce que je ne me souviens pas tellement de ce qu'il s'est passé. Je tente de me redresser un peu sur le lit dans une grimace douloureuse avant de continuer, peut-être pour lui prouver que justement, je ne lui en veux pas. « J'vais bien Kyle, arrête de tirer cette tête là. », je fixe le plafond et continue, peut-être moins clairement que je ne le voudrais.

« Je déteste les hôpitaux putain. J'espère qu'Andy va nous ramener à la maison ce soir, j'veux pas dormir là. » Un aveu qui peut sembler banal, vraiment. Pourtant à cet instant, envers mon frère, il a du sens. Parce que c'est ma façon à moi de lui montrer que je lui fais quand-même confiance.

J'aimerais savoir te dire tout ça plus simplement. Te l'expliquer clairement. Mais j'suis pas doué avec les mots Kyle, j'ai beau essayer, c'est vraiment pas mon truc. Alors j'espère que tu comprends. J'espère que tu vois que j'suis sincère, et que tu restes mon frère.
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Brouillard. Je regarde mes mains, mes articulations écorchées, le sang qui les macule, et j'ai la sensation que ce ne sont pas les miennes. Elles leur ressemblent, c'est vrai. Les mêmes bouts de doigts carrés, les mêmes ongles rongés, mais ce ne sont déjà plus les miennes. Tout mon corps n'est pas le mien, parce que je suis quelque part, au loin. Pas encore tout à fait revenu à moi, mais à mi-chemin. Parce que tous les hurlements qui me parviennent, bien que distants, m'entourent et m'enveloppent. Parce que je sais au fond de moi qu'il s'est passé quelque chose de moche, de tragique, sur ce foutu terrain de hurling. Les adultes se sont empressés de rejoindre l'herbe, on m'a poussé. Même si je n'y vois plus suffisamment, même si ma vision est affreusement floue, je les vois s'affairer tout autour des blessés. Des silhouettes chamarrées qui s'agitent, comme des drapeaux pour signaler que tout est fini.
Qu'on ne joue plus.

A genoux dans l'herbe, je n'y vois rien. Je ne ressens rien. Je suis vide, si vide que je me demande quand on viendra pour m'achever. Quand l'assistant social posera sa main sur mon épaule pour me dire que tout est fini, qu'il est temps de monter dans sa voiture pour partir loin, loin du monde, loin de ce qui aurait pu être une famille relativement normale. Andy m'a dépassé sans me voir, je le sais, j'ai reconnu sa silhouette alors qu'il courait vers Madden. J'aperçois sa chevelure noire, penchée au-dessus des docteurs, au-dessus de ce que je crois être une civière. Mais ça fait longtemps que mon coeur s'est arrêté de battre. Ca fait longtemps que personne ne s'occupe de moi. Ca fait longtemps que cette famille aurait dû se rendre compte, comme les deux autres avant elles, qu'elle ne veut pas de tout ça.
J'ai honte. J'ai froid. Je me sens vide. Je pourrais hurler, je pourrais pleurer, mais je n'en ai plus la force. La douleur à mon flanc le vrille, tord ma chair, mais je n'en fais rien. Tout ce qu'il me reste, c'est cette vision brouillée par des larmes qui ne tomberont de toutes façons pas. C'est cette honte qui me bouffe et m'empêche de respirer.

Jenna a tenté, elle a tenté de s'approcher de moi. La seule de notre équipe à avoir eu suffisamment de jugeote pour comprendre qu'il valait mieux rester hors du bain de sang. Je crois qu'elle est à côté de moi, peut-être qu'elle me parle, mais je l'entends pas. Parce que je le vois, lui, alors qu'on l'allonge sur sa civière pour l'entraîner à l'écart. Et, dans tout le brouillard de ma culpabilité, un flash d'une clarté absolue. Sa main qui glisse de là où les adultes l'ont placée, sur son estomac, et qui pend dans le vide.
J'ai froid.
J'ai peur.
J'ai honte.

Parce que tu vois, Zach, je peux pas m'en empêcher. J'aurais pu. J'aurais dû. Mais j'ai pas réussi. Je suis pas aussi fort que toi ou qu'Andy. Je suis pas aussi beau que toi ou qu'Andy.
Je le serai jamais, j'en suis incapable.


Alors je suis resté sur le terrain, les genoux dans l'herbe humide, le visage contre la terre. Les mains dans mes boucles blondes. Prostré comme un sage, mais un sage avec le QI d'un con. Parce que c'est ce que je suis, au fond. Un gros, un sale, un irréparable con. Un bouddha qui pleure, un moine qui pèche. Sauf que tous ces hommes, j'ai pas le quart de la moitié de leur intelligence, et encore moins leur compassion. J'ouvre la bouche, souhaitant laisser gronder le cri qui veut sortir, mais ce connard ne suit pas. Me refuse la moindre once de réconfort. Et même si je sens Jenna passer une main sur mon dos, elle ne me réchauffe pas.
Il n'y a que ça. Attendre la mort. Etre placé ailleurs. Après ce que j'ai fait, ça se comprendrait parfaitement.

Jusqu'à ce que Stones arrive. Un vrai sage, lui. Un Dieu. Je sens ses prunelles glaciales se poser sur moi, j'entends sa voix feutrée glisser doucement "Kyle, Zachary veut te voir..." Son accent de contrées bien plus chaudes que l'Irlande glisse sur sa langue, mais lui non plus ne suffit pas à me réchauffer. Ce n'est que lorsque les bras de mes amis se glissent sous les miens pour me relever que je comprends la portée de ses mots. Et, de tout le temps où ils me soutiennent jusqu'à l'angle du terrain où se situent les tables de l'infirmerie volante, je les fais tourner dans mon esprit. Zachary veut me voir. Zachary veut sûrement me faire voir à quel point je suis un imbécile, et il aura raison. Mais si je le vois, je verrai aussi la déception sur les traits d'Andy. Une expression que je ne suis pas sûr de parvenir à supporter.
J'avais envie de me précipiter à son chevet. Je crois même que je l'ai fait, avant que les adultes n'interviennent. Je sais plus, je suis vidé. Non, je l'ai fait, pour voir s'il était vivant, pour voir si le mal pouvait être réparé. Je l'ai secoué pour le réveiller, mais les adultes ont cru que je remettais le couvert. C'est là qu'ils m'ont poussé. Mais revenir maintenant qu'il est vivant, maintenant qu'il peut parler, ça me flanque la frousse. J'ai froid. Je crois que je vais gerber. Parce que j'ai tellement peur que tout s'arrête, au fond, j'ai tellement peur qu'il soit terrifié par ma seule présence, j'ai tellement peur de la voiture de l'assistant social, que je préférerais être ailleurs qu'avec lui. Qu'avec Andy.
Même Deirdre ça irait.

