«La colère, ça fait vivre. Quand t’es plus en colère, t’es foutu.»
Chapitre 1 ♠ Kaitlynn
Mois de mai, 1950. Le mois ainsi que l'année de ta naissance avant ta descente aux enfers autant au sens figuré qu'au sens propre. Née Kaitlynn Wright aux États-Unis dans l'État du Vermont, tu as vu le jour au milieu d'une ferme dans une petite ville perdue. Entourée d'animaux à longueur de journée pendant plusieurs années en sachant très bien que tu dormirais que quelques heures une fois la nuit tombée, que les récoltes seraient peut-être maigres cette année ou que le ciel allait peut-être te tomber sur la tête - ou tout simplement tes géniteurs ou le reste de ta famille -, c'est sympathique à souhait. Des facteurs de stress presque agréables à supporter. Malheureusement pour toi, tu ne pouvais pas vraiment t'objecter à ce mode de vie. Tes parents, enfin plutôt ta mère, t'avaient mise au monde, alors tu devais endurer ces conditions de vie que tu le veuilles ou non. Ta sœur aînée ainsi que ton petit frère subissaient le même sort et de leur côté, ces deux-là ne se plaignaient jamais. Te taire et endurer, tu avais ce «talent» lorsque tu étais qu'une vulgaire mortelle.
Heureusement que ta famille s'avérait plutôt unie au point où l'on pouvait dire que vous étiez ensemble pour le meilleur et pour le pire. Durant une grande partie de ton enfance, la petite fille au visage d'ange que tu étais à cette époque, tu travaillais sur la ferme afin d'aider tes parents tout en allant à l'école de la petite ville où tu vivais. Ce mode de vie était épuisant, mais tu arrivais à suivre le rythme malgré tes problèmes avec tes autres camarades de classe. Jeune enfant au physique plus ou moins atypique quand tu avais ton propre corps, tu attirais sans le souhaiter l'attention sur ta petite personne. De nature timide et peu encline à te défendre, tu laissais les élèves se moquer de ton apparence physique sans jamais répliquer quoique ce soit. Les années passèrent sans s'améliorer et tu t'étais vite retrouvée au milieu de ta crise d'adolescence. De nature plutôt solitaire suite à tes mauvaises relations avec tes collègues de classe, tu avais peu d'amis à ce moment et tu préférais t'instruire au lieu d'exploiter ta sociabilité qui demandait seulement à voir le jour. De toute manière, les «blagues» que tu entendais derrière ton dos pendant que tu te baladais dans les couloirs de l'école t'encourageait très peu à entretenir de quelconques relations amicales. Ton premier but dans ta vie était d'utiliser ton intelligence afin de pratiquer un métier qui allait t'intéresser, comme cela, tu allais pouvoir quitter la ferme sans jeter un seul regard derrière toi et surtout sans regret. Manque de chance pour ta petite personne, tu devais lutter contre un problème qui ternissait ta vie depuis maintenant trop longtemps. La dépression, c'est sournois. Pire encore, l'alcool peut être un véritable fléau surtout pour surmonter des épreuves difficiles...
L'université. N'est-ce pas un mot effrayant? Certes, il signifie un accomplissement en soi lorsqu'on reçoit ce fameux bout de papier qu'est le diplôme, mais il peut causer la destruction de certains êtres humains au moment où ils découvrent qu'ils n'ont aucun avenir. Ce n'était pas ton cas, mais tu détestais cette nouvelle vie même si tu avais déménagé de chez tes parents, les années à avoir enduré les moqueries des autres ce qui avait détruit ta confiance en toi-même, le fossé de ta solitude s'agrandissant un peu plus chaque jour, tout cela formait un maelström de tourmentes. Puis, tu as croisé un petit groupe sur ton chemin qui a changé ton existence tout en t'enfonçant un peu plus dans tes problèmes d'alcool. Si certains avaient un très fort penchant pour la bouteille, d'autres aimaient bien la compagnie de la drogue ou encore en vendre. Éternelle jeune femme naïve, ils avaient réussi à te manipuler pour que tu accomplisses leurs sales besognes, te faisant croire que tu comptais pour eux. De tes dix-huit ans jusqu'à tes vingt ans, tu es resté avec eux, abandonnant l'université au passage et en ayant droit à quelques nuits de détentions suite aux «petits ennuis» que tu t'es attiré auprès de la justice. Si tes problèmes dépressifs continuaient à te coller à la peau, tu arrivais à passer par-dessus grâce à tes «amis», mais aussi grâce à Evelyn. Sans comprendre pourquoi ni ce que c'était, tu ressentais une très forte attirance pour cette fille. Extravertie, sociable, pleine de charme, elle représentait à tes yeux tout ce que tu n'étais pas. Aujourd'hui encore, quand tu repenses à cette idiote - pour ne pas employer un autre terme beaucoup moins élogieux -, tu esquisses un petit sourire ironique. C'est par sa faute si tu es morte, mais tu lui dois quand même l'éternité et surtout ton statut de Démon.
