desert cruiser (piotr)

nom | Le patronyme est Vassilievitch. Le nom, pas des moindres, est Narychkine.
prenom | Piotr. Classique, simple. Une seule voyelle en spirale et un R que l'on ne roule pas trop fort.
âge | 41 ans. C'est rien, on s'y fait.
race | Humain.
lieu et date de naissance | Le 17 mars 1977 à Novgorod, en Russie.
orientation sexuelle | Ce n'est pas une question que l'on pose. Tu aimes ce qui est beau, surtout quand ça a des courbes harmonieuses.
statut marital | Fiancé depuis si longtemps, quelle drôle d'idée. T'as gardé la bague et les lettres par nostalgie.
metier/etudes | Tu étais officier de la marine nationale russe, plus précisément lieutenant de vaisseau.
situation financiere | Entre la solde d'officier et la fortune familiale, on peut dire que c'est une situation confortable.
organisation | Aucune.
ft | Cillian Murphy (c)lux aeterna

Un, tu aimes aller au théâtre, boire du café le soir, fréquenter des gens aisés, te regarder de bas en haut dans de grands miroirs, qu'on te fasse des compliments, le chocolat au lait et le vin rouge (mais surtout pas ensemble), les choses qui brillent, les pulls trop larges, les stylos à plume, l'odeur de l'iode, et fumer cigarette sur cigarette. + Deux, ce que tu aimes moins, c'est manger dans la rue, parler à quelqu'un d'ivre et les aliments trop cuits. + Trois, tu ne refuses jamais une partie d'échecs et tu te défends très bien au backgammon. Tu préfères d'ailleurs les jeux de table aux jeux de cartes et les jeux de plateau t'ennuient au possible. + Quatre, tu sais parler français depuis que tu es petit, tu n'as appris l'anglais que plus tard. Tu as aussi appris l'allemand mais tu t'en sers moins alors tu es moins bon. + Cinq, tu as toujours été autant attiré qu'effrayé par l'espace, bien moins rassurant que la mer que tu connais bien mais peut-être tout aussi beau, si ce n'est plus. + Six, tu ne rends jamais les livres que tu empreintes. Si tu l'as lu, ça doit t'appartenir. + Sept, tu portes ta chevalière, les armes de ta famille sculptées dans l'argent, à l'auriculaire gauche. Ta bague de fiançailles est juste à côté. + Huit, les chapeaux et toi, c'est une longue histoire. Tu adores en porter mais tu trouves que ça ne te va pas. A part peut-être certaines casquettes qui, elles, te font ressembler à un docker. + Neuf, tu es un pianiste assez correct. Ni plus, ni moins. Les leçons de piano étaient pour toi un supplice : la musique, tu préfères l'écouter plutôt que la jouer. + Dix, tu sais rabattre ton pouce sur ton poignet, faire craquer tes jointures, ne plier que la première phalange de chaque doigt... ça t'amuse d'en déranger certains avec ça. + Onze, t'as essayé de te mettre à l'astrologie, à la lithothérapie, à l'homéopathie, à la religion, à l'hypnose ainsi qu'à la drogue. Tu aimerais croire en quelque chose mais aucune de celles-là n'a su maintenir ton attention suffisamment longtemps sans te lasser. + Douze, tes avant-bras sont couturés de cicatrices et ponctués par quelques brûlures, chaque fois que tu descends en salle des machines les choses tournent mal. T'as jamais su pourquoi, peut-être le mauvais œil. + Treize, car ça te fait mal de l'admettre mais tu es excessivement superstitieux. On va rejeter la faute sur le déterminisme culturel.  + Quatorze, si tu étais tout à fait honnête tu avouerais que tu as des oursins dans les poches. T'es pas encore pingre mais disons que t'as du mal à dépenser ton argent. + Quinze, j'ai entendu dire que t'aimais un peu trop les ragots... C'est pas très enviable de jouer ainsi les commères !

