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 Avec de la vodka, un cafard ça passe tout seul. (TREVOR)

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trevor & juliet
Plus de dix ans que j'étais un chat, ça pouvait se fêter. Surtout que j'étais toujours en vie. Un chat noir dans un pays très religieux n'était pas vu d'un très bon œil. Ah les irlandais et leurs superstitions. Je m'en étais prise des cannettes dans la gueule et jusque là je m'en étais toujours bien sortie. Je ne pouvais pas me plaindre, je maîtrisais mon animal et mes transformations, je vivais ma petite vie féline sans trop de soucis à côté de celle humaine. Ma sœur par exemple pouvait se transformer en varan et... J'étais mauvaise de dire ça, mais elle n'aurait pas pu mieux tomber. Plus honnêtement elle détestait son animal totem, même après cinq ans elle était toujours incapable d'avoir l'emprise sur sa bête. Elle se métamorphosait sous la colère ou de grandes situations de stress, ce qui était plutôt gênant. Je l'avais aidé dans des recherches pour en apprendre plus sur cet animal et il s'était avéré qu'il y avait de nombreuses espèces de varanidés classées dans neuf familles. Manque de bol, celui de ma sœur était un varan de Komodo, alias dragon de Komodo soit un des plus grands au monde et des plus dangereux pour l'homme. Alors dans des moments de déprime, je repensais à Elizabeth. J'étais seulement un chat, je ne faisais pas deux mètres de long, je ne pouvais pas tuer un humain à cause de mon venin et je passais dans le décor irlandais. J'étais reconnaissante pour ça.

Le détail qui me gênait le plus dans le fait d'être une chatte était l'oestrus, soit les chaleurs. Avant d'être un chat, je n'aurais jamais cru qu'une femelle ait autant de chaleurs par an. Chez moi, toutes les deux semaines et pendant une dizaine de jours, je me mettais à avoir un comportement bizarre. Malgré ma conscience humaine dans le corps du félin, je ne pouvais rien faire contre sa nature et ses envies naturelles. Alors, je me transformais moins et j'évitais les coins où j'étais susceptible de croiser des mâles. Je ne m'étais jamais demandée ce qui arriverait si je tombais enceinte sous forme de chat. J'aurais des gamins avec le corps d'un homme et une tête de chat comme pour le Minotaure ? Je n'en savais rien et je n'avais pas envie de le savoir, ça me dégoûtait. Je préférais protéger mes arrières. Et encore heureux, qu'en tant qu'humaine je n'avais pas ces chaleurs animales !

Avec mon flair, j'avais pu éviter certaines zones de la ville. Même s'il m'arrivait encore de pousser des miaulements qui en langue humaine signifieraient "je suis chaude bouillante les gars", je n'avais pas eu trop de mal à me remettre dans la bonne direction. C'était la fin de l'oestrus. Je grimpai et sautai agilement, mes yeux bleus analysèrent les alentours dans la nuit qui tombait. Je me transformais plus la nuit que le jour, j'avais gardé cette habitude animale. La nuit, je voyais mieux que sous forme humaine alors que le jour, en chatte, ma vue était mauvaise. Sur ma route, j'avais déjà englouti un mulot, mes croquettes de chat d'appartement n'étaient pas au goût du jour. J'avais des envies de viande et entre nous, j'aimais bien jouer avec ma proie avant de la croquer.

Je m'infiltrai par le balcon d'un immeuble pourrave. Je croisais quelques jeunes qui étaient sûrement pas très nets mais ils ne remarquèrent pas ma présence. Je déambulais dans les anciennes pièces de l'appartement et partis vers les escaliers. Plus haut, je sentis une odeur intéressante, alors je me faufilai tout juste dans un autre appartement en suivant mes sens. Je n'aurais pas rêvé de mieux, un reste de bouffe. Je n'avais pas souvent l'habitude de faire dans les poubelles mais je résistais que difficilement à l'appel de poisson. J'avais de la chance d'être un chat en bord de mer, d'ailleurs. Je m'assurais qu'il n'y avait personne pour grimper à côté de l'évier. Cet immeuble était abandonné, comme ce reste de thon dans sa boîte de conserve. Qui part à la chasse perd sa place, je trempais ma truffe dedans et mangeai les restes. Je me régalais - même si ça devait dater de deux jours - mais j'avais encore faim. Je léchais la conserve avec précision, quand un truc du coin de l’œil attira mon attention.