Andy m'appelle d'un geste de la main, et mes yeux s'embrument de larmes. Je ne chercher pas à capter son regard, la honte me bouffe, me ronge et me digère bien trop fort. Alors je baisse les yeux, pardon Monsieur, merci Monsieur, et traîne les pieds jusqu'au chevet du grand blessé. De ma victime. Les mâchoires serrées, je me retiens. De lui parler. De lui répondre. Je serre les poings, pour ne pas trembler comme une feuille. Il tente l'humour, ça le fait s'étouffer, ça me glace de l'intérieur.
Et je hoche la tête comme un con à ses paroles parce que je sais pas quoi lui dire.
Parce que j'ai rien à dire.

Tu vois Zachary, c'est ça que tu as toujours refusé de comprendre. C'est ça que je devais te montrer.
Qu'Andy aussi devait voir.
Cette noirceur qui sommeille, tapie quelque part au fond de moi. Qui menace toujours de se réveiller, et de tout défoncer.
C'est ça que tu devais voir.
Mais t'as pas l'air d'avoir compris. Il faut me laisser seul, il faut me laisser loin de vous. Loin de l'amour, de la tendresse, d'une vraie famille. Il faut pas m'accepter, il faut faire ce que tout le monde a déjà fait. Me repousser, encore et encore, parce que dans le fond c'est tout ce que je mérite.
Ce n'est pas "pas grave" ce que j'ai fait. Ce n'est pas "rien".
Mais vous le voyez pas, ni toi ni Andy.


Les choses s'accélèrent, le temps s'étire et se découd, comme un t-shirt comme arrache. Le sang qui coule des plaies, sur le visage de Zachary, se remet à pisser, et je suis incapable de le regarder plus longtemps. Je recule d'un pas, pour me pousser avant que d'autres ne le fassent pour moi. Puis d'un autre, pour me faire oublier. Je leur suis inutile. Foutez-moi la paix, laissez-moi seul avec ma culpabilité.
Ils parlent tous d'hôpital, d'urgences, d'appeler une ambulance. Andy est revenu au chevet de son fils, lui tient la main, glisse ses doigts libre dans ses cheveux. Jusqu'à ce que je voie de nouveau la main de Madden s'affaisser, lâchant la conscience et ce plan de l'existence. Comme au ralenti. Pâle. Aussi pâle que la mort. Sous la rupture du temps, les choses s'accélèrent de suite, puis ralentissent, puis s'accélèrent. Andy se tourne vers moi alors que l'ambulance charge Zachary, parce qu'il sait pertinemment que je vais fuir. Quelque part, loin de tout ça, loin d'eux, si j'étais pas tant dans le flou j'aurais déjà pris mes jambes à mon cou. Mais le regard d'Andy est sans appel. Et sa voix est bien trop douce, elle.

-Ca va aller, Kyle. Suis-moi, on part à l'hôpital.

Il est tendu, sa voix est rauque, éraillée, mais les grands yeux noirs me fixent avec intensité. Je me tords les mains et recule. Parce que c'est toujours pareil avec Andy. A chaque fois qu'il est aussi doux, à chaque fois que cette gentillesse dégouline par tous ses pores, elle se solidifie et me gifle en plein visage. Parce que les gens trop gentils n'existent pas dans mon monde, parce qu'à chaque fois j'ai dû le payer de quelque manière que ce soit. Il rompt la distance, et mon cœur se remet à battre. Violemment. Je lève les bras instinctivement pour me protéger le visage parce qu'il me terrifie. Le monde entier me terrifie.

Je ne sais pas quand ni comment je suis monté dans la voiture. Je ne sais pas si Andy a dit quelque chose, ou s'il s'est tu. Ca bourdonne dans mon crâne, ça travaille, ça cogite. A chaque fois que je ferme les yeux, c'est pour revoir le visage tuméfié de Madden, et ça me flanque la gerbe. On s'est peut-être arrêtés pour que je vomisse, avant d'arriver à l'hôpital. Ou pas. J'en sais rien, on y est, et le bourdonnement s'est intensifié.
Et la honte me lèche la peau, me colle tout autant que mes vêtements imprégnés de sueur. Et la peur électrise chaque goutte de sang, empoisonnant tout mon système. Ma côte me fait souffrir, mais j'ai bien plus mal au coeur. Parce que l'inéluctable n'est pas encore arrivé. Parce que tout ce qui va mal prend toujours son temps, se prépare avec la paresse d'une pétasse en route pour son premier bal de fin d'année, pendant des heures, jusqu'à entrer en scène à grands renforts de sono. J'ai pas envie d'entendre le Mal. J'ai pas envie que l'assistant social débarque maintenant.

Les odeurs d'antiseptiques, de produits d'entretien et de naphtaline nous entourent, les bruits lointains des infirmiers qui galopent çà et là comme une musique rythmant les gémissements atone des patients. Je hais les hôpitaux, les rares fois où j'y ai été, c'était jamais pour de bonnes choses. Les genoux ramassés contre mon torse, serrant les dents malgré mon flanc qui me ferait hurler de douleur, j'attends à côté d'Andy. Il pourrait faire comme les autres, il pourrait faire les cent pas en attendant que son fils soit pris en charge. Mais non. D'un calme olympien, il reste assis à côté de moi. Fait l'effort de maintenir sa respiration aussi calme que possible, même si elle est trop forte, même si je n'entends qu'elle. Alors je me resserre. Me fais plus petit. Je veux qu'il puisse faire le vrai père inquiet, lui aussi.
Qu'il m'oublie, lui aussi.

Parce que tu vois, Zachary, au fond, c'est ce qu'on est toi et moi. Des enfants.
C'est ça que tu as oublié, en jouant au grand. Ce que j'ai oublié en jouant au con.
On n'est que des enfants.
 

