Never read a book by its cover MORRIGAN est née de parents tous deux irlandais même si elle ignore jusqu'à leur identité, il y a 27 ans de cela, à Bray. C'est tout ce qu'elle sait. Ce n'est pas pour autant qu'elle a fait une crise identitaire à l'adolescence, ou qu'elle a cherché à fuir l'orphelinat et le foyer qui l'a recueilli. C'est peut-être même ce qui a fait sa force d'une certaine manière. Elle a grandi normalement, entourée d'amis, parce qu'elle n'avait pas trop de mal à s'en faire, en institution ou en dehors.

Elle n'aimait pas trop les études. On lui a proposé des tas de formations quand elle fut en âge de travailler, mais elle ne trouvait rien qui lui correspondait vraiment. Elle s'est débrouillée, car n'ayant pas peur de mettre la main à la patte, elle a vécu de petits jobs en petits jobs. Cela est toujours resté dans la légalité, sauf quand elle faisait du baby sitting au black. Rien d'alarmant dans sa vie, on aurait presque envie de bailler.

Bien-sûr, elle en a fait des menues bêtises, mais elles ne l'ont pas menées en prison, ou en garde à vue, même si elle ne crachait pas contre un peu d'alcool à une époque. Elle n'a pas touché aux joints, et certains de ses potes fumeurs de produits illicites la taquinaient un peu en la surnommant Mère Thèrésa même. Elle l'assumait, et cela la faisait rire, parce que malgré tout, on la respectait pour ce qu'elle était. Elle a toujours mené une vie paisible, ne souffrant pas spécialement d'un manque parental. Elle avait vu en d'autres personnes la famille qu'elle n'avait jamais eu. Les liens du sang, cela ne prouvait rien.

Elle fréquenta quelques hommes, avec plus ou moins de sérieux, flirtant parfois dans les bars, pour faire ses armes mais délaissa bien vite la chose. On en avait profité, elle en avait profité, tout le monde y avait trouvé son compte. Pourtant, ce n'était pas une Marie-couche toi-là, et elle n'en obtint pas la réputation, parce qu'elle ne passa pas sa vie à cela non plus. C'est d'ailleurs en flirtant, qu'elle fit la connaissance de son premier amour et du papa de sa fille, Emma. Elle n'avait qu'une vingtaine d'années à son actif, quand ils se rencontrèrent.

Il était venu boire une bière, au troquet du coin, la veille de repartir pour une autre destination,pour un autre concert. Elle avait été attirée par ce bassiste de groupe de metal, aux cheveux longs et lisses, tatoué de partout, piercé aux oreilles et à l'arcade. Il aurait pu lui faire peur, mais c'est lui qu'elle avait remarqué parmi la foule. Parce que malgré son statut de musicien, il était resté calmement dans son coin, avait commandé son verre, sans faire de caprices de divas. En réalité, personne n'avait prêté attention à lui. Il avait réussi à se fondre dans la masse, alors qu'en général, ce genre de personnes déchaînaient les foules. Elle était allée le voir discrètement, pour lui expliquer qu'elle avait apprécié l'exploit. Il ne leur avait pas fallu longtemps pour accrocher, et avaient fini à l'hôtel, dix minutes après. Ils étaient allés rapidement en besogne, certes. Mais ils n'étaient pas repartis chacun séparément après l'affaire conclue. Ils avaient discutés, le restant de la nuit, profitant du peu de temps qu'il leur restait pour apprendre l'un de l'autre. Puis l'aube était venue, et pour lui, le temps de partir. Chaque fois qu'il revenait de tournée, ils se revoyaient.

La dernière fois qu'elle l'avait revu, c'était lors de la conception d'Emma. Ce n'était pas un accident, elle avait été conçue en tout état de cause, parce qu'ils s'aimaient, tout simplement. Il était d'ailleurs convenu qu'ils élèvent la petite ensemble, bien qu'il serait souvent absent pour assurer ses tournées. Il ne deviendrait peut-être pas une star mondiale, et tous deux s'en moquaient bien. Le groupe finit même par battre de l'aile, un an plus tard, il était dissolu. Entre temps, elle avait accouché, et il resta auprès de MORRIGAN la première année de vie d'Emma.

Et un matin, il avait disparu, ne laissant qu'un mot sur l'oreiller, pour expliquer son départ.
Ce fut comme un choc, car jusqu'ici, tout se passait très bien, mais ce qu'il y avait dans la missive était très clair. Il n'était pas malade, il n'allait pas mourir, ni n'invoquait quelconque excuse pour être parti ainsi. Il l'aimait, mais il en aimait aussi une autre, et c'était l'autre qu'il avait choisi. Elle aurait pu s'effrondrer, mais une bonne poignée d'amis et de gens pour la soutenir suffirent à lui faire sortir la tête hors de l'eau, même si cela avait été difficile à avaler. Elle ne lui en voulait même pas. Il avait été honnête, même si la lâcheté avec laquelle il lui avait appris la vérité ne lui ressemblait pas. Si elle avait pu croire en quelconque existence de créatures surnaturelles, peut-être y aurait-elle vu des signes? Et peut-être se serait-elle interrogée pour découvrir la vérité. Mais elle avait accepté ce sort et par conséquent n'avait pas cherché à voir plus loin.

Elle avança, repris même ses études, et fini par devenir aide soignante. Elle pouvait ainsi subvenir à ses besoins et à ceux de sa fille seule. Aujourd'hui, elles ne sont pas riches, mais elles vivent confortablement à Bray, sans trop se préoccuper de ce qui se passe autour d'elles. Est-ce qu'un ami viendra lui ouvrir les yeux pour lui apprendre la vérité, comme elle aurait cherché à le faire pour les siens si elle en était la détentrice?