Have a holly, jolly Christmas + LIBRE

Je n'ai jamais été vraiment fêtes de fin d'années. Globalement parce qu'en général, je n'y suis pas. Ce n'est pas comme si les magiciens qui m'invoquaient voulaient réellement d'un djinn lors du gros repas de famille, si j'étais aux alentours, je ne profitais jamais des bons côtés de l'humanité, je continuais juste mes missions parce qu'apparemment, ma raison de vivre se cantonne à ça. Je ne me plains pas, mais Sally, elle, elle a pris le temps d'intégrer toutes ces traditions, et ces derniers temps, je ne rentre pas chez nous sans avoir à porter un bonnet de Noël ou même sans que j'ai obligation de rajouter de la décoration sur notre sapin. Bon, ce n'est pas un vrai sapin, je sais même pas où elle l'a trouvé celui-ci, mais que puis-je dire ? Il décore parfaitement bien le salon, et j'avoue que je commence à comprendre tout l'intérêt que peuvent avoir ces fêtes, qui n'étaient pour moi que perte de temps, une façon de se voiler la face en attendant la mort. Je suis peut-être cynique, mais c'est la vision que les humains m'ont toujours apporté. Faire que leur vie comptent alors qu'ils savent pertinemment que rien ne changera le bout du chemin. Je n'ai pas ce problème, moi, il n'y a pas de fin à mon chemin. Je l'aurais cru il y a quelques temps. Dur comme fer, alors que je me retrouvais face à Azraël. Je pensais que ça y était, que j'allais disparaître de la surface de l'univers, celui ci et tous les autres. Que ça s'arrêtait là. Mais apparemment pas, apparemment, je serais toujours menacé d'une autre vie même alors que je n'en peux plus. C'est le jeu de l'immortalité, on pourrait croire à une bénédiction alors que ce n'est que tout l'inverse.

Je déambule dans les rues, alors que je me rends sur le marché de Noël de Bray. Apparemment, ils font ça tous les ans, mais cette année, j'ai eu droit à mon petit chalet en bois, en tant que commerçant. C'est mon cadeau me venant de mon magicien. Je ne sais pas pourquoi il l'a fait, mais je lui en suis reconnaissant. Ça me donne l'occasion de voir une autre facette de la ville et de continuer en même temps à faire ce que j'aime. Toutes les vitrines d'absolument tous les magasins sont décorées. Ils prennent vraiment la chose sérieusement, je n'y aurais pas cru. Ce n'est pas vraiment partout pareil, il y a des villes, des pays bien trop loin où même l'idée de fêter Noël ne leur viendrait pas. Que ce soit question de religion ou d'argent, on est jamais tous mis à la même enseigne, autant s'y faire tout de suite.

Le marché se tient sur la place de Bray. Elle s'est changé en charmant petit village, avec ses allées, ses maisons en bois et cette fausse neige que l'on peut voir saupoudrée partout, que ce soit sur les toits des chalets ou au sol, entre quelques grillages pour éviter que tous les enfants ne se jettent dessus. Il y a des lumières de tous les côtés, une petite baraque où l'on peut apercevoir un fauteuil des plus rouges, place où se tiendra dans quelques minutes un père Noël joué par un chômeur, qui s'amusera à récolter les listes de tous les gamins qui voudront bien s'asseoir sur ses genoux. Partout autour, les employés de la mairie s'activent, tous habillés dans des tons verts et rouges. Il me semble qu'il s'agit de lutins mais je ne suis pas vraiment familier avec tout ce folklore encore. On peut voir autour de la fontaine et tout autour des arbres des guirlandes lumineuses qui entraînent les habitants hors du temps. Sans doute ont-ils besoin de ça, avec tout ce qu'il se passe.

Je vais directement vers l'endroit où se trouve mon chalet, au bord d'une allée. Il ne s'agit que d'une petite baraque où j'ai à peine la place de rentrer. Je l'ouvre et dispose sur le comptoir qui se trouvera proche des clients toutes les montres que je fabrique, ainsi que d'autres objets. C'est le moment où tous cherchent leurs cadeaux, le moment où il est temps de me faire connaître et d'amasser un peu d'argent. Une alarme sonne l'ouverture du marché, alors qu'une petite chorale, réglée comme une horloge, commence à entonner des chants de Noël. C'est le moment de se mettre au boulot.