Et Andy de jouer les télépathes, alors qu'on n'a aucune nouvelles de Zachary. En silence, il déplie sa carcasse. Fait un pas pour me faire face, et se penche lentement vers moi. Les bras qui s'enroulent autour de mes épaules sont lents, prudents. Une invitation plus qu'une menace. Et c'est la goutte qui fait déborder le vase tout entier.
Je pleure, je sais pas pendant combien de temps. Je recrache la rage, la culpabilité, la honte, les laisse couler dans le cou d'Andy, les laisse inonder le col en rond de son pull. Les sanglots m'emportent trop brutalement, mes hoquets rebondissent contre ma côte fêlée et envoient des salves de douleur violentes dans mon flanc, mais je m'accroche à lui. Lui que j'ai envie de frapper, parce que ça me fait tellement souffrir, ses gestes. Lui sur lequel j'ai envie de hurler, parce qu'il est trop patient. Parce qu'il pourrait être le père dont j'ai envie, celui qui me manque, celui qu'on m'a arraché. Les larmes sont amères, elles sont trop nombreuses, elles sont sales. Parce qu'Andy sait, au fond. Il a toujours su que j'étais désolé.
Je voulais pas. Je voulais vraiment pas.
J'ai jamais voulu de tout ça.

L'orage finit par passer, mais Andy me retient toujours. Ses bras serrés tout autour de moi, ses doigts dans mes boucles blondes, il ne dit rien, mais il n'a pas besoin d'affirmer quoi que ce soit. Il est là. Il n'ira nulle part. Il n'a pas besoin de me dire qu'il n'y aura pas de prison, qu'il n'y aura pas d'assistant social, qu'il n'y aura pas de nouvelle famille d'accueil. Et ça me soulage autant que ça m'arrache le coeur. Parce que j'ai pas été conditionné à croire à tout cet amour incroyable, cet altruisme sans précédent. J'ai été conditionné à être con, et à vivre au milieu des salauds. Et Andy est tout sauf un salaud.
On reste blottis comme des oisillons pendant quelques minutes de plus où je respire enfin, le nez dans son cou. Jusqu'à ce que le lit arrive, avec Zachary dessus, et qu'on nous indique la chambre. Les yeux encore gonflés, encore rougis par les larmes, je suis le mouvement en silence. M'adosse à un mur dans un coin de la pièce pour qu'on m'y oublie. J'suis un meuble, madame l'Infirmière. Un meuble qui parle, un meuble qui pleure et qui est responsable de l'état de l'ado dans le lit, là, mais un meuble quoi qu'il arrive.

Les adultes nous abandonnent, et je me retrouve seul face à mes erreurs. La gorge serrée, je reste sciemment contre mon mur, dans l'ombre. Peut-être que Zachary ne m'a pas vu, qu'il ne sait pas que je suis là. Pourtant sa voix s'élève au-dessus du lit, dans lequel il est tellement enfoncé que je le voix à peine. Ses yeux sur mes mains me brûlent.

-C'est rien, ça va passer.

Ma gorge est tellement serrée que je coasse, qu'il m'est impossible de prétendre aller bien. Ce serait pas si compliqué de lui dire à quel point je suis désolé, de lui proposer d'aller lui chercher un verre d'eau ou de disparaître définitivement, s'il le souhaite. Au fond, c'est Zachary que j'ai défoncé. Si c'est lui qui émet cette nécessité, ni Andy ni moi n'y pourrons rien changer.
Et pourtant Madden continue. Madden et sa foutue insolence, à lui aussi. Dans un reniflement, j'essuie mes yeux. Je sais qu'il l'a vu. Il voit toujours trop de choses, ce connard.
Tout comme il dit toujours trop de choses. Ca fait clic, dans mon esprit. Et la chaleur revient dans tout mon corps.
Une trêve n'a pas forcément besoin de se faire à grand renforts de poignée de main virile ou de calumets de la paix. On a pas forcément besoin de signer un traité avec son sang. Des fois il suffit d'une réflexion foireuse sur les hostos. Et ça n'en est pas moins une trêve. En tous cas, ça me pousse à m'approcher du lit. Mes pas sont douloureux tant ma côte me tire, mais je prends sur moi, encore. Je veux pas qu'on me plaigne alors que Zachary est bien plus amoché que moi.
Bien plus mal que moi.

-Pareil, ça m'fout les boules les hostos. Mate comme je tremble, j'ai dû croiser un fantôme !

Je lève une main tremblante d'émotion vers l’œil le moins gonflé, même si on sait tous les deux que c'est pas les esprits qui provoquent ça. La sueur glaciale qui coule dans mon dos est bien trop concrète pour appartenir à un fantôme. Pourtant, ça n'empêche pas d'essayer de détendre un peu l'atmosphère.
Pour notre bien à tous les deux.

Je suis désolé, Zachary. Désolé pour tout ça. Si je tremble, c'est pas parce que j'ai froid. C'est parce que j'ai peur. Peur d'avoir tout ruiné encore une fois.

-Andy te laissera jamais ici de toutes façons. La bouffe est trop dégueu. Au pire on te poussera en scred jusqu'à la sortie quand les toubibs auront le dos tourné.

Ma voix se délie, à mesure que je parle. Devient plus claire, plus nette, moins cassée. Mes pensées moins confuses. Pour la première fois depuis qu'on est partis loin du terrain, je contemple la gueule fracassée de mon frère. Je l'ai pas loupé, les médecins l'ont confirmé. J'aurais pu le tuer, vraiment le tuer, si j'avais continué de le jeter au sol comme je l'ai fait. Le coup du lapin, même si t'as un casque, t'en es pas forcément protégé. Et moi mieux que personne suis bien placé pour savoir qu'une vie, ça prend pas tant de temps que ça pour la voler. Quelques minutes tout au plus.
La boule se reforme dans ma gorge, mes yeux s'embrument de nouveau. Je me mords l'intérieur de la joue en détournant le regard, le temps d'inspirer un grand coup pour m'empêcher d'avoir l'air plus con que je le suis déjà. Ma voix chevrote malgré moi.

-Andy te laissera pas là... Je... Je te laisserai pas là.

Je te laisserai pas mort.

-Et... Et si les toubibs font chier pour que tu restes je... Je leur pète les rotules...

Il n'y à aucune combativité dans ma voix. Ca n'en reste pas moins une promesse. Je presse mes paumes contre mes yeux, inspire difficilement. Le plus profondément que je peux. Ca monte, ça croît, ça veut exploser. Cette putain de culpabilité.

-C'est quoi votre problème, à toi et Andy bor...bordel ... Pourquoi vous êtes aussi coulants avec moi ?

Parce que j'ai mal. J'ai tellement mal de t'avoir fait ça, Zach. Je suis tellement désolé, pour ça, et pour tout le reste.  