Ce soir-là, tu te retrouvais seule avec Evelyn. Toutes les deux saoules, une habitude quoi, tu t'étais sentie pousser des ailes au moment où tu as eu la furieuse envie de plaquer tes lèvres sur les siennes. Cette gifle, tu ne l'avais pas vue venir et encore moins quand tu t'es retrouvé les fesses sur le sol pas seulement à cause de l'impact, mais aussi par la faute de la surprise. Tu te souviens encore qu'elle t'avait balancé quelques insultes à la figure avant de quitter ton appartement, qu'elle ne voulait plus jamais que tu l'approches du reste de sa vie, que les gens comme toi devaient finir à l'asile et mieux encore, que tu devrais crever avec la corde au cou. Un conseil que tu as suivi à la lettre. De ton point de vue de mortelle à cet instant, tu n'avais maintenant plus rien à perdre et ce genre d'acte allait te coûter tes «amis». Plutôt mourir que d'être associée à quelqu'un détraqué du cerveau et de tout perdre d'un seul coup. Tu n'as jamais su qui a découvert ton corps lors de l'été 1970, mais au final tu t'en fous. Ta carcasse est morte et enterrée depuis quelques décennies, mais ton essence, ton âme, bref le truc qui te maintient en vie, continue d'exister.
Chapitre 2 ♠ Bliss
Le suicide. Un autre mot effrayant, mais celui-ci signifie la fin de quelque chose. Sauf, ce que les humains ne savent pas, ou du moins qu'ils refusent à croire, c'est qu'il y a quelque chose qui se cache derrière cette action qui plait beaucoup aux habitants de l'Enfer. N'est-il pas écrit quelque part dans ce livre infect qu'est la Bible que s'enlever la vie conduit directement en Enfer sans demander son reste? Oui, c'est écrit sur une des pages en noir sur blanc. Cet acte lourd de conséquences a un effet très néfaste sur les âmes humaines. Ils se retrouvent avec les monstres et les démons sans aucune possibilité de libération. Tout ce qu'il reste à faire, c'est de devenir l'un des leurs, à moins de vouloir rester une vulgaire âme souffrant pour le reste de l'éternité. Cela n'était pas ton cas a priori...
Ne jamais connaître le repos éternel. C'était et c'est toujours présentement ton cas. Certes, si au début tu étais effrayée par tout ce que tu voyais suite à ton «réveil» en Enfer, tu allais devoir t'habituer à vivre dans ce monde pour l'éternité. Les âmes humaines. Elles semblaient si faibles à côté de ces Démons et autres monstruosités. Si tu ne voulais pas conserver un titre d'âme en éternelle souffrance, tu devais t'efforcer de changer dans une direction qui ne te ressemblait pas une seule seconde. Quoique, tu n'avais pas vraiment le choix, c'était soit les tourments de l'Enfer à être une pathétique victime comme tu l'avais été lorsque tu étais une mortelle ou grimper petit à petit les échelons pour devenir un Démon à part entière... Ta décision ne fut guère difficile à prendre. Après plusieurs années, pour ne pas dire trente-six ans, tu es devenu un Démon. Tu n'étais plus Kaitlynn, mais Bliss. Lentement, tu devenais ce que tu n'avais jamais été. Forte. Dans tous les sens du terme. Colérique, comme un véritable volcan sur pattes face à ton propre pathétisme. Une colère qui fait encore rage envers tout et n'importe quoi quand quelque chose va à l'encontre de ce que tu ordonnes. Grande gueule que tu es maintenant, tu n'acceptes plus que personne ne te marche sur les pieds et ta timidité s'est muée en sociabilité quand il est question de te distraire. Bien entendu, tu attires ton lot de nouveaux problèmes avec cette attitude. Déjà, en Enfer, tu as développé cette espèce de fascination morbide pour le sang qui, quand tu es en pleine crise volcanique, réussi à chaque fois à te calmer à la seconde où tu vois ce précieux liquide couler des veines d'une autre personne. Finalement, tu es peut-être plus atteinte psychologiquement que tu ne le crois.