Je m'étais pris d'une passion pour l'horlogerie, la dernière fois que je suis passé dans le coin. J'avais pas eu beaucoup de temps pour pratiquer, mais arrivé un certain moment dans une vie, il ne nous faut pas longtemps pour saisir même le plus complexe. Je suis même pas sûr de pouvoir remonter à l'origine de cette passion. Il faut dire que le temps, lui, m'a toujours fasciné. C'est un concept qui ne me touche pas vraiment, et pourtant qui influe sur le monde autour de moi. Pas mon monde, qu'on soit bien d'accord, le Plan Astral ne bouge pas. On ne ressent pas les secondes, les minutes, les mois, les siècles. On est là mais on ne l'est pas. C'est une paix que jamais personne d'humain ne pourra ressentir, et je les plains, quelque part. Ça pourrait être considéré comme notre version du bonheur. C'est une chose complexe à expliquer pour ceux qui n'en font pas partie. Ce lieu où l'on n'a pas d'entité propre, que l'on est régis par la pensée, mélangée à celle des autres comme un tout. Ici je suis Azael, mais là haut je suis toutes les entités. Quelque part, la Plan Astral me manque. Je n'y suis pas vraiment retourné, puisque je suis mort. Quand on est mort, on est plus rien. Ni plan astral, ni Terre, on existe plus, dans tous les sens du terme. Et c'est un grand pas pour la découverte, pas vrai Hamlet ? Alors on peut dire que je n'ai pas retrouvé mon état originel depuis au moins un an. Et mon corps commence à s'en ressentir. Courbatures, élancements, et non pas seulement à cause des invocations de mon magicien. J'aurais pu être dans une plus mauvaise position. On aurait pu me redonner la vie juste pour se venger de moi, pour Eldarion. Mais quelque part, l'idée me fait marrer, il était aimé de personne, le con. A part sa petite copine, mais encore là, je suis même pas sûr, elle a disparu des radars presque en même temps que lui. Faut dire qu'il est mort sans classe, j'aurais presque eu honte pour lui, si j'avais pas fait moi-même une super entrée pour lui ouvrir le crâne en deux.

Tout ça pour en revenir à ma passion pour l'horlogerie. Parce que oui, à la base je ne me suis pas perdu dans ma propre tête pour parler de meurtre. Non pas que ça me déplaise, mais sinon faudrait que j'évoque le mien, et autant je l'ai voulu, autant Azraël me doit une bonne migraine, et au moins le retrait de quelques unes de ses dents, pour faire bonne mesure. Non … Tout ça est venu d'un petit chalet comme le mien, pas plus tard que l'an dernier. Parce que même si je n'y avais pas participé, je m'y étais rendu. J'avais trouvé un mec, qui m'apparait comme disparu aujourd'hui, qui fabriquait des montres, des horloges et des boussoles à partir de pièces de voitures. J'ai trouvé ça plutôt génial, voir les engrenages pris dans ce métal refondu. A dire vrai, c'est sans doute pour ça que j'ai voulu essayer. Puis je me suis rendu compte que ça me calmait. Que je pouvais passer des heures à créer ces cliquetis qui m'inspiraient.

Une jeune femme s'arrête devant mon stand, me forçant à sortir de l'état second dans lequel je m'étais plongé. J'aurais pu l'ignorer, mais étant la seule qui se trouvait pas loin de moi pour le moment, ça n'aurait pas été très bien avisé, même si elle ne me parlait définitivement pas à moi. A moins ce qu'elle croit que j'ai une relation particulière avec son père, mais ça m'étonnerait.   « Marron gris rouge avec une pointe de vert … Ton père c'est un sapin de Noël ? » J'ai cet humour pince-sans-rire que personne ne comprend mais que je me donne un main plaisir à utiliser. Pourtant, je sais que ça peut ne pas être très vendeur. On va dire que je suis pas le pro des relations sociales non plus.   «Besoin d'aide pour choisir ? J'ai aussi des modèles un peu plus originaux dans le fond, si tu veux les voir. » Je tutoie tout le monde, c'est un fait. Qu'on me le dise.