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Elles sont longues les minutes quand on respire mal. Elles sont longues, quand on a pas ses repères, que la morphine commence doucement à s'installer partout dans notre système. Elles sont longues ces minutes où notre corps nous appartient plus vraiment, où on ne semble plus appartenir au monde vraiment non plus. C'est affreusement long, ce temps, avec la gorge sèche sans qu'on se souvienne si c'est parce qu'on a pleuré ou hurlé. C'est incroyablement long, ce foutu temps où tout est flou et qu'il ne nous reste que des murs blancs autour de nous.

J'ai toujours trouvé ça con de foutre du blanc partout. J'veux dire, quand on sait plus où on est, on a besoin d'être rassuré. Et cette belle image de blanc immaculé, on a un peu l'impression qu'on est mort et qu'on attend le jugement dernier, un truc du genre. Alors généralement, il faut quelqu'un, quelque chose, pour trancher avec ce blanc. Quelque chose qui nous ramène à la réalité et nous rappelle que la moindre douleur est bien réelle, qu'on est bien vivant. Et ce truc qui me ramène à la réalité, maintenant, c'est Kyle, mon frère. Je suis soulagé de le voir là, alors qu'Andy quitte la pièce. Soulagé qu'ils aient pas décidé à notre place de l'emmener je ne sais où, parce que je voulais tout, sauf qu'il parte.

Kyle fait peur à voir. Bon, peut-être pas autant que moi, j'en sais rien. Mais il est pâle, il tremble. Il a les mains bousillés et je crois me souvenir lui avoir mis quelques coups aussi. Mais peut-être que c'était pas aujourd'hui. Foutue morphine. Je soupire et tente de me tenir un peu plus droit, les mâchoires aussi serrées que possible alors que Kyle se rapproche, il casse la distance, et je respire un peu mieux. Parce que même si j'arrive pas vraiment à le dire, j'ai pas peur de lui, j'ai tout, sauf peur de lui. Je tourne lentement la tête vers lui alors qu'il me fait une remarque qui m'arrache un rire, puis une toux, puis un grognement. Décidément, aujourd'hui on ne peut plus rien faire ou quoi.

Je lui adresse un sourire maladroit, pour lui montrer que malgré ma toux, ça va. Parce que c'est ça la vérité, ça va. Ça va aller, je vais sortir de là, soigné, et j'lui foutrais un poing dans la gueule pour lui péter une dent à mon tour. Dent pour dent, qu'ils disent les gens. Il faudra juste être un peu patient. Kyle continue, avec cette voix un peu trop cassée, que je n'ai pas la force de couper. Il parle d'Andy, du fait de pas me laisser ici et quelque part, ça me rassure qu'il veuille ça aussi.

Et puis il y a cette phrase, cette phrase maladroite sur les toubibs qui me fait un peu plus sourire, suivie de la pire peur au monde, celle qui serre le cœur, qui retourne les tripes. Et puis il y a la morphine, qui commence à faire salement effet. Je tourne les yeux vers lui et à tâtons, je cherche sa main pour l'attraper. La perfusion me gêne mais mon autre poignet est dans une attelle, alors tant pis. Des gestes maladroits et incertains, sans doute trop grands et peut-être un peu trop brusques alors que je finis par attraper sa main. Dans ma tête, je serre suffisamment fort pour qu'il sente la pression, dans la réalité, je ne suis absolument pas sûr de faire quoique ce soit de concret, mais peu importe, le geste y est.

Je ne cherche pas à regarder ses yeux, parce que je sais qu'il n'aime pas ça. Je ne cherche pas à lui faire entendre des trucs que je ne dis pas, parce que là, j'y arriverai pas. Alors je me décide à parler – l'avantage, c'est que j'oublierai probablement la moitié de ce que je vais lui raconter.

« On est pas coulants, Kyle. » Mes mots se coupent de pics encore douloureux, ma voix est sans doute moins claire que je ne le voudrais, mais je m'en fous. C'est de mon frère dont il s'agit, et la famille, jamais on la laisse tomber. « On fait tous des conneries, t'es pas un monstre ou j'sais pas quoi. » Je tente de serrer un peu plus sa main et je reprends. « T'es pas celle qui t'as élevé. T'es pas un monstre, c'est juste toi qui l'vois pas. », j'esquisse un sourire et j'ajoute, sans doute pas vraiment dans le bon moment. « Et peut-être certains de tes potes mais faut avouer qu'ils sont particulièrement cons. » J'aurais pas du dire ça mais j'arrive pas à m'excuser pour autant.

Alors je tente de me redresser un peu plus pour m'asseoir et ma tête tourne, un peu trop rapidement. Je prends quelques secondes d'adaptation alors que j'ai l'impression de n'avoir aucun équilibre. Putain de morphine. « Mec, t'es mon frère, que ça te plaise ou pas. Andy... Andy il t'a pas choisi au hasard, pas non plus pour te jeter demain, même si tu tentes de me buter dans mon sommeil. » Donnons lui des idées, tiens, des fois qu'un jour ça le tente de jouer avec les limites. « Il se battrait pour toi au tribunal pour dire que c'était de ma faute. J'en suis persuadé. » Ma mâchoire me lance affreusement et pourtant, je ris à ma propre phrase. Parce que oui, je suis persuadé que si demain, l'un de nous venait à mourir et que l'autre était accusé de sa mort, Andy se battrait corps et âme pour préserver celui qui reste, celui qu'il peut encore un peu protéger.

« T'es pas une erreur de dossier. T'es son fils, et Andy il laisse pas partir ses fils. » Je baisse les yeux en me rappelant difficilement la cicatrice dégueulasse de mon poignet, cachée par l'attelle et je continue, toujours aussi calmement. « J'ai essayé avant toi, Kyle. J'ai essayé et j'ai cru plus d'une fois qu'il me laisserait et regarde putain, regarde où on en est. » J'aurais aimé lever les yeux, pointer le monde du doigt, mais j'en suis pas capable, alors je me contente de relever le regard, tendre ma main qui tire sur la perf pour caler son menton face au mien et continuer, dans ce flou toujours un peu approximatif. « Perds pas autant de temps que moi, Kyle. T'es notre famille maintenant, et rien changera ça. » Je passe une main imprécise sur sa joue, pour poser ma chaleur sur son froid glacial. Froid qui me cause un frisson qui me rappelle un peu à l'ordre et me fait me reculer, me poser à nouveau contre mon oreiller.

Fermer les yeux quelques instants.