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trevor & juliet
Contradictoirement, t’avais beau vivre super mal d’être un cafard, tu passais une plombe de ton temps changé en cette bestiole. C’était pas très glamour, mais au moins t’étais peinard. Non parce que, monsieur casse-couille, un tas de muscles d’un mètre quatre-vingt-dix qui se fâche tout rouge dès qu’on lui parle, qui beugle et râle à la première occasion, c’était pas vraiment un modèle de discrétion. Tu passes rarement inaperçu dans ton genre, tu le sais que tu prends trop de place. Tu vis mal d’être une boule de nerfs constamment au bord de la rupture et de l’explosion - alors pouvoir échapper à la pression du monde, au contact social, au bruit, aux lieux bondés, aux foules de regards de traviole, aux insultes et aux provocations, ne serait-ce qu’une heure ou deux, c’était jamais de refus. Même si, quand on voit un cafard, le premier réflexe de ces crétins d’humain c’est de hurler, de marcher dessus ou de vaporiser de l’insecticide jusqu’à s’étrangler soi-même sur les relents toxiques, encore faut-il le voir. Qu’est-ce que t’en as chié, à l’adolescence, de vivre dans la même baraque que tes frangin ! Entre ta soeur la grande gueule qui veut te décocher des patates et ton frère l’envahisseur insupportable que tu bouterais bien hors de ta chambre, la maisonnée était globalement agitée à toute heure du jour. Essaies un peu de rester calme avec les deux crétins qui te suivent jusqu’aux chiottes, c’est mission impossible quand on s’appelle Trevor et qu’on a constamment envie de casser les dents de tout ce qui bouge. Alors quand t’as su te changer en cafard ! Quand t’as enfin pu disparaître et passer sous les portes, ta vie est devenue un enfer plus supportable. C’est con à dire, mais quelle chance d’être ça plutôt qu’autre chose. Pas comme un de tes grands-pères qui lui se changeait en croco - c’était tout de suite moins gérable, il faut bien avouer.

Oh, ça n’avait pas été simple au début, tu m’étonnes. Premier jour, première transformation: bam, on t’a marché dessus, écrasé sous une semelle comme un malpropre. Tu sais ce qu’on dit, la première est toujours la pire et la plus douloureuse - bah pour le coup, t’as failli mourir donc tu confirmes. Le pire ? Le pire c’est que c’était cadeau de ta soeur. Tu peux pas lui en vouloir, si t’avais débarqué dans sa chambre et que t’avais repéré un cafard t’aurais tâché de le buter aussi. Mais ça reste pas forcément agréable, et tu seras jamais trop reconnaissant à ces sales bêtes d’avoir une carapace aussi solide. Il t’en a fallu du temps, pour l’accepter, tout de même. Mais il faut dire qu’avec tes énormes sautes d’humeur, t’as fini par te transformer si souvent qu’il a bien fallu que tu t’adoptes. Alors t’as apprivoisé l’idée, et tu as beaucoup moins de problème avec les métamorphoses involontaires, il faut le dire. T’y as trouvé tes avantages, au point d’en faire ton succès et ton gagne-pain. En devenant prestidigitateur, en faisant croire au monde que tu savais disparaître, quand tu faisais rien d’autre que de te changer en insecte et raser le sol. Et puis il faut admettre, résister au feu quand on est pyromane, et passer entre les barreaux quand on finit en taule, c’est vachement pratique et ça fait foutrement du bien. Alors même si tu continues de t’en plaindre, au final t’aurais changé pour rien au monde.