Oh, Piotr ! Tu empestes le parfum de femme et l'orgueil. L'orgueil qui fait parler un peu plus fort quand tu es le principal sujet de conversation. L'orgueil qui durcit ton regard. Tu n'es pas un monstre d'ego, loin de là, mais tu sais ce que tu vaux. Ou du moins, tu es convaincu valoir plus que la moyenne. Par tes connaissances, tes expériences. Oh, tu en sais, des choses. Tu en as lu, des bouquins de toutes sortes. L'éducation que tu as reçu a ses failles, mais aussi ses avantages. On t'a appris à être curieux, à toujours vouloir en savoir plus, à être le meilleur. Ce n'est pas que de l'orgueil, il y a une part de vrai.
Ton éducation, elle t'a aussi appris l'obligeance. Tu es un égoïste, Piotr, c'est dans ta nature profonde et tu ne te détachera jamais de ce travers. Quand tu ne penses pas qu'à toi tu penses tout de même à toi en premier. Ton bien-être t'est plus précieux que celui des autres, tu n'y peux rien. T'es égoïste mais tu as appris à prendre soin de ceux qui t'entourent, même si ce n'est pas toujours spontané. Tu es plein de petites attentions, tu demandes des nouvelles, tu montres de l'intérêt pour qui t'en témoigne – et tu en as ! Juste pas comme il faudrait, pas autant qu'il faudrait. On te trouve charmant et tu l'es malgré toi car tu parviens à tamiser ton amour-propre par une image affable. Enfin, pas toujours. Tu n'en n'es pas moins quelqu'un de susceptible, tu acceptes mal la critique mais tu essaies de ne pas le montrer. Certainement par raffinement. L'irritabilité est un vilain sentiment, un autre de ceux que tu essaies de gommer en façade seulement.

J'ai dit en façade ? C'est tout toi, ça. En plus d'être vaniteux, tu es resté quelque peu superficiel. Petit prince a grandi, tu prêtes moins d'importance aux apparences qu'autrefois, tu n'es plus ce type tiré à quatre épingles en toute circonstance. Et pourtant, c'est assez fou les efforts que tu peux parfois fournir juste pour faire bonne impression – ou plutôt : renvoyer une image que tu as choisie. Toutes ces années en mer ça t'a pas adouci et tu veux qu'on le remarque. Et tu t'y appliques, c'est un vrai travail d'orfèvre. Tu soignes ton esthétique car t'es incapable de t'en foutre. Dois-je préciser que tu allumes tes cigarettes avec des allumettes ?
Tu es devenu amer presque malgré toi. Ton insolence s'est muée en fiel. Tu n'es jamais méchant gratuitement, je te l'accorde, mais ça ne t'empêche pas d'être cinglant, de blesser même sans le vouloir car tu ne fais pas attention. Et quand il faut admettre tes torts, tu te défiles. Car c'est là ton dernier défaut, Narychkine : tu es lâche. T'as rien dans le ventre, dès que ça devient sérieux ou personnel tu prends la fuite. T'as peur d'affronter certaines réalité où tu ne serais pas le maître à bord, tout simplement. Dommage, non ? Enfin, difficile de t'en vouloir. Tu es bien né et tu as bien vécu, c'est comme si l'on t'avait programmé pour les caprices. Tu es un électron libre, il faut être toi pour t'apprivoiser.

Oh, Piotr. A croire que certaines de tes émotions ont été mises sur pause avant de partir et que, quelque part, tu as juste fait semblant de grandir. Juste pour faire bonne impression.

Tu t'appelles Piotr Vassilievitch Narychkine. Pierre, fils de roi, littéralement de sang bleu. Quasi-prince, tu as été éduqué comme un tsarévitch : avec fermeté et à l'abri des regards. L'histoire familiale, on te l'a tant rabâchée que tu la connais par cœur, des boyards aux exils, avec les dates, et tu sais même jusqu'où descendent les arbres généalogiques de tes aïeux. Tout ça, c'est de la faute d'Anna Konstantinovna Narychkina, ta tante, la femme qui t'a élevé. Si tu es né au cœur de Veliki Novgorod où vivent encore tes parents, ils t'ont vite expédié à Petrograd chez ta vieille tante, sœur aînée de ton géniteur. Une femme aigrie, vieille fille, et d'une intelligence hors-normes. Bien sûr qu'elle a été dure avec toi, mais c'est pour ton bien si elle te forçait à avaler des bouquins d'histoire épais comme ton crâne. Des journées entières calibrées à la minute près entre les différents sports que tu as pu pratiquer, les langues étrangères, l'éducation musicale... Tes rares moments de répit, tu les passais sur le port à griffonner des poèmes accompagnés de croquis, le tout dans des carnets que tu conservais précieusement. Avec mens sana in corpore sano pour devise, Anna Konstantinovna a fait de toi un homme du monde quoiqu'un peu en dehors de la réalité, petit prince dans son palais de marbre.