Parce que tu vois, Kyle, tu pourras te battre autant que tu voudras, tu pourras faire tout ce que tu voudras, ça changera rien. On partage peut-être pas le même sang – quoi qu'avec le nombre de coups qu'on se colle, c'est peut-être arrivé, mais t'es mon frère. Le vrai. Celui pour qui je me prendrai une balle, même dix. Tu sais comment je le sais, comment je l'ai toujours su ? Parce que tu m'emmerdes au plus haut point. Parce que tu m'agaces tellement que parfois, j'aimerais pouvoir te faire taire en un battement de cils. Mais aussi parce que je t'entends pleurer le soir et que ça me brise le cœur. Parce que j'donnerai mon âme pour que tu souffres moins et que t'arrives à te sentir en sécurité.

Parce que quelque part, j'ai envie d'être ton sentiment de sécurité. J'ai envie d'être celui sur qui tu peux t'appuyer, celui sur qui tu peux compter. Je me fous de tes blessures, de ce que t'as pu faire te dire. Je me fous que tu veuilles me tuer, tant que tu sais que tu peux toujours compter sur moi, ça me va. Parce que c'est ça, la vérité, c'est que dès ce premier jour où tu m'as gonflé toute la journée, ce premier jour où je t'ai entendu t’étouffer dans ton oreiller la nuit, ce premier jour où j'ai compris que cette haine, je l'aurais peut-être aussi si j'avais pas eu Andy. Si j'avais pas connu ma famille si jeune, si rapidement. J'ai compris qu'au fond, on était pas si différents toi et moi, t'avais juste subi trop longtemps, bien trop longtemps la vie comparé à moi. Et quand j'ai compris ça, j'ai compris que j'abandonnerai pas. Andy n'a jamais baissé les bras pour moi, pas une seule fois. Il ne m'a jamais laissé croire qu'il passerait à un autre gamin quand il se lasserait de moi.

Et j'ai voulu que t'aies la double dose, avec Andy et moi. Parce que t'as subi ta vie deux fois plus longtemps, deux fois plus douloureusement que moi. Alors t'as besoin de deux fois plus de preuves, de sûreté et d'amour. Et j't'assure Kyle, même si je te l'avouerai sans doute jamais, depuis le premier jour, je sais pertinemment que je te laisserai pas tomber. Parce que t'es mon frère, c'est comme ça.


Ma main lâche un peu plus prise sur celle de mon frère tandis que j'ouvre à nouveau les yeux sans savoir si une seconde ou dix minutes se sont écoulées. Je me râcle un peu la gorge, et je reprends maladroitement. « J't'ai raconté la fois où j'me suis retrouvé à l'hôpital ? », je n'attends pas vraiment de réponse. C'était pas tellement notre genre, les confidences sur l'oreiller. « J'avais neuf ans, ça faisait à peine deux ans qu'Andy m'avait récupéré. Et j'avais qu'une peur, c'était de me retrouver à nouveau baladé. » Je garde ma main sur la sienne malgré tout, de ce contact que je ne recherche quasiment jamais, et qui me semble essentiel en cet instant. « J'étais à l'école et y a... y a un gosse qu'a dit que j'avais pas de parent alors j'étais pas normal. » Je tente difficilement de cacher mes grimaces autant que les images qui me reviennent derrière mes yeux boursouflés et fatigués. « J'ai pas réagi parce que j'pensais que si j'me défendais... Andy allait m'laisser. Et puis, les gamins sont devenus vraiment méchants, et ils m'ont poussé. J'suis tombé des escaliers, le poignet en avant. J'avais une fracture ouverte. C'était moche, encore pire que ta tête qui me fixe maintenant. » Je presse un peu ma main contre la sienne avant de reprendre. « Alors on m'a amené à l'infirmerie, et j'ai dit à tout le monde que j'étais tombé, sans faire exprès. Andy est arrivé en catastrophe et il m'a amené à l'hôpital. Tu te doutes qu'il a pas cru à mon histoire. Et tu sais ce qu'il a fait ? » Cette fois-ci, mes yeux cherchent vraiment les siens, pour lui montrer que je suis sincère, vraiment sincère. « Il m'a pris dans ses bras, sans un mot, et il m'a laissé pleurer, pendant des minutes tellement longues, sans jamais me laisser, pas une seconde. » La pression de ma main sur la sienne ne bouge pas, alors que je finis par dire, doucement. « C'est là que j'ai compris qu'il m'abandonnerait pas, peu importe ce qu'il se passait. Andy nous a choisi et il nous donne pas le choix. »

Je marque une pause, le temps de reprendre mon souffle et tenter de rassembler le peu d'esprit qu'il me reste. Putain de morphine. Mais j'arrive malgré tout à articuler dans un soupir. « J'te donne pas le choix. »

Parce que c'est ça, la vérité, Kyle. C'est que peu importe ce que tu penses de toi, peu importe ce que tu vois dans le miroir quand tu te regardes, tu changeras pas notre regard à nous, mon regard à moi. Tu m'enlèveras pas de la tête ce gamin paumé, en colère, qui a pas eu le droit à l'enfance qu'il méritait. Tu m'enlèveras pas du fond des yeux, ce gosse triste, parce qu'il sait pas ce qu'il a fait pour mériter ça. Et faut que tu comprennes que quoique tu fasses dans ta vie, quoique tu fasses à chaque minute de ton existence, jamais tu méritais ça, jamais tu mériteras ça. C'était injuste et dégueulasse et moi, c'est à ceux qui t'ont fait du mal que j'ai envie de péter les rotules. Parce que tu méritais pas ça, parce qu'ils étaient trop cons, trop méchants mais que tout ça, c'est pas toi. Tes douleurs ne te définissent pas, tes peurs ne te façonnent pas. Tu n'es pas ce qu'il existe de négatif en toi, non, t'es tout ce qui est positif et qui brûle au fond de ton foutu regard.