Tu t’étais fait la malle, t’étais pas d’humeur à affronter le regard des gens aujourd’hui. T’étais de ces personnes à ne pas supporter le jugement, et ta gueule de terroriste n’arrangeait rien à l’affaire. Le pire, c’était encore de croiser ta mère, et je dis ça alors que tu vis sous son toît. Parce que tu recommençais à déconner avec ton boulot et que tu remettais ton nez dans la drogue. Parce que tu t’obstinais à envoyer chier le monde quand on voulait te passer Mortimer au téléphone, alors qu’à côté ça faisait quinze ans que Bonnie voulait plus te voir. Parce que t’étais une épave, et t’avais honte de ce que tu faisais de ta vie - et en même temps, après quinze années de taule, une vie ? T’en avais plus. Et comme t’avais pas spécialement envie qu’on te le rappelle - bah tu t’étais fait la malle en cafard, histoire de changer d’air, de sortir de ta chambre, de te trouver un coin pénard. Peut-être t’incruster chez ton dealer et lui voler de sa poudre miracle, en squattant sa salle de bain à poil. L’idée te plaisait bien, alors t’es parti là dessus.
Et c’est ce que t’as fait, t’as fait ton petit bonhomme de chemin jusqu’à Dragon Alley, jusque dans les recoins mal famés que tu connaissais pas mal, à l’époque. C’était pas rare d’y trouver des sans-abris, surtout à l’hiver, ou des dealers, ou des mecs en planque, avec des casiers judiciaires pas tout blancs. On peut dire que t’y avais ta place du coup, même si t’avais pas pour projet de claquer la bise à quiconque pendant que tu serais à poil. Tu resterais sous forme d’insecte et tu t’en sortirais très bien. T’as fouillé les lieux, avec un enthousiasme ténu, jusqu’à entendre un boucan pas si loin de toi. Forcément t’es allé voir, pour réaliser que ça n’était qu’un chat, en train de se râper la langue sur l’intérieur d’une boite de conserve. Tu comptais repartir, jusqu’à remarquer que le chat t’avait repéré toi aussi. En soi, tu t’en foutais, c’était qu’un chat - même si t’étais jamais trop à l’aise devant ces bestioles depuis que ta propre soeur en était "devenu" un. Un chat de gouttière, de ceux à qui il manque des poils et à qui t'as presque envie de lancer une pièce, pas comme celui là. T’avais toujours dans un coin de tête cette pensée sauvage : ça pourrait être elle, et Dieu sait comme elle te manquait, depuis quinze ans, la bougresse. Mais ce qui t'arrêtait cette fois surtout, c’est que le matou, là, il était passé en mode chasse. T’es pas con, tu le vois, tu le sens, quelque part. Alors tu te figes, t'essaies de poser ta vue (potentiellement en 2D) sur ses pupilles dilatées, sur sa gueule, sur ses griffes, sur tout ce qui pourrait signifier une entreprise déplaisante dans les secondes à suivre. Et… Et t’as filé à toute vitesse en direction de la porte de l’appart pour passer dessous, évidemment. C’était pas safe dans le secteur et tu tenais à ta carapace.
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trevor & juliet
Je n'étais pas bigleuse, j'avais bien vu un machin bouger. Je levai mon museau de la boîte de thon désormais vide et posai mon regard sur le sol. L'appartement abandonné était seulement éclairé grâce aux lampadaires dans la rue. Je remerciais la bonne vue de nuit des chats. Ces dernières années, il m'était arrivé de passer beaucoup trop de temps sous ma forme animale si bien que j'avais commencé à chopper ses habitudes. Au final, je ne savais pas si c'était réel tout ça ou si c'était juste mon cerveau qui s'imaginait des choses. Du moins, j'avais l'impression de mieux y voir la nuit, dans la pénombre, qu'avant. Autre chose flagrante, j'avais peur des concombres. Ouais, c'était sûrement la phobie la plus conne au monde et je m'étais demandée ce qu'il m'arrivait. On ne peut pas parler de phobie, mais j'avais une réticence, une gêne, face à ce légume inoffensif. J'avais fait mes recherches et je compris que mon animal totem n'avait pas en soi peur des concombres mais de la menace qu'ils représentaient. Un concombre ça ressemblait à un serpent. Le chat voyait un prédateur dans ce légume, pourtant trop bon dans une bonne salade. Et moi, j'avais un étrange sentiment face à ce légume vert, si bien que je ne pouvais plus en voir, ni en acheter. C'était la même chose avec l'eau. J'étais sûrement la seule fille qui mettait deux plombes avant d'entrer sous la douche pour se laver. Je ne savais pas si ces réactions étaient totalement normales à cause de mon don de métamorphe. Je craignais qu'en en parlant à ma mère, elle penserait que sa fille ait un sérieux problème.