Août 2016. L'Irlande. Une excellente année. Un merveilleux mois. Dix ans après avoir reçu ton titre de Démon Inférieur, tu as eu l'opportunité de quitter les Enfers pour retourner sur Terre. Si l'époque, la technologie et d'autres détails ont changé, les humains, eux, restent toujours les mêmes. Cela est presque triste.
Chapitre 3 ♠ Kay
Un retour sur Terre, voilà une chance que tu ne pouvais pas laisser passer. Certes, vivre en Enfer c'est sympa, mais retourner là où tu as perdu la vie par ta propre faute, ça peut être très divertissant. D'abord, tu devais trouver un hôte qui t'accueillerait ou non les bras ouverts et tu as mis un peu de temps à choisir ta «victime» jusqu'au jour où tu es tombée sur Kay. Après une petite étude de sa personne, tu as vite ressenti un drôle d'attachement pour cette jeune femme extravertie, qui n'avait pas sa langue dans sa poche et aux soucis de consommations qui te rappelait ton passé. Qui de mieux pour recommencer ta nouvelle vie? En plus de cela, son aspect physique ne te laissait pas indifférente.
Née en Irlande, Kay possédait des traits asiatiques, plus spécialement des origines coréennes à cause de ses parents ayant vécu en Corée du Sud pendant la majorité de leur vie. Une mère. Un père. Tous deux dans le domaine de la santé. Un frère qui est de cinq ans son aîné. Un magnifique tableau familial, mais rien n'est jamais parfait. De ce que tu as compris, son frère avait toujours été vu comme la perfection incarnée, un ange avec une aréole au-dessus de la tête. Entre des séances de désintoxication qui n'ont jamais eu les effets escomptés, les potentielles overdoses, les mauvaises fréquentations ou encore le désintérêt total envers un métier ayant l’acronyme «ami» (avocate, médecin ou ingénieur), il ne faut pas être surpris de voir son frère être plus populaire auprès de leurs parents. Avec sa consommation un tantinet abusive et son choix de carrière en tant qu'agente de probation qu'elle occupe depuis ses vingt-deux ans où elle supporte les déchets de l'humanité sans broncher, ses parents semblaient ressentir de la honte à son égard. D'un autre côté, tu sais très bien que Kay a choisi ce domaine pour «excuser» ou du moins rattraper ses lacunes sur ses choix de vie en voulant aider les autres. Malheureusement, ta présence est venue gâcher toutes ses belles résolutions.
Chapitre 4 ♠ Kay&Bliss - We're one
Kay t'a apporté une vie plus palpitante - et surtout moins pathétique - que celle que tu as connue précédemment et toi tu lui apportes un caractère volcanique. Plus sombre. Plus mauvais et surtout beaucoup trop instable. Pour l'instant, tu es plus ou moins en période d'adaptation face à cette nouvelle époque, mais tu sais profiter de la vie entre t'amuser en ville, faire de nouvelles rencontres et user de ta puissance. Bien entendu, tu sais préserver les apparences en agissant comme Kay et surtout jouer la comédie en faisant croire à ceux qui connaissaient l'humaine que la jeune femme reste la même malgré un changement de personnalité qui s'accentue au fil des semaines. Au fond, tu t'en fiches de ce qu'ils pensent, tout ce que tu désires, c'est de ne pas attirer l'attention des Anges sur ta petite personne. Au fond, n'est-ce pas un peu raté? Avec ton impulsivité et ton caractère volcanique, ce n'est qu'une question de temps avant que les projeteurs ne se tournent vers toi.
Depuis que tes pieds ont foulé le sol dès que tu as intégré le corps de Kay, tu as un unique but en tête. Influencer ces déchets de la société pour souiller un peu plus leur âme déjà corrompue comme on la fait avec toi par le passé. Oui, c'est une sorte de vengeance, mais aussi une allégeance de l'endroit d'où tu viens. S'il ne faut pas que tu te laisses guider ou plutôt aveugler par la colère, celle-ci se montre excessivement persistante...