« On a fini le match ? »

Question complètement stupide et certainement pas en adéquation avec le moment. Mais entre la morphine, le trop plein de sentiments, la fatigue et la douleur. Il faut pas non plus trop m'en demander. « T'as vraiment une tête de cadavre, laisse moi appeler une infirmière. » Je gigote un peu dans le vide, cherchant désespéramment le bouton pour appeler un docteur, j'en viens même à me dire que si je ne le trouve pas, j'ai qu'à hurler. Normalement, si on hurle dans un hôpital, y a bien quelqu'un qui finit par arriver non ?
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J’ai beau m’être rapproché de lui, Zachary semble minuscule. Comme si le lit dans lequel on l’a foutu le dévorait tout entier, ne laissant plus dépasser que l’extrémité de sa tignasse ou le bout de ses orteils. Je l’ai pas loupé, j’ai frappé tout ce que j’avais, et il est là, le résultat. Il fait mal, le résultat. Vraiment très mal.
Ce n’est pas qu’une question de honte ni même juste de la culpabilité. Ce que je vois devant moi, c’est un reflet. L’empreinte de la haine, le chaos qui m’habite depuis toutes ces années en personne. Bonjour, Laideur, moi c’est Kyle. Ton sosie. Parce que Zach ressemble au monstre de Frankenstein, une créature toute rafistolée de partout, et je suis pas loin d’être le même type de bestiole. Ca se voit pas, de l’extérieur, et pourtant, à l’intérieur, c’est bel et bien ce que je ressens. Pourtant, c’est pas ça qui fait le plus mal.

C’est ce sourire, un peu tordu, un peu trop faible, qui s’étire douloureusement sur les traits défoncés de Madden. Un sourire que j’ai eu envie de fracasser hors de sa jolie gueule, quelques heures plus tôt. Que j’ai failli réussir à ravager entièrement, juste parce qu’il me faisait chier. Parce que le monde me faisait chier. S’il lui manque une dent, ça se voit pas. Peut-être que c’est une molaire qui a sauté, ou tout simplement que mes yeux sont trop embrouillés pour que je parvienne à le voir. Mais même sans elle, même avec ça, il continue de forcer son putain de sourire. Et j’en ai des frissons. Des frissons de dégoût.
Sa main s’élève difficilement, vole dans ma direction. Et je réagis comme à mon habitude : comme un con. Comme un gosse qui a peur de se prendre une raclée, parce que c’est ce à quoi la vie m’a rodé. Quand tu fais une connerie, même quand tu n’en fais pas, tu assumes. Tu prends ta baffe, tu serres les dents. T’attends la suivante et tu pries pour que ça t’envoie pas sur le carreau. Mais la main de Zachary est pire qu’une bonne branlée. Parce qu’elle est douce. Parce qu’elle se pose sur mon poignet avec la paresse de la morphine, mais la tendresse du pardon. Parce que chaque parcelle de mon épiderme qui touche sa peau brûle atrocement. Je ne mérite aucun pardon, pour ce que j’ai fait, encore moins de sa part, et pourtant ce connard semble décidé à me faire comprendre que si. C’est ça qui fait le plus mal.

C’est ça qui m’a toujours fait mal, depuis que je suis arrivé dans cette putain de baraque. Depusi que j’ai croisé Andy et Zachary. Tout ce pardon, cet amour dégoulinant, cette putain de pitié qui se lit dans leurs yeux quand je suis trop con. La raison pour laquelle je me pose toutes ces questions, et pourquoi j’ai autant besoin de tout détruire. Je ne suis pas à ma place, dans leur monde, je...

Ses mots m’enveloppent, m’étreignent et me broient alors que sa poigne s’intensifie faiblement sur ma main. J’ai envie de la lui arracher et de hurler. De lui en foutre une, quitte à accentuer le mal, quitte à régler nos comptes à tous les deux une bonne fois pour toutes. Et pourtant. Pourtant toute sa putain de connerie de gentillesse me cloue sur place. Me noue la gorge alors que ses bons sentiments me broient l’âme. Serré dans l’étau de ce qu’il dégage, cette maudite vérité implacable qu’il me balance en pleine figure, je me sens minuscule. Je me sens...
Comme un gosse.
Un putain de gosse.

Parce que tu vois, Zachary, ça fait mal. Ca fait mal de voir que même avec tout ce qui se passe, même avec toute ma haine, tu arrives à te frayer un chemin à travers la carapace de merde qui me sert d’armure. Au fond, c’est ça que je hais le plus, chez toi. Ta maudite perception trop juste des choses, de moi.
Ta maudite facilité à me faire comprendre qu’au fond, je suis peut-être un humain comme un autre. Juste un gosse qui cherche désespérément à me raccrocher à quelque chose d’important, une parcelle d’amour, un éclat de tendresse. Et si je cherche, cherche la merde, tu reviendras toujours me balancer la beauté du monde et de tes sentiments dans la figure.
Mais Zachary, tu comprends pas. J’ai envie de tout ce que tu dis, j’ai envie d’être important pour vous. J’ai tellement envie de tout ça que ça me bouffe, que c’est pire que la haine, c’est pire que la colère, c’est pire que les coups. Parce que l’espoir c’est de la merde, Zachary, c’est une putain de merde noire. L’espoir fait bien plus mal que l’indifférence.


Il parle, et sa voix est un filet faible, inconstant, à peine audible. Mais il parle, et continue de broyer mon coeur entre ses doigts, à chaque mot qui sort de ses lèvres fendues. Il parle, me parle d’Andy, me parle de famille, de concepts qui me semblent si lointains qu’y croire serait comme de croire encore que le Père Noël existe. Les sentiments, la famille, l’amour filial, tout ça c’est du passé. De vieux souvenirs qui font aussi mal que tout le reste, qui n’ont plus aucune importance dans ce monde de noirceur. Mais pas pour Zachary.
Parce que Zachary révèle la lumière. Parce que Zachary dissipe les ténèbres, de sa voix éraillée, avec ses doigts enfoncés faiblement dans ma chair et son regard trop marron, trop expressif. Trop bouffé par la morphine.

-Tu te plantes, connard. J’ai plus de famille depuis longtemps.

Parce que c’est ça, la vérité. On m’a enlevé ma mère, les rayons dorés de ses cheveux, le miel de sa voix enchanteresse. L’éclat nacré de ses écailles. On m’a enlevé mon père, ses bras qui chassaient les cauchemars, son rire tonitruant qui secouait les murs de notre petit appartement. On m’a enlevé l’amour, le foyer, la douceur et la joie. Ce n’était pas qu’une illusion, ce n’était pas une crise d’ado à la con, c’était les faits. Tout ce qui fait une famille, je n’ai plus ça depuis des années. Et Andy, Zachary, même si j’en crève d’envie, ne sont pas ma famille.
Ne le seront peut-être jamais.