J'observe sans vraiment me cacher la jeune femme qui s'est arrêté devant mon stand. Ma clientèle est d'ordinaire composée d'hommes, en général du moins. Les fêtes de décembre doivent se détacher du lot. Même si je ne les ai jamais vraiment célébrées, c'est de toute manière connu : la population entière est à la recherche de cadeaux qui conviendraient à leurs êtres aimés. J'ai du mal à comprendre le concept, le fait de s'offrir des cadeaux une fois par an, je ne vois pas ce que ce jour a de si spécial. Mais encore une fois, les concepts humains et moi, ça sonne comme deux. La religion, la politique, le pouvoir, ça n'a pas de sens pour quelqu'un de mon espèce. Voir les hommes se détruire pour de l'éphémère, une sensation qui finirait par s'évaporer à travers le temps … La mort les attend tous au bout. Moi j'arrive à les voir passer, à les voir vivre, puis ensuite mourir. Je pourrais tracer le destin de n'importe qui, à force d'observation, tout simplement parce que personne, pour moi, n'est hors du commun, et que tous ces humains rentrent dans des cases. Même ceux qui veulent en sortir, ils finissent toujours par aller dans une autre. Mais si elle n'est sûrement pas hors du commun, je dois bien admettre que cette fille là est étrange. Comme si elle était en dehors du monde, un éclat dans l'apparence terne que revêt l'univers à mes yeux.

C'est un peu comme si je voyais la vie en noir et blanc, je crois. Très peu de couleurs surgissent. Y a Sally, mais elle, c'est une exception, ça a toujours été le cas. Alaska, même si je ne l'ai pas revue depuis que je suis revenu à la vie. Et puis y a elle, celle qui est là, pas touchée par la dépression environnante. « C'est quoi ton budget ? » Je suis pas vraiment comme les autres vendeurs, à vouloir passer ma marchandise quoi qu'il en coûte, quitte à vider les poches de tout le monde. Le fric, ça me passe au-dessus de la tête de toute manière, je sais pas jusqu'à quand je pourrais en profiter alors je m'en fous un peu, moi je fais ça pour passer le temps, pour pouvoir aider Sally avec l'appartement, mais c'est tout. Si des gens aiment ce que je fais, je me considère comme content, j'ai jamais été un artiste. C'est pas facile quand tes missions consistent à brûler des baraques et assassiner des sénateurs.

J'acquiesce à sa demande pour me diriger vers le fond de la petite baraque. En vérité, je peux pas faire plus de trois pas là dedans, et si je fais pas gaffe je me cogne au plafond, mais c'est là que je stocke mes autres modèles. Ils ne sont pas vraiment chers, mais ce sont plus des tests qu'autre chose. Alors je les laisse dans un coin. J'attrape la boîte pour en sortir des montres, que je pose sur le comptoir, dans un alignement presque parfait. « Pour les faire, j'ai utilisé des pièces de voiture que j'ai soudé. » Y a encore un an et demi, je savais pas ce que c'était qu'une bagnole, et voilà que maintenant je m'amuse à les démonter pour mon petit plaisir. Si ça c'est pas de l'évolution.

Je souris un peu. Je suis pas vraiment un expert dans la vente. Faut dire que c'est pas comme si on m'avait souvent refilé un job, la plupart du temps je remplissais ma mission et je me barrais, et tout le monde était content. Notamment parce qu'aucun magicien qui se respecte ne veut avoir dans ses pattes un djinn millénaire qui n'attend qu'une chose, vous la mettre à l'envers pour pouvoir faire ce qu'il veut. Je suis pas vraiment comme ça mais je déteste pas la réputation, ça m'a valu deux siècles de tranquillité où personne n'osait m'invoquer de peur de se faire avoir. Je vais pas m'en plaindre. Le fait est que même moi je sais que trente dollars c'est un peu maigre pour un artisan. Pas pour les montres qu'on trouve partout, ça non, y a de bons prix pour des produits vraiment moyens, mais pour ce que je fais moi, c'est loin d'être suffisant. En théorie. Encore une fois, je suis pas vraiment accroché à l'argent, et qu'on vienne me dire quoique ce soit. Je pourrais même lui donner une montre si je me sens assez aimable. J'en ai même donné une à Phineas, et le mec remet l'esclavagisme au goût du jour. « On devrait pouvoir trouver quelque chose, oui !» Puis faut pas oublier que c'est bientôt Noël ou n'importe quelle autre fête que les humains célèbrent. Dans ces temps là, il est de coutume d'avoir bon cœur, même si le reste de l'année tu te comportes comme un connard.