Tu as fait tes classes à l'Académie navale de Saint-Pétersbourg. Toi qui as toujours été plus attiré par la mer que par les études, ta famille trouvait que c'était le bon compromis. Tu te voyais déjà porter l'uniforme de parade, tout blanc. Bien que, par principe, tu n'étais pas enchanté à l'idée d'intégrer l'armée, la perspective que les autres soient fier de toi te suffisait bien. Tu t'es toujours senti plus héros littéraire que vraie personne et être gradé entrait bien dans cette esthétique là.

Ça fait vingt ans que tu n'es pas rentré. Tu as vogué de par le monde, de Copenhague à São Paulo, de Manille à Rotterdam, et des tas d'autres escales. Vingt ans loin de Saint-Pétersbourg, ta ville d'adoption. Une cité qui, entre les musées et le port, semble n'avoir été érigée que pour ton bon plaisir. Tu aimais te promener sur la Nevski et faire tes courses au Passage, tu lisais Pouchkine et tu arpentais la ville dans ses moindres recoins pour retracer les itinéraires empruntés par les personnages de Dostoïevski. Et, certains après-midi pluvieux, tu te réfugiais à la Maison du Livre pour t'enquiller quelques tasses de thé noir. De toutes les villes où tu as vécu, c'est celle que tu aimes le plus au monde. Et, quelque part, ça te crève le cœur.

Tu t'es donc engagé dans la marine et tu n'es jamais rentré. Tu étais jeune, tu as voulu fuir. Fuir tes responsabilités, fuir ce Toi qui ne te plaisait plus et par dessus tout la fuir Elle. Tu le sais Piotr, je ne peux parler de toi sans parler d'elle. Aleksandra Iourievna Pavlova, serpent coiffé de boucles dorées à en faire pâlir plus d'une, hydre aux immenses yeux azurs. Si tu es parti il y a vingt ans, c'est pour lui échapper, pour échapper à ces fiançailles qui ont été décidées sans vous. Aleksandra, c'était une fille peut-être aussi jeune que toi, peut-être aussi fortunée que toi, peut-être aussi bornée que toi. Elle prétendait te haïr, pourtant elle répondait à chaque lettre que tu lui envoyais. Toi qui avais commencé à lui écrire par politesse et pour ne pas fâcher vos parents, vous en êtes venus à entretenir une relation épistolaire des plus tumultueuses. Des années de lettres échangées, de déboires partagés. Tu lui narrais tes aventures autour du monde et elle te faisait part de ses réflexions, parfois même de ses doutes. Tu as fini par tomber amoureux d'elle. Un jour elle a cessé de te répondre sans prévenir et tu n'as jamais trouvé le courage de rentrer la chercher.

Enfin, tout ça c'est derrière toi. Il y déjà plus de cinq ans que tu as quitté l'armée pour naviguer en solitaire. Ce n'était pas une pulsion anodine, mais plutôt les conséquences de ta nouvelle obsession : une nuit, alors que tu étais seul sur le pont, tu as vu des sirènes. Tu les as vues. Elles t'ont vu. Tu n'as pas attendu plus de quelques jours pour ranger l'uniforme et t'offrir un voilier habitable au bord duquel tu as arpenté les différents archipels des Caraïbes pour en savoir plus. On t'a raconté de telles histoires, tu as vu de tels lieux, que tu ne saurais dire ce qui était vrai ou non. Une seule chose, on ne t'a laissé rencontrer aucune créature quelle qu'elle soit. Ou tu en as très certainement rencontrées sans même le savoir. Certains lieux regorgent de magie, c'est le cas de ces îles où l'on t'a accueilli et où tu t'es abreuvé de légendes, jusqu'à ce qu'on te conseille de poursuivre tes recherches en Europe. Sans doutes une façon polie de se débarrasser de toi.

Tu as pris ton maigre courage sous le bras pour traverser l'océan à bord de ton habitable. Tu ne sais toujours pas comment tu as survécu à ce voyage, ça tient sincèrement du miracle. Ton bateau n'y était absolument pas adapté, il n'a pas réussi à tout encaisser. Ça fait quelques mois que tu l'as amarré au port de Bray et que tu le remet lentement en état. T'es pas vraiment coincé là, t'aurais pu choisir n'importe quel autre port des îles britanniques, tu sais. C'est juste ici que tu as décidé de poursuivre ta quête.