Mais comme toujours, les yeux trop grands, trop marrons de Zachary recroisent les miens. Me sondent, déshabillent mon âme et me tassent encore d’avantage dans ma chaise. Parce que je me sens petit, si petit, quand il me regarde comme ça. Parce que je me sens retourner en enfance, je revois les policiers dans leurs uniformes hausser un sourcil dans ma direction alors que j’ai le sang de mon père plein les mains. Parce que je revois leurs expressions d’adultes me rappeler qu’au fond, tout ce que je suis, ce n’est qu’un enfant. Pourtant il y a autre chose dans les yeux de Madden. Il y a cette lueur de compassion qu’aucun adulte que j’aie croisé depuis la mort de mon père n’a jamais eue.
A part Andy.
Une lueur qui fait si mal. Si mal...

J’ai envie de te croire, Zachary. A chaque fois que je vous vois être une vraie famille, Andy et toi, j’ai envie de croire que j’ai ma place parmi vous. Qu’on peut être une famille à tous les trois. Qu’on peut rire, pleurer, vivre tous les trois ensemble.
J’ai envie de tout ça, à en crever. Mais on s’est rencontrés trop tard, tous les trois. Je ne suis plus capable de faire confiance, je ne suis plus capable de croire le gamin trop naïf qui pleure en silence dans un coin de mon esprit.
Et ça, tu refuses de le comprendre. Parce que dans toute cette catastrophe qu’est notre relation, tu es capable de le voir, ce foutu gamin.
Mais ça, je veux pas. Je veux plus.
Je suis fatigué, Zachary. Même pas ton âge, et même plus ton optimisme. Epuisé par le monde.


Ma gorge est trop serrée pour que je parvienne à dire quoi que ce soit, alors je le laisse parler. Tente à plusieurs reprise de m’extraire de sa poigne, en vain, ses doigts arrimés dans ma peau comme les serres d’un rapace. Son contact m’est insupportable. Sa douceur m’est insupportable. Mais ça l’empêche pas de continuer, ce connard. Comme si ce qu’on lui a donné lui filait des ailes. Il parle comme il n’a jamais parlé, d’habitude on n’échange que quelques insultes et on s’arrête là. Et s’ils me blessent, ses mots m’accrochent. Désespérément.
Je me sens si con. Encore plus con que d’habitude, alors qu’il relance sa propre conversation, rebondissant sur une anecdote qu’on ne s’est jamais confiée. Surpris par sa question, je relève les yeux que j’avais abaissés vers mes chaussures et le dévisage. Parce que c’est pas nous, ça. Les confidences, les souvenirs, le partage, tout simplement. La seule chose qu’on partage, c’est des coups de poing. Pas des blessures. Pas ce type de blessures. Les restes de mes forces captés par sa voix, je l’écoute attentivement. Sa main sur la mienne n’a plus la même intensité, le contact ne me brûle plus autant qu’il le faisait auparavant. Je n’ai plus autant envie de m’en extraire, au contraire. J’ai envie de rester, de l’entendre, de le comprendre. Parce que ce qu’il raconte, à mesure que le souvenir se déroule et se disperse entre nous, est bien trop proche de ma réalité. Un univers en dents de scie, serré en étau entre la violence du monde extérieur et l’affection démesurée du même homme. Andy, celui qui est capable de panser les blessures même les plus vieilles. Andy, l’épaule sur laquelle chialer.
Andy, celui qui nous a choisis tous les deux, pour une raison qu’on est pas foutus de comprendre parce que c’est la sienne.

Ma gorge se serre, les larmes reviennent embrouiller ma vision. Je sens la morsure du regard trop marron dans mes yeux vitreux et, sans même le voir, je suis capable d’en deviner la clarté. Un brasier qui me lèche l’âme, ses flammes embrasant bien trop intensément ce qui me reste de noirceur.
Peut-être que je cède. Juste un peu. Une larme ou deux, silencieuses, parce que même si j’ai envie d’y croire, je sens au fond de moi que tout ça c’est du chiqué. C’est magnifique, tout ce qu’il raconte, l’autre connard, mais j’ai pas la force d’y croire. Ni maintenant ni plus tard. Il s’est passé trop de choses dernièrement, j’ai épuisé mon potentiel connerie autant que ma résistance pourtant relativement élevée à la douleur. Ma paume se retourne sous la sienne pour serrer ses doigts brièvement, avant que j’ôte ma main pour écraser mes larmes de gosse. J’en ai marre d’eux. J’en ai marre de leur bonté.

J’en ai marre de lutter.

Et, comme si rien ne s’était passé, une nouvelle question. Croisant mes bras sur ma poitrine, je m’affaisse dans la chaise. Expulse douloureusement tout le souffle que j’ai retenu en écoutant les confidences de Madden, ma côte me rappelant avec vigueur qu’elle est fêlée. Dans une grimace, je réponds, la voix éraillée par un mélange de douleur et d’émotion :

-Nah, le match a fini en bain de sang, mais techniquement on menait. Autant sur les points que sur le nombre de victimes.

C’est plus fort que moi, un rictus passe sur mon visage. Parce que c’est plus simple, au fond, d’être ce qu’on a toujours été. C’est plus simple pour moi d’être un connard, parce que j’y suis habitué. J’aurais ricané, mais tout ce qui a été confié dans cette maudite chambre d’hosto et la douleur dans mon flanc m’empêchent de respirer. Comme quoi le décompte du nombre de cadavres est à deux doigts de s’équilibrer entre nos équipes, si jamais je tourne de l’oeil. Et ma fierté lui refuse cette victoire, parce qu’il a trop gagné sur beaucoup d’autres fronts, aujourd’hui.
Il a gagné un peu plus de respect, avec ses conneries. Juste un chouia. Je me garde bien de le lui dire, pour autant. Il serait bien capable de me le renvoyer en pleine gueule dès qu’il verrait une brèche. Il est fourbe comme ça, ce sombre con.

Je le vois commencer à se tortiller, une nouvelle idée à la con traversant la fraction de cervelle qui sommeille sous sa tignasse hirsute. Appeler une infirmière, il est sérieux ? Moins lestement que je l’aurais voulu, j’abats une main sur la sienne pour l’empêcher de mener son plan à exécution. Le mouvement, trop bref, libère une saillie de douleur dans mon flanc qui me fait grimacer. Pourtant je tiens bon. Pourtant, je retiens ses doigts avec les quelques forces que j’ai encore, ignorant les tremblements et la sueur froide qui étreignent tout mon corps. D’un regard dur, les mâchoires serrées, je marmonne tout bas :

-Arrête ça Madden, je vais parfaitement bien.