Je vis effectivement un petit truc qui crapahutait et je sautai sur le sol. Nous étions à égalité, au même niveau, néanmoins je faisais bien le quadruple, le quintuple, bref j'étais beaucoup plus grosse que lui. Sous ma forme humaine, j'aurais été dégoûtée, j'aurais écrabouillé cet insecte à coups violents de chaussure. Sous forme de chat, c'était plus intéressant. Il avait sûrement dû me voir et même avec sa minuscule cervelle, il avait capté que j'étais un danger pour lui. Je m'assis un instant en regardant où il filait. Ce n'était pas comme s'il avait un méga avantage comparé à moi. Je me léchai la patte avant, une petite toilette, juste avant de repartir à la quête de mon ami la bête. Lorsque je compris, qu'il allait me filer entre les griffes sous la porte, je pris élan et bondis jusqu'à lui. Paf, un coup de pattes et la bestiole recule d'un mètre. Elle s'élança à nouveau vers moi, car j'étais devant la seule issue. Il était tenace ce petit insecte dégoûtant. Dégoûtant pour les humains, pour mes instincts félins, ça m'avait plutôt l'air intéressant. Viande, ça restait de la viande.

Je m'allongeai sur le parquet abîmé, m'étalant de tout mon long pour boucher la porte. D'un mouvement las, j'envoyai à nouveau balader l'insecte plus loin. J'avais toujours été fascinée par la force de ces bestioles, si petites et pourtant si fortes et tenaces. Je me redressai et avançai à sa rencontre. L'insecte fit demi-tour, mit les gaz en courant le plus loin possible. Désolée chéri, tu ne peux pas m'échapper. En deux trois mouvements, je me trouvais juste au-dessus de sa petite carapace. En un mouvement, je l’attrapai avec ma gueule. La bête se baladait dans ma gueule, entre ma langue et mes dents. Fini le jeu, place au dessert. J'essayais de mastiquer, de percer cette carapace mais un sale goût me remonta dans le gosier. Qu'est-ce que c'était ce truc infecte ? Je ne me fis pas prier et recrachai le tout devant moi. Dégueulasse, maintenant j'avais un mauvais goût dans la bouche. La bestiole gisait sur le dos, sur la carapace, dans une petite flaque de bave. Je l'avais peut-être tué, paix sur lui, mais la prochaine fois je m'abstiendrais avant de vouloir tester ces choses-là.