Bon c'est pas mon cas, enfin j'espère. J'ai tendance à croire que je me comporte plus ou moins tout le temps comme un enfoiré, mais je l'assume entièrement. Y a juste quelques personnes qui ne développent pas en moi une envie de leur faire manger le comptoir de ma boutique. Dans ces cas là je peux même être agréable, comme avec cette jeune femme.

Je lui sors même mon petit stock personnel, même si je sais très bien que c'est pas dans ses moyens. Après tout, je peux bien faire plaisir. C'est pas tous les jours que je rencontre une personne atypique. Elle se saisit d'une montre et je hoche la tête, amusé. « Oui elle dure dans le temps. C'est même mon critère principal. » Elles dureront jamais autant que moi mais si je peux m'en rapprocher, je valide. Je réfléchis quelques secondes avant de lui sortir un étui en cuir. « Prends ça avec. Je te fais le tout pour vingt dollars si ça te va.» Phineas va sûrement me tuer pour avoir aucun sens du commerce, ou pas vraiment dans le bon sens, mais j'en ai plus ou moins rien à faire.

J'y peux rien si au fond je dois quand même avoir un cœur, ou au moins quelque chose qui y ressemble fortement. De toute manière je l'ai déjà dit, je suis pas vraiment friand de l'argent, qu'est ce que vous voulez que j'en foute, les bonheurs terrestres, ce sont pas les miens. Quand j'ai des thunes, je les refile à Sally pour qu'elle s'achète un meilleur PC ou ce qu'elle veut. Je les mets dans le loyer aussi, mais à part ça, je fais pas tellement de folies. Quand on peut prendre n'importe quelle apparence, quand on veut, on s'embarrasse pas de futilités. La même chose lorsque l'on ne sait pas quand on se fera révoquer. Et avec Phineas, c'est un énorme mystère. Pas comme le cas Eldarion, non, mais dans un sens, c'est pire. Parce que je sais pas où il veut aller avec sa vengeance, il ne doit même pas savoir de quoi se venger, à l'heure actuelle. Tout le monde et personne à la fois, ça le rend beaucoup plus dangereux que s'il n'avait aucun but, en fin de compte. « Tant mieux alors, si on a pu trouver un arrangement ! » Heureusement que j'ai pas de comptable, parce qu'il aurait sans doute les cheveux dressés sur la tête à l'heure actuelle. Je serais pas un magnifique commerçant humain, faut le dire. Mais malgré tout j'arrive à m'en sortir. Bray est le genre de villes à réunir les collectionneurs, et c'est une bonne chose. Tous sont âgés et peuvent paraître venus d'un autre monde, mais j'ai des clients, je peux pas dire le contraire. Chiants comme la pluie pour la plupart, mais j'y peux rien, je les choisis pas.

La question de la jeune femme, pourtant, me laisse un peu perplexe. Ouais, je devrais m'y attendre, après tout c'est la période de Noël et presque tous ceux qui sont sur ce marché proposent d'emballer les présents. Ce serait logique. Mais le fait est que je n'y avais pas pensé, et que je n'ai jamais emballé quoique ce soit de ma vie. Ça peut être problématique. Je suis sur le point de lui répondre par la négative quand je me souviens des boîtes que j'ai ramené pour les stocker. Je peux bien lui en donner une. Ce sera pas du grand art ou même quelque chose de vraiment joli, mais c'est toujours mieux que rien. J'acquiesce donc pour fouiller sous mon comptoir, d'où j'en sors une boîte à montres noire. Si son père aime la sobriété, il pourra même la garder, qui sait. « ça te va ça ? Désolé je fais pas les emballages moi-même, je suis plutôt un désastre pour ça. »

Je lui mets le tout dans un sac plastique pour le lui tendre . Pas très écologique, mais on me pardonnera. Je hoche la tête. « Dans l'allée centrale de Coconut. Je fais également les réparations si jamais tu te retrouves dans le besoin.»