C’est faux, on le sait tous les deux. Mais ce dernier sursaut de fierté, c’est la seule chose qu’il me reste après ses grands discours qui m’ont torpillé le cerveau et refait battre le coeur un tout petit peu trop fort. Je serre mes doigts autour de sa main, la ramène d’autorité sur son torse, sans le lâcher des yeux. Parce que je veux qu’il comprenne.

Je veux que tu comprennes que tu en as déjà assez fait.
Que tu en as déjà trop fait.
Que je mérite pas d’avantage de douceur, de gentillesse ou de pitié.
Que si tu fais encore quelque chose pour moi, je vais finir par perdre tout ce qui me tient encore debout.
Et finir par te croire.
Alors laisse-moi, pour une fois.
Laisse-moi assumer mes conneries.


Je le sens aux vibrations de ma lèvre inférieure, que je suis à deux doigts de tomber dans les vapes, mais je tiens bon. Relâche la main du brun au cœur plus gros que la maison que j’ai jamais eue sur son torse, et fourre les miennes dans mes poches en me redressant difficilement. J’ai beau agir comme une tête de mule, je sens l’intensité de son regard sur moi, alors que j’essaie vainement de donner le change. Marmonne distraitement, détournant mes yeux vers la porte de la chambre pour qu’il ne voit pas mon visage trop pâle :

-La dernière fois que j’étais dans un hosto, j’étais seul.

Pourquoi je lui dis ça ? J’en sais rien. Peut-être en contrepartie du cadeau qu’il m’a fait, un petit soupçon de qui je suis vraiment pour qu’il comprenne à quel point c’est sans espoir, tout ce qu’il raconte. A quel point il n’y a rien à sauver, à part sa vie à lui.

-Deux côtes bousillées, une épaule en vrac, la mâchoire déboîtée.

Les mots filent tout seul, alors que je sens le regard vitreux du drogué à côté de moi brûler ma tempe. Au loin le murmure de voix masculines dans le couloir. Quelques martèlements de pas d’infirmiers qui courent, le bourdonnement rassurant de la voix d’Andy. Les grands yeux marrons qui me fixent me réchauffent étrangement, tout autant que l’écho du ronronnement chaleureux qu’est la voix de l’asiatique qui nous a pris sous son aile. Si je ne bouge pas trop, si je reste dans cette position, ma côte me lance moins. Me coupe moins la respiration. Alors je poursuis à voix basse, sans bouger. La porte de la chambre, bien trop familière à mon goût, n’a pas l’air de vouloir s’ouvrir de sitôt. Tant mieux.

-Deirdre a dit à tout le monde que j’étais tombé dans les escaliers, un peu comme toi. Sauf qu’on savait elle et moi qu’elle avait mal visé, cette fois-là. Ou peut-être qu’elle avait trop bien visé, va savoir.

Je hausse légèrement les épaules, m’arrête quand la douleur revient vriller mon flanc et m’arrache une grimace douloureuse. Le sang bouillonne, vient cogner contre ma tempe. Laissant les frémissements de l’inconscience s’apaiser dans ma mâchoire inférieure, j’attends que ça passe et poursuis, inlassablement. J’ai aucune idée de pourquoi je lui raconte tout ça.

-Pendant des jours, j’ai maté la porte de la chambre. Comme si en la fixant, elle finirait par s’ouvrir par magie sur ma mère ou mon père. Mais la magie c’est pour les bébés, en vrai à chaque fois qu’elle s’ouvrait c’était pour faire entrer une infirmière.

Leurs regards empreints de pitié étaient insupportables parce qu’elles savaient, au fond, ce qu’il s’était vraiment passé. Que j’avais plus de père, plus de mère. Que personne ne viendrait me chercher. Je soupire, ferme les yeux juste quelques secondes. J’y ai passé des jours dans cette chambre. Pas pleuré une seule fois, pour autant. A quoi ça aurait servi ? Ca aurait pas fait revenir mes parents.

-C’est même pas elle qu’est venue me chercher quand ça allait mieux, c’était le prêtre du coin. Elle, elle était trop occupée à crâner devant ses copines vieilles peaux en leur disant qu’elle venait m’lire des bouquins tous les jours et qu’elle avançait le fric pour que j’sois hyper bien pris en charge, des conneries de salope, quoi.

Lorsque la porte de ma piaule s’est ouverte sur le Père Matthews, sa petite tête de cochon passant l’encadrement, j’sais pas ce qui m’a pris. J’ai nié en bloc, quand il m’a demandé si c’était la faute de Deirdre. J’avais pas à la protéger, j’le savais. Mais j’ai nié, parce que c’était trop difficile d’admettre que j’avais plus de famille. Il a pas insisté. Il m’a aidé à faire mes affaires et on s’est tirés. Mais à ce moment là, et sans jeux de mots de merde, ce petit gros en soutane c’était littéralement ce que j’avais encore de plus proche d’un père.

C’est pour ça que je peux pas accepter tout ce que tu racontes, Zachary.
Que je peux pas accepter ton aide, ni celle d’Andy, ni votre amour, ni votre famille.
J’dis pas qu’un jour ça me passera pas, qui sait, peut-être qu’à force de creuser, vous allez bel et bien finir par rester au fond de mon coeur.
Mais j’ai pas la force d’y croire, aujourd’hui. Demain, peut-être.
Mais pas aujourd’hui.


-Y’a des mecs comme Andy, comme le Père Matthews, ils ont été bercés trop près du mur. Ca a niqué leur instinct de préservation. Fais pas la même connerie, Madden. J’suis pas ton frère et même si soit disant tu m’donnes pas l’choix, c’est du pareil au même. C’est la biologie, la génétique, j’sais plus, j’ai pas suivi les cours de SVT. Mais on est pas de la même famille, et on le sera jamais.

Ma voix est acide, bien plus que je le veux. Parce que l’amertume de cette réalité là, bien trop concrète, ronge ma gorge de bile. A moins que ce soit la nausée qui grimpe à cause de la douleur. Je suis plus vraiment à ça près.
Des pas résonnent dans le couloir, s’approchent de nous. J’arrête de fixer la porte, penche la tête en arrière pour me concentrer sur le plafond de la piaule, à la place. J’ai pas envie de sentir mon coeur se remettre à battre comme le tam tam de l’espoir.
J’ai passé l’âge de croire que mon père viendra me chercher.

-Ton père arrive, j’espère qu’on va se tirer vite fait de ce putain de cauchemar.



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« Can't kill us » KylexZach
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