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trevor & juliet
Mais quelle angoisse de partager l’espace de quelques secondes la détresse de tous les putain d’insectes de cette foutue planète. C’était plus seulement de la peur humaine qui te piquait mais un véritable instinct de survie qui asticotait au possible tes sens. T’aurais pu te briser les pattes tout seul juste pour échapper à la menace pressante. Pourtant c’était qu’un chat, il aurait suffit que tu te transformes et on n’en parlait plus - mais c’était plus fort que toi. Cette seconde nature prenait le pas sur ta conscience et t’obligeait à filer droit vers la sortie. Il t’avait vu, il avait bondi à terre, et ce coup de pression t’avait incité à décupler au mieux ta vitesse. Tu n’as pourtant pas senti sa présence à ta suite, si bien qu’avant même d’avoir franchi la porte, tu t’es senti tiré d’affaire. A quel point t’avais tort ! L’instant d’après, il s’était placé en obstacle sur ta trajectoire, barrant ton chemin vers la sortie. Un coup de patte t’envoya valser, tu ne sentis pas grand chose mais cela eut pour effet de te désorienter beaucoup. Qu’à cela ne tienne, tu te laissas guider par ton réflexe de fuite, direction ta seule échappatoire. Tu essayais bien de le contourner, sans grand succès hélas : un autre coup de patte t’envoya balader, tu faillis bien te retrouver sur le dos cette fois mais ne tarda pas à ajuster ta position pour revenir à la charge. Jusqu’à ce que tu te dises que, peut-être, c’était idiot d’insister. Il te fallait un plan B pour ne pas finir en casse-croute. Tu files dans la direction opposée, il fallait que tu te glisses sous un meuble, là où il ne pourrait pas t’atteindre, et tu attendrais qu’il s’en aille. Ou alors tu pourrais simplement te transform-
Aïe. C’est pas parce que tu es minuscule et répugnant que ça devient agréable de se faire mâchouiller. Difficile de savoir ce qui est pire : l’haleine de thon pas frais qui foutrait la honte à un phoque, la langue râpeuse qui t’écorche les pattes, la salive, les bruits de mastication ? Indéniablement, la sensation des dents pointues qui croquent et percent la carapace comme elles le peuvent. Une chance qu’elle soit solide, mais chance de courte durée : tu le sais presque inconsciemment, tu vas mourir. Tu n’as même pas suffisamment l’esprit d’y penser, l’instinct de survie animal a pris largement le dessus et tu n’es plus conscient de rien sinon du fait que tu es en danger. Mais dans la gueule du chat, que pourrais-tu encore faire ? C’est fini, ainsi va la vie, et la chaîne alimentaire. C’est tout de même idiot de mourir comme ça, pour un homme. Mangé par un chat. Que vont penser tes parents, que va faire ton frère, que dira ta soeur ? Ils n’auront pas de corps à enterrer. Ils n’auront jamais la certitude que tu n’es pas en vie, en détresse, quelque part. Il ne sauront jamais comment tu es mort : aussi pitoyablement que tu as vécu.

On dirait que la vie t’a laissé une seconde chance. Tu te sens éjecté mais trop étourdi pour voir, tu agites tes pattes mais elles sont engourdies, empêtrées, gluantes. Un éclair de conscience, c’est tout ce qu’il te fallait pour te sauver la vie : tu te métamorphoses aussitôt, et le moins qu’on puisse dire, c’est que t’es pas de la dernière fraîcheur. Même à Koh-Lanta après quarante jours ils ont pas l’air aussi moche, y’a un petit côté Frodon quand il sort de chez l’autre connasse d’araignée - en plus mouillé, c’est le côté morve de troll. Tu te hisses, tu te relèves, membres tremblants, et tu te recasses la gueule tout de suite après - mais j’les y verrais bien à ta place ! « Mais ce gros con de chat de merde ! » Tu gueules fort mais t’es blanc comme un linge et je parle même pas de ta coupe de cheveux. T’aurais pas été mieux peigné si t’étais passé dans un aspirateur. Au moins, t’es vivant, et t’as pas trop à t’en faire a priori pour ta santé. Bon, les pattes ont moins tenu bon que la carapace en se faisant mâchouiller, donc on peut supposer que t’as franchement les articulations qui ressemblent à rien pour pas dire que t’as l’épaule déboîtée, et t’as des jolies traces de mâchouillis qui se mélangent à tes vieilles scarifications dont tu t’étais couvert le torse pendant quelques années. T’es franchement laid à voir - non pas que ça change des autres jours en somme. Et puis t’as rien pour te couvrir, mais tu t’en bats les couilles puisque c’est un chat. T’as plutôt envie de lui arracher les poils, par pure vengeance, mais t’es pas assez en état pour lui courir après. Tu te fous au moins sur les genoux pour tâcher de te relever encore une fois, mais t’es trop secoué pour faire ça bien, va te falloir encore quelques minutes au moins.
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trevor & juliet
La bestiole expulsée, je me demandais déjà ce que j'allais pouvoir me mettre sous la dent histoire d'enlever ce goût dégueulasse sur ma langue râpeuse. L'insecte était mort ou du moins neutralisé, il ne m'intéressait plus. J'avais joué avec lui, j'avais voulu le bouffer et malgré cet échec, j'étais prête à aller chercher quelque chose plus loin. J'allais faire demi-tour quand je faillis recracher une boule de poils. Nom d'un...

Je restai tétanisée sur place en fixant le spectacle devant ma truffe. J'aurais été une chatte sans ma conscience humaine, je me serais tirée illico presto mais mon humanité ne voulait pas décoller d'ici. En tant que femme, j'aurais sûrement crié de stupeur mais là je me contentais d'avoir les pupilles  dilatées, les yeux écarquillées. C'était quoi le pire ? D'avoir failli bouffer un humain sous sa forme animale ou qu'un cafard soit l'animal totem d'une montagne de muscles ? L'homme m'insulta et je me sentis tellement conne. Jules, t'as failli tuer un homme ! Je déglutis, la culpabilité m'attrapant direct à la gorge. Je fermais les yeux pour me concentrer à me métamorphoser. En quelques secondes, je réapparus à quatre pattes, en femme nue. Je bondis sur mes pieds et m'élançai jusqu'à l'homme. « Je suis désolée, vraiment... Bon sang, je ne savais vraiment pas que tu étais... Un homme. Merde, excuse-moi. » C'était la première fois que je rencontrais un métamorphe autre que ma mère et ma sœur. La première fois que je voulais en manger un d'ailleurs. Il était en mauvais état, sans blague la faute à qui ? J'avais tellement honte. Je voulais l'aider, c'était la moindre des choses et je cherchais quoi faire en regardant l'appartement pourri. J'étais passée dans la cuisine en chat, il devait sûrement y avoir de l'eau. Je partis en courant vers la cuisine et à défaut de trouver un reste de vaisselle, comme un verre, j'y trouvai un vieux chiffon, serviette, que sais-je. Le robinet crachait un fin filet d'eau et je l'imbibai le linge. Je repartis aussitôt dans le salon où le métamorphe était à genoux, en mal. Nous étions nus tous les deux et pour l'instant c'était le cadet de mes soucis. Je ne lui demandais pas son avis et je tamponnai le tissu humide sur ses tempes et son front. « Ça va aller, respire doucement... » Je me souvenais vaguement du cours des premiers secours, une honte pour une fille de médecin. Le plus important était de rester près de la personne en mal et de la rassurer. C'était ce que j'étais en train de faire, du moins j'essayais parce que j'avais quand même failli l'assassiner. Quel horreur pour un métamorphe de mourir de cette façon. Surtout que personne ne l'aurait su. C'était comme si ma sœur me bouffait sous sa forme de varan. Je n'étais sûrement pas d'une grande aide pour l'homme mais j'étais vraiment en manque d'idées. Ce n'était pas comme si, cet immeuble désaffecté soit le meilleur endroit pour porter secours à quelqu'un.
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trevor & juliet
Inspirer, expirer, garder son calme. T’as failli crever, mais qu’est-ce que c’est dans une vie, frôler la mort ? On l’a tous fait, traverser quand il faut pas et manquer de se faire renverser par une voiture folle, ou s’étrangler avec un os de dinde et être convaincu qu’on va y passer. Mais enfin, là il faut avouer que t’as fait fort, y’a pas grand monde qui peut se vanter d’avoir failli être dévoré vivant. Imagine un peu que t’aies fini encore vif dans l’estomac de cette sale bête ? Que tu aies eu conscience d’être rongé par les sucs de son estomac, pendant que tu te vidais de ton intérieur par les trous de ta carapace ? Sale. Imagine, que tu aies repris forme dans son ventre, et que ce soit le chat qui se soit vu exploser de l’intérieur, et toi à demi-mort et couvert de ses tripes. C’est fou tout de même, comme le règne animal est brutal. T’as beau être un grand garçon et avoir vu des choses dont on se vante difficilement, pour le coup, tu peux pas t’empêcher d’être un minimum secoué. Mais c’est qu’il est encore là en plus, le chat. T’as tenté un “pschhh” dans sa direction, parce que t’étais en colère contre lui donc tu voulais plus le voir, mais il t’a juste fixé avec des yeux ronds comme des billes. Génial, tu venais de traumatiser un matou, et vu son poil il avait des maîtres. Manquerait plus qu’on vienne te demander de rendre des comptes et que des ONG de la protection animale te tombent dessus. Sauf que non, c’était pire que ça, putain de merde.

Y’avait un chat, juste là. Un chat noir. Et l’instant d’après, il y est plus - c’est une gonzesse, une putain de gonzesse à poil. Tu sais ce qu’on dit, les chats noirs ça porte malheur. Pour le coup, t’es trop abruti pour savoir comment le prendre. « Alors ça, c’est la meilleure ! » T’as parlé fort avec le choc, parce qu’il faut que tu réalises maintenant que c’est une femme qui a failli te bouffer. Une femme ! Elles te tueront ces saletés, tu l’as toujours su, depuis que t’as dans ta vie ta soeur la teigne - rien de pire et de plus dangereux qu’une brute épaisse cachée sous une couche de mascara. C’est un coup à te faire changer de bord ça, y’a une mort cruelle et peu glorieuse derrière ses formes et sa longue tignasse. Bon cela dit, t’es con mais pas au point d’être sourd, tu comprends quand même que c’était pas voulu : elle s’excuse, et elle a l’air sincère. Tu serais tenté de lui reprocher un tas de trucs mais faut bien avouer que même chez les métamorphes, jamais personne pense aux insectes. Et quand tu vois ces trucs minuscules et répugnants, même toi t’as un mal fou à envisager que ça puisse être quelqu’un.

T’essaies d’être plus présentable, ou au moins de te tenir plus droit et d’être moins pitoyable, même si ça donne rien de glorieux. Elle s’absente et vient t’aider sur le retour, avec un linge humide on ne peut moins hygiénique qui t’a fait grimacer en le voyant, toi qui est pas mal porté sur la propreté. T’as pas envie de la remercier, parce que t’es toujours en colère et secoué, et ce qui t’énerve encore plus, c’est sa manière de te parler. Ça va aller qu’elle te dit, comme on dit à un vieillard en phase terminale ou à un gosse qui vient de se péter toute la jambe pour la première fois de sa vie, c’est tellement absurde. « Ça va aller ?! Bordel, t’as essayé de me bouffer ! » Tu lui prends son linge des mains, tu le regardes et tu le basardes plus loin - c’est pas un filet de flotte sur le front qui va arranger les choses. Et puis tu te relèves, tu titubes et surtout tu t’éloignes, parce que c’est un danger public l’autre là. Tu la regardes, tu tiens debout mais tu sens le coton dans tes genoux. Tu la confrontes du regard, mitigé - quelque part, tu sais que c’était pas intentionnel, que tu peux pas vraiment lui en vouloir, de l’autre t’as sincèrement envie de lui foutre un gros coup de poing dans le nez. « Mais merde, tu bouffes souvent des cafards pour le plaisir ? T’es pas nette dans ton crâne. Connerie de journée de merde ! Tu sais que j’en ai cogné pour moins que ça ? » Puis tu tiens ton bras en l'air, celui qu'est pas trop trop abîmé, tu sais comme Chris Pratt dans Jurassic World, pour éviter qu’elle t’approche - parce que franchement, elle essaie encore de te toucher et le coup va partir tout seul. Mais honnêtement ? Elle l’aura pas volé !
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